Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 mai 2023


Etrange nuit que celle que je passe après mon coup de froid du Premier Mai à la Ville Haute, il y a des moments où j’ai l’impression de délirer.
Au réveil tout s’efface. Je me sens dans mon état normal quand je rejoins la Station Liane, quai Dix-Sept, pour prendre le bus A de huit heures onze, terminus La Plage, celle d’Equihen-Plage.
Sous l’abribus je suis entouré de femmes et d’hommes qui ont des têtes étranges. Certains habitants du Pas de Calais ont un physique ingrat, mais là c’est le cas de l’ensemble. Quand arrive un car de la Région Hauts-de-France sur la girouette duquel est écrit ASAT, je comprends. Elles et eux partis vers leur Etablissement et Service d'Aide par le Travail, je me retrouve seul puis arrivent quelques scolaires car c’est aujourd’hui la rentrée des classes (en sortant de mon logis temporaire, j’ai retrouvé une rue parsemée de collégien(e)s de Saint-Joseph).
Sur le trajet sont plusieurs établissements scolaires qui me replongent dans un passé révolu. A un endroit, tandis que les enfants attendent l’ouverture des portes de l’école, leurs parents attendent l’ouverture des portes d’Aldi. Je suis le seul à aller jusqu’à La Plage.
La seconde chance que je donne à Equihen-Plage ne tourne pas à son avantage. On ne peut rien y faire, hormis descendre sur cette plage par une succession d’escaliers en bois qu’arrivé en bas je n’aurais pas envie de remonter. Aucun chemin accessible et partout ça monte dur.
Je rejoins donc l’abribus pour y attendre le neuf heures vingt-sept du retour près du salon de coiffure Mylène Hair (hors concours !) où le tarif homme n’est qu’à quinze euros. Deux minutes avant le départ prévu du bus A arrive la collégienne de l’autre jour. Je m’abstiens de lui demander si elle est contente d’y retourner.
De retour à Boulogne, je m’offre un dernier café verre d’eau congolais lecture Chez Jules. Celle qui commente La Voix du Nord au profit de son mari invite un bourgeois à leur table. Il tique quand elle déclare qu’un homme chauve c’est viril alors qu’un homme à perruque ça fait tantouze, puis quand elle évoque un magistrat de Boulogne surpris il y a dix ans en train de se masturber sous sa robe, il prend la fuite en leur laissant la note de son café.
Ce couple parti, il est remplacé par une jeune femme qui lit (première fois que je vois ça dans le Pas-de-Calais depuis mon arrivée, un Dix Dix-Huit dont je ne peux discerner ni le titre ni l’auteur). Quand Régis, qui office au comptoir, se réjouit qu’il y ait encore les Parigots en vacances, elle lui signale qu’il y a aussi des Belges. C’est la première année que les Wallons ont des vacances séparées d’avec les Flamands et les Bruxellois. « Un mois de Belges », dit-elle. Il croit qu’elle en est une, mais non, elle y vit depuis plusieurs années. « Vous avez pris l’accent », lui dit-il. Ça la navre.
A midi, je déjeune une dernière fois à La Table du Vingt : cassolette de poissons, verre de vin blanc, mousse au chocolat, puis malgré l’absence de soleil je m’installe à la terrasse du Café Français pour le café.
                                                                      *
Vingt-huit ans cette nuit du deux au trois mai qu’est mort mon frère Jacques à La Rochelle.
Lui qui n’a jamais eu de télé a participé à un jeu animé par Jacques Martin le dimanche après-midi. Il espérait gagner un grand voyage. Il a perdu, obtenant un petit voyage de consolation. Aucune trace ne reste de son passage à la télévision.
 

2 mai 2023


Ni bus, ni car ce lundi. C’est le Premier Mai. Le seul endroit où j’aurais pu avoir envie de me rendre par le train, c’est Saint-Omer, mais aucun n’est direct, il faut passer par Calais, ce qui me fait renoncer.
Je passerai donc cette journée à Boulogne-sur-Mer, ne sachant pas ce que j’y trouverai ouvert, notamment pour déjeuner. Il y aura toujours comme plan ultime le stand merguez de la Cégété.
Le Columbus Café, qui fait face à l’élégant Théâtre, m’accueille comme d’habitude pour le petit-déjeuner. Je passe ensuite par la place Dalton pour en faire des photos sans personne. L’un des restaurants, Le Dalton, va prochainement fermer pour renaître avec une nouvelle équipe (jeune) et un nouveau nom (choisi par les amis) : Bistrot Canaille. Cela ne présage rien de bon.
Je remonte la Grande Rue et arrive dans la Ville Haute. Le patron de La Table du Beffroi vient d’ouvrir son café restaurant. Il s’empresse de me déplier une table en terrasse. Je lui en retiens une à l’intérieur pour midi (plus de souci à se faire). Le café bu, je lis au soleil, tant qu’il est là, c'est-à-dire pas longtemps, puis à l’ombre. Près de moi s’est assis un couple qui prend un petit-déjeuner complet. Le silence entre eux est également complet.
Au fur du temps la température baisse. Je ne puis rester assis. Je me réchauffe un peu en faisant le tour des remparts, cette fois par l’extérieur. Ça fait une trotte et me permet d’entrer dans la cour intérieure du Château Musée. Un léger retour du soleil me conduit à lire sur un banc jusqu’à midi mais c’est frigorifié que je retourne à La Table du Beffroi.
Je commande un welsh complet avec un quart de côtes-du-rhône et j’ai du mal à le terminer. Je suis un peu patraque. Ce Premier Mai est la journée la plus froide de mon séjour boulonnais. Rentrer au chaud est la seule chose qui me fasse envie. Pour ce faire, j’entre dans ce qui me semble un raccourci, le Jardin Valentine Hugo (née Valentine Gross à Boulogne-sur-Mer) et je découvre qu’il est sans issue.
                                                                          *
Vu aussi ce jour à Boulogne-sur-Mer :
La Casa San Martin, Grande Rue, maison qui fut habitée de mil huit cent quarante-huit à sa mort par le Général argentin José de San Martin qui libéra son pays, le Chili et le Pérou de la domination espagnole. 
L’Hôtel Désandrouin, dit Palais Impérial, rue du Puits d’Amour dans la Ville Haute, que Napoléon habita en plusieurs occasions, jusqu’à ce qu’il cesse de convoiter l’Angleterre.
 

1er mai 2023


Un bruit de bouteilles qui s’entrechoquent ce samedi soir dans l’entrée et l’escalier de l’immeuble où je réside pour quelques jours encore, puis le voisin du dessus frappe à ma porte pour m’annoncer qu’il va faire une petite fête et que si je suis trop dérangé par le bruit, je peux monter le signaler. Je crains le pire. A tort car je ne suis réveillé que par la sortie des invités.
Le dimanche, le Columbus Café ouvre à huit heures mais je ne me précipite pas car, en ce dernier jour d’avril, je veux aller au Portel, où c’est la braderie, autrement dit le vide greniers, et le premier bus dominical qui y mène ne part de la Station Liane qu’à neuf heures treize.
Le ciel est étonnamment bleu quand je sors. « Croissant ou petit pain ? », me demande comme chaque matin celle qui officie, car à pain au chocolat et à chocolatine, ici on préfère petit pain. Je fais un peu traîner ce petit-déjeuner en lisant La Voix du Nord. Sa page météo explique le soleil matutinal par « une petite dorsale anticyclonique ». Ça ne va pas durer.
En avance quand même à la station Liane, j’y trouve un homme qui lui aussi va au Portel pour sa braderie. Il m’apprend que les bus sont gratuits le dimanche. C’est écrit nulle part. Il vit ici depuis trois ans, venu de La Napoule. Son point de vue sur Boulogne-sur-Mer est le même que le mien : il n’y a que la Ville Haute de bien. Nous continuons à discuter dans le bus C. Il me montre au passage le Chaudron, la salle de l’équipe locale de basquette, un sport sur lequel il vaut mieux ne pas plaisanter ici.
A l’arrivée sur la place de l’église, nous nous saluons et chacun vaque à ses recherches. Aucun des livres que je vois ne m’intéresse, même de loin. Je descends au bord de mer et arrive au Chant de l’Heurt pour son ouverture. Je m’installe à l’une des rares tables de la terrasse au soleil, un mange debout assis d’où je vois bien la mer. Après un café, je lis Stendhal un long moment, tout en regardant qui passe.
Vers onze heures, cet emplacement retenu pour mon déjeuner, je vais marcher en contrebas de la digue, observant les familles à la plage. Celle-ci est vaste mais elles s’accumulent au plus près de leur lieu d’arrivée commun, avec enfants et chiens (ces derniers interdits sur le sable à partir de demain). Elles sont loin de la mer dont il semble qu’elles n’aient rien à faire. Ce qui compte, c’est le sable, dans lequel certains, un homme et son fils, s’enterrent. Cela me fait songer à ces quatre jeunes filles de dix-sept à vingt ans qui, allant au Carnaval du Portel, furent enterrées sur l’une des plages entre ici et Equihen-sur-Mer après avoir été violées et tuées par deux frères ferrailleurs. C’était il y a vingt-six ans.
A midi, de nouveau perché en terrasse, bien que le soleil soit de plus en plus souvent caché, je déjeune d’une carbonade flamande frites salade accompagnée d’un quart de vin rouge, le tout pour dix-neuf euros quatre-vingts. C’est mon premier repas en bord de mer depuis que je suis sur la Côte d’Opale. Il n’y en aura pas d’autres.
Pour le café, je m’installe à une table d’extérieur près de la plage, au bar Le Rivage, où il coûte un euro soixante. Je lis un peu puis rentre avec le bus C de treize heures cinquante-sept.
Le dimanche après-midi, le centre de Boulogne est aussi vide que celui de Rouen. Quand j’arrive dans mon quartier, dont nombre de boutiques sont définitivement fermées mais où se concurrencent trois supérettes, Auchan, Spar et Carrefour Express, marchent derrière moi un homme et une femme. Si je ne les vois pas, je les entends.
-T’as vu, Carrefour c’est ouvert, lui dit-elle.
-Oui je sais, Sandrine est venue y voler deux fois ce matin.
                                                                     *
Ce sont mes adieux au Portel, la plage des pauvres, l’anti Wimereux. Les pauvres m’énervent. Les riches m’ennuient. Je préfère être énervé.
 

30 avril 2023


Du bruit pour la première fois depuis mon installation dans le studio Air Bibi de Boulogne-sur-Mer, de la musique de boîte pendant toute la nuit. Elle ne provient pas de l’immeuble où je suis, ni de la rue, mais de derrière la salle de bains. Impossible de situer exactement l’origine de cette nuisance. Heureusement, la porte qui sépare cette salle de bains de la chambre est épaisse et atténue fortement le bruit. Je dors donc, ni moins bien, ni mieux que d’habitude.
Ce samedi matin, je reprends le car Région Hauts-de-France pour Calais et en descends une nouvelle fois à Audresselles. Le temps est sans surprise, ciel nuageux et température fraîche. Arrivé au bord de la mer, je me rends sur la plage (ici constituée de galets). J’y trouve une jeune femme en maillot qui sort de l’eau. Son compagnon resté au sec lui tend une serviette.
De cette plage, je photographie certaines maisons aux volets clos ou semi ouverts qui m’évoquent à la fois Edward Hopper et Stephen King. Remonté sur la terre sableuse, je franchis le pont bleu qui sert de point de départ au chemin de douanier qui mène à Ambleteuse. Je marche à travers les dunes et arrivé à mi-chemin, près d’un blockhaus semi détruit, choisis de ne pas aller plus loin.
De retour dans le bourg, je vais voir où en est Emilie dans son P’tit Paradis. « Tout faire bien, c’est pas possible », constate-t-elle. Elle est toujours aussi complimenteuse mais quand un client quitte le comptoir, elle le critique avec celui qui reste. Mauvais ça pour le commerce.
Mon café bu, je lis Stendhal un long moment. Quand je vais régler, celui qu’Emilie appelle son chéri me demande un euro quatre-vingts. « Ah bon ! ça a augmenté ? », lui dis-je. Il s’excuse, m’ayant fait le prix du café au restaurant.
Du car, j’ai repéré un restaurant isolé nommé Chez MiMi, spécialisé dans les fruits de mer et le poisson (depuis plus de vingt-neuf ans, est-il écrit sur la façade). Comme il n’ouvre sa porte qu’à midi pile, je n’ai pu réserver et, m’apprend une serveuse au profil d’anorexique, c’est complet hélas.
Qu’à cela ne tienne, un peu plus haut est une friterie nommée L’Abri Côtier (jeu de mot original). Il faut commander au comptoir, m’explique celle qui m’accueille et après on vous donne un bipeur et on le fait sonner quand c’est prêt. « Pas pour moi », lui dis-je en tournant les talons.
J’échoue à De Cap en Cap, l’un des restaurants alignés dans la rue perpendiculaire à la mer. Pour vingt euros, je commande des moules frites avec un quart de muscadet. Au cours du repas un guitariste qui chante fort et parfois faux vient donner l’aubade : « On s’est rencontré un soir d’été oh mon amour je t’aime oh mon amour aime-moi ». Heureusement, pour les chansons suivantes, il passe à l’italien. La dernière, Marina, est reprise en chœur par les deux serveuses. Rien de ma part dans son chapeau.
Comme j’espère une apparition du soleil, je vais boire le café en terrasse au P’tit Paradis mais il ne point pas et un petit vent froid se fait sentir. Je reste à lire néanmoins à ce P’tit Purgatoire, jusqu’au moment de rentrer avec le car de quatorze heures cinquante qui part d’Audresselles.
J’y suis seul avec la conductrice jusqu’à Ambleteuse. Là monte un jeune homme. Ensuite, à partir de Wimereux, ce car ne peut plus prendre personne pour ne pas faire concurrence aux bus Marinéo. Pas rentable cette affaire.
                                                              *
Sur l’une des ardoises murales extérieures du P’tit Paradis : «  Un bonjour, un sourire ne coûtent rien et font du bien ».
                                                              *
Autrefois, dans un certain milieu, il était courant de sonner le personnel pour qu’il vous apporte votre repas. A L’Abri Côtier, on se fait sonner par le personnel pour venir le chercher.
 

29 avril 2023


Du bus C qui traverse Le Portel, je descends ce vendredi matin à l’arrêt Parc des Falaises situé sur les hauteurs. Cela me permet de me diriger pédestrement vers la plage jouxtée des quatre éoliennes. Elles turbinent. Il y a toujours ce vent froid. De plus, il brouillasse. Ce qui est peu de chose après la pluie de la nuit. Le chemin est parsemé de flaques. Arrivé au bord de la mer, je ne puis faire autre chose que rejoindre la Brasserie Michel et d’y boire un café à un euro trente.
C’est jour de marché sur la place de l’église. Les locaux viennent se réchauffer dans l’estaminet et me donnent l’occasion, tout en lisant le Journal de Stendhal, de me plonger encore une fois dans le parler d’ici. Je prends des notes : « Deux cents euros pour payer ma garage ! » « Un petit carton avec le prix ed d’ssus. » « J’ai été à l’tirette, je me rappelle plus ed code. »
Aussi :
-J’ai failli me casser une gueule.
-On dit tomber.
-Casser une gueule ! On est au Portel, oui ou non ?
Quand je ressors, vers onze heures, il ne pleut plus mais le ciel est toujours gris et la mer agitée. Je parcours la digue jusqu’à la sortie du bourg, croisant quelques familles qui s’efforcent d’être heureuses d’être là.
A midi, je retourne à la Brasserie Michel. Le quatrième vendredi du mois, c’est blanquette de veau à quatorze euros. Elle m’est servie par un jeune homme qui manifestement aimerait faire autre chose que serveur. Le couple de la table voisine se gausse de ses approximations. Comme les autres fois, la clientèle est rare. Cette salle sombre à la déco des années soixante-dix peut contenir soixante convives. Nous sommes sept.
Je rentre à Boulogne par le premier bus C. A Outreau monte un groupe de dix ans d’un centre de loisirs, une vingtaine de moutards dont le calme m’impressionne. Il en est de même des groupes d’adolescents que je peux croiser ici ou là, jamais en train de chahuter comme le font perpétuellement les branlotins rouennais. Il arrive qu’ils me disent bonjour et ce n’est pas pour se moquer.
                                                                   *
Brasserie Michel, à un homme qui lui dit que pour aller si souvent à l’Leclerc, elle doit y avoir un amant :
-J’irons pas à l’Leclerc avec mon homme si j’y avais un amant. Il est là. Il pousse le Caddie.
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Où loge la patronne de la Brasserie Michel, qui fait aussi hôtel, quand elle est en vacances à Lisbonne ? Chez un confrère ? Pas du tout, dans un Air Bibi.
                                                                   *
Sur le marché du Portel, distribution de tracts pour la manif du Premier Mai à Boulogne. J’explique à la dame que si je suis contre le report de l’âge de la retraite, je n’ai plus envie de manifester depuis un certain nombre d’années.
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Quant à taper sur des casseroles, ce n’est pas dans mes mœurs (comme dirait Thomas Clerc).
 

28 avril 2023


Un peu de soleil mais toujours un vent froid, c’est ce que je constate ce jeudi matin à ma descente du bus F qui a l’avantage de prendre la route côtière et dont le terminus pour cause de travaux est à l’entrée de Wimereux.
Je suis de retour dans ce qui est la plus ancienne station balnéaire de la Côte d’Opale avec l’envie de faire quelques photos du Grand Hôtel (qui n’en est plus un, transformé en appartements), des villas les plus inspirantes (les meilleures sont dans les rues intérieures) et de quelques cabines dites de plage (bien qu’installées sur la digue promenade). Certaines de ces cabines ont pour nom celui de la villa de leur propriétaire (ainsi Grisélidis, qui me fait penser à une certaine prostituée), d’autres non (ainsi Corto Maltese).
Je pourrais suivre les indications de mon Guide du Routard et le tracé de la « balade architecturale » sur le plan que j’ai eu à l’Office de Tourisme, mais je préfère aller à mon gré, en évitant le soleil quand il est en face, les voitures garées, les poubelles sorties.
Vient le moment où j’en ai assez. Je vais m’asseoir sur un banc près de l’arrêt Mairie de Wimereux et un quart d’heure plus tard arrive un bus A qui me ramène à Boulogne-sur-Mer
A la Pharmacie Centrale, près de la place Dalton, je fais renouveler mes gouttes pour les yeux. Cela prend un certain temps car la pharmacienne et l’informatique cela fait deux. Lorsque j’entre Chez Jules, ma table habituelle est occupée. J’obtiens de m’installer à une table côté restaurant pour mon café lecture. Je ne perds pas au change. J’évite le commentaire des articles de La Voix du Nord par celle qui vient là tous les jours avec son journal et son mari éteint et j’ai pour spectacle silencieux le ballet de la p’tite serveuse, Angèle, qui dresse avec application les tables proches de la mienne.
J’ai réservé ici pour le déjeuner. C’est une autre table qui m’est attribuée et c’est une autre serveuse qui s’occupe de moi, aussi aimable et professionnelle. Le filet de canard rôti pommes de terre sautées au beurre de thym sauce porto dont je me faisais un plaisir par avance me déçoit, peu de goût. Avec le verre de vin rouge, la mousse au chocolat accompagnée d’une petite meringue au caramel et le café avec son congolais, cela fait comme toujours dix-huit euros.
Cette fois, je peux m’installer à la terrasse du Français pour reprendre un café et ma lecture. Je n’ose trop m’interroger sur le nom de ce café, ni sur le fait qu’un drapeau tricolore soit présent au-dessus de son auvent. Le couple assez âgé qui le tient n’a pas la tête à ça. Elle et lui sont même très sympathiques.
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Les cabines de Wimereux se transmettent de génération en génération. Leurs propriétaires les entretiennent, les démontent, les réinstallent à chaque printemps. Toutefois, certaines sont municipales et peuvent être louées. Au mois de juillet ou au mois d’août, c’est deux cent quatre-vingts euros les quatre semaines. Pas pour y loger évidemment.
                                                                      *
C’est à Wimereux qu’est mort Pilâtre de Rozier, d’un accident de ballon, voulant rallier l’Angleterre avec un ami, mort aussi. Le Collège de Wimille, à côté, bourg où il est enterré, porte son nom.
 

27 avril 2023


Ce mercredi matin, je rejoins à nouveau le point de départ du car Région Hauts-de-France de huit heures trente-trois à destination de Calais. Davantage de voyageurs qu’hier y montent, dont deux, je pense, qui ont un autre lieu à atteindre, l’Angleterre, par tous les moyens. A peine le car est-il parti que ces deux-là s’endorment. A l’arrêt Mairie de Wimereux, c’est une quinzaine d’hommes, de femmes et d’enfants d’Afrique. Ils ont l’air d’avoir couché dehors. Je n’ai pas l’impression qu’ils paient pour monter. C’est gratuit pendant les vacances scolaires pour les moins de vingt-six ans. Le chauffeur doit considérer que c’est leur cas. Peut-être sont-ils arrivés ici en bus pour ne pas se faire repérer à la Gare de Boulogne mais la Police les attendra sûrement, comme les deux endormis, au terminus de la ligne, à la Gare de Calais.
Je descends à Ambleteuse, commune de bord de mer située entre Wimereux et Audresselles, à l’arrêt Belvédère. C’est le nom d’un quartier récent que je traverse avant de trouver le Chemin de l’Estuaire, sentier champêtre qui domine les énormes dunes et le Fort Vauban. Entre les deux coule la Slack, court fleuve impétueux qui se jette dans la mer près de ce dernier.
C’est un fort beau Fort que je découvre à l’arrivée, construit pour être entouré d’eau à marée haute mais là elle est basse, ce qui me permet d’en faire le tour et aussi de m’approcher de cette Slack au nom qui claque.
Je marche ensuite sur la digue. Elle est bordée de villas moins spectaculaires que celles de ses voisines Wimereux et Audresselles. Aucun bar, aucun restaurant, des gargotes de plage qui doivent ouvrir plus tard. Deux autochtones m’indiquent la place où se tient un tout petit marché à trois vendeurs car près de celui-ci est un café ouvert, Le Reinitas, qui fait aussi marchand de tabac et de jeux à perdre et dans lequel j’entre. A part moi, la clientèle est locale et se plaint que maintenant il faut tout faire par Internet. Après avoir bu un café à un euro cinquante, malgré une radio crispante, j’avance un peu dans ma lecture du Journal de Stendhal. Celui-ci est en voyage à Rouen. Comme le fera Pierre Louÿs plus tard, il grimpe en haut de la flèche de la Cathédrale.
Les deux restaurants qui voisinent Le Reinitas sont fermés. L’un est vidé de ses tables et chaises. L’autre n’ouvre que le soir. Heureusement, il en est un troisième, à l’angle de cette rue et de la nationale où sont les arrêts du car. Il a pour nom Fort des Caps. J’y entre à midi pile. De nombreux autres font de même dans la demi-heure qui suit, surtout des familles. Une patronne, un patron, deux jeunes serveuses, dont l’une particulièrement à mon goût, font tourner la maison et elle tourne bien, sans la moindre anicroche. Dans la formule à dix-sept euros quatre-vingt-dix, je choisis le filet de plie pommes grenaille, un verre de vin blanc et le brownie glace vanille. C’est bien cuisiné, rien à voir avec Le P’tit Paradis d’Audresselles.
Avant qu’arrive le car du retour, j’explore un peu le centre du bourg. A un carrefour, je découvre une maison fortifiée, un flatiron, une ancienne chapelle et un joli café vendeur de frites, Le Café des Baigneurs, où je n’ai pas le temps d’entrer. Une pancarte indique la direction d’un foyer de L’Arche. Longtemps que je n’avais eu à l’esprit le nom de Lanza del Vasto, qui fut du combat contre l’extension du camp du Larzac et de celui contre le projet de centrale nucléaire à Creys-Malville.
                                                                    *
« Aujourd'hui Ambleteuse est aussi connue comme l'un des principaux centres de l'organisation caritative la « Communauté de l'Arche », dont les retombées économiques font vivre une partie importante de la population du bourg. » (Ouiquipédia) 
 

26 avril 2023


Ce mardi matin, je monte dans le car Région Hauts-de-France de huit heures trente-trois à destination de Calais et en descends à Audresselles, commune de bord de mer située entre Ambleteuse et le Cap Gris Nez. L’arrêt est près d’un restaurant. D’autres sont alignés dans cette rue perpendiculaire à la côte.
Je rejoins ce bord de mer et constate qu’on ne peut le longer. Des maisons ont été construites jusqu’aux premiers rochers. Il faudrait passer par le sable et je n’aime pas ça. Beaucoup de ces habitations sont remarquables, que ce soient des villas (dont l’une dans un blockhaus, on peut la louer pour ses vacances si on est huit ou dix) ou des maisons basses de pêcheurs (ici la spécialité, ce fut le homard). J’en photographie certaines puis cherche, côté Cap Gris Nez, s’il y a moyen à proximité de marcher sur un sentier. Il n’y a pas. Je m’en accommode parce que si le soleil fait des apparitions, le vent lui est constant et glacial. Cela m’amène à me réfugier au P’tit Paradis, le restaurant le plus près de la mer mais qui ne la voit pas plus que les autres. Cet endroit fait aussi café, tabac et même dépôt de boulangerie.
Mon café bu, je lis Stendhal, tant bien que mal, car il y a du bruit. La patronne, nommée Emilie, vient tout juste de reprendre cette affaire et ça la rend volubile. Elle est excitée par cette nouvelle aventure menée avec son chéri. Au point de chanter Sweet Dreams avec Eurythmics à la radio.
Vers onze heures, je ressors pour aller voir l’église fortifiée. Celle-ci est assez loin dans les terres à la sortie du village. C’est un bâtiment qui vaut le détour et d’en faire le tour avant d’y entrer. Elle est entourée d’un cimetière où, si on la cherche, ce qui n’est pas mon cas, on trouve la tombe de Martine Allain-Regnault, journaliste médicale. 
De retour au cœur du village, je passe en revue les restaurants ouverts. Aucun ne propose de menu du jour, tout au plus un plat du jour. Faute d’inspiration, je choisis Le P’tit Paradis, me disant que puisque ça vient d’ouvrir, on y sera mieux soigné.
Deux serveuses aident Elodie. Bien qu’elles ne soient pas de sa famille, elles ont une petite ressemblance avec elle. Peut-être est-ce le chéri qui les a recrutées. Elles aussi sont excitées par la nouveauté et se font des amabilités. Pourtant, je discerne déjà quelques petites frictions entre elles et aussi quelques impatiences de la patronne envers elles. Je pense que la bonne ambiance ne va pas durer longtemps mais pour le moment je bénéficie comme les autres clients de moult sourires et de « tout va bien ? ». Le plat du jour est Faluche Burger puled porc frites maison salade. Rien à en dire de particulier. Avec un quart de vin rouge basique, cela fait dix-neuf euros.
Il y a des tables en terrasse au P’tit Paradis, où je prendrais bien un café, mais avec ce vent glacial, c’est impossible. Je trouve un banc bleu abrité par une maison face à la mer pour regarder celle-ci en attendant que le car de treize heures trente-trois me ramène à Boulogne.
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Un buveur de bière au comptoir du P’tit Paradis : « J’avais des copains dans l’temps, quand j’étais jeune, je vois plus personne, La Voix du Nord je l’ai sur mon téléphone, c’est plus la même vie. »
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C’est à Audresselles qu’a été tournée la série Le P’tit Quinquin. Certains de ses habitants parlent encore le picard maritime. Dicton local des marins: « vint d'amont va coutcher aveuc les files d'Auderselle ». Traduction : quand souffle le vent d’amont (comme aujourd’hui peut-être) les marins restent à terre et s’occupent en couchant avec les filles d’Audresselles.
 

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