Avant de remettre le premier volume de son Journal dans ma bibliothèque, cette nouvelle giclée de Tchoukovski :
Premier août mil neuf cent vingt-cinq : Ainsi Moukha-Tsokotoukha, mon livre le plus gai, le plus musical, le plus réussi est réduit à néant pour la seule raison que l’anniversaire dont je parle a des couleurs trop « ancien régime ». De sa voix très suave la camarade Bystrova m’a expliqué que le petit moustique n’était qu’un prince déguisé et la mouche une princesse déguisée. (…) … elle a même affirmé que les dessins étaient indécents, que le moustique se tient trop près de la mouche et qu’ils étaient en train de flirter. (…)
Ainsi, mon Crocodile est interdit, Moukha-Tsokotoukha est interdit, l’Enorme Cafard est en passe d’être interdit, mais Grigori Efimovitch aime bien le Nekrassov que je n’ai pas encore fini d’écrire.
Onze janvier mil neuf cent vingt-six : Marchak nous a raconté quelque chose d’intéressant sur son fils qui a neuf ans, je crois. Le garçonnet a dit de sa propre initiative à la dame qui venait lui enseigner la musique : « Ne revenez plus. La musique est une occupation oisive pour gens sans travail. »
Dix-sept mars mil neuf cent vingt-six : Hier j’ai fait une conférence sur Nekrassov à l’université. Les étudiants ont été choqués par mon orientation si contraire aux règles de l’Association des écrivains prolétariens, et leurs questions étaient franchement stupides.
Vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-six : Je maudis ces salauds de petits fonctionnaires qui ont posé leur derrière sur la littérature et sont en train de l’étouffer, qui nous étouffent à chaque pas, qui usent nos nerfs et font de nous des vieillards de quarante ans.
Cinq avril mil neuf cent vingt-six : Ah, si quelqu’un pouvait me prendre par la main et m’éloigner de moi-même !
Treize avril mil neuf cent vingt-six : Sadi a donc fait un four. A la fin du spectacle : pas un seul applaudissement. Je n’en suis pas particulièrement ébranlé, mais je crains que ça ne m’éloigne du théâtre pour longtemps.
Vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept ; Mon Dieu, je reçois de ces lettres ! Quelqu’un m’écrit par exemple de province pour me proposer ses services de collaborateur : « Moi, j’écrirai, et vous, vous vendrez, et on partagera l’argent. » Et en fin de lettre : « Avec mes saluts communistes. »
Trois novembre mil neuf cent vingt-huit : Et quand je crie ma colère et ma douleur, ils disent que je suis neurasthénique. Ils ont peut-être raison. On ne peut pas en vouloir aux gens d’être ordinaires.
*
Le second volume reste sur mon bureau. On ne perd rien pour attendre (comme on dit).
Premier août mil neuf cent vingt-cinq : Ainsi Moukha-Tsokotoukha, mon livre le plus gai, le plus musical, le plus réussi est réduit à néant pour la seule raison que l’anniversaire dont je parle a des couleurs trop « ancien régime ». De sa voix très suave la camarade Bystrova m’a expliqué que le petit moustique n’était qu’un prince déguisé et la mouche une princesse déguisée. (…) … elle a même affirmé que les dessins étaient indécents, que le moustique se tient trop près de la mouche et qu’ils étaient en train de flirter. (…)
Ainsi, mon Crocodile est interdit, Moukha-Tsokotoukha est interdit, l’Enorme Cafard est en passe d’être interdit, mais Grigori Efimovitch aime bien le Nekrassov que je n’ai pas encore fini d’écrire.
Onze janvier mil neuf cent vingt-six : Marchak nous a raconté quelque chose d’intéressant sur son fils qui a neuf ans, je crois. Le garçonnet a dit de sa propre initiative à la dame qui venait lui enseigner la musique : « Ne revenez plus. La musique est une occupation oisive pour gens sans travail. »
Dix-sept mars mil neuf cent vingt-six : Hier j’ai fait une conférence sur Nekrassov à l’université. Les étudiants ont été choqués par mon orientation si contraire aux règles de l’Association des écrivains prolétariens, et leurs questions étaient franchement stupides.
Vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-six : Je maudis ces salauds de petits fonctionnaires qui ont posé leur derrière sur la littérature et sont en train de l’étouffer, qui nous étouffent à chaque pas, qui usent nos nerfs et font de nous des vieillards de quarante ans.
Cinq avril mil neuf cent vingt-six : Ah, si quelqu’un pouvait me prendre par la main et m’éloigner de moi-même !
Treize avril mil neuf cent vingt-six : Sadi a donc fait un four. A la fin du spectacle : pas un seul applaudissement. Je n’en suis pas particulièrement ébranlé, mais je crains que ça ne m’éloigne du théâtre pour longtemps.
Vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept ; Mon Dieu, je reçois de ces lettres ! Quelqu’un m’écrit par exemple de province pour me proposer ses services de collaborateur : « Moi, j’écrirai, et vous, vous vendrez, et on partagera l’argent. » Et en fin de lettre : « Avec mes saluts communistes. »
Trois novembre mil neuf cent vingt-huit : Et quand je crie ma colère et ma douleur, ils disent que je suis neurasthénique. Ils ont peut-être raison. On ne peut pas en vouloir aux gens d’être ordinaires.
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Le second volume reste sur mon bureau. On ne perd rien pour attendre (comme on dit).