Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

28 décembre 2016


Y aller ou ne pas y aller ? Question que je me pose jusqu’au dernier moment à propos de Dédé qui se joue au Théâtre Charles Dullin du Grand-Quevilly en co-accueil avec l’Opéra de Rouen.
Comme j’ai repoussé pour cette opérette mon escapade parisienne du mercredi au jeudi, ce serait bête de renoncer. Je prends donc le métro et arrive là-bas le premier. La photo du spectacle est encore une image qui a peu à voir avec celui-ci mais qui peut donner envie d’y aller. Elle montre deux jolies jambes féminines (dont l’une est chaussée) cadrées des genoux aux pieds, une main invisible tenant un bouquet de pivoines. Cette fois, la photo est créditée. Son auteure est Emmanuelle Brisson. C’est aussi d’elle, ai-je appris d’une recherche, qu’était la photo du jeune homme torse nu jeté sur le matelas illustrant The Rake’s Progress.
J’ai place dans la partie supérieure de la salle. Derrière moi, une femme parle d’un ami à elle qui vient de mourir. Il était en phase terminale. Ce n’est pas une surprise, mais quand même, il y a beaucoup de gens qui meurent vers Noël. « J’ai un oncle, ajoute-elle, qui s’est suicidé la jour de Noël. Il s’est pendu. On y pense forcément à chaque fois ».
L’opérette Dédé créée en mil neuf cent vingt et un est censée chasser les idées noires. Dès le début je sais que ça ne marchera pas avec moi et que j’aurais mieux fait de ne pas. Cette histoire à rebonds et à quiproquos traitant d’adultère dans un magasin de chaussures est d’une niaiserie sans nom. Comme souvent le texte du livret n’est pas mis en avant par l’Opéra de Rouen, mais là je comprends ce souci de discrétion. Il est le fait  d’Albert Willemetz (qui aurait pu s’appeler Vermot). La musique est d’Henri Christiné. Elle est jouée par un petit orchestre qui fait songer à une harmonie municipale. Plus ou moins caché derrière des cloisons transparentes, il est dirigé par Jean-Pierre Haeck, ce chef belge que j’avais apprécié dans Offenbach. L’une des chansonnettes sort du lot : Dans la vie faut pas s’en faire, rendue célèbre par Maurice Chevalier qui a créé le rôle de Robert.
Annoncée durer une heure quarante-cinq, l’opérette Dédé me semble bien plus longue. Mon voisin doit penser la même chose, qui regarde l’heure sur son téléphone.
A l’issue je file. Je n’ai pas un caractère à me faire du tracas, mais je crains qu’il n’y ait plus de métro. L’écran de l’arrêt John Fitzgerald Kennedy me rassure. Il en reste un.
Ce dernier métro est à vingt-deux heures quarante-quatre. Dix-neuf minutes à l’attendre dans le froid, que je meuble mentalement en faisant la liste des choses que je n’aurai fait qu’une seule fois dans ma vie: aller à la patinoire, être le passager d’une moto, entrer dans une boîte de nuit, faire du ski de fond, et cætera, et cætera. A quoi s’ajoute désormais : assister à une opérette.
                                                                    *
Un peu d’immodestie ne peut me faire de mal en cette fin d’année deux mille seize. Ci-après, un sympathique message reçu juste avant Noël, signé de deux personnes dont j’anonymise les noms :
« Bonsoir, nous tenions à vous dire que nous avons passé avant-hier soir dans une brasserie de Cologne une excellente soirée en compagnie de votre journal, dont nous avons lu quelques extraits à haute voix. Il est vrai qu’il y avait aussi de la Kölsch. Bravo pour votre style, vos observations du public de l’opéra, de la bourgeoisie bourgeoisante, de la campagne électorale de 2014 que nous avons vécue de l’intérieur. Ixe Ixe, Zed Zed, centristes de droite. »
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D’Ygrec Bé, un correspondant plus ancien et inconnu qui s’adresse toujours à moi par un  « Cher Maître » :
« J'ai dégusté, avec une jubilation mélancolique, votre paperole récente. »
 

27 décembre 2016


Quoi faire ce lundi suivant Noël alors que la ville de Rouen est dans un état proche du coma ? Je me décide à entrer au Musée des Beaux-Arts où c’est la cinquième édition du Temps des Collections, cette opération qui vise à mettre en lumière des œuvres délaissées. Lors des quatre premières, une célébrité plus ou moins célèbre en était chargée. Cette fois, pour une part, c’est le public qui a fait le boulot, en choisissant sa peinture préférée dans une présélection faite par l’institution qui parle d’« expérience de commissariat participatif ». Une idée piquée ailleurs, à Brooklyn précisément, et déjà reprise par d’autres avant Rouen, où comme toujours quand une nouveauté arrive, c’est qu’elle ne l’est plus.
Ces œuvres sont montrées dans une salle baptisée La Chambre des Visiteurs. Celle ayant obtenu le plus de voix est Etretat 1980-1981 d’André Raffray, une relecture narquoise et hyperréaliste faite à partir d’une photographie du lieu choisi par Monet pour son Etretat soleil couchant. La toile de Raffray ressemble à une carte postale de mauvais goût. Je crains que son succès soit dû à cela, que nombre des votants, éblouis par le soleil couchant, n’aient pas vu le second degré. Les autres œuvres élues m’intéressent peu. Celle ayant obtenu le moins de votes, une vraie croûte, est surmontée du panneau « le flop », ce que dans le livre d’or un visiteur qualifie de méchanceté inutile.
Des visiteurs, ce lundi midi, il y en a très peu, quelques couples assez âgés parfois accompagnés d’un grand enfant.  Ils me sont plus gênants que s’il y avait du monde. Certaines salles sont fermées faute de gardien(ne)s en nombre suffisant, toute une aile et celle du Jubé, pas question ce jour de revoir Les Enervés de Jumièges. L’entrée étant gratuite, on ne peut se plaindre de ne pas en avoir pour son argent.
Des autres présentations du Temps des Collections, seule m’intéresse vraiment Trompeuses apparences où l’on peut voir différents types de trompe-l’œil. Un peu me retiennent Jean-Francis Auburtin : un rêve d’Arcadie, des toiles symbolistes peuplées de jeunes filles nues et d’animaux mythologiques et, parce que je déteste ça, Histoire de cadres où sont exposées ces bordures, débarrassées des peintures (le contraire m’eut peut-être plu).
 

26 décembre 2016


C’est avant midi qu’arrive ce dimanche de Noël celle qui me tenait la main, en provenance de chez ses parents où elle a réveillonné, et en pleine forme.
Point de sapin dans la maison mais des bougies un peu partout, point de cadeaux non plus mais de petites attentions et puis un bon repas confectionné avec nos apports respectifs. La pause cigarette sur le banc du jardin a lieu pendant un nouveau concert du carillonneur fou de la Cathédrale que l’on imagine passer ses nuits dans la tour. D’ailleurs ne s’appelle-t-il pas Latour ?
                                                              *
Caen : « La bibliothèque Alexis de Tocqueville recrute ses vacataires ».
N’espère pas être titularisé, vaque à terre.
                                                              *
C’est le quatorze janvier deux mille dix-sept que sera inaugurée cette grande bibliothèque Alexis de Tocqueville, sise dans un bâtiment de douze mille mètres carrés conçu par l’agence de Rem Koolhaas en collaboration avec Barcode Architects et Clement Blanchet Architecture.
Depuis novembre deux mille quinze, Le Havre a sa grande bibliothèque Oscar Niemeyer, sise dans l’ancien Petit Volcan et ouverte gratuitement cinquante-quatre heures par semaine, dimanche inclus.
Rouen sera la seule grande ville de Normandie à n’avoir que des petites bibliothèques de quartier. La Députée Fourneyron, Socialiste, alors Maire, ayant sabordé dès son entrée en fonction, sur le conseil de Laurent le Fabuleux, la grande bibliothèque qui devait trouver place dans le bâtiment dessiné par Rudy Ricciotti à la demande du précédent Maire, Albertini, Centriste de Droite, laquelle bibliothèque était en construction dans le quartier Grammont. « L’heure n’est plus aux cathédrales de livres », a déclaré cette visionnaire en deux mille huit.
                                                           *                                            
Rouen, rue Saint-Romain, deux passantes devant l’Historial Jeanne d’Arc (fierté du Fabuleux), l’une à l’autre ;
-T’as déjà fait ce truc-là ?
 

24 décembre 2016


« Vous avez récemment publié quelque chose qui enfreint les règlements Facebook et n’êtes plus autorisé à utiliser cette fonctionnalité pour le moment. » m’écrit Mark Zuckerberg ce vendredi après-midi, m’interdisant pour vingt-quatre heures de publier, commenter ou même liker quoi que ce soit. « Si vous voulez ne plus être bloqué à l’avenir, assurez-vous d’avoir bien lu et compris les Standards de la communauté Facebook. », ajoute-il. Il me menace aussi d’exclusion définitive si je récidive.
Cela s’est passé en trois coups de cuiller à pot.
Acte un : Effe Bé me tape sur les doigts pour une photo publiée il y a plusieurs années montrant Angela Merkel nue avec ses copines dans un camp de vacances en Allemagne de l’Est du temps de sa jeunesse (l’une de ses copines était vraiment jolie).
Acte deux : Effe Bé me rappelle un souvenir d’il y a plusieurs années, une photo prise par Kate Barry, la fille suicidée de Jane Birkin, que j’avais publiée au moment de sa mort, montrant une jeune femme au joli mouvement de tête et à la poitrine dénudée, et me propose de la republier. Poussé au vice par celui-là même qui prétend m’en garantir, je ne me fais pas prier (comme on dit).
Acte trois : Effe Bé condamne cette nouvelle publication et me bannit provisoirement.
Il est probable qu’un logiciel dépisteur de photos de nu est à l’origine de mes ennuis. Possible aussi qu’un(e) de mes ami(e)s m’ait dénoncé.
Tandis que le carillonneur de la Cathédrale donne son concert de Noël (Chostakovitch et des traditionnels allemands, anglais et français), je supprime de ma liste quelques-un(e)s que je ne connais pas assez et/ou avec qui il n’y a aucune interaction depuis au moins un an.
 

23 décembre 2016


Ce mercredi, un train de sept heures vingt-huit peu fréquenté puis un bus Vingt me mènent place de la Bastille où le monument en travaux est désormais entouré d’une publicité Spotify. Au Café du Faubourg, les serveurs se demandent s’ils ne devraient pas s’arrêter de travailler à dix-sept heures vu que c’est le jour le plus court. Hivernale, la température l’est.
A dix heures, j’entre chez Book-Off. Carlos y est heureusement vite remplacé par Paolo Conte. Les livres y ont de moins en moins de place. Je m’en inquiète auprès d’une employée. Elle me répond qu’à peine mis en rayon, ils sont achetés. Cette explication me laisse dubitatif. Malgré le froid, je passe par le marché d’Aligre et suis content à midi de pouvoir me réchauffer Chez Céleste.
Madame Céleste porte un bonnet de Noël à lumières clignotantes. C’est elle qui m’apporte le foie de veau que j’ai commandé.
-Ce n’est pas des patates, me dit-elle en me montrant les légumes, c’est des topinambours. Est-ce que ça vous va ?
Je lui dis oui, bien que je n’aie pas le souvenir d’en avoir déjà mangé. Quant au foie de veau, cela fait des lustres que je n’en ai eu dans mon assiette. Tout cela me plaît bien.
Un groupe de six mange derrière moi dont je profite de la conversation sans savoir qui parle. Il est question d’un repas de Noël organisé par une association. Bénévoles, bénéficiaires, tout va bene. Il y aura des animateurs de table. J’imagine que ce sera festif, convivial et peut-être même participatif. A côté, un homme seul cherche topinambour sur son téléphone afin de savoir si ça vaut le coup d’en manger. En dessert, j’opte pour le moelleux au chocolat. Avec un quart d’excellent vin du pays, cela fait dix-neuf euros cinquante.
Je retourne à la Bastille par la rue Manuel-Valls. Cette fois, elle n’est plus gardée à chaque extrémité. Chez Lady Long Solo on doit se réjouir de n’avoir plus le véhicule bleu de la Gendarmerie Mobile garé devant la vitrine consacrée aux livres sur le haschisch. Un bus Vingt doit me rapprocher de l’Opéra Garnier mais les embouteillages sont si importants qu’à l’arrêt Grands Boulevards le chauffeur annonce qu’il n’ira pas plus loin. Tout le monde descend en grognant. Je continue à pied me glissant dans la foule hostile des touristes et acheteurs de Noël.
Trop de monde également dans le Book-Off de Quatre-Septembre où si les livres sont légèrement plus nombreux que dans l’autre, j’en trouve néanmoins peu qui m’intéressent.
Je rentre tôt, par le train de seize heures cinquante. Deux femmes chargées de sacs emplis des paquets enrubannés s’y assoient avec soulagement. L’une fait le point, énumérant les cadeaux et leurs destinataires.
-Et pour ton mari ? lui dit l’autre.
-Ah zut, je l’ai oublié.
                                                             *
En page de garde de l’exemplaire d’United Colors of Crime de Richard Morgiève vendu un euro chez Book-Off, une dédicace de l’auteur à Alain Kruger, producteur d’On ne parle pas la bouche pleine, l’émission culinaire de France Culture :
« Cher Alain Kruger
United Colors of Crime est mon film de mots, d’amour et de haine – Mon oncle mort à Monte-Cassino vient chercher le souvenir des coquelicots rouges dans les confins du Big Country. Bien à vous. »
Encore un cadeau qui n’a pas plu. Un livre de recettes aurait été plus approprié.
                                                            *
Un euro également Le voyage de La Bouille par mer et par terre, récit humoristique et pittoresque illustré par Jules Adeline, dans la réédition de Petit à Petit, simple reproduction de l’édition originale de mil huit cent soixante-dix-sept, un petit travail facile pour petit éditeur régional paresseux.
 

22 novembre 2016


Le meilleur trajet serait par le bus Effe Deux, à prendre en direction du Parc de la Vatine, arrêt « Maulévrier ». Ensuite à pied, suivre la rue du Tronquet puis traverser par la passerelle vers les Compagnons du Devoir - Centre de Loisirs, m’a écrit l’employée du Centre Dramatique de Normandie lorsque je lui ai demandé comment faire pour rejoindre sans voiture le Cirque Tsigane Romanès que David Bobée, Directeur, a eu la bonne idée d’inviter pour le spectacle Voleurs de poules !
Le renseignement est fiable et m’évite de me perdre dans un coin de Mont-Saint-Aignan que je ne connais pas ce mardi après-midi. Du haut de la passerelle qui enjambe une deux fois deux voies allant je ne sais où, j’aperçois le chapiteau blanc installé dans le parc Rosa Parks depuis dix jours. Il est jouxté de tentes d’accueil, d’un bar à vin chaud et d’une camionnette à manger.
Ce chapiteau est bien plus beau à l’intérieur où domine le rouge. Je m’assois en bout du banc au troisième rang. Beaucoup sont venus avec enfants ou petits-enfants. Il y a aussi des couples et des esseulés dont un bizarre qui se penche sur les petits-enfants à sa proximité, ce qui provoque plusieurs déplacements de grands-parents inquiets. Deux centres de loisirs sont là également et des handicapés en fauteuil au premier rang. Un peu après quatorze heures, bien serrés les uns contre les autres, nous sommes cinq cents.
Alexandre Romanès entre en piste muni d’un micro et fait quelques plaisanteries bien rodées.
-Vos téléphones portables ne nous dérangent absolument pas. Vous pouvez les laisser sonner. Vous pouvez appeler vos amis et leur dire : « Je suis au cirque Romanès. Il va peut être y avoir un spectacle. On ne sait jamais avec ces gens-là »
Hors micro, il va voir les moutards du centre de loisirs assis à ma gauche :
-Soyez sages les enfants. Ne faites pas le cirque dans le cirque. Ce serait trop.
Sort alors de derrière le rideau la famille Romanès dans son entier. En un apparent désordre qui cache une organisation rigoureuse, les numéros de jonglage, voltige, trapèze, contorsions, funambulisme s’enchaînent portés par une musique exubérante ou mélancolique et le chant envoûtant de Délia, la femme d’Alexandre. Celui-ci qui fut dompteur de lion intervient l’espace d’une parenthèse avec son chien savant. Le reste du temps, en arrière-plan, il veille sur la famille où les filles ont le beau rôle d’un œil de patriarche débonnaire. Quelques plumes de poule s’échappent des poches d’un jongleur.
Le plus spectaculaire est pour la fin avec un numéro d’acrobatie en grande hauteur et sans filet qui me fait frémir autant que lorsque j’étais enfant, suivi de celui d’une joueuse avec le feu qui n’est pas pour me tranquilliser.
Après les applaudissements copieux et les saluts dansés de toute la famille, Alexandre Romanès fait un peu de publicité pour ses trois livres « publiés chez Gallimard ». L’un contient des proverbes tziganes. Il nous en donne trois dont deux que je connaissais mais ignorais la provenance. Celui que je découvre est son préféré : « Ne te moque jamais des riches, ça pourrait t’arriver ».
                                                                           *
Les riches, le Cirque Tzigane Romanès les connaît bien, pour avoir son chapiteau parisien square Parodi dans le Seizième dont ils cherchent à l’expulser, laissant à d’autres le soin de les décourager par la manière forte: fenêtres de caravanes cassées, costumes volés, câbles coupés, projecteurs détruits.
« Il y a toujours eu des cirques square Parodi et ça ne posait jamais problème. Là, le souci, c'est le mot tsigane accolé à celui de cirque » commentait Alexandre Romanès pour France Info le douze novembre dernier, ajoutant : « Quand on est gitan, on ne porte pas plainte. »
                                                                         *
« Un mouvement d'extrême droite, le Siel (Souveraineté, identité et liberté), a même organisé une manifestation devant le chapiteau, bloquant toutes les sorties. « Ils m'ont dit : Nous sommes la droite de l'extrême droite. Je leur ai répondu : Attention, les gars, vous allez tomber dans le précipice ! » (Le Point, dix novembre deux mille seize)
 

21 décembre 2016


Un peu de sagesse antique ne peut faire de mal en cette période trouble. Voici quelques vérités et bons principes tirés des Lettres à Lucilius de Sénèque, une correspondance dont le destinataire est peut-être fictif et que j’ai lue dans la version publiée par Arléa sous le titre Apprendre à vivre:
Lettre un :
… l’essentiel de la vie s’écoule à mal faire, une bonne partie à ne rien faire, toute la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait faire.
On remet la vie à plus tard. Pendant ce temps, elle passe.
Lettre cinq :
A l’intérieur, dissidence totale ! A l’extérieur, faisons comme tout le monde !
Lettre sept :
Il n’y a aucune raison pour que, tout à la vanité de monter tes talents, tu te produises en public dans des lectures ou des conférences.
Lettre vingt-deux :
Tout le monde veille non à bien vivre mais à vivre longtemps, alors qu’en fait il est donné à tout le monde de bien vivre, mais de vivre longtemps, à personne.
Lettre vingt-quatre :
Qui peut, en effet, plaire au peuple tout en aimant la vertu ? C’est par des moyens détestables qu’on brigue les faveurs populaires. Il faut que tu te fasses semblable à lui.
Lettre trente-deux :
Celui qui nous retient nous cause déjà bien du tort : la vie est si brève ! Et nous l’abrégeons encore par notre manque de constance en la recommençant, recommençant sans cesse. Nous la hachons menu, nous la pulvérisons.
Lettre quarante-cinq :
Examine-les l’un après l’autre ou considère-les en bloc : pas un qui ne vive les yeux rivés au lendemain
Tu me demandes quel mal il y a ? Un mal infini : ils ne vivent pas, ils attendent de vivre.
Lettre cinquante :
Tu en es encore à souhaiter ce que souhaitèrent pour toi ta nourrice, ton précepteur ou ta mère ? Tu ne te rends pas compte de tout le mal qu’ils t’ont souhaité ? Ah ! comme les vœux de nos proches nous sont contraires ! Et d’autant plus contraires qu’ils ont été couronnés de succès. Je ne m’étonne plus maintenant de toutes les misères que nous traînons derrière nous depuis que nous sommes tout petits : nous avons grandi dans la malédiction des vœux de nos parents !
 

20 décembre 2016


Un horaire inhabituel pour le dernier concert de l’année à l’Opéra de Rouen, celui que la bourgeoisie bourgeoisante ne saurait manquer, quinze heures, cela parce qu’entracte compris l’interprétation de l’Oratorio de Noël de Johann Sebastian Bach par le chœur accentus et l’orchestre Le Poème Harmonique dirigés par Laurence Equilbey durera trois heures. Les places de première catégorie sont à soixante-huit euros.
Je suis dans les lieux dès quatorze heures quinze.
-Toujours là, me dit l’un de mes lecteurs appuyé sur sa canne.
-Oui, vous aussi.
-Plus pour longtemps.
-Mais si, mais si.
Initialement prévu pour être perché en haut du second balcon, j’ai pu obtenir mieux, au troisième rang du premier balcon d’où j’aurai bonne vue sur l’ensemble de la scène. J’attends donc le feu vert des placeurs et placeuses au bas de l’escalier. Un couple de sexagénaires se fait rattraper dans les premières marches.
-Pardon, messieurs dames, les étages ne sont pas encore ouverts.
-Et l’ascenseur est en panne, répond homme d’un ton hargneux tout en faisant demi-tour suivi de sa femme à qui il dit : « Maintenant, je ne laisse plus rien passer ».
Trois heures de musique religieuse vont lui faire du bien.
« Oh la la, trois heures », entends-je plusieurs fois quand on s’installe au balcon, le plus souvent dans la bouche d’un homme ayant suivi sa femme. Celui assis à ma gauche porte une chemise à carreaux et je sens qu’il aurait aimé avoir du temps pour couper du bois dans l’appentis de la maison de Saint-Martin-du-Vivier.
Cet oratorio de Bach a pour caractéristique de me plaire et de m’ennuyer à la fois. L’entracte a lieu dès que le nommé Jésus est né mais ensuite les Rois Mages mettent bien longtemps à trouver sa crèche.
Le succès est total pour l’orchestre, les choristes et les quatre solistes. En remerciement, Laurence Equilbey nous souhaite de joyeuses fêtes et nous offre un petit bis.
                                                             *
L’autre dimanche, à la Halle aux Toiles, c’était le Salon du Disque. J’en regarde une vidéo. Dans les allées, des hommes, des hommes et encore des hommes. Seules deux femmes sont visibles qui semblent suivre un mari. Le goût du vinyle, ce n’est pas seulement celui d’une musique qui serait de meilleure qualité.
 

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