Après la côte normande, c’est de la côte picarde que le jeune Heinrich Böll doit surveiller les Anglais, ce qu’il fait en recourant de plus en souvent à l’alcool pour supporter sa vie de soldat du Reich.
Suite de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, Tully, le trente et un mai mil neuf cent quarante-trois : Hier après-midi et hier soir, j’ai drôlement picolé ; j’étais un peu triste de ne pas avoir de courrier depuis deux jours et, tandis que je buvais un malheureux petit verre de vin, je me suis retrouvé soudain entouré de gens très frivoles, cela a dégénéré en une fête à la fin de laquelle j’étais le seul à avoir gardé les idées claires alors que, physiquement, j’étais complètement ivre.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le seize août mil neuf cent quarante-trois : L’un des jeux d’enfants les plus extraordinaires, le cerf-volant, se pratique beaucoup en ce moment dans les champs moissonnés ; ce n’est pas sans mélancolie et sans leur envier toutes ces manipulations familières que je les observe à la jumelle quand je suis posté pour surveiller les avions.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt et un août mil neuf cent quarante-trois : Car je vis ici sans la moindre porte, et les fenêtres sont mal en point, les soldats ont dû les brûler un de ces derniers hivers. Vraiment, tout ce qui a dû passer dans le poêle comme mobilier, fenêtres et portes, durant les trois dernières années d’occupation sur la côte atlantique, cela ferait presque la richesse d’un petit Etat.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt-quatre août mil neuf cent quarante-trois : Dimanche, j’ai été au café du village, et j’ai encore bu un bon coup, qui s’est avéré par la suite un peu exagéré – bon sang, il y avait une ambiance dingue là-dedans ! Toute la jeunesse du coin s’était donné rendez-vous et dansait, dansait, dansait tellement que l’air était rempli de poussière et que la sueur coulait à grosses gouttes ; c’était vraiment intéressant de voir ces jouvenceaux pommadés, et les filles, de la plus timide à la prima donna langoureuse. Il y avait aussi de véritables gamins, entre cinq et douze ans, qui couraient partout, ouvraient avec beaucoup de manières des bouteilles de mousseux, le versant dans des verres comme des maîtres, et qui savaient boire le cognac avec dignité ; un incroyable spectacle que ces mômes de douze ans avec leur horrible visage de vieillards, buvant de l’alcool et fumant des cigarettes !
A sa femme, Yzengremer, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quarante-trois : Hier, au départ de la marche, il faisait un temps magnifique, vraiment un soleil éclatant ; doré, très doux et brillant ; c’était samedi après-midi, les Français avaient fini le travail, et dans les villages que nous traversions, ils étaient assis dans leurs cafés chaleureux, ou à leurs fenêtres à nous regarder passer en nage, avec un mélange de raillerie et de pitié. Hélas, j’ai alors pensé que j’en étais bientôt à la cinquième année de jeunesse sacrifiée…
Suite de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, Tully, le trente et un mai mil neuf cent quarante-trois : Hier après-midi et hier soir, j’ai drôlement picolé ; j’étais un peu triste de ne pas avoir de courrier depuis deux jours et, tandis que je buvais un malheureux petit verre de vin, je me suis retrouvé soudain entouré de gens très frivoles, cela a dégénéré en une fête à la fin de laquelle j’étais le seul à avoir gardé les idées claires alors que, physiquement, j’étais complètement ivre.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le seize août mil neuf cent quarante-trois : L’un des jeux d’enfants les plus extraordinaires, le cerf-volant, se pratique beaucoup en ce moment dans les champs moissonnés ; ce n’est pas sans mélancolie et sans leur envier toutes ces manipulations familières que je les observe à la jumelle quand je suis posté pour surveiller les avions.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt et un août mil neuf cent quarante-trois : Car je vis ici sans la moindre porte, et les fenêtres sont mal en point, les soldats ont dû les brûler un de ces derniers hivers. Vraiment, tout ce qui a dû passer dans le poêle comme mobilier, fenêtres et portes, durant les trois dernières années d’occupation sur la côte atlantique, cela ferait presque la richesse d’un petit Etat.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt-quatre août mil neuf cent quarante-trois : Dimanche, j’ai été au café du village, et j’ai encore bu un bon coup, qui s’est avéré par la suite un peu exagéré – bon sang, il y avait une ambiance dingue là-dedans ! Toute la jeunesse du coin s’était donné rendez-vous et dansait, dansait, dansait tellement que l’air était rempli de poussière et que la sueur coulait à grosses gouttes ; c’était vraiment intéressant de voir ces jouvenceaux pommadés, et les filles, de la plus timide à la prima donna langoureuse. Il y avait aussi de véritables gamins, entre cinq et douze ans, qui couraient partout, ouvraient avec beaucoup de manières des bouteilles de mousseux, le versant dans des verres comme des maîtres, et qui savaient boire le cognac avec dignité ; un incroyable spectacle que ces mômes de douze ans avec leur horrible visage de vieillards, buvant de l’alcool et fumant des cigarettes !
A sa femme, Yzengremer, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quarante-trois : Hier, au départ de la marche, il faisait un temps magnifique, vraiment un soleil éclatant ; doré, très doux et brillant ; c’était samedi après-midi, les Français avaient fini le travail, et dans les villages que nous traversions, ils étaient assis dans leurs cafés chaleureux, ou à leurs fenêtres à nous regarder passer en nage, avec un mélange de raillerie et de pitié. Hélas, j’ai alors pensé que j’en étais bientôt à la cinquième année de jeunesse sacrifiée…