Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

1er juin 2016


Le matin de ce dimanche, levé tôt et en chemin pour l’île Lacroix où se tient le vide grenier annuel, je passe devant le local du Péhesse que ses locataires n’essaient même plus de remettre en état. Un panneau de contreplaqué remplace la vitrine jusqu’à la fin des perturbations. Sur celui-ci, à la peinture rouge : « Hommage aux familles des vitrines ».
Encore un vide grenier décevant, j’y trouve quand même un double cédé de Serge Reggiani en public édité par Jacques Canetti à un euro cinquante, un prix inusuel que je ne discute pas.
En début d’après-midi, je suis à nouveau dans la presqu’île Rollet dont le sol herbeux est devenu boueux. Il y fait froid. Un vent frisquet souffle mais n’arrive pas à chasser une brume automnale. J’aurais mieux fait de me vêtir autrement, me dis-je, assis sur un muret en béton au bord de la Seine. J’entends au loin la voix du poète performeur Damien Schultz. Il évoque sa mère, ça a l’air d’être sa fête.
Quand Jim Yamouridis, ancien du groupe australien The Stream, arrive sur la Grande Scène avec ses trois musiciens français (bassiste, percussionniste, saxophoniste), je peux facilement trouver place au premier rang, les pieds au sec sur un chemin métallique, car nous ne sommes que quelques dizaines de spectateurs. L’homme a une bonne tête et est vêtu de noir, petites lunettes sur le nez, cheveux grisonnants passés derrière les oreilles. Il s’assoit avec sa guitare rouge.
-Merci les amis d’avoir le courage d’être ici dans cette brume.
J’aime bien cette folkeuse musique mais ne peux savoir ce qu’il raconte avec sa voix qui rappelle un peu trop celle de Leonard Cohen. L’une de ses chansons est un hommage à Federico Garcia Lorca, « un poète très fort ». Ce bon moment s’achève sans que ce sympathique personnage puisse comme le demande mon voisin en chanter une autre. « Pas le temps, Bertrand Belin », lui répond-il avant de nous remercier à nouveau d’avoir été là pour lui :
-A nous aussi, il en a fallu du courage.
Ne voulant pas entrer dans l’une de ces cabanes en bois où se cachent les toilettes, je ressors de l’enclos gardé par les vigiles et vais arroser un buisson un peu plus loin puis, revenu, m’approche du bar avec l’espoir d’y trouver du café.
-On ne fait pas de boissons chaudes, me répond-on en me proposant un Coca que je refuse.
-Ailleurs non plus ?
-Non plus.
J’en trouve un néanmoins à l’une de ces camionnettes à manger rebaptisées trucks, la berlinoise, où l’on propose une saucisse industrielle coupée en rondelles et couverte de ketcheupe pour cinq euros. Ce café est petit mais chaud et bon et à un euro.
Il y a davantage de monde pour Bertrand Belin. « Radinons, radinons-nous », intime celui-ci et aussitôt la majeure partie du public obéit et vient se coller à la scène au péril de ses oreilles (le nombre de décibels lui étant nécessaires pour se faire entendre est effrayant). Appuyé sur une barrière devant la technique, je reste à bonne distance.
C’est la première fois que je vois Bertrand Belin. Il a un physique avantageux. Sa photo pourrait figurer dans la vitrine du coiffeur. Il est sûr de lui, beaucoup trop à mon goût. Ses textes m’évoquent le Manset le plus fumeux. Au début du quatrième morceau, je fuis ce magma tonitruant.
Pour la dernière fois, je fais pédestrement les trois kilomètres qui séparent ce bout de Rouen du centre de la ville, espérant que l’an prochain Rush y reviendra. Quoi de mieux que la place Saint-Marc pour un bon gros concert en plein air après d’autres, plus modestes, dans les coins et recoins du quartier Martainville.
                                                             *
Dix mille spectateurs sont revendiqués ce lundi par les organisateurs du Rush de la presqu’île Rollet. En trois jours, avec beaucoup qui comme moi ont été comptés trois ou quatre fois. Ce même ouiquennede, en deux jours, le cylindre Azizi, gratuit pour l’apparition de la Jeanne sur ses parois, a attiré quatorze mille personnes venues une seule fois.
Un bide, comme on disait autrefois, dû au mauvais temps mais aussi au lieu excentré peu accessible et à un manque de publicité.
Quand  je suis allé, jeudi dernier, à l’Office de Tourisme pour avoir le programme de ce Rush, l’un des employés m’a répondu : « Le programme de la ruche ? »
-Mais non, Rush c’est un magazine. », lui a dit son collègue.
A l’accueil de la Mairie de Rouen, on n’était pas davantage au courant. J’ai finalement trouvé ce programme à la Fnaque.
 

31 mai 2016


Bus Teor jusqu’au Mont Riboudet, traversée de la Seine par le pont Flaubert frôlé par les voitures à grande vitesse, descente d’escalier métallique et chemin à pied jusqu’au « Prochainement ici » de Marc Hamandjian, sa barrière et ses vigiles, nous sommes encore moins que la veille à être là pour le début du deuxième jour de Rush. Cette fois, ça ouvre à quatorze heures précises comme indiqué. En revanche, j’ai droit à une palpation en règle par l’un des hommes en noir. Il détecte le parapluie dans la poche intérieur de mon blouson et ne prend pas mon porte-monnaie pour une couille.
En attendant que commence le concert d’Eddy Crampes au Dancing, chanteur dont on m’a dit beaucoup de bien depuis Stockholm et Paris, je me pose au bord de la Seine. Il fait chaud, le ciel est orageux. « Bonjour, je suis Eddy Crampes et je viens de Toulouse », entends-je soudain alors qu’il n’est pas encore l’heure officielle du début de sa prestation (deux heures et demie). J’entre dans le chapeau surchauffé gardé par un autre vigile et me cale au fond contre un pilier devant les pompes à bière.
Eddy Crampes, jeune homme barbu, chante dans une semi obscurité sur une musique enregistrée et devant des images pilotées par ordinateur. Son deuxième morceau est le seul de lui que j’aie entendu plusieurs fois, une reprise réussie du Portbail d’Alain Souchon. D’autres chansons suivent, aux textes malheureusement superficiels, puis des reprises de François Béranger (Evidence, une chanson de sa mauvaise époque, quand il était devenu frère prêcheur) et de Nancy Holloway (T’en va pas comme ça, et là je suis content d’avoir à nouveau douze ans).
Parfois, Eddy Crampes descend dans la salle et tente de faire danser ou chanter le peu de présents debout, d’autres sont vautrés dans les canapés sur les côtés. Nous ne sommes pas plus de quinze en tout. Ses tentatives n’ont pas grand succès. Je crains que dans son souvenir ce concert reste comme l’un des pires. Dans le mien, ce sera celui d’une découverte agréable et décevante, il chante bien mais il n’a pas grand-chose à dire.
Il faut ensuite attendre seize heures pour le concert de Nord sur la Grande Scène. Je refais un tour de presqu’île mais ce « jardin naturel » ressemble trop à la campagne. Je m’y ennuie très vite malgré la présence des véhicules d’exploration lunaire de Marc Hamandjian. Certains qui tournent aussi en rond se consolent à la bière mais ce n’est pas dans mes mœurs, comme dirait Thomas Clerc.
Bientôt, le ciel devenu noir m’indique que ça va mal tourner. Je décide de déguerpir, tant pis pour le concert de Nord, je reviendrai à vingt et une heures pour celui de Philippe Katerine.
Au premier pont, celui du Guillaume, je traverse la Seine puis longe les maisons du quai haut de la rive droite. Passant devant la vitrine d’Europe Ecologie Les Verts (en bien meilleur état que celle du Péhesse), j’y ai l’œil attiré par un slogan comme les Ecologistes ont le secret, aussi ridicule que drôle : « Je bois du vin naturel, je sauve le climat ».
Les premières gouttes tombent alors que je ne suis plus qu’à cent mètres de chez moi. Un quidam croisé m’interpelle en me montrant du doigt à la troisième personne du singulier : « Putain, on va se prendre une de ces saucées. Lui, il le savait, il a pris son petit parapluie. Il connaît sa Normandie. »
Suivent deux heures et demie de déluge et de tonnerre. Quand cela décroît, je rebranche mon ordinateur et m’informe. Plusieurs quartiers de la ville sont inondés et sur la presqu’île Pollet le concert de Nord a été annulé.
Vers dix-neuf heures cela se calme tout à fait mais je n’ai plus le courage de ressortir et d’aller si loin, même pour Katerine. Je me console en me répétant que sa meilleure époque est derrière lui, ses deux derniers cédés étant bien moins bons que les précédents.
                                                                   *
Que les employé(e)s des lieux culturels fassent la bise aux vigiles ne manque pas de m’étonner.
 

30 mai 2016


Cette année, l’évènement Rush, série de concerts gratuits organisés par le Cent Six, salle de musique zactuelles, n’a pas lieu dans le quartier Martainville, c’est-à-dire à deux pas de chez moi, mais au bout de Rouen dans la presqu’île Rollet autrefois dévolue au déchargement du charbon, transformée par la Matmutropole en un « jardin naturel » qu’ignorent une grande partie des habitants, c’est tellement loin, juste à côté d’un silo à grains du même modèle que celui qui a explosé à Blaye en quatre-vingt-dix-sept en faisant onze morts.
Grâce à cet évènement, peut-être que ce lieu sera davantage fréquenté à l’avenir, a décidé Frédéric Sanchez, chef de la Matmutropole, dont dépend le Cent Six ; les artistes c’est bien, quand ça sert à quelque chose c’est mieux. Tope-là, lui ont répondu les membres du staff de la Smac, tous adeptes de la bicyclette, ce sera aussi l’occasion d’obliger le plus grand nombre à pédaler. Ce qui m’incite à y aller quand même, c’est le programme, confié à Bertrand Belin dont je découvrirai les chansons dimanche.
Ce vendredi après-midi, je prends donc un bus Teor jusqu’au Mont Riboudet puis traverse à pied le pont Flaubert et arrive avant l’ouverture officielle des portes, dix-sept heures, devant une barrière qui empêche d’aller plus loin. N’ayant rien de mieux à faire, je titille le vigile : « Pourquoi, alors que nous sommes si peu nombreux à attendre, ne peut-on pas entrer dans ce jardin public ? ».
-Il faut toujours qu’il y ait des gens qui râlent, me répond-il.
-Je ne râle pas, je fais usage de mon esprit critique.
L’attente se prolonge au-delà du raisonnable sous le chaud soleil. On ne sait pourquoi. Finalement, à dix-sept heures trente, un message arrive aux hommes en noir. La barrière s’ouvre pour la dizaine de présent(e)s.
-Je croyais qu’on serait beaucoup plus nombreux, dit l’une, ils en ont parlé sur France Inter.
-C’est sûr que ce n’est pas Woodstock, lui répond un autre.
Trois lieux de spectacle sont en place sur la verte presqu’île, le Haut-Parleur pour les poètes performeurs, le Dancing pour les musiciens et chanteurs peu connus et la Grande Scène pour les vedettes (comme on disait il y a fort longtemps). La scénographie a été confiée à Marc Hamandjian qui me fait la tête bien que je n’aie jamais dit du mal de ses installations, « ou alors y a longtemps ou bien j’ai oublié ».
Aujourd’hui, je suis venu pour Charles Pennequin, entendu moult fois sur France Culture, mais le premier à s’exprimer sur la scène du Haut Parleur devant laquelle sont disposés quelques bancs en bois est un autre poète performeur : Damien Schultz. Le début de son texte me rappelle beaucoup trop Ghérasim Luca et la suite tourne au délire sans fond. Quand il en a fini, je vais au bout de la presqu’île puis fais demi-tour. Il se met alors à pleuvoir fort. J’ouvre mon parapluie. D’autres sont vite douchés, ainsi Rover que je croise trempé comme une soupe (je n’irai point à son concert du soir l’ayant déjà vu à Paris en plein air et pas aimé). L’averse redoublant, j’entre dans le dancing, un chapiteau bas de plafond et sombre avec une marche descendante qui manque d’en faire tomber plus d’un jusqu’à ce qu’un des organisateurs vienne y mettre un adhésif blanc, où joue Mocke Trio. L’endroit est oppressant, la musique décorative et déjà entendue il y a longtemps, mais on y est à l’abri.
Cette averse orageuse cesse peu avant l’heure de la performance poétique de Charles Pennequin. Nous sommes peu nombreux assis sur les bancs essuyés quand celui-ci s’installe derrière le micro. Il me fait penser à l’Homme nu de Ron Mueck qui terminait l’exposition Mélancolie de Jean Clair au Grand Palais, sauf qu’il est habillé, à la va comme je te vêts. Son sac à dos rouge est posé derrière une enceinte. Il fouille dans ses papiers et commence à dire ses textes décapants, faisant parfois intervenir son téléphone pour dialoguer avec une voix enregistrée. Le meilleur moment est celui où il se lance parmi les spectateurs muni d’un mégaphone d’enfant. « Allez on y va c’est l’heure de se révolter », lance-t-il d’une voix lasse en arpentant les allées entre les bancs, « Dépêche-toi, ta révolte va être froide ».
Il ne m’en faut pas plus pour être content. L’homme au chapeau qui ne connaissait pas cet individu est aussi réjoui que moi.
Boudant la suite, je rentre par le quai bas de la rive gauche, passant devant le chantier du futur Palais de la Matmutropole, plus de trois kilomètres à pied.
                                                                  *
Dans une vie précédente, Charles Pennequin était gendarme. Aujourd’hui, c’est l’un des poètes français vivants les plus importants. Il sera dit que pour sa venue à Rouen, un vendredi soir à dix-neuf heures, seuls une trentaine de spectateurs étaient là, dont un tiers faisant partie des organisateurs de Rush.
 

29 mai 2016


Ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen en avant programme se font entendre dans le foyer des élèves du Conservatoire lauréat(e)s d’un concours à Vire, une musique bien appliquée que je choisis d’entendre de loin, par la porte ouverte, depuis mon fauteuil de corbeille en lisant le livret du concert pour orchestre à cordes que va diriger Nicolas Simon.
Celui-ci fait ça sans baguette, d’abord pour la Sérénade pour cordes en mi mineur d’Edward Elgar. Je la trouve ennuyeuse au point de presque m’endormir. Tout s’explique quand Nicolas Simon, qui fait aussi pédagogue, dit quelques mots avant la suite : Elgar a composé cette sérénade pour les trois ans de son mariage.
La suite, c’est la Symphonie hambourgeoise numéro deux en si bémol majeur composée par Carl Philipp Emanuel Bach après que son mécène lui eut dit de n’en faire qu’à sa tête, de quoi bien me réveiller. Puis est donnée la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Ralph Vaughan Wiliams.
Comme souvent le meilleur est pour après l’entracte, premièrement la Symphonie numéro dix de jeunesse en si mineur de Felix Mendelssohn (l’une des douze composée par le musicien à l’âge de treize quatorze ans) et deuxièmement les Variations sur un thème de Frank Bridge de Benjamin Britten qui mettent les cordes dans tous leurs états.
D’amples applaudissements saluent la performance des musicien(ne)s et de leur chaleureux chef pédagogue. Ils nous valent un petit bis de Britten.
                                                                       *
Emmanuel Macron («Le meilleur moyen de se payer un costard, c'est de travailler») ayant déjà été utilisé par le Maire d’Orléans pour présider ses Fêtes Jeanne d’Arc, le Maire de Rouen doit faire pour les siennes ce ouiquennede avec ce qu’il a en magasin : Laurent Fabius. Ça tombe bien, c’est un spécialiste des contes et légendes.
                                                                       *
Au Son du Cor, trois filles et un garçon qui aiment les garçons.
L’une :
-Ah, ma mère, tu sais ce qu’elle a fait cette grosse tarée, elle avait jamais vu Solène et on l’a croisée, elle l’a serrée dans ses bras, lui a tapé deux bises et lui a dit : Solène, j’ai tellement entendu parler de toi.
Suite aux exclamations outrées des autres, elle ajoute :
-Ma mère, c’est le genre qui au restaurant dit tout fort : Clémence, t’as pas pris un tampon dans mon sac ?
 

28 mai 2016


La télévision du coin est sur le quai de la gare de Rouen pour faire des images d’usagers un jour de grève ce mercredi matin. Je l’évite et trouve place dans le train de sept heures vingt-six qui arrive en retard à Saint-Lazare en raison de nombreux ralentissements non expliqués et encore moins excusés.
Ayant néanmoins du temps avant l’ouverture de Book-Off, je prends le bus Vingt pour rejoindre la Bastille. Il fait beau  La ville vibrionne sauf place de la République où il n’y a quasiment personne. Après un passage au marché d’Aligre, je déjeune sur le trottoir devant Chez Céleste d’un avocat au thon et d’une pintade aux choux en compagnie du chien de la maison, ni aboyeur ni mendiant de nourriture ou de caresse. Il aime comme moi regarder le monde qui passe rue de Charonne, des humains tous typiques, dont pas mal de porteurs d’objets bizarres ou inconnus, et des enfants qui ont encore le droit d’aller seuls acheter du pain.
La ligne Un du métro m’emmène au Grand Palais pour y voir dans la nef Monumenta. Personne d’autre que moi ne s’approche de l’entrée. Un premier vigile planté à l’extérieur me demande si c’est bien pour Monumenta que je viens, ce qui confirme que le succès n’est pas au rendez-vous. A l’intérieur, ses deux collègues n’ont que moi à passer au détecteur. Je demande à l’un si l’on peut faire des photos.
-Oui, et même des belles photos, me répond-il.
Empires, l’installation géante de Huang Yong Ping est constituée de huit collines de conteneurs colorés comme on en voit sur les cargos arrivant au Havre entre lesquelles se glisse un serpent métallique à gueule ouverte inspiré par une bestiole du Musée d’Histoire Naturelle et soutenu par une grue portuaire. Posé sur l’un des empilements de conteneurs, un bicorne napoléonien donne à l’ensemble un petit côté ridicule. Il s’agit pour l’artiste chinois d’évoquer la mondialisation, l’ambition des puissants et la volonté de pouvoir.
Je déteste ce genre de démarche lourdement démonstrative (Huang Yong Ping est le Ken Loach de l’art contemporain). J’aurais mieux fait d’investir mes dix euros ailleurs. Cependant, je fais de belles photos, pas du tout dérangé par les autres visiteurs qui ne doivent pas excéder la vingtaine.
Mon train de retour étant supprimé pour cause de grève, je peux en prendre un autre qui me convient mieux avec mon billet à dix euros. J’y ai place assise et il file à belle allure.
                                                                   *
Jeudi vingt-six mai deux mille seize, le jour où la Cégété, pour les punir d’avoir refusé de publier une tribune de son chef, a empêché la parution de tous les quotidiens nationaux sauf L’Humanité (toujours aux ordres).
Comme un parfum ancien et délicieusement nostalgique d’Union Soviétique.
 

27 mai 2016


Un très bon moment de lecture que ce Mémoire de fille d’Annie Ernaux (Gallimard) acheté deux euros en vide grenier à un quadragénaire. Est-ce lui qui l’a lu et a marqué certains passages au crayon dans la marge? Aucun de ses choix n’est le mien et à la fin de ma lecture je gomme ses traits verticaux.
Je n’écris pas sur les livres. Je prends en note sur un carnet Muji les passages qui résonnent en moi ou bien me paraissent particulièrement justes ou réussis d’un point de vue littéraire.
Pour celui-ci, celles-ci :
… partir d’Yvetot, échapper au regard de sa mère, de l’école, de la ville entière et faire ce qu’elle veut : lire toute la nuit, s’habiller en noir comme Juliette Greco, fréquenter des cafés d’étudiants et danser à La Cahotte, rue Beauvoisine à Rouen…
Cette euphorie de tout l’être comme si notre jeunesse était démultipliée par celle des autres –l’ébriété communautaire.
… la mémoire est une folle accessoiriste…
C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture.
                                                                *
N’ayant pas connu La Cahotte, j’interroge Gougueule qui me conduit chez le défunt Félix Phellion. Il écrivait ceci dans sa rouen chronicle, le vingt-trois mars deux mille treize (il y est question d’une autre Annie) :
Ayant bonne mémoire, je revois Annie Legras danser sur les tables à La Cahotte. C’est vous dire la jeunesse de ce temps ! (…)
La Cahotte se trouvait rue Beauvoisine, dans le haut, peu après le Muséum. Ça n’existe plus. A présent, d’autres lieux. Pourquoi voudriez-vous qu’il en soit autrement ? Il y a une vingtaine d’années, à l’occasion d’une rétrospective des photos de son père, Lucien Legras, la petite Annie est revenue ici. C’était dans la galerie de la rue de la Chaîne. Ah, me dit-elle, vous êtes toujours là. Elle entendait : vous êtes toujours à Rouen. Oui. Ça sonnait comme un reproche. Vrai qu’il faudrait quitter Rouen lorsqu’il en est encore temps. Après c’est trop tard. Mais avant, c’est quand ?
(Annie Legras, c’est Anny Duperey)
 

26 mai 2016


Ce lundi matin, dans Le Temps des Librairies de France Culture, Christophe Ono-Dit-Biot reçoit Manuel Hirbec de la librairie La Buissonnière à Yvetot. Ce dernier évoque (très bien) le dernier livre d’Annie Ernaux Mémoire de fille et à l’issue indique que celle-ci sera présente dans la librairie de sa ville d’enfance et d’adolescence le lendemain à dix-sept heures.
Ce pourquoi mardi, à quatorze heure trois, je suis dans le train quittant Rouen pour Le Havre et en descends à la gare d'Yvetot. Huit cent six mètres me séparent de La Buissonnière. J’emprunte la rue de la République, la rue de la Victoire et arrive place Victor-Hugo. Je prends un café en terrasse du Six, le bar voisin de la belle librairie moderne qui fait face à l’église rose du vingtième siècle. C’est la première fois de ma vie que je suis à Yvetot, que je n’ai jamais fait que traverser pour aller au bord de mer. Je peux ainsi vérifier de visu que cette ville est aussi exaltante que Louviers, ma ville d’enfance et d’adolescence. Trois jeunes excités montent dans une voiture. « J’ai été une seule fois à Paris, dit l’un, et je recommencerai jamais. »
J’entre dans la librairie à seize heures et informe l’un des employés de la présence du livre de l’invitée dans mon sac à dos.
-Je l’ai acheté ailleurs, lui dis-je, omettant de préciser où, j’espère que ce n’est pas un problème ?
-Pas du tout.
Cinq minutes plus tard, arrive Annie Ernaux, polo noir, veste rouge, blue-jean et baskets blanches. Elle est venue avec sa voiture et a eu un peu de mal à trouver de l’essence à la sortie de Rouen.
-C’est vrai, lui dit une dame lectrice, si vous n’aviez pas du tout eu d’essence, vous n’auriez pas pu venir.
-Ah, mais non, j’aurais pris le train, répond-elle, montrant que le temps où revenir à Yvetot était pour elle impossible, puis difficile, est révolu.
Comme elle commence, à la demande des premières arrivées, à dédicacer des exemplaires de son livre, j’ose l’aborder avec le mien.
-J’ai lu votre livre, lui dis-je, et je l’ai beaucoup aimé. Je trouve que c’est votre meilleur.
Elle me remercie.
Des femmes évoquent avec elle sa vie à Yvetot, des gens qu’elle a connus.
-C’est incroyable comme elle accessible, s’étonne l’une déjà assise face aux deux fauteuils en rotin où sont posés des micros.
Je trouve place au deuxième rang. Il y a bientôt beaucoup de monde, surtout des femmes, surtout d’un âge certain, mais aussi des hommes, et quelques jeunes dans le fond. Devant moi est quelqu’un de ma connaissances, muni d’un appareil photo, à qui je demande de m’en envoyer. Annie Ernaux fait un essai de micro : « On croirait que je suis à la foire Saint-Luc, elle existe toujours ? « 
Manuel Hirbec n’a pas besoin de fiches pour évoquer Mémoire de fille qui, dit-il, a été pour lui un choc de lecture. Il en indique le succès : vingt mille exemplaires vendus par semaine, puis il interroge l’auteure sur le fond et la forme de son récit, sur l’histoire racontée des décennies plus tard de celle qu’elle était à dix-huit ans et dont elle parle à la troisième personne, « la fille de 58 » dont est narrée la première fois, violente, et ses suites, sur sa manière de le raconter, sur la construction du livre. Annie Ernaux sait aussi bien parler de son travail qu’écrire, C’est toujours passionnant de l’écouter.
A la fin de l’entretien, la parole est donnée aux présent(e)s. J’y vais de ma remarque anecdotique. Dans le livre, la ville où se passe l’évènement déterminant n’est nommée que par son initiale. Il s’agit de protéger l’anonymat des personnes, me dit-elle. Je m’en doutais bien mais c’est illusoire car il suffit de taper « Orne aérium » sur Gougueule pour savoir où cela a eu lieu. Elle en est surprise, bien que dans son livre elle raconte comment elle a fait des recherches sur Internet pour savoir ce que sont devenus celles et ceux qui étaient monitrices et moniteurs de colonie de vacances avec elle dans cet aérium.
D’autres, heureusement, posent des questions plus profondes. L’un des jeunes évoque Duras qui elle aussi mêlait dans ses livres le « je » et le « elle ».
-Ça n’a rien à voir, lui répond-elle un peu sèchement (manifestement Annie n’aime pas Marguerite).
Un homme âgé lui demande ce qu’il adviendra de ses manuscrits quand elle ne sera plus là. Elle répond que la plupart sont déjà à la Bibliothèque Nationale et que les autres suivront. Quant à son Journal il ne sera publié qu’après sa mort (m’étonnerait donc que je puisse le lire, vu la forme qu’elle a, elle ne mourra pas avant cent un ans).
Elle nous dit aussi qu’être lue lui permet d’affronter facilement la vieillesse et même lui enlève la peur de mourir. Un bouquet lui est offert par une employée de la Buissonnière cependant que nous applaudissons, puis celles et ceux qui n’ont pas encore eu droit à une dédicace font file tandis que je quitte la librairie.
La gare d’Yvetot est en travaux. Aucun panneau n’indique clairement de quel quai partent les trains, ce qui fait que j’en loupe un premier. J’aurais dû demander à Annie Ernaux de me ramener à Rouen. J’avais encore plein de questions à lui poser, notamment si elle est préparée à l’éventualité que celui dont elle parle l’apprenne et la contacte.
                                                                         *
« Pour Michel, avec beaucoup d’émotion pour ces mots que vous avez eus, Annie Ernaux, Yvetot le 24 mai 2016 » (mon exemplaire a singulièrement pris de la valeur).
 

25 mai 2016


Ce lundi matin, je me rends chez le syndic dans une agence immobilière du bord de Seine afin de signaler que j’ai à pâtir du non respect du règlement de la copropriété qui stipule que les animaux criards sont interdits.
Le jeune homme qui me reçoit prend bonne note et me dit qu’il va faire le nécessaire auprès des propriétaires.
-Et si une propriétaire continue à ne pas respecter le règlement ?
-Nous n’avons pas de pouvoir de Police, me répond-il. Ce sera à vous de saisir la Justice.
                                                          *
Ce mardi midi, un courrier de ma voisine étudiante qui ne m’a pas trouvé à la maison. Elle s’engage à faire le nécessaire pour que sa chienne me dérange le moins possible en attendant un déménagement prévu dans quelques mois.
                                                          *
Deux étudiantes en ayant terminé avec les partiels au Son du Cor la semaine derrière.
L’une : « Dire que c’est fini, qu’on ne posera plus nos petites fesses sur les bancs de la fac de Mont-Saint-Aignan. »
Au même endroit une tablée de lycéennes avec un lycéen qui aime les garçons.
L’une : « La vodka, je peux plus en boire depuis que je me suis murgé avec Arthur. Le lendemain, rien que l’odeur de la bouteille, ça m’a fait dégobiller »
Lui : « Dégobiller ! J’adore ! »
 

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