Lu à diverses terrasses de café et avec grand plaisir, mon exemplaire des Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys publié chez Gallimard en mil neuf cent quatre-vingt-dix, que j’ai payé un euro à La Petite Rockette, a appartenu à quelqu’un qui a collé à l’intérieur de la couverture un court article de journal en allemand relatant la biographie de l’auteur, écrivain juif polonais exilé, né le vingt-sept octobre mil neuf cent seize à Łódź et mort à Nanterre le onze mars deux mille.
J’en ai tiré ceci :
Des jeunes gens en short sortaient du magasin, portant des sacs de provisions qu’ils rangeaient dans les coffres de leurs voitures. C’étaient principalement des physiciens et des mathématiciens des centres de recherche et des laboratoires de Bures, de Gif et d’Orsay. En les regardant, je les enviais parce qu’ils n’étaient ni écrivains ni polonais.
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Dans les journaux intimes, une sincérité trop poussée n’est pas recommandée. Autobiographie, journal, correspondance m’intéressent non parce que j’apprends quel homme fut leur auteur, mais quel homme il avait décidé d’être.
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Après la mort de Witold W., j’ai écrit dans une lettre à son fils : « Notre petit monde rétrécit, il s’appauvrit. L’idée que vous autres allez le continuer est une consolation. »
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas du tout une consolation.
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Vers la fin des années cinquante, une jeune débutante littéraire écrivit une nouvelle intitulée Le Diable. L’histoire était un souvenir de son enfance. Elle avait neuf ans quand les détachements de l’Armée rouge entrent dans sa petite ville de province. Les soldats l’aimaient bien et elle aimait observer leurs occupations. L’un d’eux, un grand Russe robuste, coupait le bois de chauffage dans un coin de la cour et l’amusait en lui racontant des histoires dans lesquelles apparaissait toujours le diable. –Et qu’est-ce que c’est que le diable ? –lui demande-t-elle un jour. Le soldat ouvrit sa braguette et en sortit l’important attribut de sa virilité. –Voilà le diable –dit-il.
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A la question posée par un journaliste : qui j’aurais voulu être si je n’étais pas écrivain, j’avais répondu jadis sans hésiter : une chanteuse de variétés, et mourir à l’âge de quarante ans d’une crise cardiaque. A présent, je me demande si une vie de chauffeur de car sur le trajet Gisors-Giverny ne m’aurait pas mieux convenu, une existence de pendule, silencieuse et pourtant pas solitaire.
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La semaine dernière I. est venue à Paris, jadis si merveilleuse, aujourd’hui desséchée comme un arbre malade, septuagénaire, il m’a fallu une heure pour retrouver en elle son contour ancien de jeune animal superbe.
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Il ne faut pas oublier la Régence et le règne de Louis XV. Dans les villes, les agents de la police royale enlevaient dans la rue des enfants fournis à Versailles comme une marchandise (le roi séquestrait dans une pièce contiguë à sa chambre une fillette de neuf ans complètement isolée du monde ; à l’âge de treize ans, elle s’est trouvée enceinte).
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Nous nous imaginons que la vieillesse est notre secret personnel et nous restons bouche bée en apprenant que c’est un secret de polichinelle.
*
Cité par Kazimierz Brandys, Marc Aurèle dans une lettre à un ami :
Je souffre d’un refroidissement. Mais je ne sais si c’est parce que, malgré la fraîcheur, je suis sorti en sandales, ou parce que j’ai écrit une mauvaise page.
J’en ai tiré ceci :
Des jeunes gens en short sortaient du magasin, portant des sacs de provisions qu’ils rangeaient dans les coffres de leurs voitures. C’étaient principalement des physiciens et des mathématiciens des centres de recherche et des laboratoires de Bures, de Gif et d’Orsay. En les regardant, je les enviais parce qu’ils n’étaient ni écrivains ni polonais.
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Dans les journaux intimes, une sincérité trop poussée n’est pas recommandée. Autobiographie, journal, correspondance m’intéressent non parce que j’apprends quel homme fut leur auteur, mais quel homme il avait décidé d’être.
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Après la mort de Witold W., j’ai écrit dans une lettre à son fils : « Notre petit monde rétrécit, il s’appauvrit. L’idée que vous autres allez le continuer est une consolation. »
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas du tout une consolation.
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Vers la fin des années cinquante, une jeune débutante littéraire écrivit une nouvelle intitulée Le Diable. L’histoire était un souvenir de son enfance. Elle avait neuf ans quand les détachements de l’Armée rouge entrent dans sa petite ville de province. Les soldats l’aimaient bien et elle aimait observer leurs occupations. L’un d’eux, un grand Russe robuste, coupait le bois de chauffage dans un coin de la cour et l’amusait en lui racontant des histoires dans lesquelles apparaissait toujours le diable. –Et qu’est-ce que c’est que le diable ? –lui demande-t-elle un jour. Le soldat ouvrit sa braguette et en sortit l’important attribut de sa virilité. –Voilà le diable –dit-il.
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A la question posée par un journaliste : qui j’aurais voulu être si je n’étais pas écrivain, j’avais répondu jadis sans hésiter : une chanteuse de variétés, et mourir à l’âge de quarante ans d’une crise cardiaque. A présent, je me demande si une vie de chauffeur de car sur le trajet Gisors-Giverny ne m’aurait pas mieux convenu, une existence de pendule, silencieuse et pourtant pas solitaire.
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La semaine dernière I. est venue à Paris, jadis si merveilleuse, aujourd’hui desséchée comme un arbre malade, septuagénaire, il m’a fallu une heure pour retrouver en elle son contour ancien de jeune animal superbe.
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Il ne faut pas oublier la Régence et le règne de Louis XV. Dans les villes, les agents de la police royale enlevaient dans la rue des enfants fournis à Versailles comme une marchandise (le roi séquestrait dans une pièce contiguë à sa chambre une fillette de neuf ans complètement isolée du monde ; à l’âge de treize ans, elle s’est trouvée enceinte).
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Nous nous imaginons que la vieillesse est notre secret personnel et nous restons bouche bée en apprenant que c’est un secret de polichinelle.
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Cité par Kazimierz Brandys, Marc Aurèle dans une lettre à un ami :
Je souffre d’un refroidissement. Mais je ne sais si c’est parce que, malgré la fraîcheur, je suis sorti en sandales, ou parce que j’ai écrit une mauvaise page.