Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Au Nord, neuvième : DK (Excentric City et Laac)

10 août 2018


Pluie annoncée ce jeudi, c’est le moment de ne pas s’éloigner. Dès huit heures, sous un ciel chargé, je me dirige pédestrement vers le quartier dit Excentric situé à moins d’un kilomètre de mon logis temporaire.
-Il faut que tu ailles voir Excentric City, m’a dit le sympathique musicien menuisier de ma connaissance au marché du Clos Saint-Marc lorsque je lui ai dit que j’allais à Dunkerque.
J’ai également eu connaissance de ce lieu par Le Guide du Routard et par l’Office du Tourisme de DK mais est-ce que cela aurait suffi à ce que je mette le pied dans ce petit coin de Rosendaël, pas sûr.
Cet endroit dit Excentric l’est pour les trente-cinq maisons qu’y a construites l’architecte François Reynaert dans les années Trente, parfois sans autorisation et en payant des amendes. On prend la rue Dumez et on arrive dans l’ilot constitué des rues Martin-Luther-King et André-Chénier. C’est un enchantement pour les yeux.
Profitant de l’absence de circulation automobile, je fais de nombreuses photos depuis le milieu de la rue de ces constructions tarabiscotées et colorées. Certaines sont un peu dégradées. L’une beaucoup : la villa Les Disques qu’habita la fille du bâtisseur. Des gars de la ville arrosant les fleurs me regardent faire l’air de se dire « Bah quoi, c’est des maisons, pourquoi les prendre des photos ? ».
Je vais ensuite voir ce qu’il en est du Laac, Lieu d’Art et Action Contemporaine, situé dans un parc pas loin de la mer. Après avoir payé deux euros seulement, privilège de la vieillesse, je visite d’abord l’exposition temporaire Enchanté au premier étage.
D’intéressantes œuvres y sont montrées dans des salles disposées en cercle au-dessus d’un amphithéâtre dans lequel une femme fait découvrir l’art contemporain par le jeu à une douzaine de bambins d’âge maternel.
Je note les Portraits des travailleurs de la rue photographiés par Pierre Mercier, l’Œuvre sans valeur de Robert Filliou, les objets de grève photographiés par Jean-Luc Moulène, l’installation Local Time de Jean-Luc Vilmouth (quatre-vingt-dix-neuf horloges à l’heure de Dunkerque et quatre-vingt-dix-neuf marteaux symbolisant le travail de l’ouvrier mais avec lesquels je les briserais bien), des affiches arrachées de Raymond Hains, un petit Andy Warhol, douze photos de châteaux d’eau signées Bernd et Hilla Becher, pas mal de Ben dont « N’importe qui peut avoir une idée » (eh oui, même Ben),  la valise expansion de César, l’inquiétant Antoine n°5 de Monory, la Trabant peinte par Philippe Hollevout (que j’ai prise dans un premier temps pour une œuvre de Combas), une compression de César, des toiles de Joan Mitchell, Sam Francis, Pierre Soulages et Gérard Schlosser, des violons massacrés par Arman.
Parmi les œuvres de la collection permanente, je note un personnage en bronze de Miró, le Circus de Karel Appel, la maquette d’un projet d’Arman pour une accumulation de grues portuaires (hélas non réalisée), une nana de Niki de Saint-Phalle et le tableau d’Erro qui sert de support aux moutards.
Au deuxième étage sont visibles des œuvres graphiques dont beaucoup cachées dans des meubles. Tu tires un tiroir : tiens un Fautrier, un autre : tiens un Alechinsky et Dotremont, un autre : tiens un André Masson, un autre : tiens un Henri Michaux, etc. Le « Sois jeune et tais-toi » de Mai Soixante-Huit est aussi ici.
-Ça vous a plu ? me demande la dame de l’accueil quand je redescends.
-On n’a pas ça à Rouen malheureusement, lui dis-je.
J’ai le temps de marcher un peu sur la digue et dans le vent avant que la pluie n’arrive. Je me réfugie alors au Longchamp, un Péhemmu où le café n’est qu’à un euro. On y perd de l’argent en famille à des jeux de tirage (grand-père, père en maillot Griezmann, mère et deux filles de douze et quinze). « Stop aux clients sales », est-il écrit sur la porte des toilettes commandée électriquement depuis le bar.
A midi, je déjeune une nouvelle fois au Figaro : tartare de thon macédoine et œuf dur sur salade, fricassée de poulet aux pleurotes et girolles avec légumes, trio de desserts. C’est la formule vin à volonté. Je rentre sous le parapluie. C’est plus ou moins tout droit.
Et je ne bouge plus de mon abri, tandis qu’il drache jusqu’à la nuit.
                                                                          *
Parmi les réalisations de François Reynaert : la salle de spectacle l’Excentric Moulins, avec permis de construire, qu’il dirigea jusqu’à sa mort, il y a soixante ans, le douze août mil neuf cent cinquante-huit.