Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

7 janvier 2017


« Charlie est mort le 7 janvier », pense aujourd’hui Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de l’hebdomadaire, qui déplore « que Mahomet ne soit plus dessiné ». « Si demain on met en couverture une caricature de Mahomet, qui va nous défendre? Personne, à part un ou deux intellectuels. On nous dira: "Vous êtes fous, vous l'avez bien cherché." » lui répond Riss, Directeur.
L’une et l’un ont raison, je crois. Comme je l’ai déjà écrit, la loi islamique s’impose désormais en France (et dans le monde). La liberté d’expression s’évoque sur le mode nostalgique, comme le faisait Gotlib, mort récemment, que j’ai entendu sur France Culture dans une archive sonore (comme on dit) déclarer qu’il ne pourrait plus dessiner son God’s Club où l’on voyait Dieu le Fils faire des bêtises avec ses peutes Jupiter, Allah, Krischna, Wothan et Jéhovah.
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Le fascisme de souche se porte aussi bien que ce fascisme d’importation. Ce vendredi, la fille Le Pen est en visite à Ecouis, village de l’Eure où l’on vote à fond pour elle et qui a été retiré de la liste des communes d’accueil de réfugiés après l’opposition de ses habitants. La télévision régionale la filme entourée des braves gens qui la soutiennent. Ça se passe place Elie-Wiesel (celui-ci a été accueilli dans le village pendant quelques mois avec quatre cent vingt-six autres adolescents juifs rescapés de Buchenwald).
Une quinquagénaire teinte en blond chez Expédi’tif est interrogée par la télé. A côté d’elle se trouve son branlotin de neveu. « Il m’a dit : Tata, je veux que tu m’emmènes voir Marine. »
« La France aux Français, les Arabes en Arabie, c’est Coluche qui le dit », déclare ce blondinet à qui l'humour et le second degré sont étrangers.
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Je n’appelle jamais la fille Le Pen par son prénom. Le ferais-je que j’appellerais Marion, puisque Marine n’est qu’un pseudonyme. Que la sœur de cette Marion ait donnée à sa propre fille le prénom de sa sœur montre bien que dans cette famille on se reproduit par clonage.
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Royal porte toujours aussi bien son vrai prénom, Marie-Ségolène. La voici qui s’enflamme tout à coup pour Jeanne d’Arc. Il y a quelques semaines, c’était pour Cuba où nul n’était en prison pour délit d’opinion.
Ce vendredi, France Culture diffuse le reportage fait là-bas à l’occasion des obsèques de Fidel Castro. Les interlocuteurs de la journaliste lui racontent comment ils sont régulièrement arrêtés et emprisonnés quelques jours pour avoir parlé à des touristes. L’un d’eux disparaît et devient injoignable après avoir répondu à ses questions dans un endroit qu’il croyait sûr. Elle-même est emmenée au poste de police le lendemain de la déclaration de Marie-Ségolène, où on lui dit qu’elle est là pour les obsèques de Fidel (comme ils l’appellent), pas pour interroger les habitants.
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Entendu également sur France Culture Eugène Green, ce cinéaste et dramaturge qui parle le françoué d’autrefoisse mieusse que toué et moué. Ce puriste se flatte d’être croyant et tente son coup pour le Prix de la Plus Grosse Connerie de l’Année en déclarant : « Avec la Corée du Nord, la France est le seul pays où l'athéisme est une religion d’État ».
 

6 janvier 2017


Comme chaque année, en ce début janvier, les rues de Rouen, ce centre commercial à ciel ouvert, sont peu fréquentées. Le quidam attend l’ouverture des soldes d’hiver pour se remettre à magasiner, comme on dit au Québec. Quelle n’est donc pas ma surprise ce jeudi vers dix heures et demie de trouver rue des Carmes une file d’attente géante de gens bien mis, si longue qu’elle coupe la rue Saint-Nicolas.
Me portant à son début, je découvre que la bijouterie Lepage est en liquidation.
La dernière fois que j’ai vu une telle file sur un trottoir rouennais, c’était pour l’ouverture de la boutique Free, rue de la Jeanne, il y a quelques années. Là-bas c’étaient les pauvres qui se faisaient remarquer en stagnant sur la voie publique. Ici, ce sont des chaudement vêtus qui pour beaucoup ont de quoi payer le prix fort, mais ne sont pas contre une remise de cinquante pour cent. Quelques arrivants, estimant la durée de l’attente, se découragent. D’autres, passant là par hasard, s’ajoutent à la manifestation (si tant sont là, c’est que ça vaut le coup).
L’or et les pierres précieuses ne m’intéressent pas, je ne suis jamais entré dans une bijouterie digne de ce nom. M’intéresseraient-ils que je ne pourrais me mettre au bout de la file. Je ne supporte pas d’attendre. Seules les expositions d’art m’amènent à dépasser cette phobie.
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Lors d’une liquidation de librairie, la situation n’est pas la même, on ne filtre pas les entrées.
Je me souviens de celle de la maison Lépouzé au tournant du siècle. J’y ai acheté le Guide Michelin de l’an deux mille, à moins cinquante pour cent.  Il m’a peu servi.
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Deux quinquagénaires rouennais bien mis :
-Et comment va madame votre mère ?
-Très bien. Elle est allée chez Darty, elle a pris une boxe Internet avec un contrat d’un an à trente euros par mois.
-Et alors ?
-Elle n’a pas d’ordinateur.
 

5 janvier 2017


J’ai réussi à obtenir un billet Prem’s à neuf euros pour le direct Rouen Paris de sept heures cinquante-neuf en ce début d’année deux mille dix-sept. Je m’y sens mieux que dans la bétaillère de sept heures vingt-huit, ce train du travail où je crains toujours de ne pas avoir de place assise.
Là, pas de problème, chacun peut voyager sans voisin immédiat. Je lis Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni de Paul Theroux (Cahiers Rouges/Grasset), l’écrivain américain y narre avec humour son tour de la Grande-Bretagne par le bord de mer pendant la guerre des Malouines. Ma voisine de devant, qui n’est plus une enfant, regarde un film d’animation de Noël qui se passe également dans un train.
Le nôtre arrive à l’heure. Les métros Trois et Huit me permettent d’arriver au Café du Faubourg quinze minutes avant l’ouverture de Book-Off. A quelle heure va-t-il se mettre à pleuvoir? C’est la question du jour. Pas avant que j’aie le temps de passer au marché d’Aligre où le renouvellement des livres est en panne.
A midi, je déjeune à volonté au Palais de Pékin, avenue Parmentier. Il pleuvine quand je rejoins la station de métro Père-Lachaise afin de prendre le Trois vers l’autre Book-Off. Celui-ci tombe en panne électrique, pas moyen d’aller plus loin que République où j’attrape le Neuf qui me mène jusqu’à Richelieu-Drouot.
Je prends un café au comptoir d’un bar qui m’est familier mais que je ne nommerai pas cette fois. La barmaid y déclare qu’un jour ou l’autre, il faudra légaliser. Elle connaît des gens qui en font pousser derrière un cimetière. Et d’autres dans un garage, mais là ça coûte cher en électricité. C’est comme l’alcool, l’important c’est de bien gérer. Elle, ça la détend.
Chez Book-Off, j’ai la chance d’être là au moment de la mise en rayon de nouveaux livres à un euro. Néanmoins, ma récolte est raisonnable. A l’extérieur, il s’est enfin mis à pleuvoir.
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Un quidam au comptoir du Café du Faubourg : « Maintenant à Paris, c’est comme en province, à huit heures tout le monde est devant la télé. »
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Réassortiment chez Book-Off : « Je drague dans toutes les langues, je le mets dans Humour ou dans Vie quotidienne ? »
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Musique gare Saint-Lazare. Il y avait le piano en libre-service dans la galerie marchande. Il y a aussi, depuis plusieurs semaines, la diffusion à fort volume de musique classique sur le parvis à toutes les entrées et sorties. J’ai lu que cette pratique avait pour avantage de faire fuir les branlotin(e)s qui stagnent dans des lieux où l’on n a pas envie de les voir. Vivaldi est à la tâche.
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Parmi les livres rapportés de Paris : Sur le style de Flaubert de Marcel Proust (Edition Sillage), un exemplaire orné d’un portrait tamponné de Gustave accompagné du texte « Ex-Libris de l’Hôtel Littéraire Gustave Flaubert, à l’occasion de son inauguration. Rouen, le 7 octobre 2015 ».

 

4 janvier 2017


Ci-après la première série de prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Nous avons convenu qu’Avedon était horrible, China a dit qu’il laissait tomber les gens dès qu’il en avait tiré ce qu’il voulait. J’ai opiné du bonnet, tout le monde s’est mis à brailler que je faisais la même chose. (Mercredi premier décembre mil neuf cent soixante-seize)
J’ai discuté avec Mrs Kaiser et j’ai donc pu faire sa connaissance. Elle a environ soixante ans mais en paraît quarante, elle dit qu’elle cherche une bonne baise. Je lui ai répondu qu’elle s’était trompée de ville, que tout le monde ici était homo, et elle a dit qu’elle s’en fichait : « Ils culbutent bien.  Je suis parfois bien tombée, ici. »
Oh, j’oubliais : à table, Bianca a retiré son slip, me l’a passé et j’ai fait semblant de le renifler avant de le fourrer dans la pochette de mon costume. Je l’ai encore. (Lundi six décembre mil neuf cent soixante-seize, Bianca : épouse de Mick Jagger)
A l’autre bout de la salle se trouvait Truman Capote nouvelle version, avec seulement la peau sur les os. (Mardi quatorze décembre mil neuf cent soixante-seize)
Vincent est sorti acheter le journal, et c’est là que nous avons vu ce gros titre : «  UN METTEUR EN SCENE ACCUSE DE VIOL ». Roman Polanski. Sur une gamine de treize ans qu’il avait emmenée à une soirée chez Jack Nicholson. Quand la police est venue chez Jack le lendemain, sur plainte des parents, ils ont fouillé la maison et Anjelica a été arrêtée pour possession de coke. (Samedi douze mars mil neuf cent soixante-dix-sept)
James Caan était là avec sa femme, un look de petit garçon, une beauté. Ils épousent tous des jeunettes qui ont l’air d’avoir treize ans, c’est la dernière mode à Hollywood. Roman était là, il a été libéré sous caution, après l’histoire de la gamine de treize ans. Il s’est précipité sur le cul d’Alana en disant qu’il allait la violer. (Lundi vingt-huit mars mil neuf cent soixante-dix-sept, Los Angeles)
Coup de téléphone de Brigid : elle est indignée parce qu’elle s’est aperçue que Bad avait été classé X pour violence, uniquement parce qu’un bébé est jeté par une fenêtre ! Et on ne le voit pas atterrir ! (Samedi neuf avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Mick veut que je fasse la couverture de son prochain album. J’essaie de trouver une idée pour faire des « Rolling Stones », un de ces petits jeux en plastique où il faut faire rouler des pierres dans des trous. (Mardi douze avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
Je suis allé à l’église. Tandis que je demandais à Dieu de l’argent, une bonne femme est venue m’en demander. (Dimanche dix-sept avril mil neuf cent soixante-dix-sept)
(A suivre)
 

3 janvier 2017


J’ai rencontré Andy Warhol à l’automne 68 – huit ans après qu’il eut peint ses premières toiles pop art et à peine trois mois après qu’une femme, qui avait fait une brève apparition dans l’un de ses films underground, eut tiré sur lui, manquant le tuer. (…)
A l’époque, j’étais étudiante à Barnard, et aller à la Factory voir si Andy Warhol avait besoin d’une dactylo à temps partiel me semblait un bon moyen d’introduire un peu de paillettes dans ma vie universitaire. raconte Pat Hackett dans l’introduction du Journal d’Andy Warhol publié chez Grasset en mil neuf cent quatre-vingt dix, un ouvrage épuisé dont j’ai eu la chance de trouver un exemplaire à un euro chez Book-Off en deux mille seize.
Chaque matin, à partir du mercredi vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-seize et jusqu’au mardi dix-sept février mil neuf cent quatre-vingt-sept, où qu’il soit, Andy Warhol a téléphoné à Pat Hackett afin de lui raconter ses dernières vingt-quatre heures : ce qu’il avait fait, qui il avait vu, cela assorti de commentaires personnels.
Pat Hackett mettait ensuite ces informations par écrit. Ainsi est né ce Journal que j’ai lu avec délectation, Andy m’ayant fait rire à moult reprises, et attendri à d’autres. D’où de nombreux extraits tapotés sur mon ordinateur et donnés à lire dans le mien à partir de demain.
                                                                    *
Il a fallu qu’un lecteur me le signale pour que je me rende compte que mon texte d’hier était daté du deux janvier deux mille dix-huit. Escamoter deux mille dix-sept, désirer passer directement à la suivante, il doit y avoir de ça.
 

2 janvier 2017


Chaque matin, écrivait Antonio Gramsci le premier janvier mil neuf cent seize, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc.
Comment ne pas être d’accord avec lui ? Il n’empêche que je n’arrive pas à faire de cette nuit du trente et un décembre au premier janvier, une nuit de tous les autres jours (si je puis dire).
Les voisines et voisins susceptibles de fêter bruyamment cette transition se sont donnés le mot pour aller faire ça ailleurs. A minuit, c’est lointainement que me parvient le bruit des claquesons, braillements et pétardages et cela ne dure pas longtemps pour cause de froid. Je peux dormir tranquillement, mais ce serait tellement mieux de ne pas, en raison de la présence d’une, embrassée sous le gui, me dis-je.
Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. concluait Antonio Gramsci il y a cent un ans.
                                                          *
Terminé, ce samedi après-midi, au café Le Grand Saint-Marc, la lecture, dans Ecrire la vie, le Quarto Gallimard à elle consacré, des textes d’Annie Ernaux que je ne connaissais pas, du très bon, du bon, et du moins bon quand elle raconte son histoire avec un diplomate soviétique (une première fois dans Passion simple et une seconde fois avec les extraits de son journal intime dans Se perdre).
Tiré de cette seconde fois ceci, daté du dimanche premier janvier mil neuf cent quatre-vingt-neuf (Eric est l’un de ses fils) :
Seule, absolument, en ce 1er janvier. Il y a longtemps que cela ne m’était pas arrivé. En 64, j’étais rentrée à la Cité, de Vernon, et j’avais passée la journée seule dans mes huit mètres carrés. Mais cet après-midi, Eric et son amie seront là. De toute manière, je n’en éprouve aucune tristesse.
Il me semble que lorsqu’on précise qu’être seul(e) au Nouvel An vous est égal, c’est que ça ne l’est pas (de toute manière).
                                                        *
Deux mille dix-sept sera donc la continuité de deux mille seize. Rien de bon à en attendre. Ce qui est en marche va se poursuivre en s’aggravant. André Markowicz, traducteur bien connu pour son dépoussiérage de Dostoïevski (entre autres), dont je lis avec plaisir et intérêt les chroniques sur le réseau social Effe Bé cite, en ce premier janvier, cette histoire juive d’origine française :
C’est un Juif pessimiste et un Juif optimiste qui discutent.
-Pïre, ça peut pas être, dit le Juif pessimiste.
-Mais si, mais si, dit le Juif optimiste.
 

31 décembre 2016


C’est certain qu’il y a beaucoup de morts aux alentours de Noël, comme le faisait remarquer la spectatrice de Dédé mardi dernier (et pas seulement des célébrités plus ou moins célèbres). Des enquêtes le prouvent, dont je viens de lire le compte-rendu sur Slate.fr.
L’un de ces morts de fin d’année est Philippe Cayeux, auteur de quelques livres pour enfants, que je connaissais un peu pour le croiser systématiquement dans les vide greniers autour de Louviers où il vivait (il y fut conseiller d’orientation et brièvement conseiller municipal avant d’en avoir assez de Franck Martin, Maire, Radicule de Gauche). Occupé tout comme moi à chercher des livres d’occasion, il s’intéressait aussi à la brocante et les dernières fois que je l’ai vu tirait derrière lui un chariot à roulettes.
On se contentait de se dire bonjour. La seule fois où l’on a discuté, c’est quand je faisais du stop pour revenir d’un village de la vallée d’Eure, Autheuil-Authouillet il me semble, et qu’il s’est arrêté pour me prendre dans sa voiture. Je ne me souviens pas de ce qu’on s’est dit mais me rappelle que j’avais acheté un livre consacré à Gustav Klimt et un autre consacré à Egon Schiele. Il m’a laissé à Louviers et je ne sais plus par quel moyen j’ai regagné Val-de-Reuil où je vivais à cette époque.
De nombreux humains de sexe masculin meurent brusquement entre soixante et soixante-dix ans, je le sais même si je n’ai vu aucune enquête le confirmant. Philippe Cayeux est mort pendant son sommeil dans la nuit du vingt-six au vingt-sept décembre. Il devait bientôt fêter son soixante-deuxième anniversaire. Ma sœur, qui le croisait aussi dans les vide greniers, trouvait qu’entre lui et moi, en plus du même intérêt pour les livres, il y avait une certaine ressemblance physique.
                                                                *
Il m’arrive aussi de penser que mourir une nuit dans son sommeil, en ignorant donc que l’on meurt, est une fin idéale. Et ce qui pourrait m’arriver de mieux.
                                                                *
Ultime citation de deux mille seize :
La génialité même est indissolublement liée à la bêtise ; et l'interdiction, sous peine de passer pour bête, de trop parler de soi, l'humanité a su la tourner de façon originale : en inventant l'écrivain. De la bêtise - Robert Musil
 

30 décembre 2016


Eh bien, Dédé, je te dois une fière chandelle (comme on dit). Sans toi, j’aurais pris le sept heures vingt-huit pour Paris ce mercredi, jour de la pire panne de l’année (un aiguillage bloqué par l’informatique à Mantes-la-Jolie) et je serais arrivé dans la capitale avec quatre heures de retard.
Ce jeudi frisquet, les traumatisés de la veille ne parlent que de ça. « Installez-vous confortablement, dit l’un, cinq heures de voyage c’est long. »
Ce ne sera qu’une heure dix, comme inscrit sur l’horaire. A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt dont le chauffeur est obligé de quitter le volant à chaque arrêt pour fermer manuellement la porte avant. Je m’y chauffe les fesses jusqu’à la Bastille. Au Café du Faubourg, j’apprends par Le Parisien qu’une étudiante japonaise a disparu à Besançon et qu’on soupçonne son ex copain chilien reparti dans son pays de l’avoir tuée. Cela aurait inspiré un beau dessin à Angelo Di Marco, le spécialiste des faits divers criminels, décédé le vingt et un décembre, d’une mort naturelle.
Après Book-Off et le marché d’Aligre, ayant très envie d’un confit de canard pommes rissolées, je me rends au Péhemmu chinois et le trouve fermé pour cause de vacances. Dépité, je me contente d’aller une fois de plus Chez Céleste où je ne peux qu’être déçu par l’avocat crevettes et le poulet sauce arachide. N’y mangent que des gens de passage : deux vieilles lesbiennes qui ne se supportent plus et leur vieux copain homo à moustache (l’une : « Ils sont bons les haricots verts », l’autre : « Et le riz aussi »), deux hommes sexagénaires qui aiment le vin (l’un : « Elle a eu deux enfants avec Mao. T’as connu Mao ? Il est mort. Tu te rappelles pas ? C’était un peintre vietnamien ») et un couple de quadragénaires avec leur fille de vingt ans Coralie et une amie de celle-ci Delphine au charme de laquelle l’homme à catogan n’est pas insensible (lui : « Le Sénégal en ce moment, ça craint. A cause de la religion. C’est pas le moment d’y aller », sa fille un peu énervée par l’intérêt que porte son géniteur à sa copine : « C’est le moment d’aller nulle part », lui se tournant vers cette jolie Delphine : « C’est quoi ce cours d’anglais que tu prends ? ».
Il va falloir que je trouve un autre endroit pour déjeuner, me dis-je en sortant. Il fait toujours aussi froid mais beau. Je décide d’aller à pied au hasard à condition d’être au soleil, longe le port de l’Arsenal puis la Seine par je jardin Tino Rossi, passe près de l’Institut du Monde Arabe, entre dans l’île Saint-Louis en me demandant si Brigitte Fontaine est chez elle et l’imaginant triste de la mort de Pierre Barouh, me voici à Notre-Dame devant laquelle selfisent des masses de touristes et j’arrive au Quartier Latin comme si j’avais voulu le faire.
Le bus Vingt-Sept qui me mène vers l’Opéra Garnier est flambant neuf et fier d’avoir un moteur hybride. Après un café rue du Quatre-Septembre au Royal Bourse Opéra, j’essaie de trouver des livres à mon goût dans l’autre Book-Off, une opération rendue difficile par un afflux de clients inhabituels particulièrement énervants. De plus, la moitié d’entre eux ont l’air d’avoir la grippe.
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Parmi les livres rapportés de Paris : Lettres de Gertrud Kolmar, poète et cousine de Walter Benjamin, inconnue de moi, dans la collections de poche Titres chez Christian Bourgois.
 

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