Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
1er février 2024
Un voyage en train sans histoire ce dernier jour du mois de janvier deux mille vingt-quatre et peu de monde dans le bus Vingt-Neuf où je viens en aide à un vieil Arabe qui veut descendre à Opéra, lui indiquant qu’il faut demander l’arrêt et pour cela appuyer sur le bouton rouge. Nous nous saluons mutuellement quand il descend.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
30 janvier 2024
Ma carte d’identité est bientôt périmée. Je retire un dossier de renouvellement à l’accueil de la Mairie de Rouen puis prends un rendez-vous par téléphone avec le service compétent puis me mets au boulot.
Je dois demander à ma sœur les dates et lieux de naissance de père et mère (il y a plus ou moins un siècle, Rouen pour le premier, Paris pour la seconde) puis me trompe dans l’ordre de mes prénoms (heureusement que j’ai du Blanco).
Ce mardi, un peu avant dix heures, je me pointe à l’Hôtel de Ville. La préposée de l’accueil s’assure que mon dossier est complet puis me remet un ticket d’attente. Je n’ai pas à lorgner longtemps l’écran avant que mon numéro s’affiche.
Au guichet dix, une fonctionnaire territoriale étudie mon dossier, scanne les documents apportés et émet des doutes sur ma photo. Si celle-ci est refusée par la Préfecture, il faudra tout recommencer, me dit-elle. Dans ce cas, on me téléphonera pour me prévenir. Si ça passe, la carte sera prête dans quatre à cinq semaines. Et ce sera à moi d’appeler pour le savoir.
-On ne peut pas m’envoyer un mail ? lui demandé-je.
-Non, la Préfecture n’envoie pas de mail, je connais mon métier, me répond-elle sèchement.
-Je n’en doute pas et je vois que vous êtes également très aimable. Heureusement qu’on ne refait sa carte d’identité que tous les quinze ans.
-Oui heureusement, me répond-elle avant de retrouver une meilleure humeur pour la prise des empreintes.
Rentré, je constate qu’il va y avoir un problème avec ma photo. Plus qu’à attendre que le téléphone me l’annonce.
Je ne sais dans combien de mois j’aurai cette nouvelle carte d’identité qui sera vraisemblablement la dernière.
*
Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends conscience que mon parrain et le mari de ma marraine sont tous deux morts d’un accident du travail.
Le premier, un cousin de mon père, d’une crise cardiaque dans son camion de transporteur longue distance quand j’étais enfant.
Le deuxième, l’époux d’une des sœurs de ma mère, d’une chute sur le chantier de l’aéroport d’Orly peu après ma naissance (sa fille, ma cousine, ne l’a jamais connu).
*
En plus de mon parrain officiel, j’en ai eu un autre, Fernand, le mari de la sœur de ma grand-mère, refusé par mon père parce qu’athée mais figurant quand même dans la liste des prénoms de ma carte d’identité, le seul à avoir rempli sa fonction, notamment en m’offrant les jouets que mes parents ne pouvaient pas me payer.
Je dois demander à ma sœur les dates et lieux de naissance de père et mère (il y a plus ou moins un siècle, Rouen pour le premier, Paris pour la seconde) puis me trompe dans l’ordre de mes prénoms (heureusement que j’ai du Blanco).
Ce mardi, un peu avant dix heures, je me pointe à l’Hôtel de Ville. La préposée de l’accueil s’assure que mon dossier est complet puis me remet un ticket d’attente. Je n’ai pas à lorgner longtemps l’écran avant que mon numéro s’affiche.
Au guichet dix, une fonctionnaire territoriale étudie mon dossier, scanne les documents apportés et émet des doutes sur ma photo. Si celle-ci est refusée par la Préfecture, il faudra tout recommencer, me dit-elle. Dans ce cas, on me téléphonera pour me prévenir. Si ça passe, la carte sera prête dans quatre à cinq semaines. Et ce sera à moi d’appeler pour le savoir.
-On ne peut pas m’envoyer un mail ? lui demandé-je.
-Non, la Préfecture n’envoie pas de mail, je connais mon métier, me répond-elle sèchement.
-Je n’en doute pas et je vois que vous êtes également très aimable. Heureusement qu’on ne refait sa carte d’identité que tous les quinze ans.
-Oui heureusement, me répond-elle avant de retrouver une meilleure humeur pour la prise des empreintes.
Rentré, je constate qu’il va y avoir un problème avec ma photo. Plus qu’à attendre que le téléphone me l’annonce.
Je ne sais dans combien de mois j’aurai cette nouvelle carte d’identité qui sera vraisemblablement la dernière.
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Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends conscience que mon parrain et le mari de ma marraine sont tous deux morts d’un accident du travail.
Le premier, un cousin de mon père, d’une crise cardiaque dans son camion de transporteur longue distance quand j’étais enfant.
Le deuxième, l’époux d’une des sœurs de ma mère, d’une chute sur le chantier de l’aéroport d’Orly peu après ma naissance (sa fille, ma cousine, ne l’a jamais connu).
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En plus de mon parrain officiel, j’en ai eu un autre, Fernand, le mari de la sœur de ma grand-mère, refusé par mon père parce qu’athée mais figurant quand même dans la liste des prénoms de ma carte d’identité, le seul à avoir rempli sa fonction, notamment en m’offrant les jouets que mes parents ne pouvaient pas me payer.
29 janvier 2024
Il est rare que le brouillard se fasse voir dans le centre de Rouen. C’est le cas ce samedi matin. Depuis le Socrate, le Lycée Camille Saint-Saëns m’apparaît brumeux. Dans cette purée de poix se matérialisent successivement les vieilles et vieux qui se donnent rendez-vous chaque semaine ici. Le trio de base est cette fois augmenté d’autres. Evidemment, elles et eux discutent des agriculteurs révoltés et des « mesurettes » accordées par Attal. Ils sont à fond avec les manifestants.
Moi qui suis le fils d’un arboriculteur ayant fait faillite dans les années Soixante-Dix suite à la concurrence des poires et des pommes d’importation, je suis loin d’être un inconditionnel du mouvement. Je n’apprécie pas le syndicat dominant chez les paysans, ce Medef agricole dont le responsable est un grand marchand d’huile alimentaire. J’aime encore moins la Coordination Rurale, le syndicat minoritaire dont des adhérents à Agen se sont livrés à des incendies, des arrosages de lisier et à l’étripage d’un sanglier ensuite suspendu au regard des gens de la ville (« La plupart d’entre nous sommes chasseurs et les sangliers saccagent nos récoltes. », ont-ils déclaré à Sud Ouest dans le but de se justifier). Je crains que sous les bonnets jaunes de certains se cachent des idées d’extrême-droite.
Je n’aime pas non plus que ces bloqueurs d’autoroutes soient autorisés à le faire quand des Ecologistes pour la même action se font matraquer par la Police puis se retrouvent devant les Tribunaux. « On ne répond pas à la souffrance par la violence », a déclaré le Ministre de l’Intérieur. Darmanin ne se rend pas compte qu’en disant cela, il avoue que ce n’est pas une fable la violence policière.
Par coïncidence, au moment où se passent ces évènements qui rappellent ce que raconte Michel Houellebecq dans Sérotonine, j’ai trouvé la veille, dans la boîte à livres devant le Musée des Beaux-Arts, Anéantir du même Houellebecq. C’est ce livre que je lis dans cette brasserie après mon café. Ça commence ainsi : Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort.
Les vieilles et les vieux, ayant épuisé le sujet d’actualité, reviennent à leur antienne, montrant que cette sensation leur est permanente :
- Le mieux, c’est de mourir d’un coup, d’une crise cardiaque.
- Ou alors, il faudrait qu’on nous pique comme les chiens.
Moi qui suis le fils d’un arboriculteur ayant fait faillite dans les années Soixante-Dix suite à la concurrence des poires et des pommes d’importation, je suis loin d’être un inconditionnel du mouvement. Je n’apprécie pas le syndicat dominant chez les paysans, ce Medef agricole dont le responsable est un grand marchand d’huile alimentaire. J’aime encore moins la Coordination Rurale, le syndicat minoritaire dont des adhérents à Agen se sont livrés à des incendies, des arrosages de lisier et à l’étripage d’un sanglier ensuite suspendu au regard des gens de la ville (« La plupart d’entre nous sommes chasseurs et les sangliers saccagent nos récoltes. », ont-ils déclaré à Sud Ouest dans le but de se justifier). Je crains que sous les bonnets jaunes de certains se cachent des idées d’extrême-droite.
Je n’aime pas non plus que ces bloqueurs d’autoroutes soient autorisés à le faire quand des Ecologistes pour la même action se font matraquer par la Police puis se retrouvent devant les Tribunaux. « On ne répond pas à la souffrance par la violence », a déclaré le Ministre de l’Intérieur. Darmanin ne se rend pas compte qu’en disant cela, il avoue que ce n’est pas une fable la violence policière.
Par coïncidence, au moment où se passent ces évènements qui rappellent ce que raconte Michel Houellebecq dans Sérotonine, j’ai trouvé la veille, dans la boîte à livres devant le Musée des Beaux-Arts, Anéantir du même Houellebecq. C’est ce livre que je lis dans cette brasserie après mon café. Ça commence ainsi : Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort.
Les vieilles et les vieux, ayant épuisé le sujet d’actualité, reviennent à leur antienne, montrant que cette sensation leur est permanente :
- Le mieux, c’est de mourir d’un coup, d’une crise cardiaque.
- Ou alors, il faudrait qu’on nous pique comme les chiens.
26 janvier 2024
Cette fois c’est bon, un train qui se traîne et arrive avec dix minutes de retard me permet de revoir Paris. Un vieux bus Vingt-Neuf au gazole dans lequel ça sent le fauve me conduit place de la Bastille. Je marche sous un ciel bleu et dans une grande douceur jusqu’au Marché d’Aligre. Emile et son débarras n’y sont pas ce mercredi. L’autre vendeur de livres n’a que des vieilleries.
Au Camélia, je poursuis ma lecture de Chambre obscure de Nabokov. Devant moi, un Chinois lit Stendhal. Derrière, deux hommes parlent des jeux matriciels. Ce Péhemmu n’en a pas l’air mais c’est un bar d’intellos. Quand il n’est plus en mains (comme on dit dans ce genre d’endroit), je parcours Le Parisien qui relate la révolte des agriculteurs. Cette actualité me rappelle ma lecture de Sérotonine de Michel Houellebecq. Dans sa fiction, les paysans sortent les fusils.
A onze heures, je retrouve avec grand plaisir le Book-Off de Ledru-Rollin. Pas trop de monde pour une fois et dans les livres à un euro je trouve de quoi me plaire : Henry Miller de Béatrice Commengé (Plon), Gide Genet Mishima sous-titré Intelligence de la perversion de Catherine Millot (L’Infini Gallimard) et Je dirai que je suis tombé suivi de La Boîte à outils, la poésie de Roland Dubillard (Gallimard).
Il n’est pas question de déjeuner avec celle qui travaille dans le quartier. Elle n’est plus libre le midi. Quand ce sera à nouveau le cas, c’est qu’un funeste évènement aura eu lieu. Je pense à elle en rejoignant Au Diable des Lombards.
J’y commande l’onglet frites salade et la tarte Tatin. La tablée masculine d’à côté a choisi le poireau vinaigrette et la moule marinière, ce qui est source de grosse rigolade. La formule du Diable est passée à quinze euros dix. « Cela faisait dix ans qu’on n’avait pas augmenté », me dit le serveur dynamique. J’ai l’impression que le diamètre des assiettes, lui, a diminué mais je me garde de poser la question.
Au Book-Off de Saint-Martin, le premier livre à un euro que je mets dans mon panier est Quand vos nuits se morcellent sous-titré Lettre à Ferdinand Hodler de Daniel de Roulet (Zoé). Fip diffuse Toutoutout de Clair. « Tout le monde me fait chier. Tout le monde m’emmerde. », chante d’une voix suave cette jeune femme. C’est ce que je pense en ce moment. Il y a trop de blaireaux collés à moi devant les rayonnages qui m’intéressent.
Malgré eux, je mets aussi dans mon panier Romain, un regard particulier de Lesley Blanchi (Actes Sud), Ursa minor sous-titré Notes de carnet et d’autres encore de Sibilla Aleramo (Anatolia Le Rocher) et Comptines coquines de Philippe Dumas (L’Ecole des Loisirs). Ce dernier, un coffret de trois petits livres, est d’origine douteuse. Il provient, un tampon en atteste, du B.C.D. Plan Paris Lecture. Cette fois, je ne signale pas le vol éventuel à celui à qui je paie.
Un café à un euro vingt au comptoir du Bistrot d’Edmond et me voici dans le troisième Book-Off, désormais le moins intéressant. Encore plus ce mercredi car un grand désordre règne au rayon Littérature. On y trouve surtout les œuvres des comiques de télévision. Je signale ce bazar à celui que je pense être le nouveau responsable. Il va y remédier. Je repars de là après avoir dépensé seulement un euro pour Mémoires inédits de Mathilde Bonaparte (Les Cahiers Rouges Grasset).
Dans le train de seize heures quarante qui me ramène à Rouen je termine la lecture de Vladimir Nabokov. Mes voisines d’outre couloir lisent Michel Bussi, deux livres que leur a dédicacés l’auteur, ce qui les réjouit fort.
*
Coup de feu dans la nuit du côté de la rue Saint-Romain. A moins que ce soit un pétard. Dans ce cas, pourquoi un seul ? Un suicide peut-être, me dis-je avant de me rendormir. Je ne pense pas avoir rêvé.
Au Camélia, je poursuis ma lecture de Chambre obscure de Nabokov. Devant moi, un Chinois lit Stendhal. Derrière, deux hommes parlent des jeux matriciels. Ce Péhemmu n’en a pas l’air mais c’est un bar d’intellos. Quand il n’est plus en mains (comme on dit dans ce genre d’endroit), je parcours Le Parisien qui relate la révolte des agriculteurs. Cette actualité me rappelle ma lecture de Sérotonine de Michel Houellebecq. Dans sa fiction, les paysans sortent les fusils.
A onze heures, je retrouve avec grand plaisir le Book-Off de Ledru-Rollin. Pas trop de monde pour une fois et dans les livres à un euro je trouve de quoi me plaire : Henry Miller de Béatrice Commengé (Plon), Gide Genet Mishima sous-titré Intelligence de la perversion de Catherine Millot (L’Infini Gallimard) et Je dirai que je suis tombé suivi de La Boîte à outils, la poésie de Roland Dubillard (Gallimard).
Il n’est pas question de déjeuner avec celle qui travaille dans le quartier. Elle n’est plus libre le midi. Quand ce sera à nouveau le cas, c’est qu’un funeste évènement aura eu lieu. Je pense à elle en rejoignant Au Diable des Lombards.
J’y commande l’onglet frites salade et la tarte Tatin. La tablée masculine d’à côté a choisi le poireau vinaigrette et la moule marinière, ce qui est source de grosse rigolade. La formule du Diable est passée à quinze euros dix. « Cela faisait dix ans qu’on n’avait pas augmenté », me dit le serveur dynamique. J’ai l’impression que le diamètre des assiettes, lui, a diminué mais je me garde de poser la question.
Au Book-Off de Saint-Martin, le premier livre à un euro que je mets dans mon panier est Quand vos nuits se morcellent sous-titré Lettre à Ferdinand Hodler de Daniel de Roulet (Zoé). Fip diffuse Toutoutout de Clair. « Tout le monde me fait chier. Tout le monde m’emmerde. », chante d’une voix suave cette jeune femme. C’est ce que je pense en ce moment. Il y a trop de blaireaux collés à moi devant les rayonnages qui m’intéressent.
Malgré eux, je mets aussi dans mon panier Romain, un regard particulier de Lesley Blanchi (Actes Sud), Ursa minor sous-titré Notes de carnet et d’autres encore de Sibilla Aleramo (Anatolia Le Rocher) et Comptines coquines de Philippe Dumas (L’Ecole des Loisirs). Ce dernier, un coffret de trois petits livres, est d’origine douteuse. Il provient, un tampon en atteste, du B.C.D. Plan Paris Lecture. Cette fois, je ne signale pas le vol éventuel à celui à qui je paie.
Un café à un euro vingt au comptoir du Bistrot d’Edmond et me voici dans le troisième Book-Off, désormais le moins intéressant. Encore plus ce mercredi car un grand désordre règne au rayon Littérature. On y trouve surtout les œuvres des comiques de télévision. Je signale ce bazar à celui que je pense être le nouveau responsable. Il va y remédier. Je repars de là après avoir dépensé seulement un euro pour Mémoires inédits de Mathilde Bonaparte (Les Cahiers Rouges Grasset).
Dans le train de seize heures quarante qui me ramène à Rouen je termine la lecture de Vladimir Nabokov. Mes voisines d’outre couloir lisent Michel Bussi, deux livres que leur a dédicacés l’auteur, ce qui les réjouit fort.
*
Coup de feu dans la nuit du côté de la rue Saint-Romain. A moins que ce soit un pétard. Dans ce cas, pourquoi un seul ? Un suicide peut-être, me dis-je avant de me rendormir. Je ne pense pas avoir rêvé.
25 janvier 2024
Ce mardi est le jour de ma visite annuelle à la podologue. J’ai le premier rendez-vous de la journée, neuf heures. C’est avec un bus Teor et le métro que je rejoins le Boulingrin.
Rien de nouveau dans l’état de mes pieds, constate-t-elle après les examens habituels mais dans la fabrication de mes semelles orthopédiques, il lui faudra tenir compte du fait que désormais mes Docs sont pointure quarante-sept. C’est l’ultime.
Autre constat, que je fais seul, j’ai de plus en plus de mal à remettre mes chaussettes. A la maison, je les enfile assis sur mon lit ; comme un vieux quoi. Le rendez-vous pour la remise (comme elle dit) est déjà pris. Ce sera début février.
Je paie à la secrétaire une somme rondelette et peu remboursée par la Sécu et ma mutuelle puis redescends pédestrement jusqu’à chez moi.
*
Pratique quand on trouve exprimé par un autre, Nicolas Mathieu en l’occurrence, ce que l’on pense de cette pétition visant à empêcher Sylvain Tesson d’être le parrain du Printemps des Poètes, je n’ai qu’à le citer :
« On ne parlera pas de cette sombre affaire Tesson en particulier. Ni des mobiles qui poussent des auteurs et des autrices à faire front commun non plus contre des idées mais contre un homme. Le SAV des prises de position est devenu un job à temps plein et ce temps qu'on y consacre semble de plus en plus vide. Un peu la flemme. Juste deux trois remarques. J'ai durant toute ma vie admiré le travail d'auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n'ai jamais pensé qu'il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. Je nourrirai sans doute jusqu'au bout les mêmes passions embarrassantes parce que compliquées : l'amour, les livres, la politique. Jamais la politique ne l'a emporté. Jamais mes idées n'ont été les maîtresses de mes autres pentes. Jamais je n'ai pensé que l'éventualité d'un monde meilleur valait qu'on sacrifie un bon bouquin. Le monde est assez détestable et le serait d'autant plus qu'on n’y admettrait pas d'autres horizons que le sien. Je me suis parfois entendu à merveille avec des gens dont je réprouvais les idées, et des gens de mon camp peuvent tout à fait m'exaspérer. Pour finir, je crois qu'il faut craindre autant que le mal certains moyens que l'on met à favoriser l'avènement du bien. »
Rien de nouveau dans l’état de mes pieds, constate-t-elle après les examens habituels mais dans la fabrication de mes semelles orthopédiques, il lui faudra tenir compte du fait que désormais mes Docs sont pointure quarante-sept. C’est l’ultime.
Autre constat, que je fais seul, j’ai de plus en plus de mal à remettre mes chaussettes. A la maison, je les enfile assis sur mon lit ; comme un vieux quoi. Le rendez-vous pour la remise (comme elle dit) est déjà pris. Ce sera début février.
Je paie à la secrétaire une somme rondelette et peu remboursée par la Sécu et ma mutuelle puis redescends pédestrement jusqu’à chez moi.
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Pratique quand on trouve exprimé par un autre, Nicolas Mathieu en l’occurrence, ce que l’on pense de cette pétition visant à empêcher Sylvain Tesson d’être le parrain du Printemps des Poètes, je n’ai qu’à le citer :
« On ne parlera pas de cette sombre affaire Tesson en particulier. Ni des mobiles qui poussent des auteurs et des autrices à faire front commun non plus contre des idées mais contre un homme. Le SAV des prises de position est devenu un job à temps plein et ce temps qu'on y consacre semble de plus en plus vide. Un peu la flemme. Juste deux trois remarques. J'ai durant toute ma vie admiré le travail d'auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n'ai jamais pensé qu'il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. Je nourrirai sans doute jusqu'au bout les mêmes passions embarrassantes parce que compliquées : l'amour, les livres, la politique. Jamais la politique ne l'a emporté. Jamais mes idées n'ont été les maîtresses de mes autres pentes. Jamais je n'ai pensé que l'éventualité d'un monde meilleur valait qu'on sacrifie un bon bouquin. Le monde est assez détestable et le serait d'autant plus qu'on n’y admettrait pas d'autres horizons que le sien. Je me suis parfois entendu à merveille avec des gens dont je réprouvais les idées, et des gens de mon camp peuvent tout à fait m'exaspérer. Pour finir, je crois qu'il faut craindre autant que le mal certains moyens que l'on met à favoriser l'avènement du bien. »
23 janvier 2024
Quand il y a eu prescription, Daniel de Roulet a avoué être l’auteur, le cinq janvier mil neuf cent soixante-quinze, de l’incendie du chalet suisse du magnat de la presse allemande Axel Springer, ancien nazi. L’apprenant, j’ai songé à un acte dont je me suis rendu coupable à la même époque avec d’autres élèves-maitres de l’Ecole Normale d’Evreux résidant dans la pseudo communauté des Grands-Baux (commune des Baux-Sainte-Croix), un acte non pas prémédité comme le sien mais improvisé.
Je ne sais plus ce qu’on faisait dans la forêt. Peut-être cherchait-on des champignons. Nous découvrîmes une petite maison cachée parmi les arbres. En regardant par une fenêtre, nous vîmes que c’était un camp de base des Gaullistes de l’Udéherre (Union des Démocrates pour la République), des ancêtres de Les Républicains.
Après avoir forcé une porte, nous déchirâmes les nombreux tracts et affiches d’une campagne électorale en cours. L’un de nous ayant besoin de rideaux, nous décrochâmes ceux qui se trouvaient là. Peut-être avons-nous volé autre chose mais je n’en ai pas souvenir. Heureusement, aucun de nous n’eut l’idée de mettre le feu avant de repartir dans ma Méhari.
Ce n’est qu’au retour que je me suis dit que j’avais fait une belle connerie, ma voiture étant facilement identifiable. J’ai tremblé les jours qui ont suivi, surtout quand des Gendarmes vinrent sonner à la grille. Ils cherchaient quelqu’un, un nom qui nous était inconnu.
*
Des années plus tard, quand j’habitais le logement de fonction au-dessus de l’école du Bec-Hellouin, j’ai repensé aux conséquences fâcheuses qu’aurait pu avoir cette histoire en entendant un jour à la radio l’histoire d’un couple d’instituteurs qui s’étaient fait arrêter pour cambriolage. Ils avaient notamment volé des rideaux et les avaient installés à leurs fenêtres. Leur légitime propriétaire passant par là avait reconnu son bien.
Je me souviens m’être dit qu’ils auraient pu s’en tirer en déclarant avoir acheté ces rideaux dans un vide grenier.
Je ne sais plus ce qu’on faisait dans la forêt. Peut-être cherchait-on des champignons. Nous découvrîmes une petite maison cachée parmi les arbres. En regardant par une fenêtre, nous vîmes que c’était un camp de base des Gaullistes de l’Udéherre (Union des Démocrates pour la République), des ancêtres de Les Républicains.
Après avoir forcé une porte, nous déchirâmes les nombreux tracts et affiches d’une campagne électorale en cours. L’un de nous ayant besoin de rideaux, nous décrochâmes ceux qui se trouvaient là. Peut-être avons-nous volé autre chose mais je n’en ai pas souvenir. Heureusement, aucun de nous n’eut l’idée de mettre le feu avant de repartir dans ma Méhari.
Ce n’est qu’au retour que je me suis dit que j’avais fait une belle connerie, ma voiture étant facilement identifiable. J’ai tremblé les jours qui ont suivi, surtout quand des Gendarmes vinrent sonner à la grille. Ils cherchaient quelqu’un, un nom qui nous était inconnu.
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Des années plus tard, quand j’habitais le logement de fonction au-dessus de l’école du Bec-Hellouin, j’ai repensé aux conséquences fâcheuses qu’aurait pu avoir cette histoire en entendant un jour à la radio l’histoire d’un couple d’instituteurs qui s’étaient fait arrêter pour cambriolage. Ils avaient notamment volé des rideaux et les avaient installés à leurs fenêtres. Leur légitime propriétaire passant par là avait reconnu son bien.
Je me souviens m’être dit qu’ils auraient pu s’en tirer en déclarant avoir acheté ces rideaux dans un vide grenier.
22 janvier 2024
J’entends, à propos de la tenue unique voulue par Macron dans les écoles, que c’est le retour de l’uniforme. Jamais il n’y eut d’uniforme à l’école publique mais je me souviens qu’élève de l’école Anatole France de Louviers (en face de l’école catholique Saint-Louis) je portais la blouse.
Cette blouse était exigée pour préserver les autres vêtements des taches d’encre consécutives à l’usage du porte-plume. Il me semble que la mienne était bleue. Chez mes copains, qui étaient plus favorisés socialement (fils de prof, de gendarme, d’huissier, etc.), elles étaient de différentes couleurs. J’étais un enfant de pauvres mais ils m’accueillaient dans leur groupe parce que j’étais comme eux bon élève.
Il y avait aussi ceux qui en portaient des grises, non pas pauvres comme moi, mais miséreux. Ceux qu’on n’hésitait pas à qualifier de mauvais élèves. Comme les instituteurs rangeaient leurs élèves selon leur classement, toutes les blouses grises étaient au fond. C’est surtout eux que se faisaient tirer l’oreille ou taper sur les doigts avec une règle métallique par ces hommes de gauche. Nous bons élèves, les appelions les pouilleux.
Certains habitaient le bidonville de la Cité Pichou ou le bidonville du Becquet. Ce dernier se trouvait rue Saint-Jean dans la zone inondable où passe aujourd’hui l’autoroute Val-de-Reuil Evreux. Comme j’habitais à la sortie de la ville de ce côté-là, je passais chaque jour devant ces bicoques couvertes de tôles ondulées avec le car qui me menait à l’école.
Quand le jeudi j’allais, malgré moi, au catéchisme qui avait lieu en ville dans des usines de draperie (c’étaient les femmes de patron qui évangélisaient), je marchais le long de ce bidonville, pas rassuré.
Une fois, peut-être pendant la retraite obligée d’avant la communion, passant par là à pied avec des garçons de ma classe, nous fîmes face à un barrage des pouilleux. Ils étaient plus nombreux que nous et avaient pour ambition de nous racketter. Ce qu’ils firent tranquillement passant de l’un à l’autre. Quand ce fut mon tour, je n’avais à offrir que la pièce de vingt centimes donnée par mon père pour la quête de la messe. « Non, pas lui », dit alors le meneur des blouses grises.
Cette blouse était exigée pour préserver les autres vêtements des taches d’encre consécutives à l’usage du porte-plume. Il me semble que la mienne était bleue. Chez mes copains, qui étaient plus favorisés socialement (fils de prof, de gendarme, d’huissier, etc.), elles étaient de différentes couleurs. J’étais un enfant de pauvres mais ils m’accueillaient dans leur groupe parce que j’étais comme eux bon élève.
Il y avait aussi ceux qui en portaient des grises, non pas pauvres comme moi, mais miséreux. Ceux qu’on n’hésitait pas à qualifier de mauvais élèves. Comme les instituteurs rangeaient leurs élèves selon leur classement, toutes les blouses grises étaient au fond. C’est surtout eux que se faisaient tirer l’oreille ou taper sur les doigts avec une règle métallique par ces hommes de gauche. Nous bons élèves, les appelions les pouilleux.
Certains habitaient le bidonville de la Cité Pichou ou le bidonville du Becquet. Ce dernier se trouvait rue Saint-Jean dans la zone inondable où passe aujourd’hui l’autoroute Val-de-Reuil Evreux. Comme j’habitais à la sortie de la ville de ce côté-là, je passais chaque jour devant ces bicoques couvertes de tôles ondulées avec le car qui me menait à l’école.
Quand le jeudi j’allais, malgré moi, au catéchisme qui avait lieu en ville dans des usines de draperie (c’étaient les femmes de patron qui évangélisaient), je marchais le long de ce bidonville, pas rassuré.
Une fois, peut-être pendant la retraite obligée d’avant la communion, passant par là à pied avec des garçons de ma classe, nous fîmes face à un barrage des pouilleux. Ils étaient plus nombreux que nous et avaient pour ambition de nous racketter. Ce qu’ils firent tranquillement passant de l’un à l’autre. Quand ce fut mon tour, je n’avais à offrir que la pièce de vingt centimes donnée par mon père pour la quête de la messe. « Non, pas lui », dit alors le meneur des blouses grises.
20 janvier 2024
Une lecture qui m’a réjoui, celle de Voyages en zigzag de Rodolphe Toepffer, pédagogue, écrivain, précurseur de la bande dessinée et théoricien de l’Art Nouveau.
La dot de sa femme lui ayant permis d'ouvrir à Genève un pensionnat de jeunes garçons en majorité étrangers, c’est avec eux qu’il vadrouille dans les Alpes suisses, françaises et italiennes.
Monsieur Toepffer a du style et un humour pince-sans rire. Trois extraits pour en juger :
Elle met à notre disposition sa maison, fort simple à la vérité, mais cependant proprette et confortable ; puis elle s’en va porter le carnage et la mort dans son poulailler. Deux coqs vieillards ne sonneront plus la fanfare de l’aube.
Chemin faisant, Shall jette nonchalamment des pierres dans des directions quelconques, lorsqu’un faucheur se réveille tout exprès pour lui vociférer une apostrophe tonnante. Shall, occupé de nuages principalement, ne remarque, n’entend ni ne s’étonne, en sorte que toute la bordée porte bientôt sur M. Toepffer. « Si vous saviez votre métier, lui crie le faucheur, vous n’élèveriez pas des mosieux rien que pour leur enseigner à jeter des cailloux dans les regains… Dites voir ! quand j’aurai éreinté ma faux à faucher les cailloux de votre petit mosieu, c’est-il vous qui me la referez bien tant ? » etc., etc. Il y a dans la vie des moments désagréables pour l’instituteur, en voilà un, sans compter les autres.
Entre Martigny-la-Ville et Martigny-le-Bourg, on ne manque jamais de rencontrer des crétinisés à choix. Cette fois, ce sont deux particuliers qui ont réuni en commun leurs facultés aux fins de conduire une vache ; mais, en vérité, l’on dirait que c’est la vache qui les mène paître.
*
Ce qui montre que parfois je trouve des livres à mon goût dans les boîtes à livres. Celui-là me permet aussi de me revoir l’automne dernier à Chambéry :
On ne passe guère à Chambéry sans aller faire un pèlerinage aux Charmettes ; après déjeuner, nous en prenons le chemin. Ce chemin est un sentier solitaire qui court obliquement sur le penchant d’un coteau qu’ombragent d’antiques châtaigniers, et quelques fermes éparses, où l’on entend de loin mugir les vaches et les agneaux bêler, sont les seules habitations qu’on rencontre dans ce canton retiré. Après qu’on a suivi ce sentier pendant une demi-heure, on voit sur la droite une maisonnette délabrée… c’est la demeure de Rousseau.
La dot de sa femme lui ayant permis d'ouvrir à Genève un pensionnat de jeunes garçons en majorité étrangers, c’est avec eux qu’il vadrouille dans les Alpes suisses, françaises et italiennes.
Monsieur Toepffer a du style et un humour pince-sans rire. Trois extraits pour en juger :
Elle met à notre disposition sa maison, fort simple à la vérité, mais cependant proprette et confortable ; puis elle s’en va porter le carnage et la mort dans son poulailler. Deux coqs vieillards ne sonneront plus la fanfare de l’aube.
Chemin faisant, Shall jette nonchalamment des pierres dans des directions quelconques, lorsqu’un faucheur se réveille tout exprès pour lui vociférer une apostrophe tonnante. Shall, occupé de nuages principalement, ne remarque, n’entend ni ne s’étonne, en sorte que toute la bordée porte bientôt sur M. Toepffer. « Si vous saviez votre métier, lui crie le faucheur, vous n’élèveriez pas des mosieux rien que pour leur enseigner à jeter des cailloux dans les regains… Dites voir ! quand j’aurai éreinté ma faux à faucher les cailloux de votre petit mosieu, c’est-il vous qui me la referez bien tant ? » etc., etc. Il y a dans la vie des moments désagréables pour l’instituteur, en voilà un, sans compter les autres.
Entre Martigny-la-Ville et Martigny-le-Bourg, on ne manque jamais de rencontrer des crétinisés à choix. Cette fois, ce sont deux particuliers qui ont réuni en commun leurs facultés aux fins de conduire une vache ; mais, en vérité, l’on dirait que c’est la vache qui les mène paître.
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Ce qui montre que parfois je trouve des livres à mon goût dans les boîtes à livres. Celui-là me permet aussi de me revoir l’automne dernier à Chambéry :
On ne passe guère à Chambéry sans aller faire un pèlerinage aux Charmettes ; après déjeuner, nous en prenons le chemin. Ce chemin est un sentier solitaire qui court obliquement sur le penchant d’un coteau qu’ombragent d’antiques châtaigniers, et quelques fermes éparses, où l’on entend de loin mugir les vaches et les agneaux bêler, sont les seules habitations qu’on rencontre dans ce canton retiré. Après qu’on a suivi ce sentier pendant une demi-heure, on voit sur la droite une maisonnette délabrée… c’est la demeure de Rousseau.
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