Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

12 mars 2016


Le beau temps promis pour ce vendredi, je me rends sitôt après le petit-déjeuner à la gare routière de Cherbourg, bâtiment décati, afin de prendre le car Manéo Express qui conduit à Barfleur, joli port bleu d’eau de Javel, comme si un peuple de blanchisseuses venaient d’y laver leur linge écrivait Jules Renard, qui y venait régulièrement, dans son Journal en mil huit cent quatre-vingt-dix.
L’autocar arrive un peu avant sept heures quarante. J’y monte, donne deux euros trente à sa conductrice. Lorsqu’elle démarre je suis le seul passager. Le soleil se lève, grosse boule rouge à l’horizon. Il fait disparaître les derniers nuages. Nous passons par Saint-Pierre-Eglise, gros bourg à rues étroites et à église romane (l’abbé de Saint-Pierre fut un précurseur des Lumières, auteur de Projet de paix perpétuelle pour l’Europe, favorable au mariage des prêtres et défenseur des femmes « on ne peut se passer de la moitié de l’humanité »), puis par Tocqueville, le village d’Alexis bien que né à Paris ( sur la place du village, le buste de l’écrivain devant lequel s’arrête le car). J’y suis toujours seul et il en sera ainsi jusqu'à Barfleur où la conductrice me dépose à huit heures vingt-cinq (j’aurai coûté cher au Conseil Départemental de la Manche).
Descendant la rue Thomas-Becket qui mène au port, je risque un sourire à une jolie fille croisée. Elle me dit bonjour. Ce n’est pas le début d’une belle histoire mais une illustration des mœurs locales. Après avoir fait le tour du premier port moulier de France jusqu’au bout de la digue face à l’église, puis avoir revu l’intérieur de celle-ci (belle piéta du seizième siècle et Visitation de Maertens de Vos), je prends un café au Café de France, qui fait aussi brasserie, juste à côté de la chambre d’hôtes Les Transats où j’ai nuité autrefois. « Un euro vingt, mon cher monsieur », me dit le sympathique serveur qui est d’origine tunisienne.
On y écoute France Bleu Cotentin, une émission qui permet aux auditeurs d’appeler pour faire estimer leurs objets qu’ils jugent précieux par un commissaire-priseur. Roland, de Querqueville, voudrait savoir ce que vaut sa collection de Tout l’Univers :
-Je vais être franc avec vous, Roland, rien du tout.
Une longue limousine blanche à vitres noires se gare sur la place, faisant converger les regards et sortir certains appareils photos. Le chauffeur en descend, ouvre la portière à un jeune homme à lunettes noires suivi de ceux qui sont peut-être ses parents, difformes et mal habillés, me faisant songer aux habitants de Plouk Town. Cette limousine est immatriculée en Val-de-Marne. Son contenu déçoit. Seule la voiture est photographiée.
C’est dans la seule autre brasserie ouverte, La Marée, un lieu attrape-touristes mais pas arnaqueur, que je déjeune de six huîtres numéro trois et de moules marinières avec frites. On y écoute Reggiani, Barbara, Aznavour, ce qui contribue à me rendre nostalgique de mes venues ici quand j’étais bien accompagné. Avec le quart de chardonay et le café, cela va chercher dans les vingt-six euros.
Le car de retour n’étant qu’à dix-huit heures dix, je peux envisager une bonne balade de bord de mer. Partant de l’église, je prends hardiment la direction du haut phare de Gatteville dans lequel Beinex tourna une scène de Diva. Je découvre en chemin un moulin à vent puis une croix « A la mémoire de M. l’Abbé Henri Gaslande, curé de Barfleur, victime du devoir, 11/7/1944 ».
Au bout de cinquante minutes et de trois kilomètres huit cents, sans avoir croisé quiconque, n’y trouver qui que ce soit à l’arrivée, je peux m’asseoir au pied de ce phallus géant dressé vers le ciel derrière lequel se cache un sémaphore peuplé de militaires. Il ne me vient pas l’envie d’y grimper.
Barfleur semble vraiment loin, perdue dans les brumes, quand j’entreprends le chemin inverse, croisant cette fois quelques marcheurs dont deux couples à bâtons.
Les pieds cuits, je bois un café verre d’eau à la terrasse du France où certains finissent de manger, dont une dame pas contente qui fait des remontrances à la cuisinière.
-Je préfère ça, commente celle-ci après l’esclandre, à ceux qui disent que tout va bien et ensuite écrivent des horreurs sur Internet.
Le soir venu, alors que c’est marée basse, port vidé et bateaux couchés dans la vase, j’attends impatiemment le car devant la Mairie. Dès dix-huit heures, je peux me réchauffer à l’intérieur après avoir donné mes deux euros trente à une autre conductrice, croyant un moment que je serai encore le seul voyageur mais au dernier moment montent trois habitués.
                                                          *
Curieuse expression « victime du devoir ». Henri Gaslande, curé de Barfleur, en quarante-quatre a dû être victime des nazis ou des collabos.
 

11 mars 2016


Prendre le petit-déjeuner à l’Appart’City Hôtel de Cherbourg, c’est aussi avoir à supporter la chaîne d’information télévisée continue qui met foute, grève et météo dans le même sac à niaiseries. Je m’efforce de m’en abstraire, n’y parvenant que partiellement.
La tempête a soufflé toute la nuit, gênant mon repos. Au matin de ce jeudi, le ciel est encore très gris et de rares averses sont à venir. Je décide néanmoins de prendre le bus Cinq (« Zéphir, un réseau innovant à votre service ») afin de voir la mer de plus près. Pour un euro vingt donné à la conductrice, il m’emmène en banlieue, à Querqueville, longeant la côte mais de loin.
Je descends à l’arrêt Epinay Bas et demande à une pharmacienne étonnée où se cache la mer. « Au bout de la route là-bas », m’explique-t-elle. Effectivement, elle y est. Je la longe, sous le parapluie pour échapper à une rare averse, jusqu’à arriver chez des militaires près desquels est un port de plaisance coupé de la ville. Elle se fracasse sur la digue, encore très énervée, aussi sale que les nuages. Je fais deux photos mais ça ne donne rien.
Juste avant l’Ecole des Applications Militaires de l’Energie Atomique se trouve l’Ecole des Fourriers. Désireux de m’instruire, je demande au militaire plus très jeune qui monte la garde de quoi il retourne.
-A l’origine, m’explique-t-il c’était une formation à l’intendance, mais cela a évolué vers la formation aux métiers de bouche, la boulangerie, etc.
Je grimpe à Epinay Haut sans trouver d’estaminet. Un bicycliste que j’arrête m’en indique un plus loin, mais il ne fait pas restaurant, pour manger faut aller chez Leclerc.
Je le trouve après être passé devant trois salons de coiffure contigus, Léa Création, Aux Couleurs d’Aurèlie et Hair Scoop, Se faire coiffer semble être le seul loisir du coin, au moins pour les dames. Les hommes ont pour eux le Péhemmu modèle standard dans lequel je bois un café. On y parle du vent d’hier et des dégâts causés. On y raconte qu’à un cheval près on avait le quinté gagnant. On y dit du mal des absents.
-Vivement qu’on soit à la retraite pour retourner en Bretagne, j’en ai entendu dire ça, ils sont à la retraite et ils sont toujours là, persifle l’un.
Je ne m’attarde pas et retrouve la route marquée d’arrêts de bus. Une autre conductrice me ramène à Cherbourg. Je déjeune une troisième fois à la Brasserie du Commerce : daube de bœuf à la tomate, frites et café gourmand. Je me balade ensuite dans des vieilles rues devenues piétonnières qui ne manquent pas de charme et entre dans la Basilique Sainte-Trinité commencée de bâtir par le désir de Guillaume le Conquérant en mil trente-cinq, dont la tour ne fut jamais achevée, l’argent ayant servi à payer une partie de la rançon exigée par les Espagnols pour libérer les enfants de François le Premier. Un organiste y répète. Je m’assois pour l’écouter.
A l’issue, je retrouve le Café de l’Etoile et y poursuis ma lecture de Plouk Town de Ian Monk. En face, sur le trottoir de la Maison de la Presse, l’affichette de La Presse de la Manche résume la journée d’hier : « Déluge et vent : nombreux dégâts dans la Manche » « Loi travail : 700 manifestants à Cherbourg ».
                                                                       *
A lire le nom de certains arrêts de bus entre Cherbourg et Querqueville, on devine qu’un autre monde fut possible : « Hameau de la Mer », « Petite Auberge ».
                                                                       *
Mon impression est que les Cherbourgeois dans leur majorité se fichent pas mal de la mer. Ils vivent comme si elle n’était pas là. Sans doute parce qu’on ne la perçoit pas, tenue qu’elle est à distance par les ports, lesquels sont particulièrement endormis.
 

10 mars 2016


Après une bonne nuit dans le lit d’environ deux mètres sur deux de l’Appart’City Hôtel, je descends dès six heures trente dans la salle de petit-déjeuner où je côtoie des ouvriers et une ouvrière des pays dits autrefois de l’Est. L’un a si peu de temps pour manger qu’il le fait sans enlever ni sa veste ni son sac à dos. Je suis le seul à pouvoir traîner et j’en profite au point que l’employée me croit parti et débarrasse ma table prématurément alors que je suis occupé à me faire une bonne assiette de fromages. Dehors, il pleut bien et le vent souffle fort.
J’affronte ce foutu temps vers neuf heures et demie et constate que, malgré ses baleines renforcées, mon parapluie newyorkais ne résistera pas si je persiste à vouloir l’utiliser. C’est déjà bien mouillé que j’entre au centre commercial Les Eléis. N’ayant pas réussi à comprendre comment on met les piles dans mon nouvel appareil photo, je demande de l’aide à l’employé de chez Carrefour qui me l’a vendu. Il n’y arrive pas davantage, ce qui me rassure sur mon cas. En désespoir, il interroge un forum d’aide sur Internet.
-On n’est pas les seuls à ne pas trouver, constate-t-il.
La solution est là, faire glisser la façade de l’appareil. Me voici paré pour photographier mais, vu le temps, ce sera pour un autre jour. Je passe courageusement de l’autre côté du port de pêche par le pont tournant et me réfugie au Café de l’Etoile. J’y lis Plouk Town de Ian Monk pendant un long moment tandis qu’autour de moi on parle cave inondée et électricité coupée par branche tombée.
A onze heures, je subis un nouveau trempage pour atteindre la Brasserie du Commerce. Cet endroit est vaste et constitué d’une enfilade de salles. On m’y installe dans la troisième, au chaud, loin de la perturbation qui s’infiltre par la porte d’entrée. Pour le même prix que la veille, j’y déjeune de côtes d’agneau grillées à la crème d’ail avec frites et d’une crêpe fourrée aux pommes sauce caramel, avec un quart de vin rouge et un café. Près de moi est un couple de quinquagénaires qui doit recevoir ce ouiquennede :
-Ça va être joli la baraque, y viennent à trois, avec le chien à Serge en plus.
Je replonge dans la tourmente pour aller une nouvelle fois m’abriter au Café de l’Etoile et poursuivre ma lecture tout en regardant comment se débrouillent les quelques Cherbourgeois dans les rues (la plupart sont mieux équipés que moi, avec des manteaux à capuche).
Ici, c’est à seize heures trente, devant la Mairie, qu’ont rendez-vous les opposants à la loi dite travail et chacun est d’accord au Café de l’Etoile pour prévoir qu’il va y avoir personne, cent ou deux cents pas plus, avec ce temps.
Quand arrive sur les téléphones une alarme « risque de submersion » pour certains coins de la ville, je me lance une dernière fois dehors. Il pleut toujours autant et le vent fort est devenu tempête. Passer le pont tournant sans décoller est un exploit que je réussis mais quand j’arrive à l’Appart’City Hôtel, je ressemble à Hollande, Président, draché sur l’île de Sein.
                                                               *
Je voulais profiter de ce sale temps pour visiter le Musée Thomas-Henry mais celui-ci est en travaux « se terminant fin deux mille quinze ».  
-Il y a eu du retard à cause d’un problème d’étanchéité, l’inauguration est le dix-neuf mars, m’apprend la sympathique hôtesse de l’Office de Tourisme.
Dommage, j’aurais pu y voir des primitifs religieux et flamands dont Fra Angelico et Van Dyck, ainsi que Greuze, David, Millet, Poussin, Murillo et Boudin.
                                                               *
Quand la pluie tombe à Cherbourg, elle ne fait pas les choses à demi (ma blagounette du jour)
 

9 mars 2016


Qui qui réveille la ville de Rouen avec sa valise à roulettes à cinq heures et demie du matin ce mardi ? C’est moué.
Mon train est à six heures quatre, moderne et composé de deux voitures seulement. Il m’emmène à Caen où je dois changer pour Cherbourg. Je voyage avec des lycéens bien calmes à cette heure matutinale, même ceux à perruques orange. C’est le Carnaval des Etudiants aujourd’hui dans ce qui fut la capitale de Basse-Normandie. J’y passe d’un quai à l’autre pour m’asseoir dans un deuxième train identique au premier. Y voyagent d’autres lycéens et quelques travailleurs. Nous passons par Bayeux dont j’aperçois la Cathédrale puis Valognes où sont stockés des wagons de transport de combustible irradié.
A neuf heures treize, je suis à Cherbourg et vais à pied jusqu’à l’Appart’City Hôtel qui a la bonne idée de se situer près de la rue Jacques-Rouxel, le créateur des Shadoks, né dans cette ville. J’y laisse ma valise puis rejoins le port proche. Lorsque je veux photographier un premier bateau de pêche, mon appareil m’annonce que la carte mémoire est verrouillée. Une aimable photographe proche du pont tournant se penche sur mon problème, bidouille, essaie une autre carte. Rien à faire, c’est le lecteur de carte qui ne répond plus, me dit-elle.
Je bois un café au Bar de l’Etoile, situé à un carrefour stratégique, où se croise la population locale. Un habitué s’entretient avec le serveur du prix de la réparation de sa voiture : mille cinq cents euros. Tous deux pestent contre la bagnole et son coût mais, disent-ils, on ne peut pas s’en passer. La Presse de la Manche s’inquiète de ce que quatre-vingt-dix-neuf commerces soient vacants dans cette ville.
A onze heures et demie, sur le conseil du Guide du Routard, je suis déjà à table à la Brasserie du Commerce, pas loin de la Mairie. Elle est surtout fréquentée par de nombreux habitués. Assis face à un miroir, j’ai l’impression de déjeuner avec moi-même, ce qui ne m’est pas agréable. J’ai choisi rognons de bœuf au porto et tagliatelles, tarte normande, quart de vin rouge et café. Cela fait dix-sept euros quarante.
Une promenade me mène du côté du port de plaisance jusqu’à des toilettes dont l’entrée est filtrée par deux travestis pas de première fraîcheur. Je préfère arroser un buisson un peu plus loin puis fais demi-tour. Avant d’accéder à ma chambre-appartement, je passe chez Carrefour, lequel est niché dans le centre commercial Les Eléis, aussi horripilant que les autres quand on est à l’intérieur, mais le bâtiment signé Arte Charpentier + Calq Architecture sort du lot, en forme de coque translucide flottant au-dessus du bassin portuaire. J’y achète un appareil photo premier prix.
                                                       *
Dans la marine, on ne fait pas grand-chose mais on le fait de bonne heure. (maxime Shadok)
 

8 mars 2016


Michel, la « nouvelle revue culturelle normande de qualité » (ça fait beaucoup), invite ce dimanche onze heures à une rencontre au sein du salon Microphasme dans l’ancienne école Victor-Hugo, rue du même nom.
Je m’y pointe donc à l’heure dite, qui est celle du petit-déjeuner pour la plupart des exposant(e)s regroupé(e)s autour d’une table dans une salle étroite. Les artistes n’aiment rien tant que ces moments collectifs.
J’ai pris le mien à six heures, ai ensuite écrit mon texte d’hier, fait le tour du marché du Clos Saint-Marc lu longuement au café du même nom avant de passer à la boulangerie puis chez U Express.
Sur une table basse entourée d’une dizaine de chaises est posée une pile du numéro zéro de Michel. Ce dispositif formel n’est pas fait pour moi.
Ne me voyant pas assis sur l’une des chaises à feuilleter distraitement la première mouture tout en écoutant l’un des responsables de la nouvelle revue culturelle normande de qualité expliquer le pourquoi du comment, je ressors.
A onze heures dix, je suis à la maison.
                                                                    *
Aventurier, pionnier, chercheur, fabricant de chimères, prophète ou révolutionnaire n’empruntent aucun couloir, si insolite soit-il, qui ne débouche sur un comptoir de vente. (Raoul Vaneigem en mil neuf cent quatre-vingt-dix)
 

7 mars 2016


Après une sérénade au piano venant d’en face, Galerie La Page Blanche, entendue à travers mes murs, juste avant dix-neuf heures ce vendredi, je mets le pied dehors pour me rendre à l’inauguration de Microphasme (troisième Salon de la Microédition), rue Victor-Hugo, dans les anciens locaux annexes de l’Ecole des Beaux-Arts.
A la vérité, plus que le Salon, ce sont les locaux qui me font bouger, car j’ai souvent eu envie d’y entrer sans pouvoir le faire lorsqu’on y fabriquait de l’artiste contemporain. J’aime les vieilles écoles primaires et ce lieu en fut une, il y a encore plus longtemps. Je ne suis pas déçu, on y trouve de gros radiateurs en fonte qui diffusent une chaleur confortable.
Les artistes éditeurs venus d’un peu partout (Rouen, Porto, Bruxelles, Strasbourg, Angoulême, Toulouse, Paris, etc.) occupent des tables tout autour de deux salles du rez-de-chaussée. Une troisième est réservée aux affiches dont celles du collectif portugais Oficina Arara, Je regarde un peu ce que publie chacun sans me laisser aller à parler avec l’un ou l’autre. Il serait malvenu de leur dire « C’est intéressant ce que vous faites mais je ne vais rien acheter, le ferais-je que je rangerais çà dans un placard et oublierais jusqu’à son existence. »
Je croise quelques connaissances qui n’ont rien à me dire et réciproquement. Sur certaines tables un carton blanc posé sur le tissu noir indique qui l’occupera mais n’est pas encore arrivé, ainsi Le Quetton du légendaire Rocking Yaset (de Cherbourg, où je serai bientôt).
On trouve aussi dans la première salle une sorte de boîte parallélépipédique dans laquelle deux joueurs se faisant face enfilent une jambe pour taper bruyamment dans un ballon. Cela s’appelle l'Unijamball. On aura beau réduire le foute à sa plus simple expression, cela n’en reste pas moins une activité des plus stupides.
A dix-neuf heures quinze, je suis de retour chez moi.
                                                         *
Parmi les présents à Microphasme, bien que ne relevant pas de la microédition, Biscoto, le « journal plus fort que costaud ! » à destination des enfants réalisé à Strasbourg dont les responsables publient un premier livre : Francis Saucisson contre l’âge bête de Nicolas Pinet. Un travail de qualité dont je ne peux plus avoir l’usage.
                                                        *
Impossible de laisser passer ce samedi matin sans retourner à la vente de livres du Secours Pop au Pathé ! Docks. Je fais bien car je mets la main sur un livre que j’estimais très difficile à trouver d’occasion : Plouk Town de Ian Monk, publié aux éditions Cambourakis.
                                                        *
Rouen fête le Printemps des Poètes dans l’aître Saint-Maclou, ancien cimetière de pestiférés. Il y a quelques animations alentour. Rue Martainville déambulent des parapluies arc-en-ciel auxquels sont accrochés des plastiques faisant isoloirs. On peut s’y faire murmurer un poème à l’oreille. Je change prudemment de trottoir.
                                                       *
Je préfère écouter les poèmes lus par Jacques Bonnafé, de garde sur France Culture pour ce Printemps des Poètes. C’est par lui que j’ai découvert Ian Monk et son Plouk Town dont il a lu, le huit janvier dernier, de la manière encolérée qui le caractérise et fait ma joie, un texte narrant la vie humaine de la naissance à la tombe.
 

5 mars 2016


«D’humeur souvent inégale, Robert le Brochet avait, qui plus est, la dent carnassière. Autant dire que ses amis se comptaient sur les phalanges d’un doigt.», puis-je lire sous un dessin représentant l’animal dans l’une des toilettes du centre commercial des Docks où m’a conduit un bus Teor ce vendredi matin.
Le Secours Populaire rouennais y organise une vente de livres d’occasion au cinéma Pathé ! dont les rideaux sont encore baissés. Je suis rejoint par deux connaissances, l’un prénommé Pierre, le bouquiniste du marché que j’ai croisé un mercredi récent à Paris chez Emmaüs, l’autre prénommé Jean-Jacques, relieur et bouquiniste à la retraite. Qu’est-ce qu’on se raconte ? Des histoires de brochets.
Ils tentent de me faire croire qu’ils ne vendent pas de livres sur Internet. Nous sommes entourés d’une foule d’autres frétillards et quand, à dix heures et demie, les rideaux se lèvent, c’est la ruée. Pierre et Jean-Jacques sont parmi les plus redoutables. Je m’en écarte, mets quelques livres qui pourraient m’intéresser dans mon sac sans même le vérifier, et ai tout à coup l’œil attiré par deux pavés rouges: Romans de Charles Bukowski et Journal, Souvenirs et Poèmes du même (Bibliothèque Grasset), mille soixante treize et mille cinq cent vingt-cinq pages. Je m’en empare.
Partout cela vibrionne. J’évite ceux qui semblent prêts à mordre. Pierre a tant de livres qu’il doit en mettre en réserve sur la table des vendeuses. Jean-Jacques garde sa pile en équilibre dans une main tandis qu’il fouille fébrilement de l’autre. J’ôte les premiers livres de mon sac et décide d’en rester là.
-C’est tout ? Vous nous avez habituées à mieux, me dit la dame du Secours Pop à qui je donne quatre euros pour mes deux pavés rouges.
Profitant d’une belle éclaircie, je rentre à pied par le quai bas, longeant la Seine, satisfait de ma trouvaille et d’avoir encore une fois sauvé mes doigts.
 

4 mars 2016


Je n’attends pas un grand plaisir esthétique de l’exposition Gérard Fromanger lorsque je descends les marches de l’escalier qui mène au quatrième étage du Centre Pompidou, ce mercredi en début d’après-midi, car j’ai souvenir de ses toiles des années soixante-dix quand il était maoïste et un peu connu.
L’exposition de ce représentant de la Figuration Narrative occupe un angle de l’étage « Art Contemporain » dont les salles sont provisoirement fermées au public pendant qu’on s’y affaire à un nouvel accrochage. L’un des premiers tableaux colorés que l’on y voit est En Chine, à Hu-Xian. Il montre un groupe de paysans chinois vus de face et a été peint suite à un voyage d’intellectuels compromis avec la dictature maoïste organisé par le cinéaste Joris Ivens. Viennent ensuite les notoires tableaux à silhouettes colorées et des portraits de Prévert, Foucauld, Deleuze, Guattari, qui me font penser à ceux que faisait Raymond Moretti pour les couvertures du Magazine Littéraire, donc peu à mon goût.
Je passe rapidement devant les tableaux évoquant l’assassinat du maoïste Pierre Overney, les dérives inspirées des Situationnistes ou la Guerre du Golfe, ne m’attardant que devant celui qui s’oppose aux autres par un refus de la couleur. 
Noir, nature morte date du milieu des années quatre-vingt-dix. Sur fond noir, Fromanger a écrit en capitales blanches, par ordre alphabétique, le nom des artistes qui sans doute comptent pour lui, de Hans von Aachen à Francisco von Zurbaran, celui-ci étant suivi d’une dizaine d’autres, des oubliés repêchés, parmi lesquels Bellmer, Brauner, Chaissac, Kahlo et Oppenheim. On peut, assis sur une banquette passer un certain temps à lire toute la liste puis chercher qui n’y est pas, par exemple Balthus.
Je ne sais si c’est par hasard que cette exposition est surveillée par des gardiens d’origine chinoise.
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Ceux qui courent dans les escaliers quand ils entendent le métro qui arrive et, parvenus sur le quai, découvrent que c’est celui d’en face.
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Les Dada East, salon de coiffure parisien, rue Trousseau. Voilà qui nous change des Diminu’Tif et autres Imagin’Hair.
 

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