Les places sont non numérotées cette année pour la soirée de présentation de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf à l’Opéra de Rouen. En conséquence, ça s’agglutine devant les portes de la salle dans l’attente de l’ouverture. J’observe comment le plus grand des abonnés de première catégorie se faufile entre ceux qui étaient là avant lui, suivi de sa femme et des amis de même acabit. Au feu vert, il est en tête de la bousculade.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. » Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
*
« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
*
Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. » Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
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« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
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Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.