Assis dans la galerie marchande de la Gare Saint-Lazare, je lis Huit Juifs (qui suit 16 Octobre 1943) de Giacomo Debenedetti. Et si un jour on voulait donner une décoration à ceux qui sont tombés, ce n’est certainement pas nous, les Juifs rescapés, qui la refuserions ; mais qu’on ne frappe pas de médailles différentes, qu’on n’imprime pas de diplômes spéciaux : que ce soit les médailles et les diplômes des autres soldats : « Soldat Cohen… Soldat Levi… Soldat Abramovic… Soldat Chaim Blumenthal, âgé de cinq ans, tombé à Leopoli, au milieu des siens, qui, les mains attachées derrière le dos, défendait encore la cause de la liberté et témoignait pour elle ».
« C’est un livre sur la Seconde Guerre Mondiale ? » me demande mon voisin, un trentenaire néo barbu. « Oui » « Vous avez lu Le tatoueur d’Auschwitz ? » « Non » « C’est très bien et ce soir il y a la série tirée du livre sur M6. Je vous la conseille fortement ». Je le remercie. Un conseil que je ne suivrai pas.
Ensuite, c’est le problème de signalisation à l’entrée de Saint-Lazare. Le seize heures quarante, comme tous les trains, n’arrive pas, puis, comme d’autres, il est supprimé. Une longue attente commence, emplie d’incertitude. Je repère le noyau dur des navetteurs. Ils sont facilement identifiables, car l’un d’eux, un homme à la peau noire, fait plus de deux mètres. Je ne les quitte pas d’une semelle, passant d’un quai à l’autre en fonction des espoirs d’arrivée du dix-sept heures quarante. Je sais qu’ils sont toujours au bon endroit, ayant des relais chez les cheminots, comme ce conducteur qui leur glisse « Quai Vingt-Sept ». Vers dix-huit heures, quand y arrive un train Nomad, je suis avec eux à la hauteur de la voiture Cinq. Dix minutes après, la voix de la Senecefe annonce ce train comme le direct Paris Rouen Le Havre. Nous nous y installons avant tout le monde.
La pluie tombe maintenant. Rien n’indique que ce train doive partir. Soudain, une foule galopante le prend d’assaut car la voix a annoncé qu’il va s’arrêter dans toutes les gares entre Paris et Rouen. Cinq minutes plus tard, plus une place assise. Il y a des voyageurs partout, debout dans les couloirs, assis dans les escaliers, grimpés dans les coffres à bagages. Un jeune homme réclame une place assise pour une femme à canne. Mon grand âge m’évite la tentation de la bonne action. Le chef de bord se fait entendre : « Notre train ne peut pas partir tant que vous êtes bloqués dans les portes. Je vous invite, soit à monter, soit à vous extraire. »
A dix-huit heures trente-cinq, la fermeture des portes étant devenue possible, c’est le grand départ. « Nous voyageons avec quatre trains supplémentaires à bord », nous indique le chef de bord. Malgré le collé serré, un silence quasi-total règne la voiture Cinq, une heureuse conséquence de l’existence du smartphone. Arrêts à Mantes-la-Jolie, Rosny-sur-Seine, Bonnières, Vernon Giverny, Gaillon Aubevoye, Val-de-Reuil, Oissel et nous voici à Rouen. Il est à peu près vingt-heures. J’aurais dû être là deux heures avant. A la descente, je retrouve le trentenaire néo barbu. Il a voyagé debout.
C’est sous une vilaine pluie que je rejoins mon logis ce mercredi, heureusement porteur d’un sac de livres à mon goût.
*
Un fidèle lecteur, « depuis quelques mois », jusque alors inconnu de moi, à propos de mon Quel contraste avec les trois mâles ayant terminé ce Vendée Globe, leurs cris de vainqueurs, leurs branlages de bouteille de champagne avec éjaculation publique. me signale que Mathias Enard dans son dernier livre, Mélancolie des confins, parle de cette étrange coutume de « l'onction champenoise » qui semble réservée aux conducteurs de formule 1, bizarre confrérie qui préfère se tremper de champagne plutôt que de le boire, sans que l'on sache précisément si cette vénérable tradition était au départ ou non religieuse, la foule recevant du pilote le champagne lustral dans une scène somme toute assez païenne dont une rapide recherche sur internet vous apprendra qu'elle existe depuis 1967 et la victoire d'un pilote américain aux 24 heures du Mans.
« C’est un livre sur la Seconde Guerre Mondiale ? » me demande mon voisin, un trentenaire néo barbu. « Oui » « Vous avez lu Le tatoueur d’Auschwitz ? » « Non » « C’est très bien et ce soir il y a la série tirée du livre sur M6. Je vous la conseille fortement ». Je le remercie. Un conseil que je ne suivrai pas.
Ensuite, c’est le problème de signalisation à l’entrée de Saint-Lazare. Le seize heures quarante, comme tous les trains, n’arrive pas, puis, comme d’autres, il est supprimé. Une longue attente commence, emplie d’incertitude. Je repère le noyau dur des navetteurs. Ils sont facilement identifiables, car l’un d’eux, un homme à la peau noire, fait plus de deux mètres. Je ne les quitte pas d’une semelle, passant d’un quai à l’autre en fonction des espoirs d’arrivée du dix-sept heures quarante. Je sais qu’ils sont toujours au bon endroit, ayant des relais chez les cheminots, comme ce conducteur qui leur glisse « Quai Vingt-Sept ». Vers dix-huit heures, quand y arrive un train Nomad, je suis avec eux à la hauteur de la voiture Cinq. Dix minutes après, la voix de la Senecefe annonce ce train comme le direct Paris Rouen Le Havre. Nous nous y installons avant tout le monde.
La pluie tombe maintenant. Rien n’indique que ce train doive partir. Soudain, une foule galopante le prend d’assaut car la voix a annoncé qu’il va s’arrêter dans toutes les gares entre Paris et Rouen. Cinq minutes plus tard, plus une place assise. Il y a des voyageurs partout, debout dans les couloirs, assis dans les escaliers, grimpés dans les coffres à bagages. Un jeune homme réclame une place assise pour une femme à canne. Mon grand âge m’évite la tentation de la bonne action. Le chef de bord se fait entendre : « Notre train ne peut pas partir tant que vous êtes bloqués dans les portes. Je vous invite, soit à monter, soit à vous extraire. »
A dix-huit heures trente-cinq, la fermeture des portes étant devenue possible, c’est le grand départ. « Nous voyageons avec quatre trains supplémentaires à bord », nous indique le chef de bord. Malgré le collé serré, un silence quasi-total règne la voiture Cinq, une heureuse conséquence de l’existence du smartphone. Arrêts à Mantes-la-Jolie, Rosny-sur-Seine, Bonnières, Vernon Giverny, Gaillon Aubevoye, Val-de-Reuil, Oissel et nous voici à Rouen. Il est à peu près vingt-heures. J’aurais dû être là deux heures avant. A la descente, je retrouve le trentenaire néo barbu. Il a voyagé debout.
C’est sous une vilaine pluie que je rejoins mon logis ce mercredi, heureusement porteur d’un sac de livres à mon goût.
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Un fidèle lecteur, « depuis quelques mois », jusque alors inconnu de moi, à propos de mon Quel contraste avec les trois mâles ayant terminé ce Vendée Globe, leurs cris de vainqueurs, leurs branlages de bouteille de champagne avec éjaculation publique. me signale que Mathias Enard dans son dernier livre, Mélancolie des confins, parle de cette étrange coutume de « l'onction champenoise » qui semble réservée aux conducteurs de formule 1, bizarre confrérie qui préfère se tremper de champagne plutôt que de le boire, sans que l'on sache précisément si cette vénérable tradition était au départ ou non religieuse, la foule recevant du pilote le champagne lustral dans une scène somme toute assez païenne dont une rapide recherche sur internet vous apprendra qu'elle existe depuis 1967 et la victoire d'un pilote américain aux 24 heures du Mans.