Sorti de chez New New, je montre le contenu de mon sac à dos au vigile du Centre Pompidou et franchis le portique de détection des métaux après avoir laissé clés et porte-monnaie dans une bannette. Il a dû se passer quelque chose de fâcheux car une affichette précise que cette manœuvre est interdite aux porteurs de « simulateur cardiaque ». Autrefois, on écrivait sic entre parenthèses après avoir cité ce genre de pataquès.
Délesté de mon sac au vestiaire, je grimpe par la chenille jusqu’au niveau Six afin d’y voir l’exposition du centenaire de la prise du pouvoir par les Bolcheviks : Chagall, Lissitzky, Malevitch L’Avant-garde russe à Vitebsk.
En mil neuf cent dix-huit, Marc Chagall est nommé commissaire des beaux-arts de Vitebsk, sa ville natale aujourd’hui située en Biélorussie. Il crée une école populaire d’art, gratuite et ouverte à tous. Parmi les enseignants El Lissitzky et Kazimir Malevitch. Ce dernier fait des étudiants des adeptes du suprématisme, entrant en conflit avec Chagall qui défend la pluralité des tendances artistiques. L’école ne formera qu’une promotion d’élèves avant d’être fermée. Mon peu de goût pour les avant-gardes et les idéologies fait que je passe assez vite d’une œuvre à l’autre, « en avant, en avant » comme est titré l’un des dessins de je ne sais plus qui. Le projet de tribune pour Lénine, dû à Lissitzky, ici reconstitué, achève de me donner envie d’aller voir ailleurs.
Redescendu au niveau Quatre, j’y découvre la rétrospective Jim Dine Paris Reconnaissance constituée des vingt-huit œuvres que l’artiste vient d’offrir au Centre Pompidou en remerciement du bon temps passé autrefois à Paris : peintures, sculptures, etc. Lesquelles ont de quoi m’intéresser davantage que celles de l’avant-garde de Vitebsk, notamment les Pinocchio sculptés et les installations à outils. Dans la dernière salle sont présentés un immense cœur en paille et une grande main verte qui sont les deux seuls vestiges d’une performance, apprends-je malgré moi du meneur d’une visite guidée qui se vante de connaître « Jim ». Pour que nul n’ignore sa parole savante, il dispose d’un micro. Une subalterne tire derrière elle l’enceinte à roulettes.
Si ce ne sont pas encore les vacances de printemps en France, d’autres pays y ont droit, d’où une certaine attente au vestiaire quand il s’agit de récupérer mon sac. Trois enfants et leurs parents y déposent cinq trottinettes. Un père prie ses garçons de se tenir tranquille, des prénommés Basile et Anatole.
Un bus Vingt et Un m’emmène jusqu’à Opéra. Dans le second Book-Off l’employée blonde met de nouveaux livres à un euro au rayon Connaissance. Elle demande conseil à l’un de ses collègues garçons. Ce livre, faut-il le ranger en Témoignage, en Religion ou en Littérature ? Il hésite pareillement. Je demande à voir. C’est publié aux Editions du Cerf. Ce sont les Œuvres complètes d’un certain Jacques Fesh qui a été condamné à mort pour le meurtre d’un agent de police lors d’un braquage. Gracié, il a connu « une fulgurante conversion au Christ ». Il s’agit là essentiellement de son journal et de sa correspondance.
-Si vous avez une idée de l’endroit où le ranger, donnez-la nous, me dit l’employée.
-Je suis comme vous, hésitant. Je vais le prendre, cela va résoudre le problème.
A Saint-Lazare, je trouve place dans le train de dix-sept heures vingt-cinq sans devoir attendre celui de quarante-huit. La jeune femme blonde près de qui je suis assis me demande ce que je lis. Elle cherche « un livre à lire ». Je lui montre la couverture d’Et devant moi, le monde de Joyce Maynard.
-Ce n’est pas un livre récent. Vous connaissez Salinger ?
-Non.
-C’est un écrivain américain. Cette jeune fille a eu une histoire avec lui. C’est ce qu’elle raconte dans son livre.
Elle ne m’en demande pas plus et descend à Vernon.
*
Un jour comme ça, le contrôleur ne passe pas. Aurais-je voulu être malhonnête que je n’aurais pas composté mes billets et me les serais fait rembourser ultérieurement en racontant que, vu les circonstances, j’avais renoncé à mon escapade.
Délesté de mon sac au vestiaire, je grimpe par la chenille jusqu’au niveau Six afin d’y voir l’exposition du centenaire de la prise du pouvoir par les Bolcheviks : Chagall, Lissitzky, Malevitch L’Avant-garde russe à Vitebsk.
En mil neuf cent dix-huit, Marc Chagall est nommé commissaire des beaux-arts de Vitebsk, sa ville natale aujourd’hui située en Biélorussie. Il crée une école populaire d’art, gratuite et ouverte à tous. Parmi les enseignants El Lissitzky et Kazimir Malevitch. Ce dernier fait des étudiants des adeptes du suprématisme, entrant en conflit avec Chagall qui défend la pluralité des tendances artistiques. L’école ne formera qu’une promotion d’élèves avant d’être fermée. Mon peu de goût pour les avant-gardes et les idéologies fait que je passe assez vite d’une œuvre à l’autre, « en avant, en avant » comme est titré l’un des dessins de je ne sais plus qui. Le projet de tribune pour Lénine, dû à Lissitzky, ici reconstitué, achève de me donner envie d’aller voir ailleurs.
Redescendu au niveau Quatre, j’y découvre la rétrospective Jim Dine Paris Reconnaissance constituée des vingt-huit œuvres que l’artiste vient d’offrir au Centre Pompidou en remerciement du bon temps passé autrefois à Paris : peintures, sculptures, etc. Lesquelles ont de quoi m’intéresser davantage que celles de l’avant-garde de Vitebsk, notamment les Pinocchio sculptés et les installations à outils. Dans la dernière salle sont présentés un immense cœur en paille et une grande main verte qui sont les deux seuls vestiges d’une performance, apprends-je malgré moi du meneur d’une visite guidée qui se vante de connaître « Jim ». Pour que nul n’ignore sa parole savante, il dispose d’un micro. Une subalterne tire derrière elle l’enceinte à roulettes.
Si ce ne sont pas encore les vacances de printemps en France, d’autres pays y ont droit, d’où une certaine attente au vestiaire quand il s’agit de récupérer mon sac. Trois enfants et leurs parents y déposent cinq trottinettes. Un père prie ses garçons de se tenir tranquille, des prénommés Basile et Anatole.
Un bus Vingt et Un m’emmène jusqu’à Opéra. Dans le second Book-Off l’employée blonde met de nouveaux livres à un euro au rayon Connaissance. Elle demande conseil à l’un de ses collègues garçons. Ce livre, faut-il le ranger en Témoignage, en Religion ou en Littérature ? Il hésite pareillement. Je demande à voir. C’est publié aux Editions du Cerf. Ce sont les Œuvres complètes d’un certain Jacques Fesh qui a été condamné à mort pour le meurtre d’un agent de police lors d’un braquage. Gracié, il a connu « une fulgurante conversion au Christ ». Il s’agit là essentiellement de son journal et de sa correspondance.
-Si vous avez une idée de l’endroit où le ranger, donnez-la nous, me dit l’employée.
-Je suis comme vous, hésitant. Je vais le prendre, cela va résoudre le problème.
A Saint-Lazare, je trouve place dans le train de dix-sept heures vingt-cinq sans devoir attendre celui de quarante-huit. La jeune femme blonde près de qui je suis assis me demande ce que je lis. Elle cherche « un livre à lire ». Je lui montre la couverture d’Et devant moi, le monde de Joyce Maynard.
-Ce n’est pas un livre récent. Vous connaissez Salinger ?
-Non.
-C’est un écrivain américain. Cette jeune fille a eu une histoire avec lui. C’est ce qu’elle raconte dans son livre.
Elle ne m’en demande pas plus et descend à Vernon.
*
Un jour comme ça, le contrôleur ne passe pas. Aurais-je voulu être malhonnête que je n’aurais pas composté mes billets et me les serais fait rembourser ultérieurement en racontant que, vu les circonstances, j’avais renoncé à mon escapade.