Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
15 avril 2025
Le bus Quatre de huit heures cinq me conduit ce lundi gris à son terminus l’Hôtel de Ville de Puget-sur-Argens (L’Argens est le fleuve coulant entre le Massif des Maures et le Massif de l’Estérel).
Il ne pleut pas à mon arrivée dans ce petit bourg d’arrière-pays. Je ne mets guère de temps à le visiter en parcourant les quelques rues typiques avec climatiseurs sur les façades. Deux bâtiments remarquables : une jolie petite église en pierre et un élégant campanile. Entre les deux : le Grand Café de la Place. Il est hélas fermé. Rien ne peut me retenir ici.
Je monte dans le premier bus Quatre et en descends à l’arrêt Gare Routière de Fréjus. Je constate avec plaisir que les rues du centre sont piétonnières vingt-quatre heures sur vingt-quatre, fermées par de sévères bornes escamotables. Les gars de la ville terminent d’ôter les bottes de paille « 100 % Nature ». Un café est le bienvenu que je prends en terrasse au Bar Tabac du Marché situé au carrefour le plus animé et dont la serveuse est toujours aussi peu aimable.
Je lis là Lettres à Madame Hanska. Une femme tient à informer l’ensemble de la clientèle de ses grosses crises d’angoisse en téléphonant à son psychiatre de qui elle veut un rendez-vous en urgence « J’arrive pas à pas penser ». Le sentiment de l’abandon et de la solitude où je suis me poigne écrit Balzac le samedi premier octobre mil huit cent trente-six. La serveuse ne veut pas être en reste : « Avant j’étais une warrior mais maintenant avec l’âge que j’ai ». Je me demande qui va bien. Quand elle en a marre de me voir, cette serveuse enlève ma tasse vide. Il me reste le verre d’eau et ma mauvaise volonté à libérer la place.
Rien ne me convenant pour déjeuner dans ce centre ville, je décide de rejoindre Fréjus-Plage avec la navette A. Le soleil tente une percée quand je descends à l’arrêt République. Je longe la mer jusqu’au Kashmir pour déjeuner à volonté et ensuite dans l’autre sens jusqu’au Coq Hardi pour le café. Pas pour le prix dérisoire du noir breuvage qu’on y pratique mais parce que les serveurs sont beaucoup plus agréables que celui de l’après-midi au Café Kro. Ma voisine de table voit son billet de vingt euros refusé par le contrôle. « Il n’est peut-être pas faux mais il est vieux, c’est peut-être pour ça » lui dit le serveur. « Ça ne fait rien, dit-elle, je le passerai au marché dimanche, ils n’ont pas de machine. »
*
Balzac, le samedi premier octobre mil huit cent trente-six : Je perds parfois le sens de la verticalité, qui est dans le cervelet, même dans mon lit… C’est ce qu’on appelle une histoire à dormir debout.
Il ne pleut pas à mon arrivée dans ce petit bourg d’arrière-pays. Je ne mets guère de temps à le visiter en parcourant les quelques rues typiques avec climatiseurs sur les façades. Deux bâtiments remarquables : une jolie petite église en pierre et un élégant campanile. Entre les deux : le Grand Café de la Place. Il est hélas fermé. Rien ne peut me retenir ici.
Je monte dans le premier bus Quatre et en descends à l’arrêt Gare Routière de Fréjus. Je constate avec plaisir que les rues du centre sont piétonnières vingt-quatre heures sur vingt-quatre, fermées par de sévères bornes escamotables. Les gars de la ville terminent d’ôter les bottes de paille « 100 % Nature ». Un café est le bienvenu que je prends en terrasse au Bar Tabac du Marché situé au carrefour le plus animé et dont la serveuse est toujours aussi peu aimable.
Je lis là Lettres à Madame Hanska. Une femme tient à informer l’ensemble de la clientèle de ses grosses crises d’angoisse en téléphonant à son psychiatre de qui elle veut un rendez-vous en urgence « J’arrive pas à pas penser ». Le sentiment de l’abandon et de la solitude où je suis me poigne écrit Balzac le samedi premier octobre mil huit cent trente-six. La serveuse ne veut pas être en reste : « Avant j’étais une warrior mais maintenant avec l’âge que j’ai ». Je me demande qui va bien. Quand elle en a marre de me voir, cette serveuse enlève ma tasse vide. Il me reste le verre d’eau et ma mauvaise volonté à libérer la place.
Rien ne me convenant pour déjeuner dans ce centre ville, je décide de rejoindre Fréjus-Plage avec la navette A. Le soleil tente une percée quand je descends à l’arrêt République. Je longe la mer jusqu’au Kashmir pour déjeuner à volonté et ensuite dans l’autre sens jusqu’au Coq Hardi pour le café. Pas pour le prix dérisoire du noir breuvage qu’on y pratique mais parce que les serveurs sont beaucoup plus agréables que celui de l’après-midi au Café Kro. Ma voisine de table voit son billet de vingt euros refusé par le contrôle. « Il n’est peut-être pas faux mais il est vieux, c’est peut-être pour ça » lui dit le serveur. « Ça ne fait rien, dit-elle, je le passerai au marché dimanche, ils n’ont pas de machine. »
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Balzac, le samedi premier octobre mil huit cent trente-six : Je perds parfois le sens de la verticalité, qui est dans le cervelet, même dans mon lit… C’est ce qu’on appelle une histoire à dormir debout.
14 avril 2025
Je sors après qu’il a plu ce dimanche, vers sept heures vingt, et trouve la Boulangerie du Soleil démunie de pains au chocolat et de croissants. Cette boutique fait partie d’une chaîne régionale et ici une seule et même personne est au four et au magasin, d’où cette lacune. Un peu plus loin est la Maison Cochet « Saint Raphael depuis 1932 » qui ne manque ni de personnel, ni de pains au chocolat, mais où il est à un euro quatre-vingts.
Est-il meilleur que l’autre ? Non, me dis-je au Café Kro d’où j’observe l’installation du marché. Va-t-il repleuvoir ? Je n’en sais rien.
Cette incertitude ne m’empêche pas de longer la plage de Fréjus jusqu’à atteindre Port-Fréjus, une création des années Quatre-Vingt, de style marina les pieds dans l’eau, une succession de bassins à angle droit bordés de constructions privilégiant le balcon avec vue. Cela ne manque pas de charme et me donne d’autant plus à photographier que le soleil n’est pas un obstacle. De temps en temps, je croise une coureuse. Une équipe de plongeurs part en mer. Un pont vénitien marque l’extrémité d’un canal à l’autre bout duquel la vieille ville de Fréjus se fait voir sur sa butte. On y trouve deux bateaux de jouteurs plus sommaires que ceux des Sétois. Arrivé au bout de ce Port-Fréjus, je distingue au loin parmi les nuages le Massif des Maures.
Je reviens sur mes pas et au marché. Le Coq Hardi m’offre une place en terrasse sous son auvent. Un euro trente, tel est le prix étonnant du café dans ce vaste établissement de bord de mer. A la table voisine, des gars du pays sont formels « A dix heures, il pleut ». Ce n’est pas le cas mais les gars du pays ne sont plus là pour le constater. Je lis Balzac un bon moment. Un serveur du Coq Hardi interpelle son collègue : « Ouah, qui c’est qui passe l’aspirateur ? » « C’est la voisine. » « Dis-lui qu’elle achète un aspirateur Tesla, qui fait pas de bruit. » La voisine, c’est la Moule Joyeuse.
Moules gratinées, filets de rouget à la provençale, glace rhum raisin et pistache chocolat, La Bocca propose son menu à vingt-quatre euros quatre-vingt-dix même le dimanche. Les familles se succèdent à l’entrée du restaurant, dont l’une où tous les membres se lavent les mains avec du gel hydro-alcoolique avant de commencer leur repas.
Sitôt le mien terminé, je marche sous une petite pluie jusqu’au Coq Hardi. Tandis que le marché se termine, je m’installe à l’intérieur, sous la véranda, pour mon café verre d’eau lecture.
*
Sur la plage de Fréjus, un monument aux morts « A l’Armée Noire » avec sur son socle ceci (qui porte à discussion) :
« Passant,
ils sont tombés fraternellement unis
pour que tu restes Français.
Léopold Sedar Senghor. »
*
Quelques-uns se promènent avec une branche à la main. « Ah oui, c’est les Rameaux », disent d’autres.
Souvenir de mon père, en équilibre instable sur une chaise, changeant le branchage derrière tous les crucifix de la maison. Il y en avait un dans chaque pièce.
Est-il meilleur que l’autre ? Non, me dis-je au Café Kro d’où j’observe l’installation du marché. Va-t-il repleuvoir ? Je n’en sais rien.
Cette incertitude ne m’empêche pas de longer la plage de Fréjus jusqu’à atteindre Port-Fréjus, une création des années Quatre-Vingt, de style marina les pieds dans l’eau, une succession de bassins à angle droit bordés de constructions privilégiant le balcon avec vue. Cela ne manque pas de charme et me donne d’autant plus à photographier que le soleil n’est pas un obstacle. De temps en temps, je croise une coureuse. Une équipe de plongeurs part en mer. Un pont vénitien marque l’extrémité d’un canal à l’autre bout duquel la vieille ville de Fréjus se fait voir sur sa butte. On y trouve deux bateaux de jouteurs plus sommaires que ceux des Sétois. Arrivé au bout de ce Port-Fréjus, je distingue au loin parmi les nuages le Massif des Maures.
Je reviens sur mes pas et au marché. Le Coq Hardi m’offre une place en terrasse sous son auvent. Un euro trente, tel est le prix étonnant du café dans ce vaste établissement de bord de mer. A la table voisine, des gars du pays sont formels « A dix heures, il pleut ». Ce n’est pas le cas mais les gars du pays ne sont plus là pour le constater. Je lis Balzac un bon moment. Un serveur du Coq Hardi interpelle son collègue : « Ouah, qui c’est qui passe l’aspirateur ? » « C’est la voisine. » « Dis-lui qu’elle achète un aspirateur Tesla, qui fait pas de bruit. » La voisine, c’est la Moule Joyeuse.
Moules gratinées, filets de rouget à la provençale, glace rhum raisin et pistache chocolat, La Bocca propose son menu à vingt-quatre euros quatre-vingt-dix même le dimanche. Les familles se succèdent à l’entrée du restaurant, dont l’une où tous les membres se lavent les mains avec du gel hydro-alcoolique avant de commencer leur repas.
Sitôt le mien terminé, je marche sous une petite pluie jusqu’au Coq Hardi. Tandis que le marché se termine, je m’installe à l’intérieur, sous la véranda, pour mon café verre d’eau lecture.
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Sur la plage de Fréjus, un monument aux morts « A l’Armée Noire » avec sur son socle ceci (qui porte à discussion) :
« Passant,
ils sont tombés fraternellement unis
pour que tu restes Français.
Léopold Sedar Senghor. »
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Quelques-uns se promènent avec une branche à la main. « Ah oui, c’est les Rameaux », disent d’autres.
Souvenir de mon père, en équilibre instable sur une chaise, changeant le branchage derrière tous les crucifix de la maison. Il y en avait un dans chaque pièce.
13 avril 2025
La chose à faire ce samedi avant de quitter mon logis Air Bibi, c’est de décrocher de la patère mon vêtement de pluie pour le fourrer dans mon sac à dos. Le ciel est gris foncé quand je longe le Vieux-Port avec en point de mire les néons du Café Kro.
Quand c’est la serveuse, il ouvre bien à sept heures. Je connais ses jours de travail. Un client en terrasse et moi à l’intérieur, elle n’est pas débordée mais elle doit aussi faire le ménage.
Ce samedi, malgré la pluie plus ou moins annoncée, je monte dans le bus Quatorze. Il m’emmène à la Gare Routière de Fréjus. Je découvre qu’ici c’est jour de fête avec l’opération « Fréjus 100 % Nature », une foire commerciale avec des plantes, des fleurs, des moutons, des ânes et des animations pour les petits et pour les grands. Au moins, cette fête au village débarrasse-t-elle le centre-ville des voitures.
Fréjus s’avère plus belle que je ne le pensais. Je fais le tour de la vieille ville aux maisons colorées, passe devant le Théâtre de Poche, contourne la Cathédrale et son Palais Archiépiscopal en travaux, suis la flèche vers les Arènes. Celles-ci trouvées, je n’en vois que l’extérieur car l’entrée est payante. Près d’elles est le beau bâtiment d’une ancienne coopérative vinicole. Dégradé, il est promis à la démolition. Je la photographie avant sa disparition.
Remonté dans la vieille ville sous un petit soleil timide, je m’offre un café à un euro soixante en terrasse au Bar Tabac du Marché. Il m’est servi par une femme mal aimable à souite Mickey que je soupçonne être de ceux qui ont mis à la tête de cette commune un Maire Rassemblement National. Passent à pied des membres de la Brigade Environnementale.
Dix heures dix, c’est le moment où déboule la foule. Il est temps de déguerpir. Le bus Un a pour terminus la Gare Routière de Saint-Raphaël. J’en descends à l’arrêt République sur la Plage de Fréjus, à hauteur de mon banc préféré. J’y lis Lettres à Madame Hanska. La vie aura été pour moi la plus douloureuse des plaisanteries, écrit Balzac à son Ukrainienne le mercredi vingt-trois mars mil huit cent trente. Et quand je vois que ce qu’il me reste à parcourir de la vie est la moitié la moins heureuse, la moins active, la moins aimée, la moins aimable, je ne suis pas exempt d’une mélancolie qui a des larmes, ajoute-t-il le lendemain. Peu avant midi, des tracteurs anciens surgissent, fumant et pétaradant, de belles bêtes mécaniques « 100 % Nature ». Certains sont surmontés d’un drapeau tricolore « On est chez nous ».
Pour déjeuner, je retourne à La Bocca qui a la même direction, je pense, que le Café Kro. Je prends la même entrée, la même pizza, le même dessert, à la même table que l’autre fois. Un groupe de cinq commande une bouteille de champagne. Il y a sans doute quelque chose à fêter, mais ils le cachent bien.
Mon café verre d’eau lecture, c’est à côté et à l’intérieur. Pas une goutte d’eau n’est tombée lorsque je rentre à mon logement provisoire.
*
A Fréjus aussi, vues depuis les cars Zou !, des ruines romaines, une salle d’« escrime moderne et théâtrale » et un temple bouddhique, la Pagode Hong-Hien.
Il existe aussi une Mosquée Soudanaise et une Chapelle Cocteau, pas vues car excentrées.
*
Fréjus est pour toujours associée à l’un de mes traumatismes d’enfance : la rupture du Barrage de Malpasset (quatre cents vingt-trois morts). C’était en mil neuf cent cinquante-neuf. J’avais huit ans. Je m’en souviens parfaitement. La radio diffusait les informations à chaque repas familial et comme il était interdit de parler à table…
Autre traumatisme d’enfance à la même époque : le tremblement de terre d’Agadir.
Quand c’est la serveuse, il ouvre bien à sept heures. Je connais ses jours de travail. Un client en terrasse et moi à l’intérieur, elle n’est pas débordée mais elle doit aussi faire le ménage.
Ce samedi, malgré la pluie plus ou moins annoncée, je monte dans le bus Quatorze. Il m’emmène à la Gare Routière de Fréjus. Je découvre qu’ici c’est jour de fête avec l’opération « Fréjus 100 % Nature », une foire commerciale avec des plantes, des fleurs, des moutons, des ânes et des animations pour les petits et pour les grands. Au moins, cette fête au village débarrasse-t-elle le centre-ville des voitures.
Fréjus s’avère plus belle que je ne le pensais. Je fais le tour de la vieille ville aux maisons colorées, passe devant le Théâtre de Poche, contourne la Cathédrale et son Palais Archiépiscopal en travaux, suis la flèche vers les Arènes. Celles-ci trouvées, je n’en vois que l’extérieur car l’entrée est payante. Près d’elles est le beau bâtiment d’une ancienne coopérative vinicole. Dégradé, il est promis à la démolition. Je la photographie avant sa disparition.
Remonté dans la vieille ville sous un petit soleil timide, je m’offre un café à un euro soixante en terrasse au Bar Tabac du Marché. Il m’est servi par une femme mal aimable à souite Mickey que je soupçonne être de ceux qui ont mis à la tête de cette commune un Maire Rassemblement National. Passent à pied des membres de la Brigade Environnementale.
Dix heures dix, c’est le moment où déboule la foule. Il est temps de déguerpir. Le bus Un a pour terminus la Gare Routière de Saint-Raphaël. J’en descends à l’arrêt République sur la Plage de Fréjus, à hauteur de mon banc préféré. J’y lis Lettres à Madame Hanska. La vie aura été pour moi la plus douloureuse des plaisanteries, écrit Balzac à son Ukrainienne le mercredi vingt-trois mars mil huit cent trente. Et quand je vois que ce qu’il me reste à parcourir de la vie est la moitié la moins heureuse, la moins active, la moins aimée, la moins aimable, je ne suis pas exempt d’une mélancolie qui a des larmes, ajoute-t-il le lendemain. Peu avant midi, des tracteurs anciens surgissent, fumant et pétaradant, de belles bêtes mécaniques « 100 % Nature ». Certains sont surmontés d’un drapeau tricolore « On est chez nous ».
Pour déjeuner, je retourne à La Bocca qui a la même direction, je pense, que le Café Kro. Je prends la même entrée, la même pizza, le même dessert, à la même table que l’autre fois. Un groupe de cinq commande une bouteille de champagne. Il y a sans doute quelque chose à fêter, mais ils le cachent bien.
Mon café verre d’eau lecture, c’est à côté et à l’intérieur. Pas une goutte d’eau n’est tombée lorsque je rentre à mon logement provisoire.
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A Fréjus aussi, vues depuis les cars Zou !, des ruines romaines, une salle d’« escrime moderne et théâtrale » et un temple bouddhique, la Pagode Hong-Hien.
Il existe aussi une Mosquée Soudanaise et une Chapelle Cocteau, pas vues car excentrées.
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Fréjus est pour toujours associée à l’un de mes traumatismes d’enfance : la rupture du Barrage de Malpasset (quatre cents vingt-trois morts). C’était en mil neuf cent cinquante-neuf. J’avais huit ans. Je m’en souviens parfaitement. La radio diffusait les informations à chaque repas familial et comme il était interdit de parler à table…
Autre traumatisme d’enfance à la même époque : le tremblement de terre d’Agadir.
12 avril 2025
Pour la dernière belle journée avant la dégradation annoncée, je prends ce vendredi à la Gare Routière le premier bus Vingt et Un, celui de huit heures dix-huit, et en descends après le Port Santa Lucia à l’arrêt Le Fournas.
Pour rejoindre pédestrement le bord de mer à hauteur des îlots Lion de Terre et Lion de Mer, il y a l’allée de la Pointe des Moines. Elle est fermée par une barrière. Nous sommes ici à l’entrée d’un quartier fermé, sérieusement gardé par des caméras, une « gated community » (comme on dit en Amérique). Une étroite ouverture latérale permet aux piétons d’entrer (on ne peut le leur interdire).
Je me balade parmi les villas au-dessus des deux ilots et, par des passages discrets, descends dans les calanques mais je ne peux suivre le Sentier du Littoral. Ses escaliers usés et ses rochers escarpés en font un endroit dangereux pour moi.
A la sortie de ce quartier privé, je retrouve le chemin de la Batterie. Il mène au Port Santa Lucia. Avant d’y descendre, je photographie le Lion de Mer visible au loin derrière les bateaux de plaisance, puis direction le Lion Rouge.
J’y bois un café tandis que derrière moi un riche conseille un autre riche qui va faire construire : « Une grande piscine comme la mienne, ce n’est pas la peine. Si c’était à refaire, je ne choisirais pas onze mètres mais cinq. En fait, tu ne nages jamais dans ta piscine. C’est plus pour boire l’apéro. »
Je reviens avec la navette Cé qui me met à la Gare Ferroviaire d’où je passe à l’Office de Tourisme. Maria a une nouvelle fois du mal à satisfaire mon désir, l’horaire du car Zou ! numéro Huit Cent Soixante-Dix-Sept. Marieke vient à son secours et m’explique que c’est le site Zou ! qui est compliqué. Je le sais pour avoir tenté de l’utiliser. En revanche, celui des bus Estérel Côte d’Azur est d’une parfaite simplicité.
A midi, je mange non loin de là, à La Brocherie, moules farcies au beurre d’escargot et stèque de thon (hélas trop cuit à mon goût). A ma droite, le Vieux Port. A ma gauche, un vieux couple. Elle porte un ticheurte marqué Rock Star. Une fois le menu choisi, ils ne savent parler que d’autres et d’ailleurs : « Tu l’as vu sa story de quand elle était à Nice ? ».
Direction le Café Kro où je lis Balzac sans lunettes. Depuis mon arrivée à Saint-Raphaël, je me suis aperçu qu’avec la lumière, je peux m’en passer en terrasse. Elles restent donc dans mon deux-pièces Air Bibi, tenant compagnie à mon smartphone que je n’utilise que pour dicter mes textes. Derrière moi, un homme qui veut se faire bien voir par sa nouvelle compagne, mère d’un branlotin, interroge le sien de téléphone : « Donner une culture systématique à un jeune de quinze ans, les films qu’il faut avoir vus ». Lui-même doit manquer de « culture systématique » pour être obligé de se faire aider par l’intelligence artificielle. « Les enfants, c’est la seule chose qui aide. Quoi qui se passe … c’est à nous. », conclut-il.
*
Une des villas de l’allée de la Pointe des Moines se nomme La Perdriole (de quoi me croire chez moi).
*
Le sujet de conversation du jour à Saint-Raphaël : ce vendredi est le dernier jour du beau temps. Après, trois jours de pluie ! Dimanche, le déluge !
Je demande à voir (comme on disait).
Pour rejoindre pédestrement le bord de mer à hauteur des îlots Lion de Terre et Lion de Mer, il y a l’allée de la Pointe des Moines. Elle est fermée par une barrière. Nous sommes ici à l’entrée d’un quartier fermé, sérieusement gardé par des caméras, une « gated community » (comme on dit en Amérique). Une étroite ouverture latérale permet aux piétons d’entrer (on ne peut le leur interdire).
Je me balade parmi les villas au-dessus des deux ilots et, par des passages discrets, descends dans les calanques mais je ne peux suivre le Sentier du Littoral. Ses escaliers usés et ses rochers escarpés en font un endroit dangereux pour moi.
A la sortie de ce quartier privé, je retrouve le chemin de la Batterie. Il mène au Port Santa Lucia. Avant d’y descendre, je photographie le Lion de Mer visible au loin derrière les bateaux de plaisance, puis direction le Lion Rouge.
J’y bois un café tandis que derrière moi un riche conseille un autre riche qui va faire construire : « Une grande piscine comme la mienne, ce n’est pas la peine. Si c’était à refaire, je ne choisirais pas onze mètres mais cinq. En fait, tu ne nages jamais dans ta piscine. C’est plus pour boire l’apéro. »
Je reviens avec la navette Cé qui me met à la Gare Ferroviaire d’où je passe à l’Office de Tourisme. Maria a une nouvelle fois du mal à satisfaire mon désir, l’horaire du car Zou ! numéro Huit Cent Soixante-Dix-Sept. Marieke vient à son secours et m’explique que c’est le site Zou ! qui est compliqué. Je le sais pour avoir tenté de l’utiliser. En revanche, celui des bus Estérel Côte d’Azur est d’une parfaite simplicité.
A midi, je mange non loin de là, à La Brocherie, moules farcies au beurre d’escargot et stèque de thon (hélas trop cuit à mon goût). A ma droite, le Vieux Port. A ma gauche, un vieux couple. Elle porte un ticheurte marqué Rock Star. Une fois le menu choisi, ils ne savent parler que d’autres et d’ailleurs : « Tu l’as vu sa story de quand elle était à Nice ? ».
Direction le Café Kro où je lis Balzac sans lunettes. Depuis mon arrivée à Saint-Raphaël, je me suis aperçu qu’avec la lumière, je peux m’en passer en terrasse. Elles restent donc dans mon deux-pièces Air Bibi, tenant compagnie à mon smartphone que je n’utilise que pour dicter mes textes. Derrière moi, un homme qui veut se faire bien voir par sa nouvelle compagne, mère d’un branlotin, interroge le sien de téléphone : « Donner une culture systématique à un jeune de quinze ans, les films qu’il faut avoir vus ». Lui-même doit manquer de « culture systématique » pour être obligé de se faire aider par l’intelligence artificielle. « Les enfants, c’est la seule chose qui aide. Quoi qui se passe … c’est à nous. », conclut-il.
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Une des villas de l’allée de la Pointe des Moines se nomme La Perdriole (de quoi me croire chez moi).
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Le sujet de conversation du jour à Saint-Raphaël : ce vendredi est le dernier jour du beau temps. Après, trois jours de pluie ! Dimanche, le déluge !
Je demande à voir (comme on disait).
11 avril 2025
Dès sept heures, les gars de la ville prennent un p’tit café croissant à la Boulangerie du Soleil avant de se mettre au boulot. Je suis le client suivant. Muni de mon pain au chocolat, je rejoins ce jeudi, en dix minutes, le Café Kro dont la serveuse sait que pour moi le matin, c’est un allongé.
Mon objectif du jour est le village perché de Fayence où va le car Zou ! numéro Huit Cent Trente-Sept, une heure seize de voyage.
Je suis seul avec le chauffeur au départ de la Gare Routière à huit heures et demie. Après une fastidieuse traversée de Fréjus, nous grimpons dans une montagne boisée, passons Bagnols-en-Forêt, joli bourg, puis Saint-Paul-en-Forêt, dont je vois peu, enfin apparaît Fayence, accrochée au coteau. Personne n’est monté en chemin. Je suis toujours seul avec le chauffeur quand il s’attaque à la dernière montée. Par bonheur, le car Zou ! va jusqu’au centre. Il a pour terminus la place Roux. L’Office du Tourisme est près de l’arrêt. J’y entre pour un plan du bourg.
La visite est fléchée mais je suis incapable d’obéir à cette directive. C’est donc dans le désordre que je découvre ce qu’il y a à voir, notamment le Porche de l’Hôtel-de-Ville, sous lequel je suis passé avec le car, et la Tour de l’Horloge, au pied de laquelle est une table d’orientation qui permet de comprendre le panorama.
Les belles rues pavées en escaliers de Fayence m’épuisent. La devise de la ville est « Tu vas vite comprendre ». Un peu avant onze heures, je trouve refuge à la terrasse du Bar des Campagnes sur le parvis de l’église Saint-Jean Baptiste, où un marché donne un peu de vie au pays. Bien que les populations locale et vacancière préfèrent, plutôt que s’agiter, faire comme moi : glander au soleil. Une femme fait du crochet. Une autre parle de prendre des cours de cuisine. Des hommes picolent. Je sors Balzac de mon sac. Etonnamment, le café ne coûte ici qu’un euro cinquante.
Un peu avant midi, je cherche un restaurant. A L’Entracte, le plat du jour me plaît bien : souris d’agneau, oui mais à trente euros. Un peu plus haut, dans une rue pentue, La Strega propose un plat dessert à dix-neuf euros cinquante. Je prends place à une petite table de sa terrasse et choisis le burgueur frites salade et la tarte au citron. Tout cela est bien bon.
A treize heures, je retourne au Bar des Campagnes pour le café. J’ai pour voisinage un essaim de jeunes Espagnoles et un trio de jeunes Allemandes dont l’une toute rose (jusqu’à ses lunettes en forme de cœur) et pour spectacle le démontage des commerces ambulants du marché. Les affaires n’ont pas été bonnes pour la vendeuse de vêtements mais, dit-elle, je ne regrette pas d’être venue, c’est mieux que rester à la maison.
Il me suffit de contourner l’église pour rejoindre le point de départ du car Zou ! de quatorze heures, direction Saint-Raphaël. Cette fois, nous sommes une dizaine avec le chauffeur et le retour me paraît beaucoup plus long que l’aller.
*
Marguerite Yourcenar séjourna à Fayence après la publication des Mémoires d’Hadrien dans une maison prêtée par son ami A. Everett Austin où elle reçut à son tour des amis, notamment Natalie Clifford Barney. C’est là qu’elle rédigea la première version de son essai sur Thomas Mann.
*
J’aurais aussi aimé aller à Callian, village voisin de Seillans et Fayence, mais les cars Zou ! s’arrêtent trop loin de son centre. C’est surtout le cimetière qui m’attirait. Il est bien fréquenté : Christian Dior, Sœur Emmanuelle, Nadia Léger.
Mon objectif du jour est le village perché de Fayence où va le car Zou ! numéro Huit Cent Trente-Sept, une heure seize de voyage.
Je suis seul avec le chauffeur au départ de la Gare Routière à huit heures et demie. Après une fastidieuse traversée de Fréjus, nous grimpons dans une montagne boisée, passons Bagnols-en-Forêt, joli bourg, puis Saint-Paul-en-Forêt, dont je vois peu, enfin apparaît Fayence, accrochée au coteau. Personne n’est monté en chemin. Je suis toujours seul avec le chauffeur quand il s’attaque à la dernière montée. Par bonheur, le car Zou ! va jusqu’au centre. Il a pour terminus la place Roux. L’Office du Tourisme est près de l’arrêt. J’y entre pour un plan du bourg.
La visite est fléchée mais je suis incapable d’obéir à cette directive. C’est donc dans le désordre que je découvre ce qu’il y a à voir, notamment le Porche de l’Hôtel-de-Ville, sous lequel je suis passé avec le car, et la Tour de l’Horloge, au pied de laquelle est une table d’orientation qui permet de comprendre le panorama.
Les belles rues pavées en escaliers de Fayence m’épuisent. La devise de la ville est « Tu vas vite comprendre ». Un peu avant onze heures, je trouve refuge à la terrasse du Bar des Campagnes sur le parvis de l’église Saint-Jean Baptiste, où un marché donne un peu de vie au pays. Bien que les populations locale et vacancière préfèrent, plutôt que s’agiter, faire comme moi : glander au soleil. Une femme fait du crochet. Une autre parle de prendre des cours de cuisine. Des hommes picolent. Je sors Balzac de mon sac. Etonnamment, le café ne coûte ici qu’un euro cinquante.
Un peu avant midi, je cherche un restaurant. A L’Entracte, le plat du jour me plaît bien : souris d’agneau, oui mais à trente euros. Un peu plus haut, dans une rue pentue, La Strega propose un plat dessert à dix-neuf euros cinquante. Je prends place à une petite table de sa terrasse et choisis le burgueur frites salade et la tarte au citron. Tout cela est bien bon.
A treize heures, je retourne au Bar des Campagnes pour le café. J’ai pour voisinage un essaim de jeunes Espagnoles et un trio de jeunes Allemandes dont l’une toute rose (jusqu’à ses lunettes en forme de cœur) et pour spectacle le démontage des commerces ambulants du marché. Les affaires n’ont pas été bonnes pour la vendeuse de vêtements mais, dit-elle, je ne regrette pas d’être venue, c’est mieux que rester à la maison.
Il me suffit de contourner l’église pour rejoindre le point de départ du car Zou ! de quatorze heures, direction Saint-Raphaël. Cette fois, nous sommes une dizaine avec le chauffeur et le retour me paraît beaucoup plus long que l’aller.
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Marguerite Yourcenar séjourna à Fayence après la publication des Mémoires d’Hadrien dans une maison prêtée par son ami A. Everett Austin où elle reçut à son tour des amis, notamment Natalie Clifford Barney. C’est là qu’elle rédigea la première version de son essai sur Thomas Mann.
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J’aurais aussi aimé aller à Callian, village voisin de Seillans et Fayence, mais les cars Zou ! s’arrêtent trop loin de son centre. C’est surtout le cimetière qui m’attirait. Il est bien fréquenté : Christian Dior, Sœur Emmanuelle, Nadia Léger.
10 avril 2025
Au Café Kro ce mercredi matin on se plaint des vacanciers qui laissent traîner des bouteilles dans la rue. Ils s’installent aux tables du bar la nuit et laissent tout en bazar. « Pas tous heureusement », ajoute la serveuse qui se doute bien que j’en suis un. Ce qui m’étonne, c’est que toutes les terrasses de la ville soient laissées non attachées à la fermeture sans que soient volées tables ou chaises. Ce n’est pas à Rouen qu’on pourrait se permettre ça. Quand même une fois, on a retrouvé une chaise sur la plage.
J’attends dans cet estaminet le premier bus Vingt-Trois. L’arrêt des Sablettes est à cent mètres. Aujourd’hui, je vise Les Issambres, un quartier de bord de mer de la commune de Roquebrune-sur-Argens, entre Fréjus et Sainte-Maxime.
Je descends à l’arrêt Port des Issambres. Cet endroit n’a rien de remarquable. Aussi, je reviens sur les pas du bus (si je puis dire). J’arrive à Saint-Peïre, une sorte de « village » à boutiques pour touristes et poursuis jusqu’au Parc des Issambres, un semblant de jardin en bord de mer. Le chemin du littoral étant trop dangereux pour moi, j’en reste là. J’attends le bus Vingt-Trois pour Saint-Raphaël.
Six retraitées marcheuses à bâtons aux physiques identiques y sont déjà. Elles se racontent des histoires « d’il y a quarante ans à peu près ». Je descends à l’arrêt La Galiote où se trouvent en bord de plage des restaurants bien chers.
Une table est pour moi sur la terrasse de L’Iceberg qui domine la plage. A droite, le Port de Saint-Aygulf. En face, la Chaîne de l’Estérel et au bout le Cap Dramont. Au pied de cette montagne, Saint-Raphaël (grâce à mes nouveaux yeux, je vois parfaitement la Basilique et la Grande Roue). Je bois un café à deux euros dix puis rouvre mon livre. Balzac s’est singulièrement assagi. Trouvez ici l’expression du plus sincère et du plus respectueux des attachements. écrit-il à Madame Hanska. Deux femmes sont à l’autre bout de cette terrasse surélevée. L’une évoque sa descendance : « Comme mon fils il est bête, il est con, il s’est mis avec cette fille qui n’en a que pour ses amis à elle. Pas sûr qu’ils fassent des petits ensemble. » Quatre ouvriers les remplacent, qui savent nommer les sommets en face, le Mont Vinaigre, le Pic de l’Ours.
A midi moins trois, je reprends un bus Vingt-Trois qui me ramène aux Sablettes. Je traverse la deux fois deux voies et m’installe à la terrasse du Vach’ et Moi. A sa formule ce midi : œufs mimosa et entrecôte frites salade. Mon déjeuner terminé, sous un soleil légèrement voilé, je rejoins le Café Kro. « Le monsieur, il écrit tout le temps, me dit la serveuse en m’apportant le café verre d’eau. Vous êtes écrivain ? » « Je prends des notes sur mes vacances », lui réponds-je prudemment.
*
Début de panique à Saint-Raphaël : « En raison de la pluie annoncée dimanche, la Sardinade est reportée le vingt-sept avril. »
J’attends dans cet estaminet le premier bus Vingt-Trois. L’arrêt des Sablettes est à cent mètres. Aujourd’hui, je vise Les Issambres, un quartier de bord de mer de la commune de Roquebrune-sur-Argens, entre Fréjus et Sainte-Maxime.
Je descends à l’arrêt Port des Issambres. Cet endroit n’a rien de remarquable. Aussi, je reviens sur les pas du bus (si je puis dire). J’arrive à Saint-Peïre, une sorte de « village » à boutiques pour touristes et poursuis jusqu’au Parc des Issambres, un semblant de jardin en bord de mer. Le chemin du littoral étant trop dangereux pour moi, j’en reste là. J’attends le bus Vingt-Trois pour Saint-Raphaël.
Six retraitées marcheuses à bâtons aux physiques identiques y sont déjà. Elles se racontent des histoires « d’il y a quarante ans à peu près ». Je descends à l’arrêt La Galiote où se trouvent en bord de plage des restaurants bien chers.
Une table est pour moi sur la terrasse de L’Iceberg qui domine la plage. A droite, le Port de Saint-Aygulf. En face, la Chaîne de l’Estérel et au bout le Cap Dramont. Au pied de cette montagne, Saint-Raphaël (grâce à mes nouveaux yeux, je vois parfaitement la Basilique et la Grande Roue). Je bois un café à deux euros dix puis rouvre mon livre. Balzac s’est singulièrement assagi. Trouvez ici l’expression du plus sincère et du plus respectueux des attachements. écrit-il à Madame Hanska. Deux femmes sont à l’autre bout de cette terrasse surélevée. L’une évoque sa descendance : « Comme mon fils il est bête, il est con, il s’est mis avec cette fille qui n’en a que pour ses amis à elle. Pas sûr qu’ils fassent des petits ensemble. » Quatre ouvriers les remplacent, qui savent nommer les sommets en face, le Mont Vinaigre, le Pic de l’Ours.
A midi moins trois, je reprends un bus Vingt-Trois qui me ramène aux Sablettes. Je traverse la deux fois deux voies et m’installe à la terrasse du Vach’ et Moi. A sa formule ce midi : œufs mimosa et entrecôte frites salade. Mon déjeuner terminé, sous un soleil légèrement voilé, je rejoins le Café Kro. « Le monsieur, il écrit tout le temps, me dit la serveuse en m’apportant le café verre d’eau. Vous êtes écrivain ? » « Je prends des notes sur mes vacances », lui réponds-je prudemment.
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Début de panique à Saint-Raphaël : « En raison de la pluie annoncée dimanche, la Sardinade est reportée le vingt-sept avril. »
9 avril 2025
Le premier car Zou ! numéro Huit Cent Trente-Six qui grimpe dans l’arrière-pays avec pour terminus Seillans « un des plus beaux villages de France » ne quitte la Gare Routière qu’à neuf heures. Cela me donne largement le temps d’aller petit-déjeuner à Fréjus au Café Kro. Je regarde l’un des rares bateaux de pêche du Vieux-Port partir en mer. Le ciel est gris. « Il fait meilleur à Paris », commente l’un. « Pas maintenant, répond un autre, il y a le feu au dépôt d’ordures à côté du Tribunal. »
Dans le car Zou ! trois filles rentrent chez elles après une nuit de fête à Saint-Raphaël. Un jeune homme descend à l’Hôpital de Fréjus. Nous sommes bientôt dans le Massif de l’Esterel, un bout d’autoroute jusqu’à la sortie Fayence, Montauroux, une superbe vue sur le lac de Saint-Cassien, ça monte, ça tourne, ça redescend, Callian, vue sur un village perché, ça remonte, Tourrettes, Fayence (c’était lui le village perché), changement de conducteur, arrivée devant l’Ecole de Seillans (autre village perché). Les trois filles se réveillent, elles vont aller se coucher.
Je suis content qu’il fasse couvert car ce ne sont que ruelles en pente et je déteste suer. Ce beau village en pierre est agrémenté de placettes avec fontaine, d’une porte sarrasine, d’une église Saint Léger, de multiples chats. Aucun autochtone n’est dehors. Comme autres touristes, un couple de femmes. Une difficulté : trouver Le Génie de la Bastille de Max Ernst. Un ouvrier m’indique la direction. Une habitante à sa fenêtre m’apprend que c’est sur le parquigne. Enfin, une promeneuse de chien sur cette place à voitures me dit : « C’est peut-être ça, là-bas, près des toilettes ». En effet. Ce mât totémique signé Max Ernst doit faire honte aux habitants pour qu’ils l’aient mis ici. C’est une œuvre qui a été offerte à la commune par Dorothea Tanning, sa dernière épouse. Max Ernst et Dorothea Tanning ont habité Seillans pendant douze ans jusqu’à la mort du premier.
Je photographie ce Génie de la Bastille, redescends dans le village et m’arrête au Charlot pour un café verre d’eau à deux euros, en terrasse prés d’une fontaine et d’un lavoir sans eau. Ce restaurant ne propose pas de plat à moins de vingt euros, de même que son concurrent, La Gloire de Mon Père. Je continue donc jusqu’à la supérette Huit à Huit et me procure des sandouiches triangle et une banane.
Encore plus bas est la chapelle Notre-Dame de Lormeau devant laquelle j’arrive quand midi carillonne à l’église d’en haut. Assis sur un muret, je déjeune on ne peut plus tranquillement. Notre-Dame de Lormeau est un édifice cistercien provençal qui possède un magnifique retable baroque Renaissance que je ne peux voir car c’est fermé.
Remonté au bourg à treize heures, je m’offre un café verre d’eau et lit Balzac au Charlot. Deux pré-branlotins y mangent une glace hors de prix pistache chantilly que l’un paie avec la carte bancaire de son père. Un couple d’Allemands déjeune chacun d’un camembert chaud charcuterie salade à vingt et un euros quatre-vingt-dix pièce.
Le car Zou ! est déjà devant l’arrêt Ecole à treize heures cinquante. Il fait un peu frisquet dans cette montagne. L’aimable chauffeur accepte que je monte avant l’heure. Vingt minutes plus tard, au moment du départ, j’en suis le seul passager. A Fayence montent une femme et deux filles seules qui vont à la ville. Le car Zou ! pour Cannes passe aussi par là et il est attendu par des filles habillées style montée des marches. Un contrôleur monte celles du car à Montauroux. Il voit tout le monde, sauf une fille qui s’est planquée au fond. Quand il redescend et contourne le véhicule, elle se fait repérer. Il remonte et se contente de la chapitrer car « soixante euros, quand même, c’est une somme ». Le soleil est là quand nous arrivons à Saint-Raphaël.
*
Max von Sydow a aussi passé la fin de sa vie à Seillans. Bruce Chatwin, lui, n’y a vécu qu’un mois en résidence au Château.
*
Ces célébrités du vingtième siècle, je ne sais pas ce qui leur a pris de s’installer dans des villages pentus de Provence où l’on crève de chaud l’été. Max Ernst, pour mourir, est rentré à Paris. Sa veuve a profité de l’évènement pour retourner à New York où elle est morte à cent un ans.
*
Le territoire de la commune de Seillans est vaste mais le camp militaire de Canjuers en occupe la moitié. On y tire soixante-quinze mille obus, mille missiles et un million six cent mille projectiles de tous calibres par an. Rien entendu.
Dans le car Zou ! trois filles rentrent chez elles après une nuit de fête à Saint-Raphaël. Un jeune homme descend à l’Hôpital de Fréjus. Nous sommes bientôt dans le Massif de l’Esterel, un bout d’autoroute jusqu’à la sortie Fayence, Montauroux, une superbe vue sur le lac de Saint-Cassien, ça monte, ça tourne, ça redescend, Callian, vue sur un village perché, ça remonte, Tourrettes, Fayence (c’était lui le village perché), changement de conducteur, arrivée devant l’Ecole de Seillans (autre village perché). Les trois filles se réveillent, elles vont aller se coucher.
Je suis content qu’il fasse couvert car ce ne sont que ruelles en pente et je déteste suer. Ce beau village en pierre est agrémenté de placettes avec fontaine, d’une porte sarrasine, d’une église Saint Léger, de multiples chats. Aucun autochtone n’est dehors. Comme autres touristes, un couple de femmes. Une difficulté : trouver Le Génie de la Bastille de Max Ernst. Un ouvrier m’indique la direction. Une habitante à sa fenêtre m’apprend que c’est sur le parquigne. Enfin, une promeneuse de chien sur cette place à voitures me dit : « C’est peut-être ça, là-bas, près des toilettes ». En effet. Ce mât totémique signé Max Ernst doit faire honte aux habitants pour qu’ils l’aient mis ici. C’est une œuvre qui a été offerte à la commune par Dorothea Tanning, sa dernière épouse. Max Ernst et Dorothea Tanning ont habité Seillans pendant douze ans jusqu’à la mort du premier.
Je photographie ce Génie de la Bastille, redescends dans le village et m’arrête au Charlot pour un café verre d’eau à deux euros, en terrasse prés d’une fontaine et d’un lavoir sans eau. Ce restaurant ne propose pas de plat à moins de vingt euros, de même que son concurrent, La Gloire de Mon Père. Je continue donc jusqu’à la supérette Huit à Huit et me procure des sandouiches triangle et une banane.
Encore plus bas est la chapelle Notre-Dame de Lormeau devant laquelle j’arrive quand midi carillonne à l’église d’en haut. Assis sur un muret, je déjeune on ne peut plus tranquillement. Notre-Dame de Lormeau est un édifice cistercien provençal qui possède un magnifique retable baroque Renaissance que je ne peux voir car c’est fermé.
Remonté au bourg à treize heures, je m’offre un café verre d’eau et lit Balzac au Charlot. Deux pré-branlotins y mangent une glace hors de prix pistache chantilly que l’un paie avec la carte bancaire de son père. Un couple d’Allemands déjeune chacun d’un camembert chaud charcuterie salade à vingt et un euros quatre-vingt-dix pièce.
Le car Zou ! est déjà devant l’arrêt Ecole à treize heures cinquante. Il fait un peu frisquet dans cette montagne. L’aimable chauffeur accepte que je monte avant l’heure. Vingt minutes plus tard, au moment du départ, j’en suis le seul passager. A Fayence montent une femme et deux filles seules qui vont à la ville. Le car Zou ! pour Cannes passe aussi par là et il est attendu par des filles habillées style montée des marches. Un contrôleur monte celles du car à Montauroux. Il voit tout le monde, sauf une fille qui s’est planquée au fond. Quand il redescend et contourne le véhicule, elle se fait repérer. Il remonte et se contente de la chapitrer car « soixante euros, quand même, c’est une somme ». Le soleil est là quand nous arrivons à Saint-Raphaël.
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Max von Sydow a aussi passé la fin de sa vie à Seillans. Bruce Chatwin, lui, n’y a vécu qu’un mois en résidence au Château.
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Ces célébrités du vingtième siècle, je ne sais pas ce qui leur a pris de s’installer dans des villages pentus de Provence où l’on crève de chaud l’été. Max Ernst, pour mourir, est rentré à Paris. Sa veuve a profité de l’évènement pour retourner à New York où elle est morte à cent un ans.
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Le territoire de la commune de Seillans est vaste mais le camp militaire de Canjuers en occupe la moitié. On y tire soixante-quinze mille obus, mille missiles et un million six cent mille projectiles de tous calibres par an. Rien entendu.
8 avril 2025
Ce lundi matin à la Gare Ferroviaire de Saint-Raphaël des parents accompagnent leurs moutards en partance pour je ne sais où. Ce sont les vacances scolaires de printemps ici. Vacances ou non, je ne peux quitter la Gare Routière qu’à huit heures quarante avec le Vingt-Trois car très peu de bus sont directs pour Saint-Aygulf (commune de Fréjus).
Je descends à l’arrêt La Poste au centre du bourg sur une place rectangulaire sans intérêt. Une impasse mène au bord de la mer. Le ciel est couvert. Il y a des entrées maritimes (disait-on dans le bus). La Méditerranée est énervée. Les calanques sont parsemées de vieux bois avec lesquels certains font des œuvres d’art. Tout cela est joli à voir avec le Dramont au loin.
Je marche prudemment sur le Sentier du Littoral. Il n’est pas entretenu. Hier dimanche, l’hélicoptère Dragon Quatre-Vingt-Trois est venu chercher une randonneuse y ayant fait une chute (il est ensuite revenu dans le coin pour une bicycliste de soixante-neuf ans tombée sur une petite route du Massif de l’Esterel). J’avance au raz des vagues moussues. Une fois je dois même calculer leur vitesse pour ne pas prendre un bain de pieds. Hélas, un trou m’arrête. Autrefois, j’aurais sauté par-dessus. Aujourd’hui, je ne m’y risque point, pas envie de me louper et de déranger Dragon Quatre-Vingt-Trois.
Revenu à mon point de départ, j’essaie ce Sentier du Littoral dans l’autre direction mais je me trouve vite face au même problème. C’est donc par l’intérieur, sur une piste cyclable et piétonnière (première fois que j’en trouve une), que je rejoins le Port de Saint-Aygulf où sont abrités quelques dizaines de bateaux de plaisance.
Remonté au bourg, je m’assois dans la véranda du Central, une grosse brasserie à plat du jour aussi cher qu’avec la vue sur mer mais avec la vue sur la place. Cependant, le café n’y est qu’à un euro quatre-vingts. Il est dix heures trente. Le prochain bus Vingt-Trois pour Saint-Raphaël est à onze heures cinquante-cinq. Cela me donne du temps pour lire Lettres à Madame Hanska en observant la vie locale. Un des rares commerces ouverts le lundi à Saint-Aygulf : la Pharmacie de la Poste. Elle ne désemplit pas.
Au retour, je descends à l’arrêt Les Sablettes et rejoins le Kashmir et son menu à volonté. Une famille (un grand-père, deux pères, une mère et trois enfants) y donne à voir le spectacle de son intimité. Une autre la côtoie (un jeune père tatoué rasé par un tondeur, deux jeunes mères, deux moutardes et un petit chien). L’une des mères demande une chaise de bébé pour y placer l’animal. Elle se voit opposer un refus.
Je retrouve la paix à la terrasse du Café Kro où très peu de tables sont occupées. C’est lundi et il fait gris.
*
Des femmes à chien sur le Sentier du Littoral et ailleurs à Saint-Aygulf, signe d’ennui manifeste.
Je descends à l’arrêt La Poste au centre du bourg sur une place rectangulaire sans intérêt. Une impasse mène au bord de la mer. Le ciel est couvert. Il y a des entrées maritimes (disait-on dans le bus). La Méditerranée est énervée. Les calanques sont parsemées de vieux bois avec lesquels certains font des œuvres d’art. Tout cela est joli à voir avec le Dramont au loin.
Je marche prudemment sur le Sentier du Littoral. Il n’est pas entretenu. Hier dimanche, l’hélicoptère Dragon Quatre-Vingt-Trois est venu chercher une randonneuse y ayant fait une chute (il est ensuite revenu dans le coin pour une bicycliste de soixante-neuf ans tombée sur une petite route du Massif de l’Esterel). J’avance au raz des vagues moussues. Une fois je dois même calculer leur vitesse pour ne pas prendre un bain de pieds. Hélas, un trou m’arrête. Autrefois, j’aurais sauté par-dessus. Aujourd’hui, je ne m’y risque point, pas envie de me louper et de déranger Dragon Quatre-Vingt-Trois.
Revenu à mon point de départ, j’essaie ce Sentier du Littoral dans l’autre direction mais je me trouve vite face au même problème. C’est donc par l’intérieur, sur une piste cyclable et piétonnière (première fois que j’en trouve une), que je rejoins le Port de Saint-Aygulf où sont abrités quelques dizaines de bateaux de plaisance.
Remonté au bourg, je m’assois dans la véranda du Central, une grosse brasserie à plat du jour aussi cher qu’avec la vue sur mer mais avec la vue sur la place. Cependant, le café n’y est qu’à un euro quatre-vingts. Il est dix heures trente. Le prochain bus Vingt-Trois pour Saint-Raphaël est à onze heures cinquante-cinq. Cela me donne du temps pour lire Lettres à Madame Hanska en observant la vie locale. Un des rares commerces ouverts le lundi à Saint-Aygulf : la Pharmacie de la Poste. Elle ne désemplit pas.
Au retour, je descends à l’arrêt Les Sablettes et rejoins le Kashmir et son menu à volonté. Une famille (un grand-père, deux pères, une mère et trois enfants) y donne à voir le spectacle de son intimité. Une autre la côtoie (un jeune père tatoué rasé par un tondeur, deux jeunes mères, deux moutardes et un petit chien). L’une des mères demande une chaise de bébé pour y placer l’animal. Elle se voit opposer un refus.
Je retrouve la paix à la terrasse du Café Kro où très peu de tables sont occupées. C’est lundi et il fait gris.
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Des femmes à chien sur le Sentier du Littoral et ailleurs à Saint-Aygulf, signe d’ennui manifeste.
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