Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 août 2015


La première, je la connais depuis ses années de lycée. Ses études à la fac ont tourné court. L’an dernier, elle m’annonce qu’elle va saisir la possibilité donnée à qui a le bac et a travaillé au moins cinq ans de passer le concours de prof des écoles. Elle étudie à fond pendant un an et pour ses trente ans atteint son objectif.
La deuxième, je lui parle pour la première fois mardi dernier quand je la croise dans la rue Saint-Nicolas avec ses deux jeunes enfants. Auparavant, nos échanges se résumaient à un bonjour quand elle fumait devant son magasin qui a fermé brutalement. Elle m’explique ses déboires avec la propriétaire de la boutique et me dit que comme elle a travaillé dix ans elle songe à passer le concours pour être prof des écoles. Elle a une copine qui l’a fait, me dit-elle. Je lui dis que je connais aussi quelqu’une dans ce cas et que si cette dernière est d’accord je lui donnerai son numéro de téléphone.
Elle me dit alors qu’elle me voyait autrefois dans le train entre Val-de-Reuil et Paris. Elle est très physionomiste. Ce n’est pas comme moi, lui dis-je, je n’ai pas eu l’impression de vous avoir déjà vue quand je vous ai dit bonjour la première fois. « J’avais dix ou douze ans », me fait-elle remarquer. Elle en a vingt-neuf. Il apparaît qu’elle a pu me voir ailleurs aussi, dans l’une des écoles de Védéherre. Elle était amie avec la fille d’une institutrice de ma connaissance.
Quand je parle de la deuxième à la première, lui expliquant que cette inconnue me connaissait depuis longtemps, et lui demande si elle est d’accord pour que je lui donne son numéro de téléphone, lui parlant de la boutique que tenait cette fille, elle s’exclame « Je la connais, c’est une copine à moi » et en conclut que le monde est petit.
J’aimerais trouver une autre conclusion mais quelle ?
                                                                       *
Ce vendredi matin au Rêve de l’Escalier une femme s’enthousiasme à haute voix. Elle est de la région parisienne et n’a pourtant jamais vu ça. Elle fait ses compliments au bouquiniste qui boit du petit lait (comme on dit) tandis que je ricane intérieurement.
-Vous ne connaissez pas de librairie semblable à la vôtre sur Paris ? demande-t-elle.
Non, il ne connaît pas. Je me tais, ne voulant pas vanter d’autres boutiques en cette boutique, et puis je ne supporte pas qui dit « sur Paris » au lieu de « à Paris ».
                                                                       *
Auparavant, je prends livraison au Clos Saint-Marc de trois tomes de l’édition du centenaire de la Correspondance de Flaubert. Il manque le quatrième, pourtant promis, mais je n’en fais pas reproche au bouquiniste, d’autant qu’il a, à ma demande, couvert les livres d’un plastique translucide.
Comme ce matin il déstocke à un euro, je lui achète aussi cinq autres livres dont l’énorme Histoire et dossier de la prostitution de Servais et Laurend (L’Encyclopédie contemporaine) et le mince et prometteur Petit manuel du parfait aventurier de Pierre Mac Orlan (Mercure de France).
                                                                      *
Parfois on me demande : « Ce n’est pas toi qui as écrit qu’il n’était plus question que tu te laisses envahir par les livres ? »
 

13 août 2015


-Quinze euros dix, m’annonce ce mercredi matin la caissière de la maison de la presse de la gare de Rouen à qui j’ai demandé un carnet de tickets de métro parisien.
-Ça a augmenté ?
-C’est un euro de plus qu’à Paris.
Je lui dis que ce n’était pas le cas avant. Elle m’assure du contraire. Je lui laisse son carnet de tickets, certain qu’elle ne dit pas la vérité, j’achetais toujours ici car on y accepte la carte bancaire pour moins de quinze euros, contrairement aux tabacs parisiens. Un euro pour sortir un carnet d’un tiroir et le poser sur le comptoir, cette commerçante représente bien sa profession.
-A partir de combien je peux faire une carte ? entends-je deux heures plus tard chez Book-Off .
-Un euro, répond-on à ce quidam qui lorsqu’il passe à la pompe pour sa voiture doit dire qu’il fait de l’essence.
Jamais je n’ai été tant chargé que lorsque je quitte la boutique sous la chaleur montante, gardant toutefois une main libre en prévision des achats que je ferai dans l’autre en fin d’après-midi.
Je déjeune encore une fois Chez Céleste, en terrasse à l’une des places protégées du soleil par l’auvent, apercevant pour la première fois celle qui donne son nom à ce restaurant, dame d’un certain âge venue du Cap Vert : salade au magret de canard, poulet churrasco, quart de vin portugais. Près de moi s’installe un jeune couple de touristes français, elle à l’ombre, lui destiné à prendre un coup du soleil.
-Qu’est-ce vous voulez boire ? leur demande la serveuse en posant une bouteille d’eau fraîche sur la table.
C’est évidemment la fille qui répond :
-Nan, de l’eau, ça ira comme ça. Tu voulais aut’chose, toi ?
Le garçon ne bronche pas. Il la regarde chercher à l’aide de son téléphone comment employer l’après-midi.
-On peut faire la Tour Eiffel, lui apprend-elle. Ah, il y a aussi ça : « Insolite : les vieilles rues de Paris ».
Je passe le mien une nouvelle fois chez Pompidou profitant de deux avantages : me délester au vestiaire du poids que je trimballe et me balader dans les salles fraîches en regardant des belles œuvres et des jolies filles. Gérard Deschamps est-il le pluriel de Marcel Duchamp ? question que je me pose devant son assemblage de corsets roses dont l’un ensanglanté intitulé Les chiffons de La Châtre.
-Rien ne nous sera épargné, annonce une employée de l’endroit à une autre.
-Keski s’passe ?
-Y en a un qu’a renversé sa bouteille d’eau.
Vers dix-huit heures, n’ayant plus une main libre, après qu’une fille dans le métro m’a proposé sa place assise bien qu’elle soit avec son copain (refusée bien sûr), la pharmacie voisine annonçant trente-deux degrés cinq, je me pose à l’intérieur de L’Atlantique et commande une coupe de glace. Pas de rhum raisin, ni de caramel, rien que les parfums de base, me dit le garçon à tête de garçon. Je me rabats sur menthe, vanille et pistache.
L’avantage de ce café, c’est de n’avoir que la rue à traverser pour être dans la gare, ce qui est bienvenu quand on est surchargé de livres et qu’il se met à choir de grosses gouttes de pluie.
                                                                  *
Parmi les livres rapportés : Les livres de ma vie d’Henry Miller (L’Etrangère/Gallimard), les Mémoires de Canler, ancien Chef de la Sûreté (Le Temps Retrouvé/Mercure de France), Satie par Anne Rey (Le Seuil), Fille de la campagne, les mémoires d’Edna O’Brien (Sabine Wespieser) et la Correspondance entre Marina Tsvetaïeva et Rainer Maria Rilke (Rivages Poche).
                                                                  *
Ils font une carte
Ils font de l’essence
Ils font la Tour Eiffel
Ils font pitié.
 

12 août 2015


En mai quarante, Sartre a encore le temps de faire état de son bel optimisme à Simone de Beauvoir et hop début juillet il est fait prisonnier :
Ici les gens sont très calmes sauf quelques pessimistes de carrière qui voient déjà les Allemands à Paris. (dimanche douze mai mil neuf cent quarante)
Ce que je peux vous dire de plus rassurant c’est qu’il y a une chance à présent que la guerre soit finie avant l’hiver 41. (mardi quatorze mai mil neuf cent quarante)
Mon charmant Castor. Je suis prisonnier et fort bien traité, je peux travailler un peu et je ne m’ennuie pas trop et puis je pense que d’ici peu je vais pouvoir vous revoir. (deux juillet mil neuf cent quarante)
Dès lors, il va s’employer à n’en point trop souffrir :
Je suis tombé d’abord dans un drôle de milieu : l’aristocratie du camp, l’infirmerie. Il y a aussi la puissante ploutocratie des cuisines et les politiciens ou chefs de baraque. De l’infirmerie j’ai été éjecté par des intrigues et je suis arrivé, visant à éviter le travail des champs pour lequel j’ai, jusqu’à nouvel ordre, peu de dons, dans le milieu des artistes, le genre cigales… (…) Ils ont un vrai petit théâtre où ils jouent devant les quinze cents prisonniers du camp, deux dimanches par mois. Moyennant quoi ils sont payés, peuvent se lever tard le matin, et ne rien foutre de toute la journée. (…) Par ailleurs ma fréquentation ordinaire ce sont les prêtres. Surtout un jeune vicaire et un novice jésuite, qui d’ailleurs se haïssent, en viennent aux mains à propos de théologie mariale et me font trancher le débat. Je tranche. (vingt-six octobre mil neuf cent quarante)
Par exemple j’ai des poux mais comme toutes les curiosités naturelles, les poux m’ont déçu. Ils ne piquent pas, ils frôlent et ne sont remarquables que par leur remarquable prolificité. (même date)
J’ai fait un mystère de Noël qui émeut fort paraît-il, au point qu’un des acteurs a envie de pleurer en jouant. Pour moi, je tiens le rôle du roi Mage. (dix décembre mil neuf cent quarante)
Pour moi je vous dirai que je vis toujours avec mes prêtres et que je leur fais des cours de philo en échange de quoi ils me gavent et me logent. (non daté, mil neuf cent quarante)
Il sera libéré en mars mil neuf cent quarante et un.
 

11 août 2015


Gul de Boa et Philippe Davenet donnent concert gratuit les lundis d’août en des lieux différents dont l’aître Saint-Maclou proche de chez moi mais c’est ailleurs que je choisis d’aller les voir et écouter, préférant l’exceptionnel. Ce lundi soir, de l’île Lacroix où je retrouve ma voiture, j’aperçois l’objectif: le monument à la gloire de la Jeanne accroché sur la colline devant la kitchissime basilique Notre-Dame de Bonsecours.
De Gul de Boa, j’ai un lointain et bon souvenir, l’ayant découvert avant le début de ce Journal lors d’une présentation de saison au Théâtre des Deux Rives. Quant à Philippe Davenet, j’ai pu apprécier son talent de pianiste au même endroit une autre année.
L’heure du rendez-vous est précise : vingt et une heures sept afin qu’après un quart d’heure de déambulation le public soit en place à l’heure précise du coucher de soleil mais évidemment je suis en avance. Je choisis de ne pas déambuler derrière Gul et sa guitare, préférant dès à présent bénéficier du panorama sur la ville, côté jardin : les fumées industrielles, côté cour : les tours de Canteleu, entre les deux : Rouen, son fleuve parcouru par les péniches, son pont métallique où passent bruyamment les trains, ses monuments divers, et en fond de scène : le ciel avec la boule rouge qui descend.
Philippe Davenet, homme à casquette et lunettes rouges, est en place au piano, attendant l’arrivée de son complice et de sa suite. Il remarque que l’un des quatre moutons de pierre (ce soir munis de couvre-chefs ou de lunettes) est descellé et menace de basculer. « Je ne jouerai pas trop fort », promet-il. Je songe au dimanche matin où nous avions réussi, celle qui me tenait la main et moi, à franchir les barrières qui empêchent ordinairement l’accès de ce lieu. Elle avait grimpé sur le dos d’un des moutons. Je l’avais photographiée au-dessus du vide. À cette époque, je l’appelais Petite Folle et ce n’était pas pour rien.
Tandis que s’installe le monde sur les quelques chaises, sur les marches de pierre ou par terre, Gul de Boa, dont le physique d’Indien des villes est approprié à la situation, surveille le ciel et sa montre, cependant que Philippe Davenet improvise jusqu’à l’exact coucher du soleil. Le concert peut commencer. Gul salue les statues qui nous entourent : Sainte Marguerite, Sainte Catherine, l'Archange Saint Michel et la Pucelle « avec son armure ras la foune ».
Dès la première chanson, je le retrouve comme dans mon souvenir, quelque part du côté de Ferré et Thiéfaine, mais avec un univers bien à lui. Ses textes d’une gaîté sans espoir sont savamment écrits et interprétés. Son pianiste d’été les met en valeur. Bref, cela me plaît tout à fait : « Si tu es d’accord, t’es mort » « Et si tu n’es pas d’accord, t’es mort aussi ». Le ciel s’obscurcit doucement, l’éclairagiste étant à la hauteur. L’accessoiriste aussi, qui fait passer un hélicoptère au-dessus de nos têtes entre deux chansons.
Parmi ses compositions Gul glisse une bonne reprise de La vente aux enchères de Gilbert Bécaud et, de temps à autre, il évoque le lieu d’exception où nous sommes, l’histoire de sa construction, le funiculaire qui y menait, la canonisation tardive de la Jeanne. Philippe Davenet se contente d’une précision historique d’importance : « Jeanne d’Arc s’est éteinte deux heures après sa mort. »
La dernière chanson raconte que « Le temps qui nous reste est un beau salaud ». Je le savais déjà.
                                                            *
Gul de Boa, l’exemple même de l’artiste qui serait connu nationalement si dans le domaine de la chanson le temps était encore à la reconnaissance du talent.
 

10 août 2015


Un épais brouillard couvre tout à coup la campagne normande alors que je viens de passer le panneau indiquant Dieppe à vingt-sept kilomètres. Je suis, à distance raisonnable, une voiture blanche qui m’emmène jusqu’à Pourville-sur-Mer où la purée de pois (comme on dit) disparaît. On y déballe ce dimanche matin dans une certaine nervosité. Des emplacements retenus sont occupés par d’autres. Les vendeurs sont pour moitié des professionnels et pour moitié des particuliers, dont beaucoup de pauvres. Je ne trouve à acheter ni chez les uns ni chez les autres, mais comme je suis là surtout pour le bord de mer, cela ne me dérange pas.
Alors que le brouillard tombe sur la plage et que les falaises chères à Monet disparaissent, je reprends la route, traverse Dieppe puis longe une côte dépourvue de brouillard jusqu’à Criel-sur-Mer, passant devant Penly et sa centrale nucléaire jouxtée d’éoliennes qui ne tournent pas, faute de vent. Vous voyez bien que les énergies alternatives ça ne marche pas, semblent-elles chargées de dire.
A Criel le déballage est également au bord de la mer, près de la falaise garnie de maisons prêtes pour la chute. Il est organisé par les Sapeurs Pompiers. J’arrive trop tard pour savoir si on s’y est disputé entre exposants. Je ne trouve pas davantage à acheter et comme cette station balnéaire ne saurait me convenir pour le déjeuner, je repars à Dieppe, repérant au passage dans un champ une pancarte annonçant qu’ici les chasseurs protégent la biodiversité.
Je me gare dans le port, bois un café au Tout Va Bien en lisant Kerouac d’Yves Buin publié par Folio Biographies. Un trio, père, mère, fils, s’installe pas loin.
-Tu veux quoi, tu veux rien ? demande le père à l’enfant.
-Je n’ai pas soif, répond-il comme il faut.
Scène souvent vécue, qui complète celle du choix imposé du minable et répétitif menu enfant dans les restaurants. Je songe à chaque fois à ces écrivains à enfance pauvre d’autrefois racontant que leurs parents se privaient du peu de viande ou de la meilleure pâtisserie à leur bénéfice.
Pour déjeuner je privilégie la vue, m’installant à la terrasse du Time sur le port face au quartier du Pollet, sans doute pas le meilleur restaurant de la ville, faisant aussi bar tabac, à l’auvent bleu et aux parasols roses et jaunes, visuellement pas du meilleur goût mais la cuisine oui peut-être car faite par la maison. Un cruchon de vin blanc sur la table, je déguste quelques amandes, bulots et crevettes tout en regardant qui passe, une vieille ridée portant un ticheurte « jeune et belle » et celles qui le sont. C’est ensuite une bonne langue sauce piquante avec des frites artisanales puis une mousse au chocolat correcte. A ma gauche, quatre motards parlent de motos et de trajets en moto jusqu’à ce que l’un déclare : « Bon, on va reprendre l’asphalte ». Je paie vingt euros quatre-vingt-dix et rejoins le Pollet par le magnifique pont tournant que Mayer-Rossignol, Socialiste, Chef de Région, veut détruire pour le remplacer par un moderne (lui-même sera remplacé en décembre prochain par son semblable, Morin, Centriste de Droite).
Je m’assois à l’une des cinq tables de la meilleure terrasse de la ville, celle du Mieux Ici Qu’En Face, où le café est à un euro. J’y poursuis la lecture de Kerouac en surveillant le mouvement des bateaux, notamment l’accostage de l’immeuble flottant venu d’Angleterre.
De retour à Rouen, je continue ma lecture au jardin. Le mystérieux voisin du premier étage, parfois croisé aux vernissages de l’Ubi, reçoit sa copine et un ami. Ils discutent devant un ordinateur. C’est surtout elle que j’entends. A intervalle régulier, elle réclame une chanson.
-Je veux écouter Le cul de ma sœur !
Le voisin finit par lui donner satisfaction mais pas assez fort pour que j’en profite. C’est donc avec mon propre ordinateur que je découvre cette œuvre interprétée par Philippe Nicaud, acteur de seconde zone, en mil neuf cent soixante et un :
Ma sœur montrait son cul à ceux qu'avaient d'l'oseille
Et l'on payait d'avance, en or bien entendu
Grâce à lui le quartier redevint touristique
Retrouva d'un seul coup toute sa prospérité
La musique est de Charles Aznavour, les paroles sont de Bernard Dimey, quand même.
                                                               *
« Nos moules du bouchot sont élevées dans la région du Crotoy, nous ne proposons pas de moules étrangères » (restaurant Hippolyte, Dieppe)
 

8 août 2015


Nous sommes en mil neuf cent quarante au début du volume deux des Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre (Gallimard). La véritable entrée en guerre approche sans que Sartre ne la pressente. Il s’emploie à profiter de la vie alsacienne sous l’uniforme, narrant les jours qui passent à Simone de Beauvoir dans des lettres où surgissent parfois des réminiscences de leur ancienne vie rouennaise :
Il me semble que je suis en chemin, comme disent les biographes aux environs de la page 150 de leur livre, de « me trouver ». (six janvier mil neuf cent quarante)
Je suis plongé toute l’après-midi dans cette drôle d’atmosphère que vous connaissez bien pour avoir vu quelquefois, par la fenêtre, un restaurant-pension de famille à Rouen, après le déjeuner, déjà prêt pour le dîner. (vingt et un février mil neuf cent quarante)
Je crois que je vous ai dit quelle impression de plénitude m’avait donnée ce moment de colère, dans un café de Rouen, où j’ai vu assez rouge pour accepter de me colleter avec un consommateur malgré le public. (vingt-huit février mil neuf cent quarante)
Eh mon petit, vous rappelez-vous quand nous allions, nous autres deux, à Rouen, en haut de la Brasserie de l’Univers (qu’elle s’appelait, je crois) faire notre petite partie ? (sept mars mil neuf cent quarante, il s’agit de parties de ping-pong)
Mon premier mouvement était pour refuser mais peut-être trouverez-vous que c’est bien vain ces histoires d’étiquettes et que, finalement 2 000 francs c’est du palpable. Nous avons charge d’âmes. Décidez, ma petite conscience. (neuf mars mil neuf cent quarante, il s’agit de savoir s’il peut accepter le Prix Populiste au risque d’en être qualifié, ce sera oui, Simone et lui paient les chambres d’hôtel de leurs amantes étudiantes)
J’ai bu un second quart de vin d’Alsace en leur honneur, ce qui fait que, en revenant je sifflais Caravane et trouvais que la lune était bien belle au-dessus du chemin. (vingt-trois mars mil neuf cent quarante)
Savez-vous que Jules Renard dit des Castors : «  Le Castor qui a l’air d’accoucher d’une semelle de soulier. » Cela me demeure un peu obscur. Peut-être savez-vous ce qu’il veut dire ? (vingt-quatre mars mil neuf cent quarante, l’image est pourtant évidente)
Puis je suis rentré, j’ai encore travaillé, mangé les dattes de Hantziger, le kugelhof de Klein, bu le schnaps de Grener en fumant les cigarettes de Paul et me voilà qui vous écris. (mardi seize avril mil neuf cent quarante, travailler veut bien sûr dire écrire son prochain livre)
                                                            *
Tout comme Simone, Sartre emploie l’expression « je suis bien cupide de » pour dire « je suis impatient de ».
 

7 août 2015


Mi-août mais beaucoup de marchands déballeurs sont là ce vendredi matin au marché de la brocante et des bouquinistes du Clos Saint-Marc. Beaucoup (trop) d’acheteurs potentiels sont là également. Certains de chaque catégorie ne partent jamais en vacances. Je salue qui je connais, marchands ou acheteurs, des sympathiques. J’évite les antipathiques, en plus grand nombre.
Feuilletant chez l’un des vendeurs Miracles, le recueil des poèmes et proses d’Alain-Fournier publiés après sa mort par sa sœur Isabelle et son beau-frère Jacques Rivière, ici dans l’édition Fayard du soixante-deuxième anniversaire de leur première parution, j’y trouve une carte postale représentant en noir et blanc le Château de Cornançay d’Epineuil-le-Fleuriel dans le Cher. Ce château est réputé être le lieu de « La Fête Etrange » du Grand Meaulnes. Sans doute ce Miracles a-t-il été acheté sur place.
La carte est signée de plusieurs personnes. La correspondante principale s’appelle Micheline et s’adresse à une autre femme qu’elle appelle « Ma Bonne » :
« Ce qui est amusant c’est que je trouverai cette carte dans la boîte dans la semaine et que je la poserai moi-même sur la table…
Voyage toujours passionnant et, à part la chapelle d’Epineuil, nous avons hanté des lieux différents de ceux que nous avions visité (sic) l’année passée. En particulier cette demeure d’art, nous avons pu faire le tour et puis des découvertes… Je te raconterai ou bien nous referons le voyage ! Bises. »
Une deuxième, Marie-Anne Rivière, a ajouté :
« Nous pensons bien à vous et espérons vous retrouver un de ses jours. »
Une troisième, Jacqueline, se contente d’un « Je vous embrasse. »
Ce nom, Marie-Anne Rivière, me décide à acheter le livre que le vendeur feuillette avant de me donner un prix. Il trouve la carte, la prend puis la remet dans le livre sans la regarder et m’annonce trois euros.
Je fais la grimace. Il me le laisse à deux.
Rentré, je gougueulise Marie-Anne Rivière et la découvre trésorière de L'Association des Amis de Jacques Rivière et d'Alain-Fournier. Cette association publiait un bulletin dont le dernier numéro date de deux mille treize.
Les deux enfants d’Isabelle et Jacques Rivière ayant été religieuse et moine, le lien de famille entre Marie-Anne et eux n’est pas direct, mais je ne peux en savoir plus.
                                                *
Et qui était pour Micheline celle qu’elle appelait Ma Bonne ?
 

6 août 2015


« Je ne peux rien faire pour vous », me dit le jeune homme au guichet à cinq minutes de l’arrivée en gare de Rouen du train de sept heures cinquante-neuf pour Paris ce mercredi matin, la borne n’ayant pas voulu éditer mon billet acheté via Internet. Je n’ai pas le numéro de dossier.
-Ah si !, se rattrape-t-il.
Il me demande ma carte bancaire, l’utilise pour retrouver mon dossier et bientôt mes billets aller et retour sont imprimés.
-Finalement, ça sert à quelque chose les êtres humains, lui dis-je.
-C’est même mieux qu’Internet, me répond-il.
Arrivé dans la capitale, un bus Vingt est à Saint-Lazare pour m’emmener à la Bastille. Une quinquagénaire corpulente y monte un peu avant République et s’en prend au jeune chauffeur à lunettes noires. Elle lui demande de s’occuper de son bus. Il lui aurait jeté un regard hostile parce qu’elle fumait avant de monter. Je la prends pour une parano jusqu’à ce que ce chauffeur lui lance :
-Vous polluez l’espace public !
-Et vous, vous polluez mon espace sonore, lui rétorque t-elle.
Après un passage indispensable et fructueux chez Book-Off, je m’installe pour déjeuner à l’ombre en terrasse Chez Céleste, rue de Charonne.
-Vous attendez quelqu’un ? me demande la serveuse.
-Non, … enfin, je ne pense pas.
-On ne sait jamais, me dit-elle.
A peine ai-je choisi la friture d’éperlans suivie d’une grillade de porc accompagnée d’un quart de vin rouge portugais que je vois arriver un Rouennais que je croise souvent au marché du Clos Saint-Marc. On ne se connaît que de vue. Il baguenaude, le nez en l’air, observant les façades, passe deux fois devant moi sans me voir ou sembler me voir.  L’homme disparaît par le passage Lhomme. Je n’aurais pas eu la moindre envie de déjeuner avec lui.
Trois jeunes femmes s’installent à ma gauche dont l’une est déjà mère et s’en plaint :
-Ils sont chiants en ce moment.
-Bah, lui dit une autre, faut leur trouver des activités, une asso de quartier, quelqu’un qui s’en occupe à ta place.
La troisième veut bien manger du merlu s’il n’y a pas la tête dans l’assiette.
Je rejoins le Centre Pompidou à pied. Cela me permet de passer un certain temps à une température qui me convient et de voir les expositions Valérie Belin (Les images intranquilles) et Gottfried Honegger. La première, portraits de mannequins à « l’inquiétante étrangeté » et d’un faux Michael Jackson encore plus effrayant que le vrai, m’intéresse davantage que la seconde, Tableaux-reliefs monochromes et géométriques ou sculptures épurées.
Je découvre ensuite à l’autre bout une salle consacrée à Valérie Jouve, complétant l’exposition vue au Jeu de Paume, puis m’attarde devant le tableau du russe Erik Boulatov : Printemps dans une maison de repos des travailleurs. Cette peinture date de mil neuf cent quatre-vingt-huit et porte en elle la fin prochaine de l’histoire soviétique.
Je m’attarde aussi à suivre des yeux une fille qui me plaît et pour laquelle je suis transparent, ce qui n’est pas sans rapport avec le tableau précité.
                                                         *
Qu’aurais-je fait si je n’avais pu obtenir mon billet de train ? Je l’aurais pris quand même. Et comme le contrôleur n’est pas passé…
                                                         *
Parmi les livres rapportés : Dark Sex (The Dupret Collection of Fetish Photography) paru à The Erotic Print Society, Ladies de Xavier Zimbardo consacré aux « chambres d’Asie » paru chez Contrejour dans la collection Cahier d’images, Le ragoût du septuagénaire de Bukowski dans l’édition originale chez Grasset et Ce voyage nous l’appelions l’amour la correspondance entre Sibilla Aleramo et Dino Campana parue chez Anatolia/Le Rocher.
 

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