Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
7 avril 2019
Il fait frais ce vendredi et de la pluie est annoncée pour l’après-midi mais je ne veux pas reculer le moment d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté du bassin, au Cap-Ferret (qui abrita les amours de Cocteau et Radiguet), car demain commencent les vacances scolaires. Rien de plus pénible sur un bateau que des moutards excités et leurs parents énervés.
Nous sommes onze adultes à embarquer à onze heures sur la navette maritime de l’Union des Bateliers Arcachonnais (quatorze euros, aller et retour). A peine secoués, nous arrivons de l’autre côté vingt-cinq minutes plus tard. La charmante et efficace jeune fille à l’accent italien de l’Office de Tourisme me stabilote sur un plan le chemin qui va à l’océan, celui des huitrières, enfin celui d’un restaurant ouvert près du phare et qui devrait me convenir.
Je commence par aller voir le phare à l’extrémité rouge. J’en fais quelques photos puis entre au Mascaret (« depuis mil neuf cent cinquante-six »), rue des Goélands, un lieu chic et clair. On me mène dans une salle décorée de volets colorés où se fait entendre de la bonne musique electro. Les dossiers des banquettes sont des sacs en toile de jute. « Restaurant en Rooftop en juillet et août » est-il écrit sur l’étui à couverts. Ce jour, je suis heureux d’être à l’intérieur avec vue sur le phare et sur Chez Nounours (sandouiches plein de frites pour buveurs de bière au goulot sur une terrasse pas terminée).
J’opte pour le menu du jour : velouté de poireau, noix de joue de porc et sa purée, crème caramel, avec un verre de bordeaux rouge. Pendant un moment, seul un vieux couple me tient compagnie. La femme ne cesse de persécuter celui qui partage sa vie depuis quarante ou cinquante ans : « Est-ce que tu as pris ton téléphone, au cas où ? » « Est-ce que tu sais où il est ? » « Mange pas le pain sans rien, comme ça » « Prends la cuillère pour les tagliatelles ». Deux femmes et un homme travaillant dans le coin nous rejoignent (le problème de l’une : son volet roulant qui reste bloqué). Enfin arrive une autre couple, des sexagénaires. Lui, à peine assis, a déjà un doigt dans le nez et en plus il me regarde d’un sale œil.
Mon addition de vingt et un euros réglée, je me dirige vers le quartier où l’on élève les huîtres. Les maisons colorées des ostréiculteurs sont photogéniques. Malheureusement, leurs voitures sont garées devant et un tas de matériel en vrac les entourent, dont des tracteurs hors d’usage. Certains ont un espace de dégustation à prix élevé.
Le ciel est vraiment gris mais la pluie prévue n’est pas au programme. Revenu près de l’Office de Tourisme, je prends le cap par le travers afin d’aller voir l’océan qu’il cache quand on est à Arcachon. C’est plus loin que ça en a l’air. A l’arrivée, il faut passer entre deux dunes. Il est quatorze heures et je suis seul face à la mer.
Je rebrousse et cherche où boire un café pas loin de l’embarcadère. Plusieurs établissements sont en travaux. D’autres reçoivent des livraisons en vue d’une ouverture à partir de demain. Le Pinasse Café, où il coûte deux euros cinquante, me sauve. Sur sa terrasse couverte, je lis Vialatte tout en regardant là-bas Arcachon et à sa droite la dune du Pyla que je n’irai peut-être pas voir de plus près. Un gros tas de sable ne va pas sans un tas d’enfants. Et puis monter là-haut pour redescendre…
Nous sommes quinze adultes dans le bateau du retour qui part à seize heures trente et me permet d’être « chez moi » à dix-sept heures sans que j’aie eu à ouvrir le parapluie.
*
Tout comme Paris, Arcachon a son Olympia. Le quatuor d’habitués du matin au Café de la Plage l’évoque ce vendredi car l’un d’eux y est allé voir une comédie, une histoire de jumeaux qui se trouvent sans le savoir dans la même ville, ce qui crée des quiproquos avec leurs fiancées. Un comédien qui a eu un Molière y jouait. Il ne sait plus son nom, ni celui de la pièce. Son excuse : « C’est ma femme qui avait pris les places. »
*
Au Café de la Plage, je ne suis qu’un habitué de passage. Les vrais ont droit à la bise de la serveuse.
Nous sommes onze adultes à embarquer à onze heures sur la navette maritime de l’Union des Bateliers Arcachonnais (quatorze euros, aller et retour). A peine secoués, nous arrivons de l’autre côté vingt-cinq minutes plus tard. La charmante et efficace jeune fille à l’accent italien de l’Office de Tourisme me stabilote sur un plan le chemin qui va à l’océan, celui des huitrières, enfin celui d’un restaurant ouvert près du phare et qui devrait me convenir.
Je commence par aller voir le phare à l’extrémité rouge. J’en fais quelques photos puis entre au Mascaret (« depuis mil neuf cent cinquante-six »), rue des Goélands, un lieu chic et clair. On me mène dans une salle décorée de volets colorés où se fait entendre de la bonne musique electro. Les dossiers des banquettes sont des sacs en toile de jute. « Restaurant en Rooftop en juillet et août » est-il écrit sur l’étui à couverts. Ce jour, je suis heureux d’être à l’intérieur avec vue sur le phare et sur Chez Nounours (sandouiches plein de frites pour buveurs de bière au goulot sur une terrasse pas terminée).
J’opte pour le menu du jour : velouté de poireau, noix de joue de porc et sa purée, crème caramel, avec un verre de bordeaux rouge. Pendant un moment, seul un vieux couple me tient compagnie. La femme ne cesse de persécuter celui qui partage sa vie depuis quarante ou cinquante ans : « Est-ce que tu as pris ton téléphone, au cas où ? » « Est-ce que tu sais où il est ? » « Mange pas le pain sans rien, comme ça » « Prends la cuillère pour les tagliatelles ». Deux femmes et un homme travaillant dans le coin nous rejoignent (le problème de l’une : son volet roulant qui reste bloqué). Enfin arrive une autre couple, des sexagénaires. Lui, à peine assis, a déjà un doigt dans le nez et en plus il me regarde d’un sale œil.
Mon addition de vingt et un euros réglée, je me dirige vers le quartier où l’on élève les huîtres. Les maisons colorées des ostréiculteurs sont photogéniques. Malheureusement, leurs voitures sont garées devant et un tas de matériel en vrac les entourent, dont des tracteurs hors d’usage. Certains ont un espace de dégustation à prix élevé.
Le ciel est vraiment gris mais la pluie prévue n’est pas au programme. Revenu près de l’Office de Tourisme, je prends le cap par le travers afin d’aller voir l’océan qu’il cache quand on est à Arcachon. C’est plus loin que ça en a l’air. A l’arrivée, il faut passer entre deux dunes. Il est quatorze heures et je suis seul face à la mer.
Je rebrousse et cherche où boire un café pas loin de l’embarcadère. Plusieurs établissements sont en travaux. D’autres reçoivent des livraisons en vue d’une ouverture à partir de demain. Le Pinasse Café, où il coûte deux euros cinquante, me sauve. Sur sa terrasse couverte, je lis Vialatte tout en regardant là-bas Arcachon et à sa droite la dune du Pyla que je n’irai peut-être pas voir de plus près. Un gros tas de sable ne va pas sans un tas d’enfants. Et puis monter là-haut pour redescendre…
Nous sommes quinze adultes dans le bateau du retour qui part à seize heures trente et me permet d’être « chez moi » à dix-sept heures sans que j’aie eu à ouvrir le parapluie.
*
Tout comme Paris, Arcachon a son Olympia. Le quatuor d’habitués du matin au Café de la Plage l’évoque ce vendredi car l’un d’eux y est allé voir une comédie, une histoire de jumeaux qui se trouvent sans le savoir dans la même ville, ce qui crée des quiproquos avec leurs fiancées. Un comédien qui a eu un Molière y jouait. Il ne sait plus son nom, ni celui de la pièce. Son excuse : « C’est ma femme qui avait pris les places. »
*
Au Café de la Plage, je ne suis qu’un habitué de passage. Les vrais ont droit à la bise de la serveuse.
6 avril 2019
Ce jeudi matin, les quatre habitués du Café de la Plage font grise mine. Leur table est occupée par deux couples chenus, des marcheurs à bâtons aussi matinaux que moi. Dès que les usurpateurs lèvent le camp, les délogés reprennent possession de leur territoire. A partir de combien de jours devient-on un habitué ? Au bout de trois jours, si je considère le fait que l’aimable serveuse m’apporte cette fois mon café verre d’eau sans qu’il me soit besoin de le commander.
Des averses sont encore annoncées. Cela ne m’empêche pas de monter dans le minibus Baia qui m’emmène pour un euro, en compagnie d’un autochtone qui arrive du train, jusqu’au lieu-dit Le Moulleau dont l’attrait tient à sa plage d’où l’on voit la dune du Pyla, à son Eglise Notre-Dame-des-Passes dont l’architecture est atypique et à une allée qui va de l’une à l’autre où se concentrent les établissements nécessaires aux folles soirées de la jeunesse du coin (l’un d’eux a nom L’Oubli). Cette fois, j’entre dans l’édifice religieux et constate que son intérieur ne vaut pas son extérieur. Nulle ne s’y tient à qui je pourrais demander « Combien ? » et le vitrail au-dessus de la sortie affiche Dieu Seul en lettres capitales.
Une demi-heure plus tard, j’attends de nouveau la navette et lui fais signe quand elle se présente. Un couple âgé à cannes s’y trouve déjà. Au bout d’un moment, lui s’inquiète. N’a-t-on pas déjà passé l’arrêt du Moulleau ? « Ah zut, s’exclame la conductrice, c’est là où est monté le monsieur, j’ai oublié de vous dire de descendre. » Elle s’excuse platement mais n’a d’autre choix que de continuer sa boucle. Ils le prennent bien « Tout le monde peut se tromper. » A l’arrivée à la gare, ces deux vaillants qui ont gagné un tour gratuit montent dans le Baia suivant. Pour ma part, je vais réserver une table au restaurant Chez Yvette.
Chez Yvette est renommé jusque dans Le Guide Michelin et possède de nombreuses salles dont l’une est pour un groupe d’une cinquantaine de retraité(e)s apporté(e)s là directement par car (un homme pour neuf femmes). Ses sets de table fêtent les cinquante ans de la maison qui eurent lieu en deux mille douze. Ils sont illustrés des photos de célébrités du temps de sa naissance : Petula Clark, Les Chaussettes Noires, Richard Anthony, Anquetil, Poulidor, Gagarine, et bien d’autres.
Je me contente du menu du jour à seize euros cinquante et à choix unique : terrine de saumon, cuisse de canard frites fraiches, riz au lait, précédés du bonus tapenade et croûtons. J’y ajoute un verre de bordeaux rouge à quatre euros quatre-vingts. C’est aussi ce menu que choisissent mes plus proches voisines, une femme et sa vieille mère. Elles l’accompagnent d’une bonne bouteille. Leur conversation se résume à de terribles généralités proférées par la fille, du genre « Ça fait du bien de manger quand on a faim. »
Chez Yvette dispose d’un écailler qui prépare à notre vue des plateaux de fruits de mer et a fort à faire. L’autre spectacle est celui d’un chantier d’importance de l’autre côté de la rue. Le nouveau bâtiment abritant l’Office de Tourisme, la Médiathèque, la Ludothèque, la Maison de Quartier et la Maison des Associations sera terminé avant les prochaines Municipales.
La vieille mère a du mal à manger sa viande et se fait houspiller par sa fille « Les protéines, il en faut pour la mémoire » et comme c’est elle qui paie, elle emportera la bouteille non terminée : « Tu en auras pour ce soir ».
L’après-midi, les averses et le vent reprennent. Je me réfugie encore une fois dans la lecture de Vialatte à la Brasserie des Marquises où un soldat de l’opération Sentinelle en permission drague des filles en leur vantant son Famas.
*
Deux hommes sur la promenade de bord de mer.
L’un à l’autre :
-L’être humain, il fonctionne comme une société, il faut qu’il avance et puis qu’il prospère.
Des averses sont encore annoncées. Cela ne m’empêche pas de monter dans le minibus Baia qui m’emmène pour un euro, en compagnie d’un autochtone qui arrive du train, jusqu’au lieu-dit Le Moulleau dont l’attrait tient à sa plage d’où l’on voit la dune du Pyla, à son Eglise Notre-Dame-des-Passes dont l’architecture est atypique et à une allée qui va de l’une à l’autre où se concentrent les établissements nécessaires aux folles soirées de la jeunesse du coin (l’un d’eux a nom L’Oubli). Cette fois, j’entre dans l’édifice religieux et constate que son intérieur ne vaut pas son extérieur. Nulle ne s’y tient à qui je pourrais demander « Combien ? » et le vitrail au-dessus de la sortie affiche Dieu Seul en lettres capitales.
Une demi-heure plus tard, j’attends de nouveau la navette et lui fais signe quand elle se présente. Un couple âgé à cannes s’y trouve déjà. Au bout d’un moment, lui s’inquiète. N’a-t-on pas déjà passé l’arrêt du Moulleau ? « Ah zut, s’exclame la conductrice, c’est là où est monté le monsieur, j’ai oublié de vous dire de descendre. » Elle s’excuse platement mais n’a d’autre choix que de continuer sa boucle. Ils le prennent bien « Tout le monde peut se tromper. » A l’arrivée à la gare, ces deux vaillants qui ont gagné un tour gratuit montent dans le Baia suivant. Pour ma part, je vais réserver une table au restaurant Chez Yvette.
Chez Yvette est renommé jusque dans Le Guide Michelin et possède de nombreuses salles dont l’une est pour un groupe d’une cinquantaine de retraité(e)s apporté(e)s là directement par car (un homme pour neuf femmes). Ses sets de table fêtent les cinquante ans de la maison qui eurent lieu en deux mille douze. Ils sont illustrés des photos de célébrités du temps de sa naissance : Petula Clark, Les Chaussettes Noires, Richard Anthony, Anquetil, Poulidor, Gagarine, et bien d’autres.
Je me contente du menu du jour à seize euros cinquante et à choix unique : terrine de saumon, cuisse de canard frites fraiches, riz au lait, précédés du bonus tapenade et croûtons. J’y ajoute un verre de bordeaux rouge à quatre euros quatre-vingts. C’est aussi ce menu que choisissent mes plus proches voisines, une femme et sa vieille mère. Elles l’accompagnent d’une bonne bouteille. Leur conversation se résume à de terribles généralités proférées par la fille, du genre « Ça fait du bien de manger quand on a faim. »
Chez Yvette dispose d’un écailler qui prépare à notre vue des plateaux de fruits de mer et a fort à faire. L’autre spectacle est celui d’un chantier d’importance de l’autre côté de la rue. Le nouveau bâtiment abritant l’Office de Tourisme, la Médiathèque, la Ludothèque, la Maison de Quartier et la Maison des Associations sera terminé avant les prochaines Municipales.
La vieille mère a du mal à manger sa viande et se fait houspiller par sa fille « Les protéines, il en faut pour la mémoire » et comme c’est elle qui paie, elle emportera la bouteille non terminée : « Tu en auras pour ce soir ».
L’après-midi, les averses et le vent reprennent. Je me réfugie encore une fois dans la lecture de Vialatte à la Brasserie des Marquises où un soldat de l’opération Sentinelle en permission drague des filles en leur vantant son Famas.
*
Deux hommes sur la promenade de bord de mer.
L’un à l’autre :
-L’être humain, il fonctionne comme une société, il faut qu’il avance et puis qu’il prospère.
5 avril 2019
Pluie forte et vent sévère sont annoncés par la météo ce mercredi. Le second me pousse dans le dos sur la promenade de bord de mer où je suis absolument seul un peu avant huit heures. Le Café de la Plage vient d’ouvrir. J’y prends place au même endroit que la veille et fais en sorte de trouver Internet tandis qu’arrive mon café verre d’eau.
Les habitués sont bientôt là ainsi qu’un couple récent de quadragénaires. Je la sens plus amoureuse que lui. Il photographie leur petit-déjeuner.
-Si c’est pas des vacances ça, commente-t-elle. Ne pas savoir où on va dormir ce soir.
Quelle aventure en effet.
Il ne pleut toujours pas quand je passe à la gare pour y prendre les horaires de l’Arcachon Bordeaux. Au retour, je m’arrête au Gambetta, boulevard du même nom, pour laisser passer, en lisant Vialatte, l’averse que je sens venir. L’endroit serait tout à fait fréquentable s’il ne s’y trouvait des écrans diffusant une chaîne de musique soûlante. Des concerts y sont parfois organisés. Un homme vient proposer une certaine Kelly de The Voice, avec pour argument ultime : « Et en plus, elle est du bassin » (comprendre : de celui d’Arcachon).
J’évite une nouvelle averse en regagnant mon logis et, à midi, choisis de déjeuner au plus près Chez Papa et Maman, un restaurant basque situé entre le marché couvert et l’Hôtel de Ville.
-Alors, qu’est-ce que vous voulez manger, maître ? me demande le restaurateur.
Le menu du jour n’étant pas à mon goût, je choisis la grillade des Basques (chorizo, chistora, lomo d’Espelette, chylétillax, piperade, frites fraîches, salade) avec un quart de vin rouge. En attendant qu’elle soit prête, l’homme me fait la causette. Il n’a pas pris sa moto ce matin en raison de la météo mais sa Méhari. Elle avançait presque tout seule à cause du vent. Il l’a depuis près de quarante-cinq ans et la semaine dernière encore, quelqu’un lui en a proposé dix-neuf mille euros. Je les ai déjà, lui a-t-il répondu.
Une table près de la fenêtre est réservée à un habitué que ce personnage affable et celle qui doit être sa femme appellent le pensionnaire, vin et journal y sont déjà disposés.
-Bonjour monsieur Papa, dit celui-ci lorsqu’il se présente.
-Bonjour monsieur le client.
Je découvre un peu plus tard que ce Papa a pour prénom celui que portait mon père.
-Vous voulez un dessert ou un café ou quelque chose ? me demande-t-il quand je suis venu à bout de mon plat.
-Oui, un gâteau basque.
-Eh bien voilà !, se réjouit-il.
En fond sonore une chanson glorifie son pays, dans laquelle « fêtes de Bayonne » rime avec « milliers de personnes ».
Mes trente et un euros soixante-dix réglés, je profite d’une amélioration temporaire du temps avec apparition de ciel bleu pour marcher sous le soleil jusqu’au bout du boulevard de la Plage. Là où il devient boulevard de l’Océan, quelques commerces y côtoient l’élégante Basilique Notre-Dame que je photographie comme je l’ai fait hier à l’autre bout de ce très long boulevard de la Plage, près des ports, pour l’élégante Eglise Saint-Ferdinand, sans entrer ni dans l’une ni dans l’autre.
Des grêlées animent la fin de l’après-midi, la soirée et même la nuit.
*
Un homme à un autre, à propos de je ne sais quelle histoire : « Ça a fait apparemment le tour du bassin. »
Les habitués sont bientôt là ainsi qu’un couple récent de quadragénaires. Je la sens plus amoureuse que lui. Il photographie leur petit-déjeuner.
-Si c’est pas des vacances ça, commente-t-elle. Ne pas savoir où on va dormir ce soir.
Quelle aventure en effet.
Il ne pleut toujours pas quand je passe à la gare pour y prendre les horaires de l’Arcachon Bordeaux. Au retour, je m’arrête au Gambetta, boulevard du même nom, pour laisser passer, en lisant Vialatte, l’averse que je sens venir. L’endroit serait tout à fait fréquentable s’il ne s’y trouvait des écrans diffusant une chaîne de musique soûlante. Des concerts y sont parfois organisés. Un homme vient proposer une certaine Kelly de The Voice, avec pour argument ultime : « Et en plus, elle est du bassin » (comprendre : de celui d’Arcachon).
J’évite une nouvelle averse en regagnant mon logis et, à midi, choisis de déjeuner au plus près Chez Papa et Maman, un restaurant basque situé entre le marché couvert et l’Hôtel de Ville.
-Alors, qu’est-ce que vous voulez manger, maître ? me demande le restaurateur.
Le menu du jour n’étant pas à mon goût, je choisis la grillade des Basques (chorizo, chistora, lomo d’Espelette, chylétillax, piperade, frites fraîches, salade) avec un quart de vin rouge. En attendant qu’elle soit prête, l’homme me fait la causette. Il n’a pas pris sa moto ce matin en raison de la météo mais sa Méhari. Elle avançait presque tout seule à cause du vent. Il l’a depuis près de quarante-cinq ans et la semaine dernière encore, quelqu’un lui en a proposé dix-neuf mille euros. Je les ai déjà, lui a-t-il répondu.
Une table près de la fenêtre est réservée à un habitué que ce personnage affable et celle qui doit être sa femme appellent le pensionnaire, vin et journal y sont déjà disposés.
-Bonjour monsieur Papa, dit celui-ci lorsqu’il se présente.
-Bonjour monsieur le client.
Je découvre un peu plus tard que ce Papa a pour prénom celui que portait mon père.
-Vous voulez un dessert ou un café ou quelque chose ? me demande-t-il quand je suis venu à bout de mon plat.
-Oui, un gâteau basque.
-Eh bien voilà !, se réjouit-il.
En fond sonore une chanson glorifie son pays, dans laquelle « fêtes de Bayonne » rime avec « milliers de personnes ».
Mes trente et un euros soixante-dix réglés, je profite d’une amélioration temporaire du temps avec apparition de ciel bleu pour marcher sous le soleil jusqu’au bout du boulevard de la Plage. Là où il devient boulevard de l’Océan, quelques commerces y côtoient l’élégante Basilique Notre-Dame que je photographie comme je l’ai fait hier à l’autre bout de ce très long boulevard de la Plage, près des ports, pour l’élégante Eglise Saint-Ferdinand, sans entrer ni dans l’une ni dans l’autre.
Des grêlées animent la fin de l’après-midi, la soirée et même la nuit.
*
Un homme à un autre, à propos de je ne sais quelle histoire : « Ça a fait apparemment le tour du bassin. »
4 avril 2019
Après une bonne nuit dans mon logis temporaire, je me charge de mon ordinateur et longe la mer jusqu’au chic Café de la Plage où il y a ouifi. La musique y est propice à l’efficacité, la clientèle constituée d’habitués distingués, le café à deux euros. Le temps, lui, est menaçant quand je fais le chemin inverse.
A l’Office du Tourisme on m’explique que vouloir aller aux alentours avec des cars n’est pas envisageable hors saison. Arcachon, tu y es et tu y restes.
Je vais m’asseoir sur l’un des nombreux bancs rouges face à la mer pour réfléchir à la situation et décide de longer le bord de terre jusqu’aux lointains ports de plaisance et de pêche. Les propriétés privées ne laissant pas la place à un chemin public, c’est sur la plage qu’ont été construites deux voies parallèles en bois, l’une pour les vélos, l’autre pour les piétons. Ces deux ports manquent de charme, mais voir des bateaux de pêche me fait toujours du bien.
Pour déjeuner dans ce quartier je comptais sur La Bouée, mais elle ne m’est d’aucun secours. « C’est fermé », me dit l’autochtone à qui je m’adresse pour la trouver. « C’était à vendre et ça vient d’être acheté ». Il est vrai que mon Guide du Routard date de deux mille dix.
J’opte pour le Bistrot du Port qui n’est pas dans mon guide. Il propose un menu à seize euros quatre-vingt-dix. Je choisis les six huitres d’Arcachon (elles sont d’origine japonaise, ai-je appris ailleurs), le sauté de lapin à la bière et le financier aux fruits rouges, avec un quart de bordeaux blanc à cinq euros quarante. Près de moi est une tablée de huit garçons qui travaillent dans le tourisme maritime, le genre de personnes qu’on trouve partout où il y a de l’argent à faire avec l’eau salée et qui passent leur temps de loisir à picoler dans des boîtes de nuit. Je m’en sépare avec joie.
Le café, je le prends au retour, à la Brasserie des Marquises, place du même nom, où il ne coûte qu’un euro soixante. L’établissement est bourgeois par sa clientèle et gai par son personnel. J’y lis un bon moment et en diagonale des chroniques signées Vialatte.
Le soleil passe à travers les nuages en fin d’après-midi, de quoi donner envie de faire le retraité sur un banc rouge. Sur la plage déserte, un optimiste va et vient en sondant le sable avec un détecteur de métaux.
*
Une vieille bourgeoise à cheveux blancs permanentés au balcon d’une résidence de bord de mer dont on ravale la façade s’en prenant aux ouvriers :
-C’est votre foutu échafaudage qui bloque mon portable. Plus vite vous partirez, mieux ça vaudra.
Je n’entends pas ce que lui répondent ces malheureux mais ils gardent leur calme.
*
Sur une porte métallique près du port cet avertissement : Magasin piégé.
*
Il y en a encore pour dire : « On se tient au jus. »
A l’Office du Tourisme on m’explique que vouloir aller aux alentours avec des cars n’est pas envisageable hors saison. Arcachon, tu y es et tu y restes.
Je vais m’asseoir sur l’un des nombreux bancs rouges face à la mer pour réfléchir à la situation et décide de longer le bord de terre jusqu’aux lointains ports de plaisance et de pêche. Les propriétés privées ne laissant pas la place à un chemin public, c’est sur la plage qu’ont été construites deux voies parallèles en bois, l’une pour les vélos, l’autre pour les piétons. Ces deux ports manquent de charme, mais voir des bateaux de pêche me fait toujours du bien.
Pour déjeuner dans ce quartier je comptais sur La Bouée, mais elle ne m’est d’aucun secours. « C’est fermé », me dit l’autochtone à qui je m’adresse pour la trouver. « C’était à vendre et ça vient d’être acheté ». Il est vrai que mon Guide du Routard date de deux mille dix.
J’opte pour le Bistrot du Port qui n’est pas dans mon guide. Il propose un menu à seize euros quatre-vingt-dix. Je choisis les six huitres d’Arcachon (elles sont d’origine japonaise, ai-je appris ailleurs), le sauté de lapin à la bière et le financier aux fruits rouges, avec un quart de bordeaux blanc à cinq euros quarante. Près de moi est une tablée de huit garçons qui travaillent dans le tourisme maritime, le genre de personnes qu’on trouve partout où il y a de l’argent à faire avec l’eau salée et qui passent leur temps de loisir à picoler dans des boîtes de nuit. Je m’en sépare avec joie.
Le café, je le prends au retour, à la Brasserie des Marquises, place du même nom, où il ne coûte qu’un euro soixante. L’établissement est bourgeois par sa clientèle et gai par son personnel. J’y lis un bon moment et en diagonale des chroniques signées Vialatte.
Le soleil passe à travers les nuages en fin d’après-midi, de quoi donner envie de faire le retraité sur un banc rouge. Sur la plage déserte, un optimiste va et vient en sondant le sable avec un détecteur de métaux.
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Une vieille bourgeoise à cheveux blancs permanentés au balcon d’une résidence de bord de mer dont on ravale la façade s’en prenant aux ouvriers :
-C’est votre foutu échafaudage qui bloque mon portable. Plus vite vous partirez, mieux ça vaudra.
Je n’entends pas ce que lui répondent ces malheureux mais ils gardent leur calme.
*
Sur une porte métallique près du port cet avertissement : Magasin piégé.
*
Il y en a encore pour dire : « On se tient au jus. »
3 avril 2019
Ce lundi premier avril, je pars en escapade. Un Corail avec voitures à l’ancienne, quatre face à quatre, personne ne mouftant, me conduit à Saint-Lazare. La ligne Treize du métro me permet de rejoindre Montparnasse. Je prends un café au Rapide en commençant la lecture du premier tome des Chroniques de La Montagne d’Alexandre Vialatte. Un peu avant midi, j’arpente l’avenue du Maine sans y croiser la Martine mais en y trouvant « le plus vieux restaurant libanais » de la capitale Les Cèdres du Liban. J’y déjeune pour quinze euros en buvant de l’eau: trois mezze, kafta, trois pâtisseries orientales.
Un Tégévé Inoui me conduit en deux heures à la gare Saint-Jean de Bordeaux (il file à deux cent quatre-vingt-dix-huit kilomètres heure sans jamais s’arrêter) d’où, dix minutes plus tard, part un modeste Téheuherre qui met presque une heure pour rejoindre la gare d’Arcachon en raison des multiples arrêts permettant à la plupart des voyageurs qui rentrent du travail ou du lycée d’en descendre avant le terminus et de regagner ainsi leurs logements dans des bourgs peu attrayants.
Enfin, je marche sept cents mètres pour rejoindre le studio où m’attend ma logeuse. Elle me donne des explications rapides, devant elle-même rejoindre par le train Bordeaux où elle travaille.
-Ne vous inquiétez pas si vous croisez des jeunes filles en tutu, me dit-elle, il y a une école de danse au bout du couloir.
J’en trouve deux derrière la porte d’entrée en tenue de ville attendant leurs parents, quand après avoir été voir la mer et photographier de loin la grande roue immobile, je rentre de mes courses chez Leclerc.
Me voici pour un moment résidant boulevard de la Plage, une adresse fort respectable, dans un studio sans ouifi.
Un Tégévé Inoui me conduit en deux heures à la gare Saint-Jean de Bordeaux (il file à deux cent quatre-vingt-dix-huit kilomètres heure sans jamais s’arrêter) d’où, dix minutes plus tard, part un modeste Téheuherre qui met presque une heure pour rejoindre la gare d’Arcachon en raison des multiples arrêts permettant à la plupart des voyageurs qui rentrent du travail ou du lycée d’en descendre avant le terminus et de regagner ainsi leurs logements dans des bourgs peu attrayants.
Enfin, je marche sept cents mètres pour rejoindre le studio où m’attend ma logeuse. Elle me donne des explications rapides, devant elle-même rejoindre par le train Bordeaux où elle travaille.
-Ne vous inquiétez pas si vous croisez des jeunes filles en tutu, me dit-elle, il y a une école de danse au bout du couloir.
J’en trouve deux derrière la porte d’entrée en tenue de ville attendant leurs parents, quand après avoir été voir la mer et photographier de loin la grande roue immobile, je rentre de mes courses chez Leclerc.
Me voici pour un moment résidant boulevard de la Plage, une adresse fort respectable, dans un studio sans ouifi.
2 avril 2019
Douze douze est l’heure de départ du train qui me conduit à Val-de-Reuil ce samedi pour la vente de livres d’occasion qu’organise la section locale d’Amnesty International au lycée Marc-Bloch. Arrivé à douze heures trente, je rejoins à pied la dalle qui traverse le centre de la ville où ont ouvert deux tondeurs barbiers à dix euros et où a fermé le café kebab La Méditerranée.
Il reste le Tatoo, toujours tenu par une famille chinoise (le père en connaît un rayon sur les plantes grasses et la fille a des soucis de puce de téléphone). J’y bois un café verre d’eau à un euro vingt parmi une clientèle essentiellement masculine, yo, ouala, salam.
J’ai vue sur la place des Quatre-Saisons où arrivent les participants au Carnaval Japonais. Y a-t-il des Japonais à Védéherre ? J’en doute. Cette fête est autant touchante que désespérante. J’en ai connu d’autres lorsque je vivais ici, y participant même.
A treize heure trente, je reprends la marche et trouve à la porte du lycée les deux frères de ma connaissance que je m’attendais à y voir. Nous discutons de notre addiction commune en attendant quatorze heures.
Juste avant l’ouverture sort de là Marc-Antoine Jamet, employé de Bernard Arnault, Maire, Socialiste. Il fait son petit numéro, déclarant qu’il a vu une biographie du dix-septième siècle pour laquelle nous allons nous battre. Le suivent deux hommes plus jeunes qui ont l’air d’être ses obligés.
Comme chaque année une table est disposée dans la cour afin qu’on y inscrive nos noms et prénoms et comme chaque année j’usurpe une identité, cette fois celle d’Alexandre Benalla.
L’an dernier j’avais fait une excellente récolte qui m’avait conduit à revenir le dimanche. Ce n’est pas le cas cette fois, même si au moment où je renonce, lassé par la foule, j’ai quand même dans mon sac treize livres qui me coûtent douze euros, parmi lesquels les deux tomes de l’intégrale des Chroniques de La Montagne d’Alexandre Vialatte publiés chez Bouquins/Laffont.
Je porte ce fardeau jusqu’à la gare et y attends le train de quinze heures vingt-huit. Vingt minutes après son départ, je suis à Rouen où pour leur vingtième samedi, les Jaunes ne sont ni visibles ni audibles.
*
Mon Crédit Agricole de la rue de la Jeanne, après avoir tenté de rouvrir le samedi, a définitivement baissé les bras : « En raison des manifestations actuelles, nous vous informons que les agences de Rouen Jeanne d'Arc, Rouen Pasteur et Rouen Gare seront fermées chaque samedi, jusqu'à l'arrêt du mouvement. »
Il reste le Tatoo, toujours tenu par une famille chinoise (le père en connaît un rayon sur les plantes grasses et la fille a des soucis de puce de téléphone). J’y bois un café verre d’eau à un euro vingt parmi une clientèle essentiellement masculine, yo, ouala, salam.
J’ai vue sur la place des Quatre-Saisons où arrivent les participants au Carnaval Japonais. Y a-t-il des Japonais à Védéherre ? J’en doute. Cette fête est autant touchante que désespérante. J’en ai connu d’autres lorsque je vivais ici, y participant même.
A treize heure trente, je reprends la marche et trouve à la porte du lycée les deux frères de ma connaissance que je m’attendais à y voir. Nous discutons de notre addiction commune en attendant quatorze heures.
Juste avant l’ouverture sort de là Marc-Antoine Jamet, employé de Bernard Arnault, Maire, Socialiste. Il fait son petit numéro, déclarant qu’il a vu une biographie du dix-septième siècle pour laquelle nous allons nous battre. Le suivent deux hommes plus jeunes qui ont l’air d’être ses obligés.
Comme chaque année une table est disposée dans la cour afin qu’on y inscrive nos noms et prénoms et comme chaque année j’usurpe une identité, cette fois celle d’Alexandre Benalla.
L’an dernier j’avais fait une excellente récolte qui m’avait conduit à revenir le dimanche. Ce n’est pas le cas cette fois, même si au moment où je renonce, lassé par la foule, j’ai quand même dans mon sac treize livres qui me coûtent douze euros, parmi lesquels les deux tomes de l’intégrale des Chroniques de La Montagne d’Alexandre Vialatte publiés chez Bouquins/Laffont.
Je porte ce fardeau jusqu’à la gare et y attends le train de quinze heures vingt-huit. Vingt minutes après son départ, je suis à Rouen où pour leur vingtième samedi, les Jaunes ne sont ni visibles ni audibles.
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Mon Crédit Agricole de la rue de la Jeanne, après avoir tenté de rouvrir le samedi, a définitivement baissé les bras : « En raison des manifestations actuelles, nous vous informons que les agences de Rouen Jeanne d'Arc, Rouen Pasteur et Rouen Gare seront fermées chaque samedi, jusqu'à l'arrêt du mouvement. »
1er avril 2019
Me voici ce vendredi soir, bénéficiant de la générosité d’un abonné absent pour la deuxième fois du mois de mars, en train d’attendre près du bar l’ouverture de la salle de la Chapelle Corneille. Sous le titre Sentimenti, l’Opéra de Rouen y propose un concert de musique baroque avec le B’Rock Orchestra, Josè Maria Lo Monaco et Dmitry Sinkovsky. Près de moi on parle cambriolages. Chacun(e) évoque ceux dont ont été victimes ses connaissances, l’un ayant consisté à vider entièrement une maison en l’absence de ses occupants.
Je n’ai pas de mal à trouver ma place. Elle est au milieu du premier rang, on ne peut plus près de la scène.
-Vous êtes-là ? Vous aviez dit que vous ne vouliez pas venir, me dit celle qui s’installe à ma droite.
-On m’a offert un billet, lui dis-je.
-Ah, c’est ça.
La soirée est en deux parties. Jean-Marie Leclair et quatre fois Antonio Vivaldi puis, après l’entracte, Johan Adolf Hasse et quatre fois Georg Friedrich Haendel. C’est le renommé violoniste Dmitry Sinkovsky qui dirige le B’Rock Orchestra dont la mezzo-soprano Josè Maria Lo Monaco est l’invitée.
Tout ce monde donne de la très bonne musique sur le plateau rond encombré des fils électriques nécessaires à l’éclairage des pupitres. Ces câbles rendent les déplacements un peu périlleux et donnent l’occasion à Dmitry Sinkovsky de montrer qu’il a aussi un petit talent d’électricien.
On ne tousse pas à la Chapelle Corneille mais le sol du plateau craque sous le pied du chef, ce qui est à peine une gêne tant la musique est bonne.
En bonus, accompagnés du clavecin, du luth et de la contrebasse, Josè Maria Lo Monaco et Dmitry Sinkovsky, qui est également un talentueux contre-ténor, offrent un très beau duo d’amour. Le public leur fait un triomphe ainsi qu’à l’ensemble des musiciens.
Ma voisine a le mot de fin :
-Vous avez bien fait de venir.
Je n’ai pas de mal à trouver ma place. Elle est au milieu du premier rang, on ne peut plus près de la scène.
-Vous êtes-là ? Vous aviez dit que vous ne vouliez pas venir, me dit celle qui s’installe à ma droite.
-On m’a offert un billet, lui dis-je.
-Ah, c’est ça.
La soirée est en deux parties. Jean-Marie Leclair et quatre fois Antonio Vivaldi puis, après l’entracte, Johan Adolf Hasse et quatre fois Georg Friedrich Haendel. C’est le renommé violoniste Dmitry Sinkovsky qui dirige le B’Rock Orchestra dont la mezzo-soprano Josè Maria Lo Monaco est l’invitée.
Tout ce monde donne de la très bonne musique sur le plateau rond encombré des fils électriques nécessaires à l’éclairage des pupitres. Ces câbles rendent les déplacements un peu périlleux et donnent l’occasion à Dmitry Sinkovsky de montrer qu’il a aussi un petit talent d’électricien.
On ne tousse pas à la Chapelle Corneille mais le sol du plateau craque sous le pied du chef, ce qui est à peine une gêne tant la musique est bonne.
En bonus, accompagnés du clavecin, du luth et de la contrebasse, Josè Maria Lo Monaco et Dmitry Sinkovsky, qui est également un talentueux contre-ténor, offrent un très beau duo d’amour. Le public leur fait un triomphe ainsi qu’à l’ensemble des musiciens.
Ma voisine a le mot de fin :
-Vous avez bien fait de venir.
30 mars 2019
La Maison de la Photographie Robert Doisneau (lequel est né à Gentilly) jouxte la Médiathèque. Elle présente l’exposition Jane Evelyn Atwood, Histoires de prostitution, Paris (1976-1979). Une grande reproduction d’une des images de la photographe franco-américaine, montrant une prostituée renversée sur le capot d'une voiture, occupe une partie de la façade que je photographie avant d’entrer. Il est un peu après treize heures trente. L’employée qui est assise à l’accueil me confirme que c’est gratuit et accepte de garder mon sac à dos. Elle me demande comment j’ai eu vent de l’évènement. « Vous n’êtes quand même pas venu exprès de Rouen ? »
Au rez-de-chaussée sont montrées des photos prises rue des Lombards en mil neuf cent soixante-seize, des tirages en noir et blanc de taille moyenne qui expriment l’atmosphère d’une époque que j’ai connue. Elles montrent Blondine et ses collègues dans l’exercice de leur profession nocturne ainsi que certains de leurs clients. L’une de ces dames était à spécialité, outillée de chaînes comme on en trouvait dans les quincailleries. Une image montre un gros homme nu enchaîné à plat ventre sur un lit et je m’interroge : la photo a-t-elle été prise à son insu ? La photographe pourrait me le dire, qui vit toujours en France, entre Paris et la Bretagne. Elle avait vingt-neuf ans, ayant quitté les Etats-Unis cinq ans plus tôt, quand elle fit cette série : « La nuit était devenue confortable pour moi et je me sentais décalée pendant le jour. J’étais introvertie à l’époque, mais l’immeuble était devenu mon monde. Les femmes étaient extraordinaires. Blondine était la plus impressionnante ; une poitrine qui donnait envie d’y plonger et un rire qui partait comme un grondement de tonnerre. J’ai voulu connaître les prostituées et la photographie devint un moyen d’y parvenir. »
A l’étage sont montrés les tirages d’époque, faits par elle-même, de sa série consacrée à Pigalle quelques années plus tard, des photos grandes comme des cartes postales. Personne ne me gêne pour les voir car ne me tiennent compagnie qu’une vingtenaire et une trentenaire. « En photographiant Pigalle en 1978 et 1979, explique Jane Evelyn Atwood sur le mur de la première salle, j’ai découvert un mélange de prostituées, de transgenres, des sans-logis, d’habitués du quartier, de petits commerçants vivant au-dessus de leurs boutiques et de touristes. »
Sur le mur de la seconde salle, elle commente l’une de ses photos : « Environ deux semaines avant de se donner la mort, Ingrid m’avait laissée la photographier nue. C’est une photo qui est tellement étrange. La moitié du corps est celui d’une femme extrêmement belle, elle avait une belle chevelure rousse longue et ondulante, et l’autre moitié du corps montre un beau sexe d’homme. »
Le paradoxe est que cette exposition est visible dans une ville gérée par le Parti Communiste, lequel fait partie de ceux qui ont voté la loi faisant des clients de prostituées des délinquants, obligeant celles-ci pour les protéger à exercer dans des zones de plus en plus dangereuses. Benoît Hamon est aussi un partisan de cette loi (il n’y a pas d’espoir).
Mon sac récupéré, je prends le bus Cinquante-Sept dans l’autre sens et vient le moment où je crains de passer le reste de la journée à Gentilly car peu après son départ il est bloqué dans la rue étroite. Face à lui un autre bus et un camion encore plus large. Comme il faut bien que les problèmes soient résolus, nous nous en sortons. Arrivé place d’Italie il me reste le temps d’aller voir s’il y a quelque chose pour moi au Book-Off de Ledru-Rollin. Dans les couloirs du métro des affiches annoncent le premier Salon de la Liberté Pédagogique. D’autres montrent de bonnes tètes de barbus rouennais : La Maison Tellier passe bientôt au Trianon.
Au lieu du Corail espéré, c’est la bétaillère qui part du quai Dix-Neuf à dix-sept heures vingt-trois. Nous avons à peine quitté Paris que le ciel devient gris.
*
« Ma relation avec Blondine c’était une vraie, authentique relation privilégiée, parce que moi j’étais une « cavette », c’est-à-dire une personne qui n’est pas du milieu de la prostitution, et elle, c’était une pute de bas niveau, une prostituée de la rue. On avait fondé une réelle amitié, basée sur le respect mutuel, c’était inattendu, et ça m’est arrivé une seule fois dans ma vie de photographe. Blondine m’a protégée d’elle-même, elle ne voulait pas venir chez moi mais je pouvais aller chez elle, dans son monde. Quand je suis devenue un peu connue, elle était très fière de moi, comme si j’étais l’enfant qu’elle n’avait pas pu avoir. » (Jane Evelyn Atwood, le quatorze février deux mille dix-neuf dans Par les temps qui courent sur France Culture)
Au rez-de-chaussée sont montrées des photos prises rue des Lombards en mil neuf cent soixante-seize, des tirages en noir et blanc de taille moyenne qui expriment l’atmosphère d’une époque que j’ai connue. Elles montrent Blondine et ses collègues dans l’exercice de leur profession nocturne ainsi que certains de leurs clients. L’une de ces dames était à spécialité, outillée de chaînes comme on en trouvait dans les quincailleries. Une image montre un gros homme nu enchaîné à plat ventre sur un lit et je m’interroge : la photo a-t-elle été prise à son insu ? La photographe pourrait me le dire, qui vit toujours en France, entre Paris et la Bretagne. Elle avait vingt-neuf ans, ayant quitté les Etats-Unis cinq ans plus tôt, quand elle fit cette série : « La nuit était devenue confortable pour moi et je me sentais décalée pendant le jour. J’étais introvertie à l’époque, mais l’immeuble était devenu mon monde. Les femmes étaient extraordinaires. Blondine était la plus impressionnante ; une poitrine qui donnait envie d’y plonger et un rire qui partait comme un grondement de tonnerre. J’ai voulu connaître les prostituées et la photographie devint un moyen d’y parvenir. »
A l’étage sont montrés les tirages d’époque, faits par elle-même, de sa série consacrée à Pigalle quelques années plus tard, des photos grandes comme des cartes postales. Personne ne me gêne pour les voir car ne me tiennent compagnie qu’une vingtenaire et une trentenaire. « En photographiant Pigalle en 1978 et 1979, explique Jane Evelyn Atwood sur le mur de la première salle, j’ai découvert un mélange de prostituées, de transgenres, des sans-logis, d’habitués du quartier, de petits commerçants vivant au-dessus de leurs boutiques et de touristes. »
Sur le mur de la seconde salle, elle commente l’une de ses photos : « Environ deux semaines avant de se donner la mort, Ingrid m’avait laissée la photographier nue. C’est une photo qui est tellement étrange. La moitié du corps est celui d’une femme extrêmement belle, elle avait une belle chevelure rousse longue et ondulante, et l’autre moitié du corps montre un beau sexe d’homme. »
Le paradoxe est que cette exposition est visible dans une ville gérée par le Parti Communiste, lequel fait partie de ceux qui ont voté la loi faisant des clients de prostituées des délinquants, obligeant celles-ci pour les protéger à exercer dans des zones de plus en plus dangereuses. Benoît Hamon est aussi un partisan de cette loi (il n’y a pas d’espoir).
Mon sac récupéré, je prends le bus Cinquante-Sept dans l’autre sens et vient le moment où je crains de passer le reste de la journée à Gentilly car peu après son départ il est bloqué dans la rue étroite. Face à lui un autre bus et un camion encore plus large. Comme il faut bien que les problèmes soient résolus, nous nous en sortons. Arrivé place d’Italie il me reste le temps d’aller voir s’il y a quelque chose pour moi au Book-Off de Ledru-Rollin. Dans les couloirs du métro des affiches annoncent le premier Salon de la Liberté Pédagogique. D’autres montrent de bonnes tètes de barbus rouennais : La Maison Tellier passe bientôt au Trianon.
Au lieu du Corail espéré, c’est la bétaillère qui part du quai Dix-Neuf à dix-sept heures vingt-trois. Nous avons à peine quitté Paris que le ciel devient gris.
*
« Ma relation avec Blondine c’était une vraie, authentique relation privilégiée, parce que moi j’étais une « cavette », c’est-à-dire une personne qui n’est pas du milieu de la prostitution, et elle, c’était une pute de bas niveau, une prostituée de la rue. On avait fondé une réelle amitié, basée sur le respect mutuel, c’était inattendu, et ça m’est arrivé une seule fois dans ma vie de photographe. Blondine m’a protégée d’elle-même, elle ne voulait pas venir chez moi mais je pouvais aller chez elle, dans son monde. Quand je suis devenue un peu connue, elle était très fière de moi, comme si j’étais l’enfant qu’elle n’avait pas pu avoir. » (Jane Evelyn Atwood, le quatorze février deux mille dix-neuf dans Par les temps qui courent sur France Culture)
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