Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

3 mars 2016


L’averse vient de se terminer ce mercredi matin lorsque je rejoins pédestrement la gare de Rouen. Peu après dix heures, sous le ciel bleu parisien, je pousse la porte du Book-Off de la Bastille d’où je ressors avec peu.
Les bouquinistes ayant pour la plupart désertés le marché d’Aligre pour cause de vacances ou de mauvais temps annoncé, je me rabats sur l’Emmaüs de la rue de Charonne puis par la rue Manuel-Valls, je rejoins la Bastille et poursuis jusqu’à Beaubourg.
Je déjeune dans l’impasse du même nom, chez New New, chinois à volonté, observant comment s’en sortent Papy et Mamie avec le petit Romain. Celui-ci ne voulant pas d’un nem le rejette avec la main dans le buffet. Mamie se fâche et le reprend pour le mettre dans son assiette à elle. Papy fait un bisou sur la main du coupable. A ma droite mange un trio d’employé(e)s de la Ville de Paris qui parle boulot. L’une fait tomber mon écharpe en allant se resservir, un autre la ramasse et est choqué que je ne lui dise pas merci. A ma gauche un jeune barbu mange d’une main tout en tenant avec l’autre un roman policier tout près de ses yeux. Je n’ai aucun souci avec lui.
Sorti de là, j’entre au Centre Pompidou, fais un tour rapide de l’étage « Art Moderne » où je suis autant intéressé par le nombre élevé de jolies filles que par les œuvres exposées puis je descends au quatrième pour voir l’exposition Gérard Fromanger.
Je passe ensuite chez Boulinier, place Joachim-du-Bellay, avec une intention précise : trouver un Guide du Routard Normandie plus récent que celui que je possède et qui date du siècle dernier. Les dieux sont avec moi car dans le bac « tout venant » à vingt centimes, le seul livre franchement apparent est ce guide dans sa version deux mille trois. Me voilà paré pour Cherbourg.
Un bus Vingt et Un me rapproche du quartier Opéra Garnier. J’en descends à Palais Royal pour finir le trajet à pied bien que le ciel soit devenu très gris mais je ne peux entrer dans le jardin. Une affichette annonce que s’y déroule un choutigne photo pour le magazine Vogue US. Je contourne donc le bâtiment, prends un café à la Clef des Champs puis entre au deuxième Book-Off
Un quinquagénaire y demande à consulter des livres de la collection Fleuve Noir Anticipation non encore mis en rayon. Une employée refuse, mais il insiste lourdement : « Je vous en prie, je suis un collectionneur, j’ai mon carnet là avec moi où sont notés les numéros que j’ai déjà, je ne peux pas revenir plus tard. » Elle maintient son refus. « Je vous en supplie, je veux bien me mettre à genoux devant vous, je peux vous donner mes papiers, ma carte bancaire, tout ce que vous voulez. » Cela dure un moment jusqu’à ce qu’elle cède. Il énonce le numéro de chaque livre à voix haute. Sa femme, carnet en main, lui dit s’il l’a ou non. J’imagine que ce ne doit pas être drôle tous les jours pour elle.
A peine sont-ils partis qu’un coup de tonnerre se fait entendre. Il est suivi par une chute de neige du plus bel effet.
-C’est pas juste, s’exclame l’employée blonde, je devais pas travailler ce mercredi, j’aurais pu jouer dans la neige… enfin sous la neige.
Je reste donc un peu plus longtemps que nécessaire dans la boutique, mettant un livre supplémentaire dans mon panier : Soliloques de l’exil de Samuel Brussell (Grasset), dont l’un des chapitres est intitulé « Mais où est le parapluie ? ». Il est dans mon sac et je n’en ai pas besoin car la neige cesse.
Ayant rejoint Saint-Lazare, je m’installe dans le train de dix-huit heures cinquante  La voix du chef de bord s’y fait entendre :
-Trois toilettes sur cinq sont indisponibles à bord de ce train, nous vous souhaitons néanmoins un agréable voyage.
 

2 mars 2016


N’ayant pas cette année été chercher le programme du Conservatoire de Rouen, j’aurais presque pu manquer la présentation des travaux de mi-année de la classe d’art dramatique que dirige Maurice Attias, si celui-ci ne m’en avait averti.
-On vous a réservé une place numérotée, me dit-il ce lundi lorsque j’arrive trop tôt comme d’habitude au Théâtre de la Chapelle Saint Louis.
Je le remercie mais préfère ma place habituelle, au milieu du quatrième rang. Avant de pouvoir y poser les fesses, je rentre au chaud et me poste près de l’entrée de la salle. Je suis bientôt obligé de m’employer comme portier, le nombre de personnes s’imaginant qu’une porte qu’elles ont ouverte doit se refermer automatiquement derrière elles étant important.
-Cela va durer combien de temps ? demande un septuagénaire.
-Deux heures pour la première pièce, puis un entracte et encore à peu près une heure pour la deuxième. C’est pour ça que ça commence à dix-neuf heures.
Il s’effraie de devoir rentrer si tard (vingt-deux heures trente).
Je suis évidemment le premier à pénétrer dans la salle et m’installe là où j’aime. À ma droite est bientôt une jolie fille et à ma gauche la mère d’un comédien ou d’une comédienne. Elle ne veut pas être plus près, craignant un croisement de regard. C’est vite plein, et même davantage pour cause de réservation cafouilleuse.
-On a dû renvoyer quelques personnes en leur promettant une place demain, annonce Maurice Attias. On verra.
Il présente rapidement les deux pièces : Innocence de Dea Loher et Martyr de Marius von Mayenburg, deux auteurs allemands contemporains (inconnus de moi) qui évoquent des sujets d’actualité puis indique que ce soir les élèves seront soumis à la notation d’un jury composé de gens du métier. « Le théâtre, c’est bien », conclut il. On va voir.
Pour Innocence, le plateau incliné est bord de mer, toit de la tour des suicidés, intérieur familial ou tout autre lieu. S’y succèdent le temps de courts tableaux des immigrés qui laissent une femme se noyer, un jeune couple chez qui la mère de la femme, diabétique amputée, vient s’installer tout en rêvant du jour où elle allumera une cigarette près d’une cuve d’essence (le mari ayant trouvé un travail comme croque-mort se prendra de passion pour cette activité au point d’en négliger sa femme), deux jeunes hommes qui sautent du toit en se donnant la main, une autre femme prête à tout pour exister jusqu’à se faire passer pour la mère de l’assassin de la fille d’un couple qu’elle vient harceler, une jeune aveugle qui danse quasi nue pour les hommes dans un bar du port (l’un des deux immigrés du début ayant trouvé Dieu dans un sac en plastique sous forme d’un gros tas de billets le dépensera inutilement dans l’espoir de lui redonner la vue), je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’un livre titré La non fiabilité du monde est évoqué à plusieurs reprises. Cette plongée dans un univers déglingué ressemblant au nôtre est à mon goût et les deux heures sont vite passées.
Le dispositif est le même pour Martyr mais cette fois les apprentis comédiens attendent leur tour sur les côtés, faisant à la fois les spectateurs de leurs camarades et les élèves d’un gymnasium où l’un, Benjamin, par une trop forte lecture de la Bible devient intégriste. Il refuse de se déshabiller à la piscine à cause des filles en bikini, se met nu pour protester contre un cours sur le préservatif, se transforme en singe quand il est question de la théorie de l’évolution, en arrive à songer à exterminer qui ne pense pas comme lui. La Bible possédant autant de ressources que le Coran pour transformer un esprit fragile en terroriste, elle permet à Marius von Mayenburg d’évoquer le danger du moment sans attaquer directement la religion concernée. Je n’ai pas trop le goût du théâtre à message mais ici je trouve quand même mon compte car sont bien montrés la mère dépassée, les profs qui font face mais dont l’action est sabotée par un chef d’établissement prêt à tous les compromis, le prêtre en visite tout aussi lâche.
Cette année, il y a davantage de garçons que de filles chez les seize apprentis comédiens et on en trouve plusieurs qui sont issus de la diversité (comme il convient de dire). Je les trouve tous bons ou très bons. ils n’ont pas fait d’erreur en s’engageant dans cette voie. Après une chorégraphie finale due à leur professeure Aline Mottier, ils font le plein d’applaudissements et de bravos. J’espère qu’ils auront eu une bonne note.
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Chopé dans le texte de Martyr, cette sentence non dénuée de fondement : La puberté est une maladie mentale temporaire.
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Entre les tableaux d’Innocence : Float chanté par Sandy Dillon (autre découverte).
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Dans la liste des remerciements : les Pompes funèbres Eco Plus (pour un prêt d’urnes funéraires).
 

1er mars 2016


« Il y aura un avant programme dans le foyer avec le chœur accentus » me signale le sympathique placeur en chef qui connaît mon habitude d’entrer dans la salle sitôt les portes ouvertes. « Et puis, ajoute-t-il, le deuxième acte commencera aussi dans le foyer ». Je ne me précipite donc pas à l’intérieur et peux ouïr la série d’airs anciens dirigée par Christophe Grapperon avant de gagner ma place surélevée en fond d’orchestre pour Don Giovanni ce dimanche après-midi.
Cette programmation a fait sortir les bourgeois et bourgeoises qui ne fréquentent le lieu que pour les valeurs sûres, lorsqu’il est bon socialement de s’y faire voir (quelques-unes en manteau de fourrure). On peut aussi y voir des politiciens invités : du socialiste et de l’écologiste. Sont également présents des néophytes attirés par le renom de cette œuvre de Wolfgang Amadeus Mozart, dont devant moi une jeune femme dans les trente-cinq ans qui écrit sur son téléphone : « Je suis à l’opéra. C’est la première fois. Je suis heureuse. Bisous. »
Je lis un peu du livret programme. Frédéric Roels, maître des lieux et metteur en scène, y explique sa vision de l’œuvre. En résumé : ce Don Giovanni n’est qu’un fanfaron fuyant, son valet Leporello est amusant mais pitoyable, il y a les femmes heureusement, Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina, qui ont bien des qualités. Ce sera donc correctement politique. Heureusement, le texte de Lorenzo Da Ponte empêche que le libertin se repente à l’issue.
Le décor est un peu là, les ateliers ont eu du boulot. Trois immeubles en fausses pierres, de guingois comme les personnages, délimitent une place où pousse un arbre sans feuilles près duquel est installée une cabine téléphonique grise devenue vinetaige, comme l’est le scouteur Vespa sur lequel déboule Masseto, le niaiseux mari de l’espiègle Zerlina. Quand, pour la scène de danse, on voit descendre des cintres une boule à facettes, je me dis in petto « Oh non, pas ça. » En revanche, j’aime l’idée des « mille e tre » stockées sur la carte mémoire d’un appareil photo que donne Leporello à Zerlina pendant qu’il les chante.
Pendant l’entracte, deux spectateurs à coiffure typiquement Bois-Guillaume se plaignent d’être au deuxième balcon « la faute aux abonnés qui raflent toutes les bonnes places ». Quelques musicien(ne)s s’installent discrètement dans un angle du foyer,  rejoint(e)s par la maestro Leo Hussain qui le moment venu lance le début du deuxième acte que manquent celles et ceux resté(e)s en salle, et l’on voit sur la coursive du balcon Don Giovanni et Leporello se poursuivre et se disputer avec énergie, le valet l’emportant à la fin d’un bras d’honneur. Pour la suite, on va se rasseoir.
Le duo Don Giovanni Leporello fonctionne fort bien grâce au talent de David Bizic et Jean Teitgen, aussi bons chanteurs que comédiens. Laura Nicorescu est une parfaite Zerlina. Matthew Durkan, qui joue son mari Masetto, est le point faible de la distribution, sa voix porte peu et il est emprunté physiquement mais jouant le rôle d’un benêt, cela peut passer. Le reste de la distribution est à la hauteur : Anna Grevelius (Donna Elvira), Marcel d’Entremont (Don Ottavio) et Brigitte Christensen (Donna Anna), bien que cette dernière n’ait pas le physique du rôle. Le Commandeur, joué par Patrick Bolleire, est vraiment effrayant quand il revient de l’outre monde porteur d’épaisses guenilles et de petites lunettes noires.
Don Giovanni exécuté, les copieux applaudissements durent longtemps en direction des chanteurs et chanteuses, du chœur accentus, de l’Orchestre de l’Opéra et de son chef.
                                                                       *
Quelle vie riche et turbulente a eu l’abbé Lorenzo Da Ponte, dont je viens de lire les Mémoires publiés au Mercure de France dans la collection Le Temps retrouvé. Né de parents juifs, baptisé par l’évêque dont il portera le nom, il devra fuir Venise pour s’être mal conduit avec les dames, rencontrera Mozart à Vienne, composera pour lui le livret de ses trois chefs-d’œuvre, rejoindra Prague à la mort de l’Empereur où il croisera Casanova déjà connu de lui à Venise, s’installera à Londres d’où il sera chassé pour dettes, émigrera en Amérique à l’âge de cinquante-six ans avec sa femme Nancy Grahl (ils auront cinq enfants), s’essaiera au commerce du tabac, de l'épicerie et de la librairie avant de devenir professeur de langue et de littérature italiennes au Columbia College de New York
Las, il ne sait pas raconter. Dans ses Mémoires, écrits à l’âge de quatre-vingt-un ans, il se perd dans les généralités et les digressions.
Il mourra à New York à quatre-vingt-neuf ans le dix-sept août mil huit cent trente-huit.
 

29 février 2016


S’il est une tâche qui me rebute, c’est d’organiser mes escapades. Ce dimanche est le jour ultime que je me suis fixé pour mettre au point les deux prochaines. La lecture matinale de Sénèque au café Le Clos Saint Marc, après un tour du marché, m’aide à tenir cette résolution : la vieillesse est un âge où il est urgent de vivre.
Un port de Bretagne, Concarneau par exemple, telle est mon envie première, mais en cours de route je change de cap et finalement ce sera Cherbourg en mars et Saint-Jean-de-Luz en avril.
Saint-Jean-de-Luz, port de fin de vacances à peine commencées l’année de ma clavicule cassée, où je m’étais juré de ne pas retourner, plus par superstition que pour autre chose. Que serais-je devenu cet été-là si je n’avais eu à mes côtés celle dont j’avais gâché les vacances ?
                                                   *
Délire d’habitué (surnommé l’Amiral) au Clos Saint Marc : « C’est rigolo quand cela tombe dans l’eau, l’ancre, et ça tache pas. Ah, quand on était gamin, les pleins et les déliés. »
                                                  *
Chez U Express, vendredi matin : eau minérale, roquefort, pistaches et vinaigre. Quatre achats qui à la caisse font exactement cinq euros. Je pense qu’on ne réussit un tel coup qu’une fois dans sa vie.
                                                  *
« Allez, tous végétariens ! » s’exclame l’une de mes connaissances après la découverte d’un deuxième abattoir du sud de la France où l’on maltraitait les animaux. Le prosélytisme des végétariens me serait une raison suffisante de manger de la viande si je n’en avais pas de meilleures.
                                                 *
-Ça fait un bout de temps qu’on vous avait pas vu.
-Bah, je viens tous les jours pourtant.
 

26 février 2016


Effet de l’âge, je ne pense pas, mais le soir j’ai de moins en moins envie de sortir (comme on dit). Je laisse passer la plupart des vernissages, des concerts et autres évènements culturels. C’est que je supporte encore moins que par le passé l’esprit de flatterie réciproque qui se déploie dans les expositions (« C’est bien ce que tu fais, quand je montrerai quelque chose tu diras que c’est bien ») et que je n’ai plus le goût d’aller à des concerts dans des lieux pas faits pour ça où l’on est serré debout sans voir grand-chose (même dans les lieux faits pour ça, plus envie de faire de la stabulation libre au Cent Six, tant pis pour le concert d’Arno), ni de passer la soirée à considérer la nuque de la personne assise devant soi dans les salles sans gradins (tant pis pour les spectacles qui m’auraient fait envie au Hangar Vingt-Trois mais que je n’irai pas voir entre deux têtes dans l’auditorium de la Chapelle Corneille).
L’avantage, c’est que je me fais moins d’ennemis pour avoir critiqué et moins de faux amis pour avoir complimenté.
                                                                 *
« Cela fait toujours du bien d’avoir un retour » c’est ainsi que s’expriment celles et ceux dont on a aimé le spectacle. Un retour. A chaque fois que l’un(e) me dit ça, je lui colle mentalement un aller et retour.
                                                                 *
Sortie du numéro zéro de Michel, nouvelle revue culturelle normande, qui à l’avantage d’avoir un bon titre et montre qu’il peut se passer quelque chose à Yvetot.
Ce Michel a eu besoin d’un stagiaire au profil particulièrement reluisant :
« Organisation, rigueur, méthodologie, dynamisme, autonomie
Aisance rédactionnelle, maîtrise des techniques de communication
Connaissance de la chaîne éditoriale papier et numérique
Informatique : gestion de blog et réseaux sociaux, base de données (File Maker), InDesign, gestion de PDF
Intérêt pour l’art, la culture et la médiation »
Autant dire quelqu'un qui n’a plus grand-chose à apprendre, un véritable employé, mais qui ne sera pas rémunéré, ce qu’on appelait autrefois un bénévole.
 

25 février 2016


Dès mon arrivée à la gare ce mercredi matin, j’apprends que la circulation est fortement perturbée suite à l’agression d’une contrôleuse du côté d’Elbeuf, les trains pour Dieppe sont supprimés, ceux du Havre auront un retard de dix minutes, le mien pour Paris n’est pas affiché. J’ai bon espoir car il vient de la capitale avant d’y retourner vingt minutes plus tard et je n’imagine pas son équipage avoir envie de rester à Rouen.
Effectivement, il part à l’heure indiquée. C’est une bétaillère à l’ancienne, dont tous les sièges se font face avec les problèmes de genoux qui en découlent. A Mantes-la-Jolie, il ne peut donner place à tous. Les journaux gratuits trouvent alors leur utilité en étant déployés sur les marches menant à l’étage afin d’y poser ses fesses.
Je passe un certain temps au Book-Off de la Bastille, puis fais le tour du marché d’Aligre où ce matin beaucoup de livres sont à un euro mais aucun n’est pour moi. Pour rejoindre la rue de Charonne, j’emprunte le passage de la Main d’Or. L’antisémite s’y donne toujours en spectacle. Il a fait appel de son expulsion du Théâtre.
Avant d’aller déjeuner j’entre chez Emmaüs et y trouve devant les rayonnages de livres l’un des bouquinistes rouennais du Clos Saint-Marc.
-Qu’est-ce que vous faites là ? lui dis-je.
Il me répond que son métier, c’est d’acheter et de revendre des livres.
-Je viens surtout dans le quartier pour me procurer le matériel qui m’est nécessaire pour la restauration de tableaux, ajoute-il. Vous travaillez à Paris ?
-Non, j’y viens une fois par semaine, cela m’est nécessaire de fuir Rouen régulièrement.
-Je vous comprends, me répond-il.
Il a une bonne pile de livres près de lui. Etant spécialisé dans le mystico pantoufle, il n’a pas beaucoup de concurrence.
Nous nous séparons à la sortie en nous donnant l’au revoir au Clos et j’entre Chez Céleste à midi pile. J’y suis le premier installé, près de la trappe qui cache l’escalier de la cave. Céleste l’ouvre, ayant oublié d’y prendre quelque chose. Elle demande aux deux serveurs de faire attention que personne ne tombe mais lorsque qu’arrive un homme marchant à reculons tout en discutant avec l’un d’eux, c’est moi qui l’arrête de la voix et du bras.
-Sans vous j’y serais tombé, me dit-il en me remerciant, pas plus fâché que ça.
La trappe rabattue, je peux me concentrer sur ma quiche aux poireaux. Je la fais suivre d’une picanha grillée : pièce de boeuf accompagnée de frites, riz, lentilles et salade.
Une femme qui déjeune avec un quinquagénaire à l’allure de chanteur de patronage avec foulard autour du cou trouve ça roboratif.  Elle n’a pas voulu de vin ayant eu « une toute petite migraine ce matin ». Lui non plus. D’ailleurs, je suis le seul à en boire bien que la salle se trouve emplie, surtout par des collègues de travail, et quelques isolés dont l’un doit être à Roissy dans une heure.
Songeant à passer par le Centre Pompidou, je m’en rapproche à pied et m’arrête au Rivolux prendre un café au comptoir. S’y trouvent deux jeunes hommes. L’un est un ancien employé de la Ville de Paris qu’il « a mis aux prud’hommes ». Il explique à l’autre qu’il a subi un « traumatisme psychique, physique, psychologique et moral », comme il l’a écrit dans une lettre où il évoque son conseil.
-Il faut dire « mon conseil », surtout pas « mon avocat », ça fait plus d’effet.
Ressorti, je change d’avis, craignant un manque de temps, et prends le métro à Hôtel de Ville jusqu’au Palais Royal dont je traverse le jardin pour rejoindre l’autre Book-Off.
Aucun problème pour rentrer en Normandie, tous les trains circulent et sont à l’heure.
 

24 février 2016


Le Pogge Florentin (dit aussi Le Pogge), de son vrai nom Gian Francesco Poggio Bracciolini, érudit, copiste, historiographe, moraliste et secrétaire du pape, est l’auteur de contes grivois (comme on dit) qu’Anatolia a publiés sous le titre Facéties. Il en explique l’origine dans sa conclusion :
Je ne veux pas finir sans dire un mot de l’endroit, de la scène en quelque sorte où la plupart de ces menus propos furent tenus. C’est notre Bugiale, véritable officine de mensonges, qui correspond à une tradition instituée jadis par les secrétaires du pape pour se distraire entre eux. (…) On n’épargnait personne : nous disions du mal de tout ce qui nous déplaisait, en commençait souvent par le souverain pontife lui-même ; aussi beaucoup de gens venaient-ils à nos réunions, de peur d’être les premiers raillés.
Je viens de lire ces Facéties avec grand plaisir. Certaines portent des titres qui sont déjà un ravissement, ainsi : D’un imbécile qui croyait que sa femme avait deux cons ou D’une jeune femme qui trouvait son mari petitement monté.
Dans cette dernière, comme le mari s’en défend, la jeune femme demande aux convives d’un banquet d’en juger :
Et aussitôt, sortant de dessous son pourpoint court, alors de mode, les pièces à conviction, il les étale sur la table et prie la société émerveillée de dire si vraiment elles étaient à dédaigner. Les femmes pensaient en elles-mêmes que leurs maris eussent dû en avoir de pareilles, et les maris, de leur côté, convenaient que le jeune homme possédait un outil de maître ; aussi tous furent-ils unanimes à taxer de sottise la jeune mariée. « Pourquoi me blâmer et vous moquer de moi ? riposta celle-ci. Notre âne, qui n’est pourtant qu’une bête, en a long comme cela (et elle étendait le bras), tandis que mon mari qui est un homme n’en a pas moitié autant. » La naïve enfant croyait qu’en cela l’homme devait être supérieur à la bête.
En voici quatre qui ont l’avantage d’être courtes et bonnes :
Les préférences d’un prédicateur
Un frère peu circonspect, prêchant un jour à Tivoli avec véhémence et indignation contre l’adultère, s’écria : « C’est un pêché si épouvantable, que j’aimerais mieux coucher avec dix pucelles qu’avec une femme mariée. » Beaucoup parmi ses auditeurs étaient de son avis.
Comment on enseigne la luxure
Un autre prédicateur que j’ai connu, un nommé Paolo, prêchant à Sezze, ville de Campanie, contre la luxure, se laissa aller à dire qu’il y a des gens si lascifs et si sensuels que pour se procurer une plus grande jouissance ils mettent un coussin sous les fesses de leur femme. Ceux de ses auditeurs qui ne connaissaient pas le procédé s’empressèrent naturellement de l’expérimenter.
Piquante réponse d’une femme
Une fois, un homme, causant avec une femme, lui demanda pourquoi, l’homme et la femme ayant égale jouissance à faire l’amour, ce sont plutôt les hommes qui sollicitent les femmes. Celle-ci lui répondit : « On a eu grandement raison de faire que ce soit plutôt les hommes qui recherchent les femmes. En effet, nous autres, nous sommes toujours prêtes et disposées à faire l’amour, mais vous, non ; nous perdrions notre temps à vous solliciter quand vous ne seriez pas en mesure. »
Plaisant propos d’une jeune femme en couches
Une jeune femme de Florence assez niaise, sur le point d’accoucher, souffrait depuis assez longtemps déjà de vives douleurs, et la sage-femme, une chandelle à la main, examinait la place pour voir si l’enfant n’allait pas bientôt sortir. « Regarder donc aussi de l’autre côté, lui dit l’innocente, car mon mari a quelquefois opéré par là. »
Le Pogge est mort à Florence en mil quatre cent cinquante-neuf à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Le grand âge le rendit nostalgique :
Aujourd’hui mes collègues sont morts, le Bugiale n’existe plus ; soit par la faute des hommes, soit par celle du temps, on a perdu l’habitude de rire et de converser.
Ainsi, à toutes les époques, certains se plaignent que soit perdue l’habitude de rire et de converser, alors qu’elle perdure ailleurs et sans eux, devenus vieux.
                                                        *
Que d’impiétés, que de saletés, que de fléaux dans les écrits du Pogge !
Le Pogge, un braillard si ignorant qu’il ne mériterait pas d’être lu, quand même on ne trouverait pas chez lui d’obscénités, et du reste si obscène que, fût-il très savant, il devrait être rejeté par les gens de bien… (Erasme)
 

23 février 2016


Où boire un café le dimanche après-midi à Rouen? Depuis quelques semaines, je retourne au Bar des Fleurs, brasserie fréquentée par la bourgeoisie qui s’ennuie en famille. Il a changé de main. Un patron d’un certain âge, sa femme et la mère de l’un des deux, forcément appelée « la mamie », s’y démènent de façon désordonnée aidés par une serveuse et un garçon qui prépare les boissons.
L’autre semaine, vers quinze heures trente, un groupe de quinze personnes se présente à la porte. Le patron les fait attendre dehors puis se précipite sur une grande table dressée pour un repas qui n’a pas eu lieu. Il en ramasse les couverts, choquant les verres tout en houspillant le garçon pour qu’il vienne l’aider « au lieu de ne rien foutre ». Quand ils ont terminé, le groupe a disparu. C’est au tour du patron de se faire houspiller par « la mamie » pour ne pas les avoir fait entrer.
Ce dimanche, quand j’arrive, un serveur pas encore vu à la carrure de vigile me refuse la table de quatre où je peux lire à peu près tranquillement sans être gêné par les familles ni trop dérangé par la mauvaise musique de la radio commerciale qu’on y écoute. Au prétexte que je suis seul.
Je le plante là, ne lui réponds pas quand il me rappelle et traverse le centre ville désert dont tous les cafés sont fermés jusqu’au quartier touristique du Vieux Marché. Là, je trouve refuge au Guillaume où l’on n’a pas la prétention de m’imposer l’endroit que je peux m’asseoir. Évidemment, on y entend aussi de la mauvaise musique déversée par une télé, ce travers des villes de province.
                                                           *
Comment faire parler de soi quand on est un obscur sénateur ? Hervé Maurey, Centriste de Droite, par ailleurs Maire de Bernay (Eure), a trouvé en déposant un projet de loi visant à rendre obligatoire le port du casque à vélo. C’est pour le bien d’autrui.
Le député écologiste Denis Baupin lui a répondu par anticipation l’an dernier : « Pourquoi les automobilistes n’en ont pas ? Ils ont plus de traumatismes crâniens que les cyclistes. »
Viendra le jour où un politicien tentera de rendre obligatoire le port du gilet jaune à bandes réfléchissantes pour les piétons.
                                                           *
Désir mimétique : une monnaie locale « citoyenne et éthique » tente de s’implanter à Rouen. Elle a pour nom l’agnel, rapport au symbole de la ville : le mouton.
                                                           *
Est-on plus seul quand on est « tout seul » que lorsqu’on est seulement « seul » ?
 

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