Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 novembre 2020


Encore passé une bonne partie de la journée à tapoter des notes de lecture et de relecture. Dans celles relatives à la Correspondance de Paul Léautaud, relue en Bretagne cet automne, j’extrais la missive d’icelui envoyée le lundi treize octobre mil neuf cent quarante-neuf au jeune Georges Poulot (futur Perros), après que celui-ci a commis l’imprudence de s’épancher auprès de son aîné :
Mon cher Poulot.
Vous m’écrivez une lettre bien déplaisante, dans son style, dans son vocabulaire, dans les attitudes qu’elle évoque, les airs penchés et gémissements.
« Je me croîs fini. » Vous parlez comme les romanciers de l’école réaliste ou naturaliste, fabricants de littérature, inventeurs de sujets sur lesquels ils bûchaient comme des manœuvres pour en tirer le meilleur parti possible, et qui, parbleu ! arrivés à un certain âge, leur faculté d’invention se faisait rétive à la découverte de nouveaux chefs-d’œuvre à fabriquer.
C’est pitoyable. Je n’aime pas les gémissements, les gens qui exagèrent leur malheur, (ou leur bonheur). Je comprends qu’on se retire, mais s’aplatir, perdant tout ressort ? A votre âge ? Vous avez vraiment des airs de poète romantique. (…)
Et par-dessus le marché, qu’êtes-vous : comédien, ou écrivain ? Les deux ? Cela engendre les Truffier, les Féraudy, les Mounet-Sully, d’autres que j’oublie.
A vous.
Comment le jeune Poulot prit la chose, j’aimerais le savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’il abandonna assez vite ses activités de comédien.
                                                                     *
En bonus, l’avis de Léautaud sur Les Essais de Montaigne, ma lecture d’été dans le Massif Central :
Mais, que diable, vous aussi, après d’autres, me jetez-vous Montaigne dans les jambes. Vous ne trouverez son nom dans rien de ce que j’ai écrit. Je n’ai jamais pu le lire. Dans ma jeunesse, ayant acheté les Essais, après avoir lu dix pages, j’ai bazardé l’ouvrage. J’ai horreur des citateurs. Le vendredi vingt-sept mai mil neuf cent quarante-neuf à Henri Clouard
 

13 novembre 2020


Jean Castex, Premier Ministre, il ne lui manque qu’une blouse grise pour ressembler tout à fait à mes instituteurs de l’école Anatole France, rue Pampoule à Louviers, dans les années cinquante. Plusieurs avaient recours au tirage d’oreille et aux coups de règle sur les doigts.
Pas plus de droits en cette année deux mille vingt que lorsque j’avais l’âge de fréquenter cette triste école de garçons où je me sentais néanmoins mieux que dans l’étouffante atmosphère de la maison familiale au centre d’un terrain de deux hectares entouré de quatre murs. Aujourd’hui, la laisse fait un kilomètre et l’engueulade est toujours garantie si je ne rentre pas à l’heure.
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La marchande de pelotes de laine de la rue du Petit Salut tient son magasin ouvert. Je suppose que le tricotage est assimilé au bricolage. Quand j’étais enfant route de Pacy, il y avait au bout de la rue un couple de fleuristes suffisamment connu de mes grands-parents pour que l’on aille voir la femme malade à l’hôpital. Son mari, assis sur une chaise, tricotait. Cela m’avait fort étonné et jamais je n’ai revu ça.
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Les dirigeants de l’entreprise américaine du vaccin à quatre-vingt-dix pour cent de réussite qui vendent leurs actions pour engranger le bénéfice de la hausse consécutive à l’annonce de leur découverte, n’attendant donc pas la confirmation de la valeur de ce vaccin et une nouvelle hausse de la Bourse, cela donne à entendre qu’ils ne sont sûrs de rien.
 

12 novembre 2020


Le onze onze à onze heures, au moment où je sors faire ma promenade dérogatoire quotidienne, les cloches de la Cathédrale sonnent à la volée. J’ai une pensée pour Grand-Père Jules en ce moment précis du jour de commémoration, un jour férié qui passe inaperçu à certain(e)s. Ma boulangère, lorsque hier je lui ai demandé si ce serait ouvert demain, m’a regardé comme si ma question n’avait pas de sens.
Rentré, je poursuis le tapotage de mes notes de relecture, en Bretagne cet automne, de la Correspondance de Paul Léautaud. Le vendredi vingt-quatre novembre mil neuf cent trente-neuf, Léautaud écrit à son ancienne amante Anne Cayssac, dite Le Fléau. Il fait le point sur sa situation matérielle à l’approche de sa soixante-neuvième année (un âge qui est le mien pour encore quelques mois), ce qui l’amène à un délicieux souvenir :
Moi, un homme riche ! Un homme qui depuis six ans est obligé de se passer de bonne, qui fait ses repas lui-même, qui déjeune de légumes achetés tout cuits qui le dégoûtent, qui dîne de pain et de fromage et d’un fruit, qui lave lui-même son linge de corps, qui sort et rentre lui-même sa poubelle, qui tient lui-même à peu près propre un pavillon d’un rez-de-chaussée et d’un premier, qui fait lui-même, le matin avant de partir, ses lampes pour le soir, qui en a été réduit récemment à prendre sur le métro un abonnement à la semaine, comme un vulgaire employé… (…)
Et cet homme est un écrivain, qui va entrer prochainement dans sa soixante-neuvième année, un chiffre qui nous a été souvent bien agréable, à vous et à moi, vous devez vous le rappeler.
                                                                 *
Le onze onze est le jour anniversaire de la naissance de ce Journal. Quatorze ans que ça dure.
 

11 novembre 2020


Euphorie générale chez les journalistes ce mardi dix novembre, à laquelle n’échappent pas ceux de France Culture. Un laboratoire américain aurait trouvé un vaccin efficace à quatre-vingt-dix pour cent contre le Covid. Quand on fouille un peu, on se rend compte que rien n’est sûr. Ça ne les empêche pas d’y croire. Cela donne une idée de l’abattement dans lequel chacun est plongé.
Yannick Jadot, Ecologiste, Député Européen, interrogé sur la question de savoir s’il faut rendre obligatoire ce vaccin virtuel a un court moment de flottement, pendant lequel il se demande quelle réponse on attend de lui dans la perspective de son avenir présidentiel, puis répond positivement (ce qui ne manque pas de sel quand on sait que sur sa liste européenne a été élue une Députée furieusement anti-vaccins).
                                                                        *
Les politicien(ne)s français(e)s semblent en ce moment faire le concours du plus ridicule. A ce jeu, Marie Ségolène Royal a toutes ses chances, qui déclare que les fermetures de magasins sont « des décisions anti-patriotiques ». « Vous croyez que le général de Gaulle aurait fermé les commerces et les librairies? »
                                                                        *
Le front lifté de Marie Ségolène Royal m’amène à me poser des questions sur celui du nouveau Président des Etats-Unis.
                                                                        *
Que j’en sois réduit à évoquer l’actualité donne une idée du peu de chose qui se passe dans ma vie de confiné.
 

10 novembre 2020


Pour la dernière étape de mon nouveau parcours médical, je monte l’avenue de la Porte des Champs à l’heure où se pressent les élèves à l’entrée du collège Fontenelle. Cette jeunesse est fort disciplinée, pas un(e) qui ne porte son masque, et correctement.
En haut de la côte, je prends le temps de retrouver mon souffle avant d’entrer chez  mon médecin traitant avec qui j’ai rendez-vous ce lundi.
Quand c’est à moi, je lui présente les conclusions de mon échographie abdominale. Certes mon foie est fatigué, m’explique-t-il, mais rien de grave. « On ne va rien faire », conclut-il. Il ne me propose pas de changer de régime alimentaire, sachant que c’est un conseil que je n’arriverais pas à suivre.
-Est-ce que c’est un problème que mon pancréas n’ait pas été vu, lui demandé-je.
-Quand on le voit bien, c’est souvent mauvais signe, me dit-il. Pourquoi ? Ça vous inquiète ?
-Pas spécialement mais je sais qu’un cancer du pancréas, ça arrive.
-Vous auriez déjà perdu dix kilos, me dit-il.
A la pesée, je n’en ai perdu qu’un et ma tension est, comme d’habitude, on ne peut plus normale.
-Et le moral, comment ça va ? me demande-t-il.
-C’est moyen. Comme pour beaucoup, il me semble. La perspective d’aller de confinement en confinement ne m’enchante pas.
Il me dit qu’il pense qu’après cette deuxième vague les suivantes seront moins fortes car beaucoup de gens auront été en contact avec le virus.
Nous nous quittons sur le constat qu’il s’agit de passer l’hiver.
                                                               *
La bouffonnerie du jour : l’annonce de la candidature de Mélenchon à la prochaine Présidentielle si cent cinquante mille de ses affidé(e)s le lui demandent (« j’ai très bien perdu les deux premières fois, donc je suis le mieux placé pour perdre à nouveau »).
 

9 novembre 2020


L’homme a désir d’être seul / Que très entouré d’autres hommes écrit Georges Perros dans Une vie ordinaire. C’est mon cas. Raison pour laquelle le premier confinement pendant lequel je pouvais lire dans le jardin alors qu’y vaquaient les habitant(e)s de la quinzaine d’appartements occupés me fut plus facile que le deuxième pendant lequel je suis incapable de lire en journée dans mon appartement
Je ne lis que le soir dans mon lit. Au bout de dix jours, je suis toujours dans le premier volume de la Correspondance entre Ferdinando Galiani (abbé) et Louise d’Epinay (marquise), plus intéressé par les lettres d’icelui que d’icelle.
De lui, cette fine analyse de l’éducation :
Ainsi qu’on fasse apprendre ou le latin, ou le grec, ou le français à un enfant ce n’est pas l’utilité de la chose qui intéresse. C’est qu’il faut qu’il s’accoutume à faire la volonté d’autrui (et s’ennuyer) et à être battu par un être né son égal (et souffrir). Lorsqu’il est accoutumé à cela, il est dressé, il est social ; il va dans le monde, il respecte les magistrats, les ministres, les rois (et ne s’en plaint pas). Il exerce les fonctions de sa charge et il est à son bureau, ou à l’audience, ou au corps de garde, ou dans l’œil de bœuf, et baille et reste là, et gagne sa vie. S’il ne fait pas cela il n’est bon à rien dans l’ordre social. Donc l’éducation n’est que l’élaguement des talents naturels, pour donner place aux devoirs sociaux. L’éducation doit amputer et élaguer des talents, si elle ne le fait pas, vous avez le poète, l’improvisateur, le brave, le peintre, le plaisant, l’original, qui amuse, et meurt de faim ne pouvant se placer plus dans aucune niche de celles qui existent dans l’ordre social. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le quatre août mil sept cent soixante-dix
                                                                      *
Deux autres extraits :
Enfin j’adore M. de Sartine, je lui ai mille obligations et je voudrais lui en avoir encore davantage. Il ne dépend que de lui que je retourne à Paris. Il n’a qu’à me faire inspecteur de police, et me donner le département des demoiselles. Je vole, je cours, j’abandonne tout. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trente juin mil sept cent soixante-dix
Attendons les paiements de Merlin, et dites toujours entre vos dents lorsqu’il viendra chez vous « Puisses-tu pisser comme tu paies goutte à goutte. » Cela vous soulagera. Il n’y a rien de tel que de jurer. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le premier septembre mil sept cent soixante-dix
 

8 novembre 2020


L’alternative pour passer la Seine avec des lunettes en automne par temps de Covid, comme je le fais ce samedi avant neuf heures, est de les ôter ou de baisser son masque façon bavoir. Sans cela, impossible d’y voir quoi que ce soit, embuées qu’elles sont.
Cette avancée sans visibilité est à l’image de celle de nos gouvernants. Le vaccin promis pour fin deux mille vingt, puis pour le premier semestre deux mille vingt et un, est désormais remis au second semestre de cette année prochaine.
Aucun d’entre eux ne semble envisager l’hypothèse qu’il ne soit que partiellement efficace, à cinquante pour cent par exemple, et qu’il faille continuer à protéger la moitié de la population. L’économie ne va pas supporter ça.
Au marché des pauvres, place des Emmurées, seuls sont installés les marchands de nourriture, ce qui laisse de la place aux client(e)s. On s’y sert soi-même. Je remplis mon sac de fruits et légumes puis rentre dans les mêmes conditions.
L’après-midi, je passe plusieurs heures à organiser mes innombrables notes de lecture puis je supprime mes photos de vadrouille. A quoi bon les garder puisque je n’ai pas la moindre envie de les revoir. Une copie d’icelles est dans la mémoire de Effe Bé où je pourrais les retrouver en cas de besoin.
Que cette entreprise californienne me serve au moins à ça. Car côté réseau social, c’est de plus en plus décevant. Outre qu’on y est désormais envahi par les liens sponsorisés, celles et ceux qui figurent dans ma liste d’« ami(e)s » y publient de moins en moins, voire plus du tout.
Le soir venu Biden est enfin élu Président des Etats-Unis, ça fait surtout plaisir pour la défaite de l’autre.
                                                                        *
Choisir un garçon pour faire un enfant puis quelques années plus tard parler de lui au téléphone en l’appelant cet abruti. (une fille dans la rue)
                                                                        *
Lecture d’il y a quelques mois, trouvé dans une boîte à livres : le faux roman de Romain Gary Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Le côté éternel baroudeur de l’auteur narrant le déclin de sa libido ne m’a pas emballé, mais les deux extraits suivants valaient cet effort :
Mes rapports avec lui consistaient surtout à l’éviter…
La conversation est une des formes les plus méconnues du silence.
 

7 novembre 2020


« Merdre, ça te coupe la chique du clavier ce co-truc ! Vite des notes de lecture au moins…! », m’écrit l’ami de Stockholm qui est venu à Rouen durant les vacances de Toussaint sans que nous puissions nous voir puisque j’étais ailleurs.
Combien il a raison. Ce deuxième confinement est pire que le premier. Il n’a pas l’air d’en être un mais plus rien n’existe pour qui ne travaille pas. Il ne se passe absolument rien dans ma vie depuis que je suis rentré. Même celles et ceux à qui j’ai écrit pour demander de leurs nouvelles ne me répondent pas.
En attendant les notes de lecture, ces copies de deux lettres que j’ai trouvées dans un livre autrefois acheté un euro chez Book-Off, collées qu’elles étaient à intérieur de l’ouvrage Le rat et l’abeille (Court traité de gastronomie préhistorique), publié chez Phébus. Ces missives furent envoyées à son ami René Delmas par l’auteur, Raymond Dumay.
La première, le quatre juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept :
Mon cher ami
Je ne saurais te dire combien je suis touché par ta lettre. Tu as acheté mon livre et tu as pris la peine et le temps de m’en écrire – et bien. Double exploit qu’à ce jour tu es le seul à avoir réalisé. Si tu penses un instant à l’inquiétude que j’ai pu éprouver en me lançant dans cette aventure, une spécialité abordée à 80 ans ! tu comprendras mon bonheur de recevoir tes éloges, en particulier sur mon style, qui est plus moi-même que moi, mais si peu »scientifique ».
Quand je dis « à bientôt », je ferai de mon mieux.
A vous deux, Raymond.
La seconde, le quinze juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept :
Mon cher Delmas,
Merci, merci. Moi aussi j’ai été éberlué par ces éloges démesurés – déclenchés peut-être par ta lettre à Jérôme Garcin. Tu étais l’œil du public !
N’empêche que cette préhistoire me rend heureux. Je compte y baigner encore un volume ou deux.
Mais auparavant je serai passé par le Limousin. Qu’on cause un peu.
L’amitié en retour. Raymond.
C’est donc le livre de René Delmas que j’ai acheté à Paris. S’il s’est trouvé là où je l’ai trouvé, c’est qu’il est mort.
Raymond Dumay, lui, est mort le vingt-huit mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, sans avoir le temps d’un autre volume.
                                                               *
Acheté une broutille, j’ai revendu ce livre une broutille.
 

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