Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
7 mars 2017
Après avoir manqué par paresse celui de la précédente que je ne suis même pas allé voir ensuite, je suis ce vendredi, un peu avant dix-huit heures, le premier à pousser la porte du Centre Photographique de Rouen (anciennement Galerie du Pôle Image), rue de la Chaîne, où c’est le vernissage, en présence de l’artiste, de l’exposition Tom Wood (L’Embarcadère 1978-2002).
-Je peux entrer ? demandé-je à la seule personne présente, Raphaëlle Stopin, maîtresse des lieux.
Elle acquiesce. Seule, elle ne l’est pas vraiment. Elle porte dans les bras son enfançon.
J’ai le temps de bien voir chacune des photos de Tom Wood, Irlandais de Liverpool né la même année que moi. La plupart sont en noir et blanc, toutes ont été prises entre mil neuf cent soixante-dix-huit et deux mille deux. Elles montrent dans son quotidien une population appauvrie par les années Thatcher et les suivantes, des hommes, des femmes et des enfants au regard traqué. Le photographe les a croisés dans le bus, sur le ferry qui permet de traverser le fleuve Mersey et dans les rues de cette ville où l’on a surnommé Photie Man.
Il y a bientôt du monde. Je regarde deux des albums de l’invité : Men et Women. Chez ces dernières sont quelques nus.
Tom Wood arrive, cheveux blancs clairsemés, petite barbe de même couleur, chemise bleu ciel rentrée dans un djine bleu et appareil photo en main. Une journaliste le photographe devant l’agrandissement d’un cargo rouge. Des vernisseurs font de même.
J’attends le temps qu’il faut avant que Raphaëlle Stopin, toujours portant son enfançon, présente l’exposition. Lui succède une femme qui annonce la création d’une Association des Amis du Centre Photographique (Pourquoi pas ? Il existe bien une Association des Amis du Bonsaï). Quant à Tom Wood, on ne lui donne pas la parole. Peut-être n’en avait-il pas envie. Nul ne nous le dit. C’est bien la peine que je sois resté aussi longtemps.
*
Il y a la Mutuelle Générale de l’Education Nationale. Avec son dernier bulletin, elle m’envoie un imprimé dans lequel elle s’engage pour Direct Energie et conseille à ses adhérents de quitter Heudéheffe d’un coup de clic afin de payer jusqu’à dix pour cent moins cher l’électricité. Prudent, je consulte les avis sur ce fournisseur. Ils sont mauvais : estimation de consommation très exagérée, difficulté à se faire rembourser, coupure de courant immédiate en cas de non paiement, j’en passe. Je m’abstiens donc, mais combien feront à cette mutuelle quasi officielle une confiance aveugle ?
*
Il y a la Mutuelle d’Assurance des Instituteurs de France et son serveur vocal. « Attestation d’assurance », lui dis-je quand il me demande pourquoi j’appelle. « Sept minutes d’attente » me répond-il. Je recommence deux heures plus tard. « Sept minutes d’attente ». Je rappelle et dis « Assurer une voiture ». Plus d’attente chiffrée, mais quand même un bobinot musical et publicitaire qui a tôt fait de me saouler. Je raccroche et fais ma demande par lettre en papier adressée à Niort. Cinq jours plus tard, j’ai mon attestation.
-Je peux entrer ? demandé-je à la seule personne présente, Raphaëlle Stopin, maîtresse des lieux.
Elle acquiesce. Seule, elle ne l’est pas vraiment. Elle porte dans les bras son enfançon.
J’ai le temps de bien voir chacune des photos de Tom Wood, Irlandais de Liverpool né la même année que moi. La plupart sont en noir et blanc, toutes ont été prises entre mil neuf cent soixante-dix-huit et deux mille deux. Elles montrent dans son quotidien une population appauvrie par les années Thatcher et les suivantes, des hommes, des femmes et des enfants au regard traqué. Le photographe les a croisés dans le bus, sur le ferry qui permet de traverser le fleuve Mersey et dans les rues de cette ville où l’on a surnommé Photie Man.
Il y a bientôt du monde. Je regarde deux des albums de l’invité : Men et Women. Chez ces dernières sont quelques nus.
Tom Wood arrive, cheveux blancs clairsemés, petite barbe de même couleur, chemise bleu ciel rentrée dans un djine bleu et appareil photo en main. Une journaliste le photographe devant l’agrandissement d’un cargo rouge. Des vernisseurs font de même.
J’attends le temps qu’il faut avant que Raphaëlle Stopin, toujours portant son enfançon, présente l’exposition. Lui succède une femme qui annonce la création d’une Association des Amis du Centre Photographique (Pourquoi pas ? Il existe bien une Association des Amis du Bonsaï). Quant à Tom Wood, on ne lui donne pas la parole. Peut-être n’en avait-il pas envie. Nul ne nous le dit. C’est bien la peine que je sois resté aussi longtemps.
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Il y a la Mutuelle Générale de l’Education Nationale. Avec son dernier bulletin, elle m’envoie un imprimé dans lequel elle s’engage pour Direct Energie et conseille à ses adhérents de quitter Heudéheffe d’un coup de clic afin de payer jusqu’à dix pour cent moins cher l’électricité. Prudent, je consulte les avis sur ce fournisseur. Ils sont mauvais : estimation de consommation très exagérée, difficulté à se faire rembourser, coupure de courant immédiate en cas de non paiement, j’en passe. Je m’abstiens donc, mais combien feront à cette mutuelle quasi officielle une confiance aveugle ?
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Il y a la Mutuelle d’Assurance des Instituteurs de France et son serveur vocal. « Attestation d’assurance », lui dis-je quand il me demande pourquoi j’appelle. « Sept minutes d’attente » me répond-il. Je recommence deux heures plus tard. « Sept minutes d’attente ». Je rappelle et dis « Assurer une voiture ». Plus d’attente chiffrée, mais quand même un bobinot musical et publicitaire qui a tôt fait de me saouler. Je raccroche et fais ma demande par lettre en papier adressée à Niort. Cinq jours plus tard, j’ai mon attestation.
6 mars 2017
Ce vendredi matin s’ouvre la dernière vente de livres d’occasion du Secours Populaire au cinéma Pathé Docks. La pluie menaçant, je m’y rends avec le bus Teor. Surprise dans les toilettes, le magnifique brochet et son descriptif ironique n’y sont plus. Le mur a été repeint en blanc alors qu’il n’en est rien pour les autres poissons. Je n’irai pas jusqu’à soupçonner celui qui avait peu apprécié que je le compare (avec d’autres, dont moi-même) à cet animal retors d’être passé par là avec son pot et son pinceau, d’autant qu’il n’est pas là cette fois. D’autres concurrents sont également absents.
Quand les rideaux du cinéma se lèvent, c’est le petit moment de panique habituel chez les organisateurs : « Ah non, pas déjà, on n’est pas prêts ». Celui qui crie le plus fort constate avec effarement que sa montre retarde d’une demi-heure. Nous autres acheteurs nous soucions peu de ce mouvement d’humeur et tentons de trouver le bon livre avant qu’un autre mette la main dessus. Ma récolte ne comprend rien d’exceptionnel mais n’est pas négligeable.
Au moment où je paie, l’une des responsables du Secours Pop explique que le cinéma Pathé entend rentabiliser les espaces restés libres en y mettant des jeux d’arcade et autres installations payantes, mais l’association a rendez-vous bientôt avec la direction du centre commercial des Docks et espère trouver avec elle une alternative.
C’est à pied, un sac à chaque main, par le bord de Seine, que je regagne mon logis.
*
Choisir le mercredi, jour où je suis absent, pour installer les nouvelles grilles et barrière de la copropriété d’en face, c’est ce qu’ont fait les serruriers, que je remercie pour leur obligeance. Reste à remettre en service l’interphone. En attendant, la barrière est ouverte et entre qui veut.
*
Bien fermée en revanche la Poste Principale, rue de la Jeanne, et pour plusieurs mois de travaux. Il s’agit de mieux accueillir le client (autrefois l’usager). C’est la troisième fois que je vois cet endroit refait de fond en comble pour cette raison alors que ledit client est systématiquement dirigé vers les automates.
*
Place Saint-Marc, la femme descendue de voiture qui se précipite sur ce qu’elle croit être un horodateur et découvre qu’il s’agit d’un distributeur de seringues pour les drogués de la zone.
Quand les rideaux du cinéma se lèvent, c’est le petit moment de panique habituel chez les organisateurs : « Ah non, pas déjà, on n’est pas prêts ». Celui qui crie le plus fort constate avec effarement que sa montre retarde d’une demi-heure. Nous autres acheteurs nous soucions peu de ce mouvement d’humeur et tentons de trouver le bon livre avant qu’un autre mette la main dessus. Ma récolte ne comprend rien d’exceptionnel mais n’est pas négligeable.
Au moment où je paie, l’une des responsables du Secours Pop explique que le cinéma Pathé entend rentabiliser les espaces restés libres en y mettant des jeux d’arcade et autres installations payantes, mais l’association a rendez-vous bientôt avec la direction du centre commercial des Docks et espère trouver avec elle une alternative.
C’est à pied, un sac à chaque main, par le bord de Seine, que je regagne mon logis.
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Choisir le mercredi, jour où je suis absent, pour installer les nouvelles grilles et barrière de la copropriété d’en face, c’est ce qu’ont fait les serruriers, que je remercie pour leur obligeance. Reste à remettre en service l’interphone. En attendant, la barrière est ouverte et entre qui veut.
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Bien fermée en revanche la Poste Principale, rue de la Jeanne, et pour plusieurs mois de travaux. Il s’agit de mieux accueillir le client (autrefois l’usager). C’est la troisième fois que je vois cet endroit refait de fond en comble pour cette raison alors que ledit client est systématiquement dirigé vers les automates.
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Place Saint-Marc, la femme descendue de voiture qui se précipite sur ce qu’elle croit être un horodateur et découvre qu’il s’agit d’un distributeur de seringues pour les drogués de la zone.
4 mars 2017
Pas la moindre attente à l’entrée de l’exposition L’Esprit français consacrée aux contre-cultures que propose la Maison Rouge dont Antoine de Galbert a annoncé la fermeture prochaine. Je paie dix euros, mets mon sac en coffre, passe devant les panneaux explicatifs qu’ont raison de lire, pour espérer y comprendre quelque chose, celles et ceux trop jeunes pour avoir vécu ça et qui sont nombreux ici ce mercredi, et vais au fil de mes envies et souvenirs parmi les sept cents archives et documents casés en deux mille mètres carrés. C’est foutraque, comme l’était cette période et comme le sont les notes que je prends, lesquelles ont la forme d’un inventaire très incomplet de ce qui me retient plus que le reste : le manuscrit de la Marseillaise (collection Charlotte Gainsbourg) et le film montrant son père la chantant poing levé devant les paras, l’Hommage au putain inconnu de Michel Journiac (squelette humain laqué blanc, vêtements acrylisés, drapeau tricolore, lettres relief), un numéro de l’Hebdo Hara-Kiri, prolongement hebdomadaire du mensuel Hara-Kiri, « La France aux Français », illustré d’un béret baguette sous le bras, une affiche recensant les cent cinquante membres du Comité de Soutien à la candidature de Coluche aux Présidentielles qui va de Hugues Aufray à Jean Yanne « Hitler aussi a commencé avec 150 signatures », un numéro du Bulletin Paroissial du Curé Meslier, le livre pour enfants d’Alain Le Saux Interdit/Toléré, le film de Paul Vecchiali Change pas de main « policier, politique et pornographique », les journaux du Fhar (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) Le Fléau Social et L’Antinorm « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous », des numéros du journal Tout ! « Ce que nous voulons, tout ! » et du Torchon brûle, « journal menstruel », l’immense sculpture au crochet de l’autodidacte Raymonde Arcier Au nom du père représentant une femme aux lourds cabas accouchant tout en marchant, une bédé de Copi Jouons aux élections avec les pédés « Nous sommes 4 millions en France, avec la proportionnelle, nous serions trente députés » « De mon temps, on les mettait au four », deux tableaux de Pierre Klossowski que je suis content de voir mais que je pense hors sujet, même chose pour ceux de Clovis Trouille Dolmancé et les fantômes de la luxure et Cérémonial saphique et les photos de Pierre Molinier (cela dans une salle nommée Sordide Sentimental n’ayant rien à voir avec le label) et Topor et Pierre et Gilles, le film de Jean-Pierre Bouyxiou et Raphaël Marongiu Satan bouche un coin (dont je possède le dévédé que m’a offert Jean-Pierre Turmel), des photos des Gazoline (dont fit partie Hélène Hazera) et des photos de Marie-France « légère égérie », les revues et fanzines où s’exprimaient Julien Blaine, Arnaud Labelle-Rojoux, F.J. Ossang, Jean-Jacques Lebel, Ivar Ch’Vavar, Lucien Suel, Dan et Guy Ferdinande et Rocking Yaset, certains bien assagis aujourd’hui et d’autres non, les photos d’Alain Bizos mettant en scène un Mesrine barbu Bras d’honneur, En joue !, La Guillotine et le reportage de la télé montrant le cadavre ensanglanté du même dans la voiture où il vient d’être tué par les policiers, l’Appel à la violence signé Serge Bard, Alain Jouffroy, Olivier Mosset et Daniel Pommereulle, toute une salle consacrée à Bazooka Production, avec deux numéros de Sordide Sentimental, l’un titré Education sentimentale et l’autre Isolation intellectuelle. Le mur du fond est couvert de grandes peintures acryliques réalisées en deux mille seize et deux mille dix-sept par Kiki Picasso qui montre à sa manière des évènements marquants de ces cinquante dernières années sous le titre générique Il n’y a pas de raison de laisser le bleu, le blanc et le rouge à ces cons de Français.
Je passe devant le tableau de Romain Slocombe Fracture interscapulaire de l’articulation de la hanche et descends au sous-sol. Là est une autre œuvre contemporaine signée Claude Levêque autour de l’univers des Bérurier Noir, Conte cruel de la jeunesse, un double grillage derrière lequel s’étend un terrain vague parsemé de déchets, cette installation aurait dû être réalisée en mil neuf cent quatre-vingt-sept mais ne l’a été qu’à l’occasion de cette exposition à la Maison Rouge.
*
Que cette période dite de contre-culture ou des contre-cultures ait duré jusqu’en quatre-vingt-neuf, c’est discutable. Personnellement, je l’arrête en soixante-dix-neuf. Ouiquipédia donne comme dates de fin : mil neuf cent quatre-vingt pour les Etats-Unis, quatre-vingt-trois pour l’Angleterre et la France, quatre-vingt-cinq pour le Japon.
*
Extrait de Vivre et penser comme des porcs de Gilles Châtelet lisible sur un mur de la Maison Rouge : années 80, écœurantes d’ennui, de cupidité et de bêtise, années de « révolutions conservatrices néolibérales ». Pas loin, une photo de Roland Barthes au Palace, où il a l’air de s’emmerder.
*
Près de la guillotine de Piège pour une exécution capitale de Michel Journiac, un gardien endormi.
Je passe devant le tableau de Romain Slocombe Fracture interscapulaire de l’articulation de la hanche et descends au sous-sol. Là est une autre œuvre contemporaine signée Claude Levêque autour de l’univers des Bérurier Noir, Conte cruel de la jeunesse, un double grillage derrière lequel s’étend un terrain vague parsemé de déchets, cette installation aurait dû être réalisée en mil neuf cent quatre-vingt-sept mais ne l’a été qu’à l’occasion de cette exposition à la Maison Rouge.
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Que cette période dite de contre-culture ou des contre-cultures ait duré jusqu’en quatre-vingt-neuf, c’est discutable. Personnellement, je l’arrête en soixante-dix-neuf. Ouiquipédia donne comme dates de fin : mil neuf cent quatre-vingt pour les Etats-Unis, quatre-vingt-trois pour l’Angleterre et la France, quatre-vingt-cinq pour le Japon.
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Extrait de Vivre et penser comme des porcs de Gilles Châtelet lisible sur un mur de la Maison Rouge : années 80, écœurantes d’ennui, de cupidité et de bêtise, années de « révolutions conservatrices néolibérales ». Pas loin, une photo de Roland Barthes au Palace, où il a l’air de s’emmerder.
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Près de la guillotine de Piège pour une exécution capitale de Michel Journiac, un gardien endormi.
3 mars 2017
Ce mercredi, ma voisine, dans le métro Huit qui m’emmène dans le Onzième, est plongée dans Ta deuxième vie commencera quand tu comprendras que tu n’en as qu’une. C’est le genre de livre dont il suffit de lire le titre, me dis-je, mais elle est d’un autre avis.
Le temps est menaçant, la pluie annoncée. Sitôt mon café bu, je me dirige vers le marché d’Aligre où j’espère encore trouver de bons livres dans le stock nouveau de la semaine dernière. Les premières gouttes tombent avant que je sois sur la place. A l’arrivée, je découvre que le vendeur visé n’y est pas. Sûr que ma nouvelle vie ressemble à l’ancienne.
Je rebrousse et suis devant Book-Off quelques minutes avant l’ouverture. J’y trouve aussi peu de livres à mon goût que les fois précédentes. Avant de ressortir, je demande aux employées si elles peuvent avec l’aide d’Internet me confirmer l’adresse de la Maison Rouge, j’ai peur de confondre deux rues. J’apprends ainsi que la boutique n’y est nullement reliée et accessoirement qu’elles-mêmes n’ont pas le droit d’avoir leur téléphone quand elles travaillent, et encore plus accessoirement qu’aucune ne sait ce qu’est la Maison Rouge.
Un aimable client ayant entendu ma demande me renseigne. Lui aussi a envie d’aller voir l’exposition consacrée à la contre-culture, me dit-il. Après un détour par Emmaüs, je me rapproche de la Bastille et trouve, rue de Bercy, un endroit où déjeuner nommé L’Anecdote. Deux jeunes filles élégantes et longilignes m’y accueillent et me donnent la table en vitrine. L’endroit est petit et chaleureux. Sa cuisine est ouverte sur la salle et le bar. Deux cuisiniers démontrent qu’ici tout est maison (comme on dit).
La formule entrée plat est à quinze euros, le quart de côtes-du-rhône à six. Je choisis l’houmous rose et le lapin au cidre et pommes et polenta crémeuse Près de moi sont deux femmes dont l’une, la plus jeune, veut « essayer de concilier des émotions contradictoires ». Elle ne va pas bien mais a depuis peu cessé de maigrir. C’est la conséquence d’un licenciement « alors qu’elle n’avait pas démérité ».
-Vous êtes sœurs toutes les deux ? demandé-je à la serveuse à qui je règle le bon repas.
-Non, mais on nous le demande souvent. On a la même silhouette.
C’est au numéro dix du boulevard de la Bastille qu’est la Maison Rouge où j’entre peu après.
*
Encore Philippe Delerm dans le bus Vingt au retour vers Saint Lazare. Seul, il descend à Saint-Claude.
*
« Grave accident de personne en gare d’Achères », annonce la voix de la Senecefe à Saint-Lazare. « En conséquence », mon train direct de dix-huit heures vingt-cinq est supprimé. Je trouve place assise dans l’indirect de dix-huit heures trente. Il est bondé et part en retard, passe par une voie détournée, s’arrête, repart, ralentit. J’admire le stoïcisme de celles et ceux qui voyagent debout. Au téléphone, ma jeune voisine trouve ça trop bizarre, ce train qui n’avance pas. Elle a rendez-vous avec un garçon qui doit la prendre dans ses bras avant d’aller au kebab puis à l’hôtel et qu’elle reconnaîtra à ses chaussures rouges. A l’approche de la gare de Rouen, elle lui demande : « Tu me vois là ? ».
*
Parmi les livres rapportés de la capitale, Estive de Blaise Hofmann (Editions Zoé) « texte à l’écriture fragmentée, incisive et ironique » qui « interpelle autant la dysneylandisation des Alpes que l’aspect devenu exotique des métiers ruraux de montagne », avec un envoi de l’auteur à « Frédéric Fredj, même si l’être opaque qui gouverne les chiens contredit la littérature fragile, nuancée et soucieuse d’aller vers l’autre… Amitié, Blaise » et Julien Benda de Louis-Albert Revah (Editions Plon), avec un envoi de l’auteur : « Pour Myriam et Pierre Guguenheim cette étude psycho-historique sur Julien Benda, personnage hors-normes et donc peu représentatif, sauf à considérer avec la psychanalyse que le pathologique renseigne sur le normal, avec mes sentiments très amicaux ».
*
Je connais surtout Julien Benda par la discussion, enregistrée à leur insu, qu’eut avec lui Paul Léautaud en marge des entretiens qu’il enregistrait avec Robert Mallet, parfois rediffusée sur France Culture.
Le temps est menaçant, la pluie annoncée. Sitôt mon café bu, je me dirige vers le marché d’Aligre où j’espère encore trouver de bons livres dans le stock nouveau de la semaine dernière. Les premières gouttes tombent avant que je sois sur la place. A l’arrivée, je découvre que le vendeur visé n’y est pas. Sûr que ma nouvelle vie ressemble à l’ancienne.
Je rebrousse et suis devant Book-Off quelques minutes avant l’ouverture. J’y trouve aussi peu de livres à mon goût que les fois précédentes. Avant de ressortir, je demande aux employées si elles peuvent avec l’aide d’Internet me confirmer l’adresse de la Maison Rouge, j’ai peur de confondre deux rues. J’apprends ainsi que la boutique n’y est nullement reliée et accessoirement qu’elles-mêmes n’ont pas le droit d’avoir leur téléphone quand elles travaillent, et encore plus accessoirement qu’aucune ne sait ce qu’est la Maison Rouge.
Un aimable client ayant entendu ma demande me renseigne. Lui aussi a envie d’aller voir l’exposition consacrée à la contre-culture, me dit-il. Après un détour par Emmaüs, je me rapproche de la Bastille et trouve, rue de Bercy, un endroit où déjeuner nommé L’Anecdote. Deux jeunes filles élégantes et longilignes m’y accueillent et me donnent la table en vitrine. L’endroit est petit et chaleureux. Sa cuisine est ouverte sur la salle et le bar. Deux cuisiniers démontrent qu’ici tout est maison (comme on dit).
La formule entrée plat est à quinze euros, le quart de côtes-du-rhône à six. Je choisis l’houmous rose et le lapin au cidre et pommes et polenta crémeuse Près de moi sont deux femmes dont l’une, la plus jeune, veut « essayer de concilier des émotions contradictoires ». Elle ne va pas bien mais a depuis peu cessé de maigrir. C’est la conséquence d’un licenciement « alors qu’elle n’avait pas démérité ».
-Vous êtes sœurs toutes les deux ? demandé-je à la serveuse à qui je règle le bon repas.
-Non, mais on nous le demande souvent. On a la même silhouette.
C’est au numéro dix du boulevard de la Bastille qu’est la Maison Rouge où j’entre peu après.
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Encore Philippe Delerm dans le bus Vingt au retour vers Saint Lazare. Seul, il descend à Saint-Claude.
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« Grave accident de personne en gare d’Achères », annonce la voix de la Senecefe à Saint-Lazare. « En conséquence », mon train direct de dix-huit heures vingt-cinq est supprimé. Je trouve place assise dans l’indirect de dix-huit heures trente. Il est bondé et part en retard, passe par une voie détournée, s’arrête, repart, ralentit. J’admire le stoïcisme de celles et ceux qui voyagent debout. Au téléphone, ma jeune voisine trouve ça trop bizarre, ce train qui n’avance pas. Elle a rendez-vous avec un garçon qui doit la prendre dans ses bras avant d’aller au kebab puis à l’hôtel et qu’elle reconnaîtra à ses chaussures rouges. A l’approche de la gare de Rouen, elle lui demande : « Tu me vois là ? ».
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Parmi les livres rapportés de la capitale, Estive de Blaise Hofmann (Editions Zoé) « texte à l’écriture fragmentée, incisive et ironique » qui « interpelle autant la dysneylandisation des Alpes que l’aspect devenu exotique des métiers ruraux de montagne », avec un envoi de l’auteur à « Frédéric Fredj, même si l’être opaque qui gouverne les chiens contredit la littérature fragile, nuancée et soucieuse d’aller vers l’autre… Amitié, Blaise » et Julien Benda de Louis-Albert Revah (Editions Plon), avec un envoi de l’auteur : « Pour Myriam et Pierre Guguenheim cette étude psycho-historique sur Julien Benda, personnage hors-normes et donc peu représentatif, sauf à considérer avec la psychanalyse que le pathologique renseigne sur le normal, avec mes sentiments très amicaux ».
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Je connais surtout Julien Benda par la discussion, enregistrée à leur insu, qu’eut avec lui Paul Léautaud en marge des entretiens qu’il enregistrait avec Robert Mallet, parfois rediffusée sur France Culture.
2 mars 2017
Mardi soir, c’est une drache qui m’emporte jusqu’au Théâtre de la Chapelle Saint-Louis où la classe d’art dramatique du Conservatoire de Rouen donne l’autre moitié d’« Au sort !... », succession d’extraits de pièces tirées du chapeau en début d’année scolaire.
Au programme cette fois : Prométhée d’Eschyle, Tartuffe de Molière, Médée de Sénèque, Fin de partie de Samuel Beckett, Andromaque de Racine, Hernani de Victor Hugo et L’Acte inconnu de Valère Novarina.
En attendant l’ouverture de la salle, je subis la proximité de six femmes exaspérantes. Celle qui a réservé les billets pour toutes vient de se rendre compte que ceux-ci sont datés de la veille. Elle accuse le secrétariat du Conservatoire d’avoir fait une erreur. La preuve qu’elles n’auraient pas pu être là hier soir, c’est qu’elles étaient au Rendez-vous de la cervelle. Maurice Attias passant par là clôt la polémique en leur disant qu’elles pourront entrer.
-C’est de la danse ce soir ? demande l’une à une autre.
Encore un quart d’heure à devoir supporter celles que mentalement je qualifie de bonnes femmes et encore pire (si les féministes pouvaient lire dans ma cervelle, je serais déjà mort). L’une cherche à gagner de l’espace en me repoussant progressivement. Je lui envoie mon coude dans le dos. Elle se penche sur l’oreille de sa voisine pour médire de moi.
A l’ouverture, ces six fâcheuses s’installent au troisième rang. Afin d’établir un cordon sanitaire entre elles et moi, je m’installe au milieu du cinquième. Las, derrière moi s’assoit une employée du Conservatoire non moins soûlante. Elle parle d’une certaine Nolwenn, ancienne élève de la classe d’art dramatique, pour qui pendant trois ans « ça ne s’est pas bien passé avec Maurice ».
Après avoir réussi à caser l’ensemble du public, celui-ci présente la soirée et donne les noms du jury de spécialistes chargé de noter les prestations des apprenti(e)s.
Eschyle, Racine, Hugo et même Beckett sont des auteurs qui m’ennuient mais j’apprécie néanmoins le travail de celles et ceux à qui le sort (à mes yeux) a été défavorable. La version ouesterne de Tartuffe avec un garçon dans le rôle de Dorine et quelques coups de feu (qui font pousser des cris à celle qui est derrière moi) rafraîchit Molière. La Médée de Sénèque, auteur qui lui aussi pourrait m’ennuyer, est le meilleur moment de la soirée grâce à la mise en scène de celui à qui elle est échue, Vladimir Delaye, qui fait jouer cette Médée simultanément par trois comédiennes (Emilie Momplay, Héléna Nondier et Kim Verschueren) et a dû bien s’amuser à obtenir ce qu’il voulait de ces filles. Pour finir, c’est du bon avec les vraies fausses formules politiques absurdo-comiques de Novarina que profèrent des personnages se disputant la présence sur le plateau, tout cela rappelant furieusement ce que la campagne électorale actuelle nous oblige à entendre.
Le temps est calmé, et moi aussi, lorsque je rentre content de ma soirée, me disant que si j’avais choisi de tout voir en une journée ce lundi, cela m’aurait évité d’avoir à supporter les énervantes.
*
Les rendez-vous de la cervelle, une bouffonnerie dans l’air du temps, de la philosophie comique participative, promue par la Mairie de Rouen, Socialiste.
Au programme cette fois : Prométhée d’Eschyle, Tartuffe de Molière, Médée de Sénèque, Fin de partie de Samuel Beckett, Andromaque de Racine, Hernani de Victor Hugo et L’Acte inconnu de Valère Novarina.
En attendant l’ouverture de la salle, je subis la proximité de six femmes exaspérantes. Celle qui a réservé les billets pour toutes vient de se rendre compte que ceux-ci sont datés de la veille. Elle accuse le secrétariat du Conservatoire d’avoir fait une erreur. La preuve qu’elles n’auraient pas pu être là hier soir, c’est qu’elles étaient au Rendez-vous de la cervelle. Maurice Attias passant par là clôt la polémique en leur disant qu’elles pourront entrer.
-C’est de la danse ce soir ? demande l’une à une autre.
Encore un quart d’heure à devoir supporter celles que mentalement je qualifie de bonnes femmes et encore pire (si les féministes pouvaient lire dans ma cervelle, je serais déjà mort). L’une cherche à gagner de l’espace en me repoussant progressivement. Je lui envoie mon coude dans le dos. Elle se penche sur l’oreille de sa voisine pour médire de moi.
A l’ouverture, ces six fâcheuses s’installent au troisième rang. Afin d’établir un cordon sanitaire entre elles et moi, je m’installe au milieu du cinquième. Las, derrière moi s’assoit une employée du Conservatoire non moins soûlante. Elle parle d’une certaine Nolwenn, ancienne élève de la classe d’art dramatique, pour qui pendant trois ans « ça ne s’est pas bien passé avec Maurice ».
Après avoir réussi à caser l’ensemble du public, celui-ci présente la soirée et donne les noms du jury de spécialistes chargé de noter les prestations des apprenti(e)s.
Eschyle, Racine, Hugo et même Beckett sont des auteurs qui m’ennuient mais j’apprécie néanmoins le travail de celles et ceux à qui le sort (à mes yeux) a été défavorable. La version ouesterne de Tartuffe avec un garçon dans le rôle de Dorine et quelques coups de feu (qui font pousser des cris à celle qui est derrière moi) rafraîchit Molière. La Médée de Sénèque, auteur qui lui aussi pourrait m’ennuyer, est le meilleur moment de la soirée grâce à la mise en scène de celui à qui elle est échue, Vladimir Delaye, qui fait jouer cette Médée simultanément par trois comédiennes (Emilie Momplay, Héléna Nondier et Kim Verschueren) et a dû bien s’amuser à obtenir ce qu’il voulait de ces filles. Pour finir, c’est du bon avec les vraies fausses formules politiques absurdo-comiques de Novarina que profèrent des personnages se disputant la présence sur le plateau, tout cela rappelant furieusement ce que la campagne électorale actuelle nous oblige à entendre.
Le temps est calmé, et moi aussi, lorsque je rentre content de ma soirée, me disant que si j’avais choisi de tout voir en une journée ce lundi, cela m’aurait évité d’avoir à supporter les énervantes.
*
Les rendez-vous de la cervelle, une bouffonnerie dans l’air du temps, de la philosophie comique participative, promue par la Mairie de Rouen, Socialiste.
1er mars 2017
Evidemment arrivé trop tôt, ce lundi soir, place de la Rougemare, au Théâtre de la Chapelle Saint-Louis où les élèves de la classe d’art dramatique du Conservatoire de Rouen présentent leurs travaux de mi-année, je discute avec leur professeur, Maurice Attias, qui me raconte des choses à ne pas répéter. C’est lui qui s’est chargé de réserver une place à mon nom, le secrétariat n’étant présent qu’en pointillé pendant les vacances.
En début d’année scolaire, les quinze élèves ont eu à tirer une pièce au sort, parmi celles proposées par leur professeur, avec la consigne d’en mettre en scène un extrait d’environ dix minutes. Ces quinze extraits sont présentés en deux parties sous le titre « Au sort !... » (Un théâtre à venir), qu’il est loisible de voir le même jour (en après-midi et soirée) ou sur deux jours. J’ai choisi la deuxième option.
Au programme ce soir : Jules César de William Shakespeare, Les Mouches de Jean-Paul Sartre, Nature morte dans un fossé de Fausto Paravidino, Woyzeck de Georg Büchner, Pylade de Pier Paolo Pasolini, Les Quatre Jumelles de Copi, Hiver de Jon Fosse et Tête d’or de Paul Claudel. Je n’ai vu au théâtre que Les Quatre Jumelles, il y a longtemps à Avignon. Un auteur m’est inconnu : Fausto Paravidino.
A l’ouverture des portes je retrouve ma place habituelle au milieu du quatrième rang. La salle s’emplit d’un public varié. Maurice Attias présente le spectacle. Remontant vers sa place, il s’arrête : « J’allais oublier : il y aura des coups de feu, le théâtre parle du présent. »
Les apprenti(e)s comédien(ne)s ont bien travaillé, que ce soit pour le jeu ou la mise en scène. Quand mon intérêt est moindre, pour Les Mouches et Pylade, ce n’est que parce que l’action se passe dans l’antiquité gréco-latine, honneur, devoir, trahison et sacrifice, préoccupations qui ne sont pas les miennes, même conjuguées au présent. Pour le reste, ce théâtre qui parle d’aujourd’hui me va bien, et ce présent est dur. Les comédiens et surtout les comédiennes sont à rude épreuve. « Tiens, le fusil mitrailleur présent dans l’Hiver de Jon Fosse ne tire aucune balle, ce n’est quand même pas chez Claudel que l’on va entendre des coups de feu », me dis-je. Eh bien oui, la mise en scène de Destin Destinée (quel nom !) cloue chacun(e) à son siège, effet Bataclan parfaitement réussi.
Les quinze sont moult applaudi(e)s, salué(e)s pour leur implication, leur énergie, leur mise en danger.
Je suis l’un des premiers dehors, passant près de la porte de service au moment où dans les coulisses la troupe pousse un cri commun de libération.
Rue du Petit-Porche, je côtoie un trio de spectateurs quinquagénaires.
-Putain, ça fait longtemps que j’ai pas été dans les rues de Rouen à cette heure-ci, dit l’un.
-Ah bon ? s’étonne un autre.
-Plusieurs dizaines d’années. Tu sais, quand t’es marié…
Il n’est même pas vingt-deux heures.
*
Nature morte dans un fossé, un titre qui prend toute sa force quand on sait qui y gît et pourquoi.
*
Les bribes de dialogue d’Hiver, un défi pour la mémoire.
En début d’année scolaire, les quinze élèves ont eu à tirer une pièce au sort, parmi celles proposées par leur professeur, avec la consigne d’en mettre en scène un extrait d’environ dix minutes. Ces quinze extraits sont présentés en deux parties sous le titre « Au sort !... » (Un théâtre à venir), qu’il est loisible de voir le même jour (en après-midi et soirée) ou sur deux jours. J’ai choisi la deuxième option.
Au programme ce soir : Jules César de William Shakespeare, Les Mouches de Jean-Paul Sartre, Nature morte dans un fossé de Fausto Paravidino, Woyzeck de Georg Büchner, Pylade de Pier Paolo Pasolini, Les Quatre Jumelles de Copi, Hiver de Jon Fosse et Tête d’or de Paul Claudel. Je n’ai vu au théâtre que Les Quatre Jumelles, il y a longtemps à Avignon. Un auteur m’est inconnu : Fausto Paravidino.
A l’ouverture des portes je retrouve ma place habituelle au milieu du quatrième rang. La salle s’emplit d’un public varié. Maurice Attias présente le spectacle. Remontant vers sa place, il s’arrête : « J’allais oublier : il y aura des coups de feu, le théâtre parle du présent. »
Les apprenti(e)s comédien(ne)s ont bien travaillé, que ce soit pour le jeu ou la mise en scène. Quand mon intérêt est moindre, pour Les Mouches et Pylade, ce n’est que parce que l’action se passe dans l’antiquité gréco-latine, honneur, devoir, trahison et sacrifice, préoccupations qui ne sont pas les miennes, même conjuguées au présent. Pour le reste, ce théâtre qui parle d’aujourd’hui me va bien, et ce présent est dur. Les comédiens et surtout les comédiennes sont à rude épreuve. « Tiens, le fusil mitrailleur présent dans l’Hiver de Jon Fosse ne tire aucune balle, ce n’est quand même pas chez Claudel que l’on va entendre des coups de feu », me dis-je. Eh bien oui, la mise en scène de Destin Destinée (quel nom !) cloue chacun(e) à son siège, effet Bataclan parfaitement réussi.
Les quinze sont moult applaudi(e)s, salué(e)s pour leur implication, leur énergie, leur mise en danger.
Je suis l’un des premiers dehors, passant près de la porte de service au moment où dans les coulisses la troupe pousse un cri commun de libération.
Rue du Petit-Porche, je côtoie un trio de spectateurs quinquagénaires.
-Putain, ça fait longtemps que j’ai pas été dans les rues de Rouen à cette heure-ci, dit l’un.
-Ah bon ? s’étonne un autre.
-Plusieurs dizaines d’années. Tu sais, quand t’es marié…
Il n’est même pas vingt-deux heures.
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Nature morte dans un fossé, un titre qui prend toute sa force quand on sait qui y gît et pourquoi.
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Les bribes de dialogue d’Hiver, un défi pour la mémoire.
28 février 2017
Suite et fin de mes prélèvements dans les missives qu’envoya Colette à ses amis Hélène Jourdan-Morhange et Luc-Albert Moreau, publiées par les Editions des Femmes sous le titre Lettres à Moune et au Toutounet (1929-1954). Cette fois, c’est la guerre, deuxième mondiale. Plusieurs fois l’écrivaine évoque sa fille, Colette de Jouvenel, qui lui donne du fil à retordre (comme on ne dit plus).
Dis à Moune qu’Erna Redtenbacher, mise par erreur dans un camp, en a été arrachée, comme on arrache quelqu’un aux flammes, par son amie fidèle Christiane, -qui, en prodiguant tout ce qu’elle possédait d’argent, a réussi à l’emporter dans leur gîte de la Trinité-sur-Mer. Et là elles se sont suicidées. (Vingt-quatre juillet mil neuf cent quarante, Curemonte, Corrèze)
Auric a eu une jambe écrabouillée, le savais-tu ? Bombe avec Marie-Laure de Noailles et un officier d’occupation. Boîte de nuit, deux heures du matin, champagne : accident. (Vingt et un novembre mil neuf cent quarante, Paris)
J’ai de temps en temps des nouvelles de ma fille. Avec quelques enfants de son âge, elle veut fonder une revue. Laissez seul cinq minutes n’importe quel Jouvenel, il fonde une revue. Heureusement qu’elle n’a pas d’argent. (Même jour, même lieu)
Geneviève s’est fait un épanchement de synovie au genou à la gymnastique ; mais ce n’est pas grave, me dit-elle dans le téléphone. En tout cas, c’est beaucoup plus économique que les sports d’hiver. (Treize mars mil neuf cent quarante et un, Paris)
Ne trouvant pas une place dans l’autobus qui passe quai de Seine à Neuilly, elle est venue à califourchon sur le cadre d’un tandem, dont le propriétaire inconnu, hospitalisait déjà une dame, inconnue, sur le siège d’arrière ! On n’avait jamais, dit-elle, vu tant de cuisses sur un tandem. Et elle a payé vingt-cinq francs pour le plaisir d’avoir le KKK coupé en deux, mettons en quatre. (Neuf juin mil neuf cent quarante et un, Paris)
Pas de beurre. Il est vrai qu’il n’y a pas de viande non plus. Mes deux petites cultivatrices n’ont pas de beurre à cause de leurs vaches qui vont vêler. Qu’elles se dépêchent, au moins. (Huit octobre mil neuf cent quarante et un, Paris)
Ici, rien. Ma fille immine. Elle prétend venir avec une poignée de maquisards « vider » Lacan et reprendre son domicile. Il se peut qu’elle le tente. Et le surlendemain elle peut être arrêtée. Elle en a déjà assez de tout ce qu’elle a édifié là-bas, semble-t-il. Quand je vous dis, à toutes, que je suis seule à connaître cette fille d’ailleurs charmante… (Vingt-neuf septembre mil neuf cent quarante-quatre, Paris)
Si tu lis la mort accidentelle d’un Segonzac, sache que c’est le comte de ce nom. Il a été écrasé par la voiture du préfet de police. (Six octobre mil neuf cent quarante-quatre, Paris)
La suite est intéressante itou, mais moins propice à des prélèvements personnels.
*
Bombe. Faire la bombe. Faire la fête avec tous les excès que cela peut comporter. Expression périmée.
*
Les Lettres à sa fille de Colette ont été publiées par Gallimard. Je les évoquerai ultérieurement.
Dis à Moune qu’Erna Redtenbacher, mise par erreur dans un camp, en a été arrachée, comme on arrache quelqu’un aux flammes, par son amie fidèle Christiane, -qui, en prodiguant tout ce qu’elle possédait d’argent, a réussi à l’emporter dans leur gîte de la Trinité-sur-Mer. Et là elles se sont suicidées. (Vingt-quatre juillet mil neuf cent quarante, Curemonte, Corrèze)
Auric a eu une jambe écrabouillée, le savais-tu ? Bombe avec Marie-Laure de Noailles et un officier d’occupation. Boîte de nuit, deux heures du matin, champagne : accident. (Vingt et un novembre mil neuf cent quarante, Paris)
J’ai de temps en temps des nouvelles de ma fille. Avec quelques enfants de son âge, elle veut fonder une revue. Laissez seul cinq minutes n’importe quel Jouvenel, il fonde une revue. Heureusement qu’elle n’a pas d’argent. (Même jour, même lieu)
Geneviève s’est fait un épanchement de synovie au genou à la gymnastique ; mais ce n’est pas grave, me dit-elle dans le téléphone. En tout cas, c’est beaucoup plus économique que les sports d’hiver. (Treize mars mil neuf cent quarante et un, Paris)
Ne trouvant pas une place dans l’autobus qui passe quai de Seine à Neuilly, elle est venue à califourchon sur le cadre d’un tandem, dont le propriétaire inconnu, hospitalisait déjà une dame, inconnue, sur le siège d’arrière ! On n’avait jamais, dit-elle, vu tant de cuisses sur un tandem. Et elle a payé vingt-cinq francs pour le plaisir d’avoir le KKK coupé en deux, mettons en quatre. (Neuf juin mil neuf cent quarante et un, Paris)
Pas de beurre. Il est vrai qu’il n’y a pas de viande non plus. Mes deux petites cultivatrices n’ont pas de beurre à cause de leurs vaches qui vont vêler. Qu’elles se dépêchent, au moins. (Huit octobre mil neuf cent quarante et un, Paris)
Ici, rien. Ma fille immine. Elle prétend venir avec une poignée de maquisards « vider » Lacan et reprendre son domicile. Il se peut qu’elle le tente. Et le surlendemain elle peut être arrêtée. Elle en a déjà assez de tout ce qu’elle a édifié là-bas, semble-t-il. Quand je vous dis, à toutes, que je suis seule à connaître cette fille d’ailleurs charmante… (Vingt-neuf septembre mil neuf cent quarante-quatre, Paris)
Si tu lis la mort accidentelle d’un Segonzac, sache que c’est le comte de ce nom. Il a été écrasé par la voiture du préfet de police. (Six octobre mil neuf cent quarante-quatre, Paris)
La suite est intéressante itou, mais moins propice à des prélèvements personnels.
*
Bombe. Faire la bombe. Faire la fête avec tous les excès que cela peut comporter. Expression périmée.
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Les Lettres à sa fille de Colette ont été publiées par Gallimard. Je les évoquerai ultérieurement.
27 février 2017
Quand mon téléphone sonne ce samedi matin et que j’entends la voix de celle avec qui je dois fêter une nouvelle fois mon anniversaire, je sais avant qu’elle ne s’exprime qu’un problème de train est la raison de son appel. « Quarante minutes de retard annoncées », me dit-elle. Cela alors que le train est à quai à Saint-Lazare. J’ai du mal à comprendre la Senecefe.
Je calme mon inquiétude en repassant au marché du Clos Saint-Marc, où je ne peux m’empêcher d’acheter un livre, et en profite pour passer à La Petite Auberge, rue Martainville, où j’ai retenu une table pour deux, afin de m’assurer que celle-ci est située dans un endroit tranquille.
Elle arrive avec un peu plus des quarante minutes de retard prévues. J’ai l’explication du mystère. Aucun train ne pouvant circuler vers Evreux Caen Cherbourg suite à l’incendie d’un poste d’alimentation électrique peut-être consécutif à un vol de métaux, son train a été retardé pour emmener des voyageurs vers ces villes, certains ont été déposés à Oissel, d’autres le seront au Havre, afin qu’ils puissent poursuivre en car jusqu’à Bernay ou Caen. Si quelqu’une est attendue là-bas pour un déjeuner au restaurant, c’est râpé.
Nous l’avons échappé belle (comme on dit). Déjà ce repas d’anniversaire a dû être repoussé d’une semaine car quand je suis allé réserver pour le dix-huit février à La Petite Auberge, le restaurateur m’a annoncé que ce ne serait pas possible.
-Nous serons en vacances.
-Vous n’avez pas le droit de faire ça, lui ai-je dit.
-Si, nous allons le faire.
Nous sommes heureux de nous retrouver et allons boire un café en ville avant qu’à la maison elle me remette son cadeau : cafés et produits dérivés.
A midi, nous nous installons à notre table tranquille. Rien ne change à La Petite Auberge. Le cadre est immuable, les menus toujours les mêmes, les prix stables, les serveurs aimables et efficaces. C’est comme si je n’avais pas un an de plus. Elle se laisse tenter par les escargots dont personnellement je ne peux me passer, puis c’est andouillette pour elle et entrecôte au camembert pour moi, avec un saladier de frites de la maison, trio de fromages pour moi, salade pour elle et, en dessert, je me laisse tenter par la crème brûlée qui pour elle est indispensable. Cela est accompagné de la coutumière Cuvée du Père Tranquille, un bordeaux qui ne nous déçoit jamais, tout comme la cuisine.
-Nous n’avons que quarante-deux couverts et sans me vanter une certaine réputation, il faut réserver, indique l’un des serveurs à des déçus qui ne peuvent trouver place.
Nous prenons café et thé au jardin où les jonquilles vont bientôt éclore puis allons en promenade sur les quais bas de la rive droite en direction de l’imposant bâtiment que j’irai visiter samedi prochain, croisant en chemin quelques dizaines de marcheurs attachés à des chiens, une opération publicitaire annoncée comme une « promenade géante de chiens » et organisée par un service de gardiennage d’animaux.
Le temps ensemble nous est compté. A seize heures, elle a rendez-vous avec sa mère devant l’Opéra. Je la regarde monter les marches de l’escalier qui y mène. Arrivée en haut, elle me fait de la main un dernier au revoir.
Je calme mon inquiétude en repassant au marché du Clos Saint-Marc, où je ne peux m’empêcher d’acheter un livre, et en profite pour passer à La Petite Auberge, rue Martainville, où j’ai retenu une table pour deux, afin de m’assurer que celle-ci est située dans un endroit tranquille.
Elle arrive avec un peu plus des quarante minutes de retard prévues. J’ai l’explication du mystère. Aucun train ne pouvant circuler vers Evreux Caen Cherbourg suite à l’incendie d’un poste d’alimentation électrique peut-être consécutif à un vol de métaux, son train a été retardé pour emmener des voyageurs vers ces villes, certains ont été déposés à Oissel, d’autres le seront au Havre, afin qu’ils puissent poursuivre en car jusqu’à Bernay ou Caen. Si quelqu’une est attendue là-bas pour un déjeuner au restaurant, c’est râpé.
Nous l’avons échappé belle (comme on dit). Déjà ce repas d’anniversaire a dû être repoussé d’une semaine car quand je suis allé réserver pour le dix-huit février à La Petite Auberge, le restaurateur m’a annoncé que ce ne serait pas possible.
-Nous serons en vacances.
-Vous n’avez pas le droit de faire ça, lui ai-je dit.
-Si, nous allons le faire.
Nous sommes heureux de nous retrouver et allons boire un café en ville avant qu’à la maison elle me remette son cadeau : cafés et produits dérivés.
A midi, nous nous installons à notre table tranquille. Rien ne change à La Petite Auberge. Le cadre est immuable, les menus toujours les mêmes, les prix stables, les serveurs aimables et efficaces. C’est comme si je n’avais pas un an de plus. Elle se laisse tenter par les escargots dont personnellement je ne peux me passer, puis c’est andouillette pour elle et entrecôte au camembert pour moi, avec un saladier de frites de la maison, trio de fromages pour moi, salade pour elle et, en dessert, je me laisse tenter par la crème brûlée qui pour elle est indispensable. Cela est accompagné de la coutumière Cuvée du Père Tranquille, un bordeaux qui ne nous déçoit jamais, tout comme la cuisine.
-Nous n’avons que quarante-deux couverts et sans me vanter une certaine réputation, il faut réserver, indique l’un des serveurs à des déçus qui ne peuvent trouver place.
Nous prenons café et thé au jardin où les jonquilles vont bientôt éclore puis allons en promenade sur les quais bas de la rive droite en direction de l’imposant bâtiment que j’irai visiter samedi prochain, croisant en chemin quelques dizaines de marcheurs attachés à des chiens, une opération publicitaire annoncée comme une « promenade géante de chiens » et organisée par un service de gardiennage d’animaux.
Le temps ensemble nous est compté. A seize heures, elle a rendez-vous avec sa mère devant l’Opéra. Je la regarde monter les marches de l’escalier qui y mène. Arrivée en haut, elle me fait de la main un dernier au revoir.
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