Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

28 juillet 2015


Un couple d’Anglais et moi-même sommes les seuls clients de l’Hôtel du Vieux Chêne à La Quarte. Dans la nuit noire souffle un vent à décrocher les draps du fil à linge et tombe une pluie à les tremper. Au matin, je descends dans la salle où m’attend un copieux déjeuner campagnard : saucisson, tomate, gros pain, motte de beurre, jus d’orange, confiture de mure, café à volonté, tout cela pour quatre euros et en regardant sur Arte un film expliquant l’astrologie en Inde.
Sous une petite pluie, je prends la route qui mène à Jussey, vieux bourg typique dans lequel ne sont ouvertes que les boulangeries et les pharmacies ainsi que le Péhemmu qui ne connaît pas la ouifi et la Maison de la Presse où j’apprends qu’une carte Michelin jaune comme je cherche ça n’existe plus depuis au moins quinze ans. Je refuse d’acheter le nouveau modèle.
« C’est plus le même temps », me dit un autochtone qui me voit passer sous le parapluie. Je n’ai pas connu l’autre. Il s’améliore quand je passe dans les Vosges pour voir Châtillon-sur-Saône et bientôt je me retrouve en Haute-Marne à Bourbonne-les-Bains, curieuse station thermale. J’y trouve la ouifi à l’Hôtel de l’Agriculture puis repasse en Haute-Saône.
Mon intention de déjeuner au Trianon à Saint-Loup-sur-Semouse est mise à bas par la marchande de chaussures qui m’apprend qu’il est fermé depuis des années. Voilà ce qu’il en coûte de voyager avec un Guide du Routard d’il y a dix ans. Il n’y a pas de restaurant ouvert le lundi, m’apprend-elle, à part une pizzéria à la sortie. Elle en oublie un qui se trouve aussi à la sortie, le restaurant gastronomique Remy, sis dans un manoir, qui propose le midi un menu à treize euros. Je fais marche arrière et y entre. Une belle salle donnant sur le parc, une hôtesse charmante qui parle comme à Neuilly, une clientèle majoritairement composée de trios, de duos ou de solos, je me sens tout de suite à mon aise. Ici on déjeune le pull posé sur les épaules, Lacoste ou non. Derrière moi s’installe un trio composé de Martine et Robert, qui ont du mal à faire oublier leurs origines populaires, et de leur petite fille blonde à chignon de danseuse, complètement hamiltonienne. « Tu raconteras ça à ta mère », lui dit le grand-père.
Pour accompagner mon risotto d’épeautre aux trompettes et le poulet sauté à la moutarde, je choisis une demi-bouteille de vin du Jura : un Arbois-Pupillin de la maison Ploussard, ici proposé à quinze euros.
-Y a maman qu’a répondu : « Tu as de la chance, ils te gâtent tes grands-parents ».
Bientôt le téléphone du grand-père sonne bruyamment. Il explique que tout le monde mange à des tables rondes et que la petite est contente.
Pour dessert, c’est un excellent café accompagné d’une boule de glace à la violette. L’hôtesse se renseigne sur la demoiselle qui est en sport études. Elle va bientôt faire un championnat du monde de natation. Ce sera à Versailles. L’an dernier, c’était à Rio. Dommage.
Je quitte l’endroit content, échangeant un sourire avec la jolie nageuse. Il me faut ensuite aller bien plus loin que j’en avais envie, passer Luxeuil-les-Bains, traverser le plateau des Mille Etangs (tous privés, dont je vois au moins six), ignorer la chapelle du Corbusier à Ronchamp, voir Lure, gros bourg qui me repousse, pour enfin trouver une chambre en bordure de l’Ognon à l’Hôtel de la Terrasse de Villersexel. C’est cinquante-cinq euros pour un solitaire et comme il n’en restait qu’une, c’est la meilleure, celle disposant de la vaste terrasse qui donne nom à l’établissement où sont installés une table avec deux chaises et un seul transat dont je profite avant d’aller à pied jusqu’au bourg.
Soulagé d’être casé pour la nuit, je prends un diabolo menthe à un euro cinquante au Café du Centre, au rez-de-chaussée d’une bâtisse sans cachet qui date pourtant de mil six cent dix-sept. On y parle du Marcel, le copain de la mère au Christian, qui savait faire les paniers comme les manouches.
                                                                       *
Je n’accroche pas vraiment avec cette Haute-Saône. Elle ne me donne pas envie de la photographier.
 

27 juillet 2015


Pourquoi pas la Franche-Comté, me suis-je dit quand il s’est agi de partir un peu de Rouen cet été, une région où je n’ai fait que passer, que je connais peu. Me voici donc parti ce dimanche vingt-six juillet, sans grande envie et avec la volonté d’éviter la région parisienne. Il fait gris et pour arranger les choses, ma petite voiture démarre encore plus mal que d’habitude, non plus au deuxième coup de clé mais au quatrième ou cinquième. Je descends jusqu’à Dreux puis bifurque vers l’Est, passe par Nogent-le-Roi, Maintenon, Etampes, Milly-la-Forêt, Fontainebleau
Une pause s’impose à Pont-sur-Yonne, joli bourg où c’est jour d’imposant marché. Il possède un vieux pont façon Avignon. On n’y danse pas mais on y boit en terrasse, pour ma part un café à un euro vingt. On n’est pas bien loin de Paris mais c’est vraiment la province. « Pourquoi payer plus cher pour bien manger » est-il écrit sur le mur du Tire-Bouchon, un restaurant hélas définitivement fermé.
Je reprends la route, frôle Sens et Troyes sans voir le moindre restaurant de bord de route ouvert. Avant Bar-sur-Aube, à treize heures, je m’arrête au seul possible, nommé La Mangeoire, un grand bâtiment dont le sol est en pavés de rue. Des familles du terroir y mangent. Un jeune homme est dans l’Armée. Sa grand-mère lui demande s’il change ses draps lui-même. Le premier menu est à vingt-six euros. J’y choisis la terrine de lapin et son chutney de figues, la poularde aux petits légumes, fromage et tarte aux pommes. C’est cuisiné sans effort et peu bon. Derrière moi s’installe un jeune couple. Elle l’appelle Mamour. Je dis au serveur que je suis pressé, qu’il m’apporte vite l’addition, et je file.
Après Bar-sur-Aube, c’est Colombey-les-Deux-Eglises et sa croix de Lorraine visible d’aussi loin que la Cathédrale de Chartres ou le Mont-Saint-Michel. Je frôle Chaumont et Langres et entre en Haute-Saône. « Evite Vesoul », m’a écrit quelqu’un qui connaît bien la ville. J’en suis proche quand arrive la fin d’après-midi. Où me loger ? Les maisons d’hôtes sont rares et désertes, les hôtels fermés. Je fais demi-tour et en trouve un au bord de la nationale à La Quarte, nommé Le Vieux Chêne. J’y prends chambre pour la nuit alors qu’il se met à pleuvoir, quarante-quatre euros petit-déjeuner compris sans ouifi. « On aura peut-être Internet en deux mille dix-sept », me dit le patron.
                                                                *
Bar-sur-Aube : souvenir d’une de mes premières vacances. J’étais en compagnie de mon meilleur copain de lycée qui y retrouvait celle qui deviendrait sa femme, dont les parents avaient déménagé des environs de Louviers et ce bourg lointain. J’avais ma première voiture (une Méhari), il n’en avait pas, ceci explique peut-être ma présence. Nous campions et l’après-midi je devais aller prendre un café pendant qu’elle et lui baisaient dans la tente. Au retour, il m’avait demandé d’aller chercher les photos de vacances au Studio Henry à Louviers. Le photographe était furieux : les deux dernières montraient la demoiselle nue les cuisses écartées. « Regardez ! » m’a-t-il dit. Il ne les avait pas tirées et refusa de me donner les autres. Je n’ai jamais dit à mon copain que j’avais vu les négatifs.
 

25 juillet 2015


Est-ce raisonnable d’acheter les Oeuvres (complètes, sans les pamphlets évidemment) de Louis-Ferdinand Céline publiées au Club de l’Honnête Homme en mil neuf cent quatre-vingt-un, neuf lourds volumes tirés sur Vergé d’après des maquettes de Massin, avec des reliures exécutées et gravées à l’or fin et dorées par les Ateliers Mellottée à l’aide de fers originaux, et cela quand je devrais être occupé à préparer mes bagages ? C’est ce que je fais ce vendredi en début d’après-midi, me rendant sous le ciel lourd à la bouquinerie rurale Détéherre qui les propose à deux cent cinquante euros.
La fille de la maison trouve deux cartons, y range mon pesant et volumineux achat et se propose pour m’aider à les porter jusqu’à ma voiture.
-C’est surtout à l’arrivée que j’aurais besoin d’une aide. Si vous voulez, je vous emmène.
-Je ne crois pas que ce soit possible, me répond-elle, on a besoin de moi au magasin.
Son père semble de cet avis. C’est donc avec mes deux bras que je transporte les neuf volumes depuis l’île Lacroix jusqu’à chez moi.
Je me remets de l’effort à la terrasse de L’Interlude, songeant qu’une fois encore j’ai raté les soldes qui m’auraient permis de renouveler ma garde-robe, trop chaud au début, trop d’averses ensuite, et les jours qui passent. C’est mal vêtu que je prendrai dimanche matin la route qui mène en Haute-Saône.
Comme il me manque la carte Michelin de cette contrée, je demande ce samedi matin à Joseph Trotta s’il n’a pas ça dans ses vieux papiers du Clos Saint-Marc. Oui, il a des cartes Michelin dans un carton, me dit-il, mais il n’est pas encore prêt. Je repasse donc à onze heures. Il cherche, me dit qu’il a vu ça quelque part, ne trouve pas, m’abandonne pour aller faire des guili-guilis à un nouveau-né. Je laisse tomber, dis bonjour à un autre bouquiniste plus sympathique qui m’apprend qu’il a une correspondance de Flaubert en quatre volumes, celle de l’édition du centenaire, Ce pourrait être mon premier achat de livres après retour de vacances.
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Le point faible de l’édition de Céline au Club de l’Honnête Homme : elle est illustrée par Raymond Moretti, celui qui a salopé les couvertures du Magazine Littéraire pendant des années.
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Rue de la Croix de Fer, un jeune homme au regard éperdu m’aborde. Je m’attends à une demande d’argent mais c’est la Seine que cherche et vers laquelle court cet échappé de la chanson de Nougaro.
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« De Flaubert à Monet, en passant par Malot et Hugo, ou, plus récemment, Matthieu Chédid, la Seine nourrit les imaginaires. » (Valérie Fourneyron, ancienne Ministre des Sports, ancienne Maire de Rouen, Députée, voulant une part de gâteau pour Le Havre aux Jeux Olympiques convoités par Paris)
 

24 juillet 2015


Assuré de trouver musique à mon goût ce troisième jeudi de terrasses avec Hot Slap, découvert lors de la dernière Fête de la Musique, je vais d’abord place des Floralies et du Socrate réunis voir et entendre Thomas Schoeffler Jr.
Venu d’Alsace, il joue du folk américain, chemise à carreaux et djine à genoux troués. « Bonjour Rouen », « Rouen, je vais te chanter une chanson qui… ». C’est un de ces artistes qui s’adressent à un public globalisé et défini par son lieu d’existence, ce qui me hérisse d’emblée. Le public est composé d’assis des terrasses et d’assis sur les marches et le pourtour du bassin. Un zonard fait son numéro en dansant à sa façon. « Je vous ai amené le soleil du Périgord » déclare-t-il, se croyant l’objet des applaudissements. Je quitte au bout de trois morceaux.
Une splendide voiture au nom de château jouxte la scène où doit jouer Hot Slap Trio, place du Lieutenant-Aubert. Il s’en échappe un musique d’époque. Je salue quelques connaissances. Un petit homme souriant à casquette vient me dit bonjour.
-On se connaît, me dit-il, mais je ne sais plus d’où.
-Val-de-Reuil, tu es instit, non ?
-Ah oui, ça y est, j’y suis, me répond-il.
Il me rappelle son nom.
-Tu as l’air de bien connaître les musiciens, lui dis-je.
-Je suis obligé, c’est mon fils qui tient la guitare.
Ce jeune guitariste, Martin Vivien, est aussi le chanteur et le meneur du trio. Il distribue la liste à jouer au batteur, Franky Wankers. « Pour toi, j’ai écrit en majuscule », lui dit-il. Didier Sel, le contrebassiste à l’impressionnante banane, les rejoint sur scène. Place à la bonne musique des fifties, au rockabilly mâtiné d’un peu de country.
Mon ancien collègue de Val-de-Reuil se lance dans un rock endiablé (comme on dit) avec une jolie créature. A l’invitation de son fils, le public se rapproche, ce qui nuit un peu à la possibilité de danser et aussi (ce n’est pas un mal) aux déplacements dommageables des photographes.
Cette fois-ci, je suis tout à fait disposé à acheter le cédé récemment sorti chez Smap Records, ce que je fais à l’issue du premier set auprès du producteur, l’ami Claude Levieux.
Avant que le Hot Slap Trio ne rejoue, j’ai le temps de passer à la maison. En arrivant rue Saint-Romain, j’ai une grosse frayeur en découvrant à hauteur de ma ruelle plusieurs camions de pompiers le gyrophare en bataille. Par bonheur aucun des hommes du feu n’est présent dans celle-ci. Ils se concentrent sur l’Archevêché. Le service de recherche toxicologique fait des prélèvements dans les soupiraux d’où semble émaner des vapeurs méphitiques ou méphistophéliques.
Un peu avant vingt et une heures, les camions de pompiers sont toujours là, le moteur tournant, quand je rejoins la place pour le second set. Au numéro trois, le jeune homme du premier étage, sous lequel est installé la scène, ferme sa fenêtre et ses rideaux d’un air excédé dès le début du premier morceau.
Un nombreux public se masse devant les musiciens, dont des enivrés de premier rang parmi lesquels quelques-uns que je côtoie parfois à différentes heures et j’ai toujours vus saouls. L’un, au surnom évocateur, danse avec sa bouteille. Près de moi, un homme à salopette fait danser savamment la femme d’un autre. L’harmoniciste prénommé Jean-Luc se joint au trio sur quelques morceaux. A un répertoire surtout composé de reprises s’ajoutent quelques compositions. C’est un excellent moment qui s’achève vers vingt-deux heures trente et me réconcilie temporairement avec les concerts. Quand je rentre à la maison, les pompiers ne sont plus là.
 

23 juillet 2015


Dans le sept heures cinquante-neuf de ce mercredi, à ceux qui utilisent régulièrement ce mode de transport pour aller travailler à Paris s’ajoutent des inhabituels qui ont abandonné la voiture de crainte d’être bloqués au retour par les éleveurs de bovins. Hier soir, avec leurs gros tracteurs, ces derniers ont empêché quiconque d’entrer à Rouen, après avoir fait de même à Caen et Evreux, barré les ponts de Brotonne et de Normandie et déversé du fumier à l’entrée de centres commerciaux.
A l’arrivée, les métros Douze et Huit m’emmènent jusqu’à l’angle des rues Ledru-Rollin et du Faubourg-Saint-Antoine où s’affiche le justicier Nicolas Dupont-Aignan : « Automobilistes méprisés, ne vous laissez plus faire ». Je fais mes courses chez Book-Off puis déjeune rue de Charonne à la terrasse de Chez Céleste pour dix-huit euros cinquante : mixte de pasteis (beignets de poissons divers), colombo de poulet, quart de vin portugais.
Près de moi un trentenaire est rejoint par un peute pas vu depuis longtemps. Ils se parlent avec la gaieté exagérée qui caractérise la conversation de beaucoup de garçons de cette génération. Pourtant celui qui attendait est dans une mauvaise passe : « Victoria s’est barrée du jour au lendemain ». Alors qu’ils s’entendaient très bien. Elle lui a dit : « Je sais pas pourquoi je pars, mais je pars ». Lui qui était si gentil et faisait tout ce qu’elle voulait. Heureusement qu’il n’a pas pris un appartement avec elle. Dans quelle merde il serait. « Je serais en train de pleurer chez mes parents. »
Avant de passer par l’autre Book-Off dont me rapproche le bus Vingt-Neuf, je vais prendre l’ombre dans le jardin du Palais Royal où je réussis à choper une chaise métallique près du bassin à jets d’eau. De jeunes pique-niqueurs y engagent une partie de pétanque (heureusement Barbey d’Aurevilly n’est pas là pour voir ça).
Ils sont remplacés par une poupée vivante en robe rose que l’on maquille et que l’on coiffe avant de la filmer marchant sur le bord du bassin avec à la main des ballons colorés qu’elle laisse s’envoler. A peine le dernier ballon a-t-il disparu dans le ciel mi-bleu mi-nuageux que des autorités badgées arrivent et virent cette équipe artistique qui passe devant moi en manifestant sa mauvaise humeur :
-Les fumiers ! Les veaux !
Le Parisien retourne à ses origines paysannes quand il est en colère.
                                                          *
Un des habituels voyageurs de l’aller travaillant à Paris dans le big data à l’un des inhabituels de sa connaissance travaillant dans le paramédical de pointe :
-Même si vous désactivez les cookies de votre ordinateur, il y a des moyens pour vous repérer grâce aux particularités techniques de chaque machine, par exemple le petit décalage entre son horloge interne et l’heure universelle. On est sûr que c’est vous et on peut vous envoyer des publicités ciblées.
-En même temps, lui répond le novice, je préfère que les publicités qu’on m’envoie soient ciblées, Si je cherche un abri de jardin, c’est bien que j’aie des liens vers les abris de jardin.
-Oui, mais comme on sait dans quelle gamme de prix vous achetez d’habitude, si vous êtes un habitué du premium on vous enverra directement sur les abris de jardin les plus chers, vous ne saurez pas qu’il y avait aussi bien pour moins cher.
                                                       *
Parmi les livres rapportés de la capitale : La force de vivre, les mémoires d’Erskine Caldwell publiés chez Belfond.
 

22 juillet 2015


Le vingt et un octobre mil neuf cent trente-neuf, Sartre fait à nouveau usage de son don pour la prospective :
Mon amour, je ne crois pas que la guerre sera longue : un an, un an et demi au plus.
La correspondance avec Simone se poursuit, d’où j’extrais quelques notes pittoresques sur sa vie de soldat et d’autres concernant ses lectures (Flaubert en prend pour son grade, comme on dit à l’armée)
C’est curieux comme la guerre développe l’envie. Envie des sous-officiers de réserve contre les sous-officiers d’active qui touchent leur solde, envie des non-fonctionnaires contre les fonctionnaires qui touchent leur traitement, envie des paysans contre les ouvriers de l'arrière qui touchent leur salaire. (vingt-huit octobre mil neuf cent trente-neuf)
… quelques douces notations de gâteux idyllique dans le Journal de Tolstoï (…). Décidément vous me tuerez quand j’aurai dépassé la soixantaine. (mardi sept novembre mil neuf cent trente-neuf)
Je viens de faire un long discours sur les prix littéraires et l’activité commerciale des maisons d’édition à Mistler et à Pieter, ça intéressait l’un comme révolté et l’autre comme commerçant. (douze novembre mil neuf cent trente-neuf)
Tout juste un petit mot de Tania. La fin est bâclée et elle avait vivement griffonné qu’elle m’aimait passionnément, parce que Blin, de l’Atelier, venait à elle. Ce Blin tourne autour d’elle et cherche une histoire. Elle est flattée et je suppose que ça va s’emmancher. Je dois dire que ça m’est très désagréable. (vingt-cinq novembre mil neuf cent trente-neuf)
J’ai lu L’Education sentimentale de Flaubert en prenant des notes sur son style qui est exécrable. Que pensez-vous de cette phrase : « Cela descendit dans les profondeurs de son tempérament, et devenait presque une manière générale de sentir, un mode nouveau d’exister » ? Voilà pourtant ce qu’écrit ce type à qui l’on fait la réputation d’être un habile styliste. C’est d’ailleurs bête à pleurer. Mais intéressant malgré lui. (six décembre mil neuf cent trente-neuf)
C’était charmant d’ailleurs, les soldats s’interrogeaient dans le car : « Vous allez à l’hôtel Bellevue ? » « Non moi c’est à l’hôtel Beausite. » (même date)
Au revoir, mon cher amour. Il est dix heures moins le quart, dans la salle à manger il y a un piano et je vais en jouer un moment pour faire danser les secrétaires. (même date)
Je ne peux plus lire L’Education sentimentale c’est trop bête et puis j’ai horreur de la grosse délicatesse de ce temps-là – ça fait galanterie de monsieur barbu, conscient de son savoir-vivre, avec des doigts blancs et boudinés. (sept décembre mil neuf cent trente-neuf)
A part ça, c’est toujours cette vie resserrée de phalanstère. De phalanstère vers la fin, quand l’expérience a échoué, qu’on ne veut pas encore tout à fait l’admettre mais qu’on se hait dans tous les coins. (huit décembre mil neuf cent trente-neuf)
 

21 juillet 2015


Septembre mil neuf cent trente-neuf, voici Sartre coincé dans la drôle de guerre. Posté à la frontière, il fait face à un ennemi pas pressé d’attaquer et se débrouille au mieux pour éviter certains désagréments de la vie de garnison (il mange au restaurant, écrit ou lit au café, évite les dortoirs), une nouvelle vie qu’il n’avait pas anticipée comme le montre cet extrait de lettre de fin août mil neuf cent trente-neuf à Louise Védrine :
Il est impossible qu’Hitler songe à entamer une guerre avec l’état d’esprit des populations allemandes.
Quelques jours après, il est en uniforme et entreprend de narrer presque quotidiennement sa vie de soldat au « charmant Castor » :
Je m’étais promis de fraterniser mais je ne peux pas. Je me le suis amèrement reproché. Je n’ai pas le mot qui coule, ni l’abord amène. (samedi deux septembre mil neuf cent trente-neuf)
Nous attendons, nous nous promenons dans une plaisante campagne, nous ramassons des mirabelles (car je suis par la force des choses devenu un peu champêtre). (mardi cinq septembre mil neuf cent trente-neuf)
J’ai vu des photos de Paris pendant l’alerte du matin et ça m’a plutôt rassuré : on voyait de belles vendeuses qui se dirigeaient en riant vers les abris. J’imagine qu’on a choisi  des Parisiens modèles, comme on montre des usines modèles en Russie. Mais tout de même, il avait l’air de faire beau là-bas et puis ça avait un petit air de Paris. (vendredi huit septembre mil neuf cent trente-neuf)
Par ailleurs le colonel a émis l’idée que je lui donne des leçons de philosophie pour parfaire sa culture générale. A part ça, une paix royale. (quatorze septembre mil neuf cent trente-neuf)
J’ai commencé le Journal de Dabit : des cris fadasses. C’est visiblement un con. (vingt et un septembre mil neuf cent trente-neuf)
Je lis toujours Dabit. C’est gonflant quand on est soi-même en pleine guerre de lire le Journal d’un type qui a passé ses dernières années à chier de peur devant la guerre future et qui a fini par mourir de la scarlatine. (vingt-trois septembre mil neuf cent trente-neuf)
Je suis un sujet de divertissement considérable pour mes trois acolytes à cause de la façon dont je mets mes bandes molletières et puis parce que je suis toujours en train de perdre quelqu’une des propriétés collectives que l’Etat me concède. (vingt-sept septembre mil neuf cent trente-neuf)
Je viens d’être interrompu par Mistler et Courcy dans le bureau des officiers, ils organisaient une chasse aux moustiques et les écrasaient au plafond avec la hampe du drapeau français. (vingt et un octobre mil neuf cent trente-neuf)
                                                                *
Je n’ai pas le mot qui coule, ni l’abord amène. J’aime bien cette formule que je peux faire mienne.
 

20 juillet 2015


Il suffisait de peu de chose pour que le jardin commun retrouve son calme, du départ en vacances des deux voisines à chiens, lesquelles l’ont au fil du temps transformé en terrain de campigne municipal, s’y montrant même en pyjama (ne manque que le seau de nuit). Cette tranquillité retrouvée est un peu étrange et je n’en profite guère car quand il s’agit de lire je préfère le faire entouré.
Je passe donc deux heures chaque jour et parfois davantage à diverses terrasses. Celle du Son du Cor jusqu’à présent ne souffre pas des vacances. J’y côtoie des touristes et des habitant(e)s du quartier parmi lesquel(le)s des lecteurs et lectrices, dont l’une vraiment charmante, au copain absent, avec qui ma relation se résume à un bonjour et un au revoir souriants.
Autre conséquence des vacances d’été, le départ des locataires des deux studios meublés d’en face dans la ruelle, deux garçons à peine vus, qui y auront passé l’année les rideaux tirés et la lumière allumée toute la nuit. Ce samedi, l’un deux, en compagnie de sa mère, ayant enfin ouvert les rideaux, faisait les carreaux, signe flagrant d’un proche état des lieux.
Jamais je n’ai vu un étudiant ou une étudiante faire les carreaux de son logement avant le moment de le quitter.
                                                             *
Ce samedi matin, j’évite, place des Floralies et du Socrate réunis, les disciples de Cheminade, pas vus depuis longtemps. Je les retrouve dimanche au marché du Clos Saint-Marc. La Grèce est en perdition, profitons-en pour faire quelques adhésions.
                                                             *
La guide touristique, dont l’accent anglais est si mauvais que je la comprends, au passage du petit train empli de vieux touristes semblables à ceux qu’elle cornaque à pied, s’adressant à ces derniers : « Oh, the ridiculous little train ! ». It’s the pot calling the kettle back, aurais-je pu lui dire.
                                                             *
Femmes qui désormais quand elles s’adressent l’une à l’autre s’appellent « ma belle » :
-Ah, bonjour, ma belle.
-Comment vas-tu, ma belle ?
-Allez, bisou, ma belle.
 

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