Quand, un peu avant quatorze heures, j’arrive devant le cinq de la rue Legouvé où depuis deux mille six est installée Les Douches la Galerie dans d'anciennes douches publiques (une inscription en béton en témoigne), c’est pour découvrir qu’une dizaine de personnes m’ont précédé pour attendre l’ouverture de l’exposition Vivian Maier The Color Work. Moi qui m’y rêvais seul, c’est raté.
A l’heure précise, l’une appuie sur la sonnette. La porte s’ouvre et nous voici en troupeau dans l’escalier. Je laisse mon sac à dos à la jolie fille qui veille sur le lieu puis je tente de voir les photos de celle dont le travail fut découvert par hasard deux ans avant sa mort, sans qu’elle le sache. Ces images très colorées ont été prises à Chicago dans les années soixante-dix. Vivian Maier y était nourrice à domicile, métier qu’elle exerça pendant quarante ans.
Cette photographe de rue amateure, née en mil neuf cent vingt-six à New York de mère française et de père d'origine autrichienne, morte en deux mille neuf à Chicago, a pris durant sa vie plus de cent cinquante mille images, principalement de personnes et d'architecture à New York, Chicago, Los Angeles, ainsi que dans le vaste monde où elle a voyagé, n'ayant d’ailleurs pas fait développer un grand nombre de négatifs.
En deux mille sept, Vivian Maier est hospitalisée et ne peut plus payer la location du box qu'elle utilise pour stocker une partie de ses biens, dont ses photos et pellicules. Tout est vendu aux enchères.
Un certain John Maloof, agent immobilier de vingt-cinq ans, achète pour quatre cents dollars trente mille négatifs, des dizaines de rouleaux de pellicule et quelques tirages. Un an plus tard, il commence à les vendre sur eBay. Un professeur d'art lui fait prendre conscience de leur importance. Il reprend contact avec la maison de ventes aux enchères pour connaître le nom des acheteurs des autres lots. Il les leur rachète et acquiert au total plus de cent mille négatifs. Il interroge aussi sur cette mystérieuse photographe qu’il a pu découvrir sur ses autoportraits. On lui dit que les cartons appartenaient à une dame âgée et malade dont on ne connaît pas le nom.
En deux mille neuf, John Maloof découvre dans un carton l’enveloppe d’un laboratoire de photographie portant le nom de Vivian Maier écrit au crayon. Il tape Vivian Maier sur Gougueule et trouve un avis de décès paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune. Vivian Maier vient de mourir à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Les frères Gensburg, qu'elle a élevés de 1956 à 1972 et qui se sont occupés d’elle dans les dernières années de sa vie ont fait publier cette notice nécrologique : « Vivian Maier, originaire de France et fière de l'être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l'ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. »
L’histoire des photos de Vivian Maier m’intéresse davantage que les photos de Vivian Maier qui cependant me plaisent. Ce qui me déplaît, c’est la présence de celles et ceux que je côtoie, dont un trio de femmes de cinquante ans qui commentent à voix haute, en qui je devine des institutrices. Dans une seconde salle sont montrées des photos plus anciennes en noir et blanc datant des années cinquante, prises essentiellement à New York.
Je récupère mon sac, descends l’escalier, retrouve la rue de Lancry où un Péhemmu offre quatre tables de trottoir au soleil. Je m’installe à l’une pour un moment et y ai presque trop chaud. En face est un institut de beauté nommé Soins du Monde. Les deux employées qui en sortent pour fumer lui font une contre-publicité. Le café ne me coûte qu’un euro quatre-vingts.
Il fait encore un peu jour lorsque je descends du train. Finies les journées de marteau-piqueur et de ciel bleu. Les trous sont creusés et la pluie annoncée.
*
Vivian Maier était une adepte de l’autoportrait en ombre.
*
Un livre à un euro que je n’ai pas rapporté de Paris mais dont le titre m’a ravi : Famille et autres supplices.
A l’heure précise, l’une appuie sur la sonnette. La porte s’ouvre et nous voici en troupeau dans l’escalier. Je laisse mon sac à dos à la jolie fille qui veille sur le lieu puis je tente de voir les photos de celle dont le travail fut découvert par hasard deux ans avant sa mort, sans qu’elle le sache. Ces images très colorées ont été prises à Chicago dans les années soixante-dix. Vivian Maier y était nourrice à domicile, métier qu’elle exerça pendant quarante ans.
Cette photographe de rue amateure, née en mil neuf cent vingt-six à New York de mère française et de père d'origine autrichienne, morte en deux mille neuf à Chicago, a pris durant sa vie plus de cent cinquante mille images, principalement de personnes et d'architecture à New York, Chicago, Los Angeles, ainsi que dans le vaste monde où elle a voyagé, n'ayant d’ailleurs pas fait développer un grand nombre de négatifs.
En deux mille sept, Vivian Maier est hospitalisée et ne peut plus payer la location du box qu'elle utilise pour stocker une partie de ses biens, dont ses photos et pellicules. Tout est vendu aux enchères.
Un certain John Maloof, agent immobilier de vingt-cinq ans, achète pour quatre cents dollars trente mille négatifs, des dizaines de rouleaux de pellicule et quelques tirages. Un an plus tard, il commence à les vendre sur eBay. Un professeur d'art lui fait prendre conscience de leur importance. Il reprend contact avec la maison de ventes aux enchères pour connaître le nom des acheteurs des autres lots. Il les leur rachète et acquiert au total plus de cent mille négatifs. Il interroge aussi sur cette mystérieuse photographe qu’il a pu découvrir sur ses autoportraits. On lui dit que les cartons appartenaient à une dame âgée et malade dont on ne connaît pas le nom.
En deux mille neuf, John Maloof découvre dans un carton l’enveloppe d’un laboratoire de photographie portant le nom de Vivian Maier écrit au crayon. Il tape Vivian Maier sur Gougueule et trouve un avis de décès paru quelques jours plus tôt dans le Chicago Tribune. Vivian Maier vient de mourir à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Les frères Gensburg, qu'elle a élevés de 1956 à 1972 et qui se sont occupés d’elle dans les dernières années de sa vie ont fait publier cette notice nécrologique : « Vivian Maier, originaire de France et fière de l'être, résidente à Chicago depuis ces cinquante dernières années, est morte en paix lundi. Seconde mère de John, Lane et Matthew. Cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celles de tous ceux qui l'ont connue. Toujours prête à donner un conseil, un avis ou à tendre une main secourable. Critique de film et photographe extraordinaire. Une personne vraiment unique, qui nous manquera énormément et dont nous nous souviendrons toujours de la longue et formidable vie. »
L’histoire des photos de Vivian Maier m’intéresse davantage que les photos de Vivian Maier qui cependant me plaisent. Ce qui me déplaît, c’est la présence de celles et ceux que je côtoie, dont un trio de femmes de cinquante ans qui commentent à voix haute, en qui je devine des institutrices. Dans une seconde salle sont montrées des photos plus anciennes en noir et blanc datant des années cinquante, prises essentiellement à New York.
Je récupère mon sac, descends l’escalier, retrouve la rue de Lancry où un Péhemmu offre quatre tables de trottoir au soleil. Je m’installe à l’une pour un moment et y ai presque trop chaud. En face est un institut de beauté nommé Soins du Monde. Les deux employées qui en sortent pour fumer lui font une contre-publicité. Le café ne me coûte qu’un euro quatre-vingts.
Il fait encore un peu jour lorsque je descends du train. Finies les journées de marteau-piqueur et de ciel bleu. Les trous sont creusés et la pluie annoncée.
*
Vivian Maier était une adepte de l’autoportrait en ombre.
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Un livre à un euro que je n’ai pas rapporté de Paris mais dont le titre m’a ravi : Famille et autres supplices.