Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 avril 2016


Après une nuit tranquille au dernier étage de l’Ibis Budget de Ciboure, je suis le premier dans la salle du petit-déjeuner où par bonheur n’est pas diffusée la télé d’information continue mais, en sourdine, de la pop anglo-saxonne. Trois ouvriers m’y rejoignent vers sept heures, qui annoncent le même numéro de chambre au préposé de l’hôtel et ont donc dormi ensemble (ce qui veut dire deux dans le même lit et le troisième dans le lit du dessus).
Le ciel est nuageux avec risque d’averses lorsque je franchis le pont qui mène de Ciboure à Saint-Jean-de-Luz. Je retrouve des lieux qui m’étaient restés en tête, la place de l’Hôtel de Ville avec son kiosque à musique (je prends là un café à la terrasse du Café de la Marine), la rue piétonnière, l’église où s’est marié Louis le Quatorzième avec l’infante Marie-Thérèse (quand même !). Une affichette invite à ne pas y entrer pour cause d’enterrement.
Arrivé au bout de cette rue piétonnière, je demande le Crédit Agricole à un épicier.
-Le bon sens près de chez vous, me répond-il, ici il est un peu plus loin.
Il m’indique comment trouver la halle du marché, ce sera à côté. L’argent retiré via la tirette, j’avise l’Office de Tourisme et y entre afin de savoir comment bouger autour de mon lieu de villégiature. Celle qui me renseigne porte un badge marqué stagiaire et fait ça très bien.
-Vous êtes une stagiaire parfaite, lui dis-je quand elle m’a remis tous les plans et horaires et écrit manuellement des renseignements complémentaires sur une feuille volante.
-Merci beaucoup, je viens d’arriver, je ne suis pas d’ici, je suis bretonne, mais j’aime beaucoup le Pays Basque.
Il ne pleut toujours pas quand je la quitte. Je songe au restaurant où j’ai déjeuné plusieurs fois il y a plus de dix ans un été où j’étais seul en vacances dans le coin. Son nom me revient tout à coup : Chez Michel. Je le cherche et le retrouve, avec le même patron et le même décor. J’y réserve une table pour midi. En attendant cette heure, je retourne à la terrasse du Café de la Marine et y commence la relecture du Journal de l’abbé Mugnier. Une fille demande pour un emploi saisonnier de serveuse. On lui répond qu’on ne prend que des garçons car la limonade, le service au plateau, c’est fatigant physiquement. Elle ne proteste pas autant que je l’aurais fait à sa place. Les vieux parents de deux pénibles garçons en bas-âge s’installent à proximité et envoient leur marmaille jouer plus loin.
-Lui : « Le parapluie, ils vont le casser. »
-Elle : « C’est pas grave, c’est une chinoiserie. »
Je lève le camp,  les laissant se débrouiller avec Charles et Stanislas.
« Ici, c’est plat et dessert », indique Michel. La plupart de ses clients le savent qui sont des habitué(e)s d’un certain âge. La femme octogénaire qui me tourne le dos à la table devant la mienne se retourne vers moi à peine assise :
-Bonjour monsieur, on est vendredi ou samedi aujourd’hui ?
-On est jeudi.
-Zut alors !
Notre conversation en reste là. Je commande une entrecôte avec frites et salade et un gâteau aux marrons crème anglaise. C’est fort bon, surtout le dessert. Avec un quart de vin et un café, cela fait dix-sept euros. On m’invite à revenir.
                                                             *
Tour du port et balade sur la digue surmontant la plage après le repas et avant de rudes averses. J’apprends que les deux phares élégamment déstructurés que je vois de ma chambre (« les feux du port ») sont dus à l’architecte André Pavlosky, mort en mil neuf cent soixante et un. Son œuvre est d’une « modernité intemporelle ». Il a aussi construit des villas, dont je photographie une avec mon nouvel appareil.
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Si je me souvenais si bien de ce restaurant nommé Chez Michel c’est parce que l’été où j’y suis passé y travaillait une saisonnière blonde et filiforme avec de petits seins et de longues jambes que dévoilaient une microjupe plissée. Cela me donnait de l’appétit.
Par coïncidence, je lis ce jour qu’Esther Benbassa, Sénatrice, Ecologiste, publie dans Libération une tribune intitulée « Le voile, pas plus aliénant que la minijupe », un bel exemple de discours islamo gauchiste.
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C’est aussi, sans guère de protestations hormis celles des concernées et de quelques libres penseurs comme le philosophe Ruwen Ogien, le vote de la loi faisant des clients de prostituées des coupables, une mesure contre laquelle je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà écrit. Ce début de vingt et unième siècle est décidément politiquement consternant.
 

7 avril 2016


Le train Rouen Paris arrive à l’heure à Saint-Lazare ce mercredi, dix heures dix, mais celle qui devait m’attendre au bout du quai n’y est pas. Elle surgit heureusement dix minutes plus tard et comme la Senecefe ne se considère pas en retard puisque celui-ci est inférieur à vingt minutes. Par la ligne Treize du métro nous gagnons Montparnasse. Mon tégévé pour Saint-Jean-de-Luz n’est qu’à midi vingt-huit, nous avons le temps de prendre une boisson chaude à la petite terrasse ensoleillée du Rapide. Elle m’annonce que plutôt que me prêter son appareil photo elle me le donne car désormais elle utilise son téléphone pour photographier. C’est un beau cadeau et c’est une étrange situation : je m’apprête à partir en vacances seul à l’endroit même où se sont prématurément achevées les nôtres, il y a quelques années, suite à ma chute dans la rue et au cassage de clave. C’est le cœur serré (comme on dit) que je la vois disparaitre dans l’escalier du métro.

Le tégévé pour Irun n’est pas complet. Cela me donne le luxe de voyager sans voisinage immédiat.

Le premier arrêt est à la gare de Bordeaux Saint-Jean annoncée par les ceps et toute échafaudée, puis c’est la traversée des Landes, cette Beauce du sud, un arrêt à Dax, puis Bayonne, Biarritz, et soudain surgit la mer. J’arrive à la gare de Saint-Jean-de-Luz/Ciboure à dix-huit heures précises comme prévu et par bleu temps, en arrière-plan les Pyrénées. Plus qu’à tirer ma valise jusqu’à Ciboure où, avec l’aide d’aimables autochtones, je trouve l’Hôtel Ibis Budget.

Ma chambre est au cinquième étage et bénéfice d’une superbe vue sur le port, la mer et le bourg accroché à la colline, ce à quoi je ne m’attendais pas.

A dix-neuf heures, je m’enquiers dans le port d’un restaurant mais ceux que l’on m’indique ne sont pas à mon goût. Je finis par dénicher, dans une petite rue intérieure de Ciboure, une gargote nommée Chez Kathy « menu et pension pour ouvrier ». J’y dîne dans une grande salle avec trois vrais ouvriers parlant basque et un retraité dépressif qui mange manteau sur le dos. Au comptoir, trois habitués mettent l‘ambiance. Point de Kathy mais un patron très sympathique qui m’annonce soupe au vermicelle et aux carottes, assiette de charcuterie, cuisse de poulet confite frites et salade, fromage et gâteau basque, un quart de vin compris, le tout pour quinze euros. Exactement ce qu’il me fallait.

*

Le patron de Chez Kathy : « Je vous mets un peu plus de vin pour pousser le fromage. Ne le dites pas aux autres, normalement c’est un quart », et il revient avec un deuxième.


6 avril 2016


C’est en contournant le vide grenier du quartier Lelieur Cathédrale, exploré à l’aube pour rien, que je me rends ce dimanche après-midi à l’Opéra de Rouen où l’on donne de la musique de chambre. J’y suis trop tôt comme d’habitude et cette attente que je m’impose est encore plus idiote que d’ordinaire car les portes de la salle ne sont ouvertes qu’un quart d’heure avant le concert et non pas une demi-heure comme il est d’usage. Peut-être est-ce parce que, contrairement à moi, l’essentiel du public ne se presse pas, profitant du soleil jusqu’à la dernière minute.
Dans ces conditions, j’ai à peine le temps de lire le livret programme, d’autant que je suis distrait par l’arrivée d’une famille deux rangs plus bas. Les trois enfants se chamaillent pour trouver à côté de qui s’asseoir. La mère en rajoute. Le père semble ailleurs.
-Heureusement qu’ils n’en ont pas fait dix, commente un peu trop fort l’homme assis devant moi.
En première partie est donnée le Dixtuor pour deux flûtes, hautbois, cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, deux cors de Georges Enesco, une œuvre qui suscite l’enthousiasme de deux ou trois applaudisseurs prématurés à la fin du deuxième mouvement pourtant joué « modérément » mais qui  laisse indécis l’un que je côtoie à l’entracte : « Si si si, c’était bien, je crois. »
La seconde partie, que je suis d’un fauteuil isolé resté libre, fait en revanche l’unanimité. Il s’agit de l’Octuor pour clarinette, cor, basson, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse de Franz Schubert, l’un de mes musiciens préférés. Cette œuvre qui dure près d’une heure ne me lasse à aucun moment et suscite de forts et longs applaudissements de toutes et tous.
Il est presque dix-huit heures lorsque je contourne à nouveau le vide grenier. Les vendeurs remballent, chargeant leurs voitures de quasiment autant de vieilleries qu’ils en avaient déballées.
                                                              *
Ce dimanche matin au Clos Saint-Marc un vieux papier (comme on dit dans le milieu de la brocante) attire mon attention, une page imprimée recto verso pliée en quatre. Il s’agit de l’édition spéciale datée du mardi vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept du Libertaire consécutive à l’exécution de Sacco et Vanzetti.
En énormes capitales « ASSASSINÉS ! » suivi de « Tous à l’Ambassade américaine ! ».
« C’est fini maintenant. Il sont morts. Ils sont morts parce qu’ils rêvaient d’une humanité meilleure. » (La coquille marque peut-être l’émotion de l’ouvrier qui a composé le texte).
Pour un euro, ce document historique devient mien.
 

5 avril 2016


S’il en est un que je ne suis pas surpris de trouver là avant moi devant la porte de la Halle aux Toiles en ce deuxième jour de la vente de livres d’occasion du Secours Populaire, c’est Adji, l’ancien bouquiniste de la rue Bouvreuil. Cela permet une conversation intéressante en attendant l’ouverture. Il me parle notamment du travail sur le conte qu’il mène dans différents collèges et puis je me souviens tout à coup avoir vu ici hier deux romans de Mongo Beti. Je lui demande si ça l’intéresse. Bien sûr, il a eu l’occasion d’entendre Mongo Beti en conférence quand il était étudiant en Afrique. C’est quelqu’un qui a toujours été fidèle à ses idées, me dit-il, quand il a pris sa retraite de professeur (il enseignait à Rouen au lycée Corneille) il aurait pu rester tranquillement en France, mais non, il est retourné au Cameroun où à la descente de l’avion il a été accueilli avec des œufs pourris. Il a monté une librairie là-bas et puis a aidé les paysans à s’émanciper.
A cette époque du retour au Cameroun, L’Armitière lui a téléphoné à lui Adji pour qu’il intervienne avec un conte lors de la venue dans la librairie de Mongo Beti de passage en France. C’était extraordinaire pour lui. Rencontrer ce personnage dont les textes étaient déjà utilisés en dictée à l’école quand il était enfant. Hélas, Mongo Beti est tombé malade, a été mal soigné et est mort avant de revenir à Rouen.
Quand les portes s’ouvrent, nous allons jusqu’à la table où je me souviens avoir vu les deux livres jaunes de Mongo Beti. Ils y sont encore, Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur et La Revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, et donc pour Adji. Nous furetons ensuite chacun pour soi. Ce samedi matin, je me concentre sur les cédés à un euro et trouve entre autres Un homme d’Albin de la Simone, ce sympathique être humain avec lequel j’ai discuté à Paris en ce début d’année sans savoir qui il était.
                                                              *
A la sortie, je passe à La Poste de la rue de la Jeanne, où l’antipathique vigile a disparu depuis un moment, afin d’affranchir un courrier avec l’automate.
-Ça va, monsieur, tout se passe bien ? me demande une employée sans doute stagiaire.
-Oui, si on ne me dérange pas.
Elle me souhaite quand même un bon ouiquennede lorsque je m’en vais.
Je remonte la rue jusqu’à la gare afin de retirer des billets à l’automate. Là aussi on me dérange. C’est le Play-Boy Communiste (rentré de Paris) qui me demande une pièce.
Je la lui donne. Il ne me dit pas merci.
                                                             *
Toujours une clientèle particulière au Sushi Tokyo de la rue Verte : des guiques, des nerdes, des lesbiennes camionneuses. Deux ouaiches à casquette à l’envers aussi ce samedi midi, comme on ne voit plus guère.
Demander à des ouaiches s’il veulent une soupe, il n’y a qu’une serveuse chinoise pour oser ça.
 

4 avril 2016


« On est quand même mieux ici qu’à la Chapelle Corneille », se réjouit le couple qui prend ses aises derrière moi ce vendredi soir premier avril au premier balcon de l’Opéra de Rouen. Je m’en doute mais ne puis confirmer n’ayant pas mis les fesses dans cette chapelle reconvertie en auditorium. Ce qui est certain, c’est que de cette hauteur, côté jardin, je verrai bien l’ensemble de l’Orchestre et courir les mains de la pianiste Lise de la Salle (née à Cherbourg en quatre-vingt-huit).
Avant qu’elle ne s’assoie au piano est donné Fabrique vocale de la chanteuse Rosa Silber (musique de ballet sur un tableau de Paul Klee et sur des motifs de Stravinsky), composition de mil neuf cent cinquante de Hans Werner Henze, musicien dont l’enfance fut nazifiée, une agréable découverte qui donne place au trombone, instrument souvent effacé. A l’issue, le couple de derrière cherche le tableau de Klee sur son téléphone et trouve la musique ressemblante et réciproquement, ce qui dans son esprit n’est un compliment ni pour l’un ni pour l’autre.
Lise de la Salle arrive vêtue d’une robe qui lui irait mieux si elle avait vingt ans de plus. Elle est accompagnée de Franck Paque, premier trompette de l’Orchestre pour le Concerto pour piano et trompette numéro un en ut mineur de Dimitri Chostakovitch. Point besoin de partition à l’éblouissante pianiste dont le jeu rapide et vigoureux est un régal et lui vaut de chauds applaudissements partagés avec un trompettiste moins souvent à la manœuvre. Plusieurs rappels ne nous donnent cependant pas droit à un petit bonus de Lise.
Après l’entracte, le maestro Leo Hussain se passe à son tour de partition pour diriger la Symphonie numéro quarante et un (dite Jupiter) en do majeur de Wolfgang Amadeus Mozart, Elle vaut un beau succès aux musicien(ne)s et à leur chef, bien que comme le remarque le couple de derrière : « C’est très bien, mais ce n’est pas le meilleur Mozart. »
                                                                 *
Ne pas avoir encore trente ans et bientôt fêter ses vingt ans de carrière, c’est ce qui arrive à Lise de la Salle qui se fit entendre en direct sur Radio France à l’âge de neuf ans.
 

2 avril 2016


La file d’attente a déjà commencé à se constituer devant la porte du rez-de-chaussée de la Halle aux Toiles lorsque j’y arrive ce vendredi matin quinze minutes avant l’heure de l’ouverture de la vente de livres d’occasion du Secours Populaire. S’y trouvent certains de mes habituels concurrents, dont quelques sympathiques, mais pas le bouquiniste qui se fait d’ordinaire remarquer en courant comme un fou d’un livre à l’autre. L’impatience de l’attente est partiellement diminuée par une conversation d’ascenseur à laquelle je ne participe pas.
Ensuite la déception est également habituelle chez ceux que je connais et moi-même. Il n’empêche que nos sacs se remplissent peu à peu et qu’en définitive ce n’est pas si mal que ça. L’organisation est toujours un peu soviétique mais j’ai appris à la supporter, on pose ses achats, l’une compte ce que l’on doit et inscrit une lettre sur la note, un deuxième remise les livres à l’arrière en posant dessus un carton avec la même lettre, on paie à un troisième tandis qu’un quatrième note la somme réglée dans un ordinateur, notre lettre est criée par le caissier, notre pile de livres nous est redonnée.
De retour dehors, j’emprunte le raccourci du transept de la Cathédrale qui consiste à entrer par la porte de la Calende pour ressortir par celle des Libraires, mais à l’intérieur du bâtiment je fais un détour par les soixante-quatre cloches du futur carillon que des ouvriers terminent d’installer dans la nef. Certaines sont couvertes de fleurs. D’autres se font lustrer.
A la maison, vidant mon sac, j’y trouve notamment Flâneries parisiennes de Franz Hessel (Rivages Poche), Lettres à Fanny du général Bertrand (Albin Michel) et Facéties et bons mots du Pogge Florentin et du curé Arlotto (Anatolia/Le Rocher), ce dernier trouvé en mauvaise compagnie, celle des ouvrages niais des comiques de télévision.
Ce même vendredi, à dix-sept heures, je rejoins le rassemblement décidé par la Cégété, la Haie Fessue, Sud (Solidaires) et l’Unef pour protester contre les violences policières ayant eu lieu la veille pendant la manifestation contre la « Loi Travail », attaques de Céhéresses devant la Préfecture pour empêcher son approche et devant l’Hôtel de Ville pour empêcher que s’y installent pour la nuit celles et ceux qui voulaient la passer debout, gazages, matraquages, treize arrestations.
Nous sommes environ trois cents dont deux porteurs de drapeaux du Saf, le Syndicat des Avocats de France dont j’ignorais l’existence. Se relayant au micro, les représentants des quatre syndicats disent clairement ce qu’ils pensent de l‘action de la Police. La Cégété notamment s’engage à défendre les jeunes manifestants interpellés s’il y avait des poursuites judiciaires et, en cas de futures arrestations, à participer aux protestations devant Brisout (ainsi appelle-t-on à Rouen l’Hôtel de Police sis dans la rue Brisout-de-Barneville). Elle a bien changé, cette Cégété. Dans les années soixante-dix, elle tapait sur les étudiants avant que la Police s’en charge.
Un représentant de la coordination des étudiants prend la parole et déclare que ce rassemblement c’est bien gentil mais que le mieux c’est d’aller en manifestation jusqu’à l’Hôtel de Ville d’où on s’est fait chasser hier. Le représentant de la Cégété appelle ceux qui se reconnaîtront à se mettre en branle pour bloquer la circulation automobile et nous voilà partis. Participer à une manifestation non autorisée est plus jouissif que de suivre un itinéraire défini à l’avance avec la Préfecture comme ce fut la cas la veille (une partie des manifestants s’étant échappée pour aller encore une fois maculer de peinture rouge la façade du local du Péhesse).
A l’approche de l’Hôtel de Ville la jeunesse étudiante se met à courir et s’engage dans le bâtiment. Robert, Maire, Socialiste, a de la visite.
Quant à moi, je rentre à la maison, ayant à voir et entendre Lise de la Salle à l’Opéra.
                                                              *
Ce vendredi ensoleillé, entre achat de livres et manifestation, je prends pour la première fois de l’année un café en chemise en terrasse. J’ai choisi le bar Le Sacre. Quoi de mieux pour célébrer le printemps, comme aurait dit Stravinsky s’il avait parlé français. J’y lis le numéro d’Europe consacré à Georges Perros. Adji, l’ancien bouquiniste de la rue Bouvreuil, passe par là. Je lui apprends qu’il a raté une fois encore l’ouverture de la vente de livres du Secours Pop.
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Détruit et reconstruit en une semaine, la Café des Floralies s’est malheureusement transformé en Flo’s Café, « bar à salades ».
(Ne pas confondre un bar à salades avec un bar à embrouilles.)
 

1er avril 2016


Ce mercredi matin, remontant la rue de la Jeanne pour me rendre à la gare, je constate que le contenu de plusieurs bacs d’ordures a été déversé devant la porte de la boutique Normandie Philatélie. C’était déjà le cas la semaine dernière. Je me demande qui peut en vouloir à ce point à la gérante de cette boutique et pourquoi. Les passants pressés font comme moi, ils contournent l’obstacle.
A huit heures douze, l’habituel train à sièges colorés prend son essor vers la capitale et j’y arrive avec la pluie et un changement d’emploi du temps car le repas prévu dans le dix-huitième arrondissement chez celle qui travaille tant et tant a dû être annulé en raison d’un rendez-vous professionnel.
Je me dirige donc en métro vers le Book-Off de la Bastille. Je l’explore puis prends le bus Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin. J’en descends devant l’Institut du Monde Arabe avec l’intention de déjeuner dans une brasserie dont j’ai bon souvenir mais celle-ci est détruite par des travaux et renaîtra sous je ne sais quelle forme qui me plaira moins.
Sous quelques gouttes, je remonte la rue des Ecoles, tourne à droite avant le boulevard Saint-Michel et me rabats sur le SaintSev’, restaurant dont le menu est français et les cuisiniers et serveurs d’ailleurs. On y entend Radio Nostalgie. Pour douze euros j’ai droit à une soupe à l’oignon suivie d’un sauté de porc et d’une mousse au chocolat. Avec un quart de sauvignon, cela fera dix-huit euros. Quelques touristes me tiennent compagnie, dont une grand-mère et sa petite-fille d’une vingtaine d’années. La première se plaint de ses douleurs aux pieds.
-Bientôt tu mettras des baskets, tu sais, comme les vieux en Amérique, lui dit sa moqueuse descendante.
Par la vitre, j’observe d’autres touristes qui semblent un peu perdus et désolés par le temps, tous porteurs de parapluies ou de vêtements adaptés dont un imperméable IdBus. Un vieux barbu à grande croix chrétienne les harangue sans succès.
Sorti de là, je vais fouiller dans les livres d’occasion que l’on trouve encore en nombre dans ce Quartier Latin qui a bien changé et achète chez Gibert Joseph, pour neuf euros soixante-dix, L’occupation et autres textes de Georges Perros (Joseph K.) puis à la librairie de Cluny, pour dix euros, les Lettres de Maurice Sachs (Le Bélier), l’exemplaire numéro cent trente-quatre sur vélin d’Annonay, paru en mil neuf cent soixante-huit, pages non encore coupées.
Le bus Vingt-Sept m’emmène vers l’Opéra Garnier. Il passe par le Louvre. Je m’étonne encore une fois que nul n’ait protesté quand a été construit le parallélépipède qui abrite la boutique alors que la pyramide de Pei avait suscité une polémique insensée. Ce bloc rouge est pourtant une grave atteinte esthétique au Louvre et à la pyramide.
Avant de fureter dans le second Book-Off, je prends un café à La Clef des Champs. Une grand-mère sexy de trente-huit ans (le plus âgé de ses petits-enfants a trois ans, « on commence tôt chez nous ») se réjouit de prendre l’avion demain pour cinq semaines de vacances en famille.
-Tu ne sais pas qu’il y a grève demain ? lui disent les jaloux.
-A Air France oui, mais moi je voyage avec Aircalin. Tu ne sais pas ce que c’est Aircalin ? C’est le petit nom d’Air Calédonie International.
Au comptoir, cette explication déçoit.
                                                                  *
Trouvé chez Book-Off à un euro : La Police des écrivains, recueil de rapports de la Police et de ses mouchards sur quelques-uns des délinquants de la plume et du stylo. Cette compilation publiée chez Horay est due à Bruno Fuligni. J’en avais déjà un exemplaire (et l’ai évoqué dans la première partie de ce Journal le vingt-six décembre deux mille onze) mais ce deuxième est dédicacé par le compilateur à Chantal Cerveau « bien cordialement ».
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Que de cloches sur le parvis de la Cathédrale de Rouen ce jeudi matin : des énormes, des grosses, des moyennes, des petites, des restaurées et des neuves. Le retour de Rome au temps de Pâques semble ne pas être une légende cette année. Un camion à bras télescopique en place une sur sa plateforme puis recule à demi à l’intérieur de l’édifice.
J’y entre par le portail de la Calende, où un faux borgne tente d’établir un péage, et assiste à la dépose. Le bras télescopique frôle le dessous du buffet de l’orgue. « Elles vont être bénies dimanche et resteront là un mois, ensuite elles seront ressorties et installées par l’extérieur dans la tour Saint-Romain », m’explique un homme d’église. Il s’agit de reconstituer le carillon, hors d’usage depuis les années quatre-vingt-dix.
En ressortant, j’entends le bruit de la manifestation contre la « Loi Travail » à laquelle je n’ai pas envie de participer.
 

31 mars 2016


« Vous avez aussi un spectacle ce soir », me dit l’aimable guichetière de l’Opéra de Rouen ce mardi après-midi quand je viens y retirer mes places pour la fin de semaine.  « Max Emanuel Cenčić, la musique napolitaine. »
Je l’avais oublié. J’y suis donc le soir venu au premier balcon et ne mets guère de temps à me dire que cela aurait été dommage de manquer ça. Max Emanuel Cenčić, contre ténor néo barbu, chante magnifiquement Niccolo Antonio Porpora et Leonardo Vinci. Il est accompagné de l’Ensemble il porno d’oro dirigé par le claveciniste Maxim Emelyanychev (né en quatre-vingt-huit, filiforme et cheveux longs partagés par une raie, exactement ce à quoi je ressemblais à son âge). Entre les prouesses vocales de Cenčić, Emelyanychev offre avec ses musicien(ne)s la Symphonie numéro sept en do majeur de Domenico Scarlatti et l’Adagio et Fugue de Johan Adolf Hasse.
Après l’entracte, c’est l’Ouverture royale de Niccolo Antonio Porpora, puis Max Emanuel Cenčić subjugue à nouveau le public avec des airs de Domenico Scarlatti et Leonardo Leo. Le clavecin ayant fait un quart de tour et été muni d’un couvercle ouvert, Maxim Emelyanychev montre ce qu’il sait faire en jouant et dirigeant le Concerto pour clavecin en ré majeur de Domenico Auletta et pour finir le contre ténor Max Emanuel Cenčić qui autrefois fut soprano (« Cette métamorphose est rare et je ne connais pas d’autre chanteur l’ayant vécue », explique-t-il à Vinciane Laumonier dans le livret programme) et qui a déjà perdu trois fois sa voix, en fait le plus bel usage devant un public enthousiaste, les éternels malades étant même capables de retenir leur toux.
Un spectateur de premier rang offre un bouquet à l’artiste qui nous offre deux bonus dont je ne peux retenir les titres mais grâce au blog Publics de l’Opéra de Rouen, je peux écrire qu’il s’agissait des airs Se vi ferme tiré d’Irene et Vo desperato a morte de Tito Vespasiano, compositions de Johan Adolf Hasse.
 

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