Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 juin 2023


Peu de monde dans le car BreizhGo de sept heures quarante-huit direction Paimpol, les scolaires seraient-ils déjà en vacances ? La conductrice est guillerette. Elle chante avec Radio Nostalgie J’veux du soleil. Le soleil est là, le ciel tout bleu. Je revois au passage l’église de Lanloup et m’arrête à Bréhec Plage.
En descendant la rue qui mène à cette plage, je passe devant le bel hôtel bar restaurant Chez Tonton puis très vite je touche au but. Plus que sa plage, c’est son port qui donne du charme à ce quartier de Plouézec. Des bateaux à voiles et à moteur en sortent quand je parviens au bout de sa jetée.
Le Géherre Trente-Quatre va d’un côté vers Plouha et ses falaises les plus hautes de Bretagne, de l’autre vers Paimpol. C’est cette dernière direction que je choisis. Ça monte bien. Le sentier n’est pas plus large que mes pieds. Par deux fois, je dois me ranger comme je peux pour laisser passer des moins vieux. Arrivé à la première pointe, je domine le port et ai bonne vue sur la pointe de la Tour en face. Je juge que c’est assez.
Redescendu avec prudence, je vais boire un café verre d’eau à la terrasse de Chez Tonton. Une autre table est occupée par deux couples de randonneurs. Deux quadragénaires et deux vingtenaires qui se sont rencontrés en chemin. Ils étudient leur étape du jour qui doit les mener séparément à Paimpol. Les plus vieux pensent faire des courses à Kérity. Ils seront déçus par l’absence de commerces.
Tonton profite de son monopole pour faire payer son café un euro quatre-vingts. Bien qu’on n’ait pas la vue directe sur la mer. Cela me dissuade d’y déjeuner. Je décide de rentrer par le seul car direct avant celui du soir. Il passe ici à dix heures pile avec la même conductrice. Elle ne chante plus.
Je descends à l’arrêt Port au Portrieux et réserve une table aux Plaisanciers où je n’ai plus à dire mon nom. Tout le personnel titulaire le connaît. Je m’installe à sa terrasse pour un nouveau café (un euro cinquante avec vue sur le port). C’est une nouvelle serveuse qui me l’apporte, une étudiante qui manie le plateau avec la sûreté de qui n’en est pas à sa première saison.
« Tu as vu, on a recruté du personnel », dit la patronne à l’un de ses amis qui mange ici à midi. Evoquant la saison qui arrive, elle déclare « Ça va être dur ». Une aile de raie est mon plat du jour. Une tarte poire et chocolat conclut mon repas, choisie sur le plateau de Miss Desserts qui de jour en jour gagne en efficacité.
Le ciel vire au gris quand je m’installe à la table haute du Café de la Plage. Contrairement à hier, les gouttes d’eau se retiennent jusqu’à l’heure où je le quitte habituellement. Quand j’entre pour payer mon café, le gentil serveur et le patron dansent sur le reggae diffusé. « Je vois qu’on s’amuse bien à l’intérieur », leur dis-je en tendant un billet de cinq euros. « Laissez, me dit le patron, c’est pour la maison. »
                                                              *
Curieuses plantes que les hortensias. Quasiment invisibles quand ils n’étaient que feuillage, ils explosent de couleurs depuis quelques jours.
Eux aussi seront prêts à temps pour l’arrivée des estivants.
 

21 juin 2023


Ce mardi matin, au lieu de tourner à droite au bout de la rue et de descendre, je tourne à gauche et je monte. Mon objectif se pose un peu là. Chaque après-midi, quand je rentre, ce dôme est mon point de repère. C’est celui de la chapelle Notre-Dame de la Garde. Le mot chapelle évoque une petite église. Celle-là est énorme. Elle est là, entre des maisons, dans la périphérie de Saint-Quay, depuis mil huit cent vingt-huit. Ce gros dôme de quatorze mille ardoises repose sur un cylindre en pierre de même diamètre. Je tourne autour de ce monument où au retour de la grande pêche les marins venaient s’acquitter de leur vœux. C’est fermé. Je ne peux voir les onze ex-voto qu’il contient, ni le tableau représentant un navire qui aurait été sauvé par la Vierge. Ce n’est ouvert qu’en juillet août, pour les estivants.
Demi-tour, je descends sous un ciel bleu vers mon petit-déjeuner. Au Mustang est diffusée une télé pour turfistes, heureusement sans le son. Qui vois-je à l’écran ce matin ? Hervé Morin, marchand de chevaux (par ailleurs Duc de Normandie). Il n’est pas interrogé. Il participe à l’émission. En spécialiste de la façon dont certains riches truandent certains pauvres en les faisant parier sur les courses de leurs canassons. Le tiercé, l’un des plus vieux jeux à perdre.
Il a plu cette nuit. Cela se voit sur le chemin douanier. Le belvédère est recouvert de grosses gouttes d’eau. Le vieil homme en a terminé la restauration. Chaque nom de lieu a été repeint en noir.
Faute de Poisson Rouge, je marche jusqu’au Café de la Marine pour mon café verre d’eau lecture. Cet estaminet est sur le port lui aussi, mais grosse différence, sa terrasse donne sur des voitures garées entre la mer et lui. Pendant que je lis les missives de Baudelaire des nuages inquiétants font leur apparition.
Je juge prudent de revenir plus près de mon studio Air Bibi et vais donc prendre un autre café au Café de la Plage où je réserve une table à l’intérieur pour le déjeuner.
Il ne pleut pas à midi. Beaucoup s’installent en terrasse pour manger. Le menu du jour se compose d’un duo houmous et caviar d’aubergine, de brochettes de bœuf sauce saté nouilles chinoises et d’une salade de fruits, tout cela bien bon sur fond de Fip Reggae.
Mon addition réglée, je vais prendre le café dehors, perché. Au moment où la gentille serveuse me l’apporte, les premières gouttes tombent. Branle-bas pour ceux qui déjeunaient dehors, ils migrent à l’intérieur. « Vous voulez rentrer ? » me demande la serveuse. « Ça va passer », lui dis-je. « J’aime bien les gens qui pensent que ça va s’arranger »,  me dit-elle.
Ce ne sont que quelques gouttes. Cependant, je ne peux pas lire tant qu’elles tombent. Quand le soleil réapparait, un homme vient occuper l’autre perchoir. Il lit également. Un quart d’heure plus tard, une nouvelle drachette nous chasse tous les deux.
                                                                                 *
Saint-Quay-Portrieux est de ces communes pour lesquelles la Fête de la Musique, ce n’est pas le jour du solstice d’été. Si on se couchait tard, comment qu’on ferait pour bien travailler le lendemain ?
Ce sera donc vendredi soir et sous la tutelle de la Mairie. Au programme : l’école de musique municipale, Moundrag (rock psyche) et un platiniste dont le nom ne figure pas sur les affiches.
 

20 juin 2023


C’est le merlou qui me réveille ce lundi par ma fenêtre ouverte. Il est cinq heures et demie. Cinq minutes plus tard, le voisin du dessus racle son sol avec sa chaise. Si l’oiseau n’avait pas fait son boulot, le lourdaud ne m’aurait pas raté.
Le patron parti en course, c’est sa fille qui tient les rênes du Mustang. Ma table préférée est occupée par un couple. « Va falloir vous y faire, me dit un habitué, ils sont là pour six mois et c’est leur place. » Il me cède la sienne mais arrivent l’habitué en chef et un comparse qui s’assoient là d’habitude alors je dis que je vais aller ailleurs. Tout le monde proteste mais ils sont bien contents de ma proposition. De quoi parle-t-on ? De Plouha qui s’est accaparé la Fête de la Morue. Alors qu’il n’y jamais eu de morue à Plouha. La morue, c’était à Binic.
Le ciel est bleu sur mon chemin et Le Poisson Rouge en vacances. Je continue ma marche, passe au-dessus du marché, rejoins le chemin de la Corniche qui est une route goudronnée et arrive au parc départemental de Port-es-Leu qui j’ai traversé le jour où je suis allé de Binic à Saint-Quay par le Géherre. Sis sur la commune d’Etables-sur-Mer, il ne manque pas de grands et beaux arbres et de vues plongeantes sur la mer. Je reste à son entrée, m’assois sur un vieux tronc qui fait office de banc et j’écoute le chant des oiseaux.
A la pointe de ce parc départemental de Port-es-Leu est un escalier métallique peu visible qui permet de rejoindre le port du Portrieux à la hauteur de l’école de voile. De là, je rejoins le marché que je traverse en me disant qu’il devrait proposer sa candidature au concours du plus beau marché de France, puis je rejoins Port d’Armor. Je réserve une table en terrasse et à l’ombre aux Plaisanciers et y bois un café verre d’eau au-dessus des bateaux de plaisance, lisant ensuite Correspondance de Baudelaire un long moment.
Ce midi, il y a des plaisanciers parmi les clients des Plaisanciers. Ces gens qui n’arrêtent pas de parler de bateaux me saoulent, comme me saoulent tous ceux qui ont un intérêt particulier qui monopolise leur conversation. Au menu du jour, drôle de proposition : un bœuf bourguignon. Personne n’en veut. Tout le monde opte pour le filet de lieu noir beurre blanc écrasé de pommes de terre. Résultat : il n’y en a pas pour tout le monde. Pour les derniers arrivés, le lieu est remplacé par le tacaud. Quand Miss Desserts vient me voir avec son sourire et son plateau, j’en choisis un dont je ne connais pas le nom.
Des nuages noirs montent dans le ciel tandis je suis perché au Café de la Plage. Quand deux gouttes tombent sur mon livre, je le range et remonte à mon logis provisoire.
                                                             *
Au Portrieux, trois femmes Témoins de Jéhovah sont là pour t’expliquer ce qu’est « La vraie réussite ».
                                                             *
Quelle triste image donne de lui Baudelaire dans ses lettres. Un quémandeur et un flagorneur. Un lettre de compliments et de flatteries à Feydeau pour Fanny et dans le même temps une lettre à sa mère où il dit tout le mal qu’il en pense.
 

19 juin 2023


Ce dimanche ne sera pas un jour de beau temps. De légères averses sont annoncées. Aucun pochtron n’est en terrasse au Mustang quand j’y arrive. Ça ne dure pas. Quatre jeunes gens, plus ou moins saouls, s’y installent, qui veulent de la bière. « Dimanche dernier, j’avais les flics ici, leur dit le patron alors c’est café ou grenadine, et je fais pas garderie ». Ils protestent puis finissent par accepter. « Les p’tits cons », commente le patron aux habitués. « Ça vous rigole sous le nez ».
Je prends mon chemin habituel et fais halte au belvédère. Il est presque entièrement restauré. Restent les noms de lieux à repeindre et le vieil homme ne travaille pas le dimanche.
Quand j’arrive au port du Portrieux, le ciel se noircit côté terre et Le Poisson Rouge n’est pas ouvert. Deux raisons pour revenir par l’intérieur du bourg à la Plage du Casino. Assis sur un banc au-dessus d’icelle, j’attends l’ouverture du Café de la Plage.
J’en suis le premier client. Au large, le ciel est bleu, derrière moi toujours du gris. Les nuages finissent par l’emporter. Vers onze heures, j’achète un pan bagnat (quatre euros dix) au Fournil du Casino puis me dirige vers Le Mustang pour une formule huîtres. Je préfère m’installer à l’intérieur et je fais bien car peu après mon arrivée les premières gouttes tombent. Toute la terrasse tente de trouver une place dedans. Audrey, dans sa tenue sexy, m’apporte mes six huîtres. Cette fois, elles sont suffisamment pleines. Une apprentie serveuse l’aide, qui prend ses fonctions ce dimanche. Personne ne la qualifiera de pineupe.
Mes huit euros réglés au patron, je remonte à mon logis temporaire sous une légère pluie. J’y mange mon pan bagnat en attendant un message de ma sœur. Elle et son mari avaient hier une compétition de marcheurs à bâtons à Langueux près de Saint-Brieuc. Je leur ai proposé de passer me voir avant de rentrer dans l’Eure.
Munis des coordonnées Gépéhesse de mon studio Air Bibi, ils n’ont pas de mal à me trouver. Peu après midi et demi, nous descendons en voiture jusqu’à la mer. Il pleut encore un peu. Faute de place à l’intérieur du Café de la Plage, c’est au Kasino que nous buvons un café, installés dans de bons fauteuils à une table ronde avec vue sur la plage.
Nous devisons un moment dans cet endroit confortable à l’ambiance feutrée, puis, sous quelques gouttes, nous allons marcher sur le Géherre. Piscine d’eau de mer, sémaphore, ile de la Comtesse, turquerie, nous n’allons pas plus loin car ils doivent rentrer. Ce qu’ils font après m’avoir déposé au bout de l’allée.
 

18 juin 2023


Ce samedi matin les enivrés du Mustang se font discrets, quatre en terrasse, trois au comptoir dont une fille à veste orange. « Je peux l’essayer ta veste », lui demande un des imbibés mâles. « Oui mais tu fais attention, j’y tiens, deux heures de queue chez Zara à Paris pour l’avoir ». « Deux heures de queues au Bois de Boulogne », corrige le patron. Il se plaint ensuite d’un habitué qui voulait payer son café avec sa carte. « La carte pour un euro quarante ! Et lui, il fait payer avec la carte quand il loue son camping-car au noir ? »
Le calme règne heureusement sur le sentier du bord de mer. J’admire encore une fois le paysage en allant du Kasino aux ports. Ce qui contribue beaucoup au charme de Saint-Quay, ce sont ses rambardes blanches en béton qui protègent de la chute le long du littoral et dans les escaliers qui mènent aux différentes plages. J’en fais quelques photos puis attends sur un banc du Portrieux que Le Poisson Rouge daigne ouvrir.
Je m’y installe à l’une des tables à l’ombre car ça va cogner, comme m’a dit l’homme plus vieux que moi muni d’un parasol que j’ai trouvé en train de redorer les blasons du belvédère sur le chemin côtier. Tout est remis à neuf pour l’arrivée des estivants. On repeint également les passages pour piétons et les emplacements pour garer les voitures.
C’est également à l’ombre que je déjeune aux Plaisanciers où mon plat du jour est roussette aux câpres pommes vapeur. Le personnel est renforcé par des étudiant(e)s qui découvrent le métier avant l’arrivée du flot des touristes. C’est une jolie fille qui m’apporte le plateau de desserts et me les nomme. Je choisis celui du milieu : dôme passion.
J’ai presque trop chaud sur mon perchoir au Café de la Plage au point que je raccourcis mon moment de lecture après le café. Il fait lourd. Je souffre un peu en remontant vers mon logis provisoire. Même si le soleil est parfois caché, il doit faire vingt-cinq degrés. C’est déjà trop pour moi.
                                                                  *
Ils m’énervent ces voisins de table dans les restaurants avec leurs « On n’est pas bien là ? » et leurs « Elle est pas belle la vie ? ».
                                                                  *
Une femme sur le port : «  Quand même le soleil n’est pas net. »
S’il n’y avait que lui.
 

17 juin 2023


Première nuit où je peux laisser la fenêtre ouverte. Le silence règne dans ce quartier de Saint-Quay, le bruyant d’au-dessus est couché et le logement Air Bibi du dessous est inoccupé, Je dors donc aussi bien qu’il est possible à un vieux et au matin de ce vendredi me dis « Allons à Lanloup ». Lanloup, « petit village pas touristique du tout », selon mon Guide du Routard Bretagne Nord de deux mille huit.
Comme le car BreizhGo terminus Paimpol n’annonce pas les arrêts, je demande au chauffeur de me faire descendre à celui nommé Eglise à Lanloup. Ce qu’il fait.
Le temps est beau. L’église est belle. J’en fais le tour, découvre le calvaire et les statues des apôtres et de Marie sous le porche mais impossible d’y entrer.
En face est un café épicerie de style néorural, le Kabellig Ruz, tenu par une femme un peu baba à qui je demande comment aller au château. Elle me conseille de passer par la fontaine Saint-Golven et de revenir en longeant le champ de blé que l’on aperçoit là-bas derrière le petit parc communal.
Après un court morceau de route, je prends un sentier sur la droite qui s’enfonce dans une forêt, y trouve la fontaine qui souffre de la sècheresse, arrive à deux ou trois maisons,  tourne à droite et aperçois le château. Celui-ci est plutôt un manoir. Il est privé mais comme aucune barrière n’en interdit l’accès, j’entre et m’approche. Des travaux sont en cours car il est dégradé, mais ceux-ci semblent à l’arrêt. Joseph-Guy Ropartz, compositeur et chef d'orchestre que je ne connais pas, a vécu ici et y est mort.
Ressorti, je vois l’étroite trouée entre le champ de blé et la haie. Elle mène tout droit au village. Il suffit de se méfier de quelques branches et des ronces. Dans le petit parc j’aperçois une boîte à livres. S’y trouvent Du Contrat social de Rousseau et Maximes et Réflexions de La Rochefoucauld. Je glisse le second dans ma poche puis retourne au Kabellig Ruz.
« Alors c’était bien la balade ? » me demande la tenancière que je remercie pour ses explications claires. Quelques tables forment une terrasse avec vue imprenable sur l’église Saint-Loup. J’y prends un café verre d’eau (un euro cinquante) et relis une nouvelle fois la préface des Lettres à Sophie Volland due à Jean Varloot, tandis que des femmes du village viennent faire leurs courses. Elles parlent de celui qui a tué sa femme alors qu’il disait qu’elle était partie.
L’arrêt du car pour le retour est à côté. J’attends celui de dix heures une (le suivant dans huit heures). J’en descends à l’arrêt Casino de Saint-Quay et à dix heures trente suis perché au Café de la Plage. Ici c’est le brouillard. Comme la mer est basse, on l’entend mais on ne la voit pas. J’entreprends ma relecture du troisième livre que j’ai emporté : Correspondance de Charles Baudelaire, un choix de lettres publié chez Folio.
A midi, comme j’ai envie d’un burgueur, je vais déjeuner à côté aux Cochons Flingueurs. Bien que n’ayant pas réservé, j’obtiens une table dans la cour intérieure, hors d’atteinte des goélands voleurs de viande. Des crêpes et quelques plats, « En retour de pêche, on est sur du poulpe », ambiance jeune, musique américaine, serveuses en minijupe, serveur à casquette, seize euros le burgueur basique, moyennement gros, moyennement bon, un peu cher donc, avec un verre de pinot à quatre euros.  Je ne regrette pas ce moment mais il ne se reproduira pas. Le dessert m’est fourni par Le Fournil du Casino, un kouign amann individuel à deux euros trente, aimablement réchauffé, que je déguste assis face à la mer.
Quelques dizaines de mètres et me voici de nouveau perché pour le café. Le soleil a eu raison du brouillard. On se baigne dans la Manche. On se jette dans la piscine d’eau de mer. C’est le début du ouiquennede. Ce soir le Café de la Plage est privatisé.
                                                               *
Jeune couple au Café de la Plage :
Elle : « J’aimerais bien qu’on change les meubles et qu’on refasse le sol. »
Il ne répond pas et regarde ailleurs.
Elle, un peu plus tard : « T’es pas content ? »
                                                               *
Vieux couple au même endroit :
Lui : «  Oui c’est ta sœur, mais je peux pas la supporter. Deux jours peut-être, mais pas plus. »
Elle ne répond pas et regarde ailleurs.
Lui, un peu plus tard : « Bon, on y va ? »
                                                               *
Une arrivante découvrant la piscine d’eau de mer :
-Ça c’est pas mal, mais à mon avis c’est payant.
Le nombre d’âneries que je peux entendre en une journée.
 

16 juin 2023


Peu de temps avant de quitter mon studio Air Bibi afin de prendre le car BreizhGo direction Paimpol pour en descendre à l’arrêt Bréhec Plage, je me rends compte que cet arrêt n’est pas desservi par les cars du retour avant dix-huit heures quatorze. Sauf le mercredi, où on peut prendre un car scolaire jusqu’à Plouha puis le car numéro Un dans ce bourg. Nous sommes jeudi.
Au lieu de prendre le car, je descends à pied jusqu’à la plage du Casino mais Le Fournil du Casino est en congé le jeudi et Le Mustang ne propose pas de viennoiseries. Aussi, je me rends au Kreisker, un hôtel bar tabac proche, avec terrasse. A une des tables au soleil, je petit-déjeune d’un pain au chocolat et d’un café allongé pour deux euros quatre-vingt-dix.
En face est la Crêperie de la Plage (qui ne donne pas sur la plage). Ou plutôt était, car le bâtiment est éventré et échafaudé. On y fait de sérieux travaux. Je demande à le patronne du Kreisker si elle rouvrira ensuite. Non, ce sera un opticien. J’ai une pensée pour l’ami d’Orléans qui a fréquenté cette crêperie.
A l’angle, toujours droit comme un i, se trouve le bâtiment le plus kitsch de Saint-Quay. De couleur rose, aussi haut que mince, doté d’une tourelle et d’une haute cheminée, il a pour nom Ty Huel. A son rez-de-chaussée est installé un fabricant de pizzas à emporter qui ouvre de temps en temps. Je fais deux photos de cette kitscherie, face et profil.
C’est la fin de l’improvisation. La suite est habituelle et se résume à trois étapes : Poisson Rouge, Plaisanciers, Café de la Plage. C’est peut-être la journée la plus chaude depuis mon arrivée ici. Bien que ce ne soit rien en comparaison des températures ayant cours ailleurs en France, cela diminue mon envie de bouger.
Ce qui fait que je lis trop. J’ai fini Diderot, ses Lettres à Sophie Volland. Je vois en lui un précurseur des Romantiques. Quel amoureux transi il était, notre philosophe.
                                                                *
Encornets à l’armoricaine à la terrasse des Plaisanciers où déjà m’entourent trop de vacanciers. A une table : Génération Cinquante en deux exemplaires. A une autre table : un gros chien. Ceux qui n’ont ni enfant ni chien donnent à manger aux moineaux.
                                                               *
De beaux imparfaits du subjonctif chez Denis Diderot.
Deux exemples :
Cela m’est arrivé sans que je m’en doutasse.
Je voudrais que vous m’aimassiez comme je vous aime.
 

15 juin 2023


Ce mercredi, une nouvelle fois, je descends du car BreizhGo à l’arrêt Estran de Binic mais je change de boulangerie, en ayant découvert une deuxième vers la plage de la Banche. Je prends deux pains au chocolat pour deux euros trente. Ils ont l’air meilleur que ceux de l’autre boulangerie, proche de l’église. J’en ai confirmation au Narval où j’ai commandé un café allongé. Il y a du monde dans ce troquet mais guère d’ambiance. Le Narval, c’est le Mustang de Saint-Quay, moins la vie.
Cette fois, j’entreprends de faire le tour du port rectangulaire par la digue séparant celui-ci de la plage rectiligne de la Banche. On n’y trouve que des bateaux de plaisance. Arrivé à moitié, passé ce qui ressemble à une grosse bite à bout rouge, je regarde ce qui se passe côté plage où du bruit se fait entendre. Une pelleteuse cure la piscine d’eau de mer tandis qu’un homme avec une pelle en gratte les parois. « C’est rempli de vase depuis l’temps », déclare l’un des ouvriers. Ça sent bien la vase effectivement.
Arrivé au bout de cette partie du port, je passe de l’autre côté par une sorte d’écluse puis marche sur l’autre digue jusqu’au phare. Je termine par un petit tour sur l’autre plage (on y trouve quelques cabines à portes colorées) que l’on atteint par le tunnel dans la roche et me voici revenant par le quai où sont concentrés bars et restaurants.
Je m’assois à la terrasse ombragée du bar à bières Chez Charly pour un café verre d’eau. Je lis là Diderot, les lettres à sa Sophie, puis paie un euro soixante-dix à la serveuse filiforme à djine troué et passe par les toilettes. Elles sont chics, munies de miroirs qui me rendent multiple. J’ai du mal à supporter mon image de vieux dans un miroir mais bizarrement quand je suis plusieurs cela va mieux. Je fais une photo de ce bénéfique effet d’optique.
Pour déjeuner, je vais à côté, au restaurant La Sentinelle qui affiche un menu du jour à seize euros et dont la carte porte un texte d’Anna Gavalda en faveur des cuisiniers et des autres travailleurs invisibles et indispensables. J’ai une table à l’intérieur près de la vitre ouverte avec vue sur le bout du port. Le jeune patron est aussi sympathique que dynamique et son personnel efficace et souriant. Une petite bouteille de cidre brut Val de Rance à cinq euros accompagne mon choix : tabaki de thon maison, mignon rôti crème de brie, sabayon de pommes, tout cela cuisiné et bon.
-Je vous ai vu prendre des petites notes, me dit l’aimable patron en me serrant la main quand je quitte les lieux.
-J’ai noté le menu et d’autres choses parce que je raconte mon séjour dans la région.
-Donc vous allez parler du restaurant, en bien j’espère.
-Oui, lui réponds-je.
Il ne cherche pas à en savoir plus.
Le car BreizhGo qui me ramène à Saint-Quay me dépose près du Café de la Plage. Il est quatorze heures. C’est le moment de mon café perché.
                                                                  *
Dans la boîte à livres près de la passerelle : Le Club du suicide de Robert Louis Stevenson (folio). Il passe dans ma poche.
                                                                  *
Ma voisine sexagénaire du bar Chez Charly à sa semblable : « J’en ai eu pour la mémoire. Je me rappelle plus le nom. » Elle parle d’une huile essentielle qu’avait dit le docteur sur YouTube.
Ça a l’air efficace.
                                                                  *
Des autochtones à propos du soleil :
-Ça va durer jusqu’à dimanche, après c’est fini.
-Faut qui fasse de l’eau.
-Va falloir qu’ils prennent un ciré, les touristes.
                                                                  *
La piscine d’eau de mer de Binic, aussi rectangulaire que son port.
 

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