Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

25 février 2022


Nicolas Mayer-Rossignol, Maire de Rouen, invite à un rassemblement pacifique et citoyen vendredi soir devant l’Hôtel de Ville pour témoigner de notre soutien au peuple ukrainien, ainsi que notre attachement collectif à la paix, au respect des règles internationales et à la défense des droits humains. Que c’est gentil.
Je me garderai bien d’aller me faire voir avec les bonnes consciences de cette ville dont le symbole est un mouton. Personnellement, s’il était en mon pouvoir de le faire, j’ordonnerais avec un drone bien ajusté de buter Poutine.
C’est dire que je suis loin de celles et ceux qui sur Effe Bé ornent leur photo de profil d’une colombe de la paix. Il en était de même après les attentats islamistes.
 

24 février 2022


Ils ont l’air malin ceux qui disaient que les avertissements américains étaient dénués de fondement, que jamais Poutine n’allait attaquer l’Ukraine. La démonstration est faîte que les seuls à avoir de bonnes informations se trouvent à Washington.
Maintenant, le super héros de pacotille va aller au bout de sa paranoïa. Le futur de l’Ukraine risque de ressembler à ce qui est arrivé à la Tchécoslovaquie en mil neuf cent soixante-huit. Je crains que le sort de Zelenski soit bien pire que celui de Dubček.
Et après, à qui le tour ?
                                                           *
Profil bas chez les trois candidats pro Poutine de la Présidentielle : Le Pen, Mélenchon et Zorglub.
                                                           *
Un autre morveux qui devrait se moucher : le candidat Les Républicains à la Présidentielle précédente devenu l’employé de Poutine, ce François Fillon pour qui l’argent n’a pas d’odeur.
                                                           *
Entre plusieurs hypothèses, la pire est presque toujours la plus probable.
 

22 février 2022


Les tempêtes passées, le vent reste ardent ce lundi. Notamment devant la Cathédrale où il est toujours plus fort qu’ailleurs. Ça doit avoir un rapport avec l’architecture gothique, avec l’espace vide du parvis et avec les rues étroites qui y aboutissent. C’est ce jour qu’a choisi Yannick Jadot pour y tenir à dix-huit heures un rassemblement « en plein air ».
Cela s’inscrit dans le cadre de sa « Tournée des Possibles ». Un tract de couleur verte avec sa photo m’en a informé, trouvé dans ma boîte à lettres, alors qu’il y est indiqué que je refuse la publicité.
Bien que ce ne soit qu’à cent cinquante mètres de chez moi, je n’y vais pas. Rien de plus pénible que d’écouter un politicien haranguer la foule. Jamais je ne l’aurais fait quand j’étais d’accord pour voter écolo. Alors maintenant que je m’en abstiendrai…
                                                                   *
Ce vent fou l’amènera peut-être à évoquer les éoliennes. C’est dingue comme maintenant il est de bon ton d’être contre. Elles seraient moches et bruyantes. Bruyantes, je ne l’ai pas remarqué quand autrefois je suis allé au pied d’une. Moches, ce n’est pas mon avis. Je les trouve belles comme des moulins à vent, agrémentant des paysages qui sans elles seraient d’un mortel ennui. Depuis des années j’en souhaite en haut de la colline Sainte-Catherine. Les écolos locaux n’y songent même pas.
                                                                   *
Si presque tout le monde est maintenant anti éoliennes, presque tout le monde est devenu pro centrales nucléaires, même certains écolos. L’argument est qu’on n’a pas le choix si l’on veut continuer à utiliser autant d’électricité, et même davantage avec les voitures électriques. Alors allons-y. On s’en fout des mineurs d’uranium africains. On s’en fout des déchets mortellement dangereux pendant des millénaires. On s’en fout de la possibilité d’un grave accident dans l’une des centrales, c’est comme le tremblement de terre en Californie, ça n’arrivera jamais.
Il doit être mort maintenant le Sous-Préfet de Cherbourg qui au temps où je participais aux manifestations contre la construction de la Centrale de Flamanville et contre l’extension du Centre de Retraitement de La Hague avait avoué que ce dernier n’avait pas été placé à l’extrémité du Cotentin par hasard. En cas d’accident majeur, on couperait le Cotentin en deux par le milieu. Au sud, on évacuerait la population. Au nord, ce ne serait pas la peine.
 

21 février 2022


Par un temps gris ce dimanche, après la tempête Eunice et avant  la tempête Franklin, je lis des poèmes de Paul Valet, ceux figurant dans l’ouvrage de Jacques Lacarrière à lui consacré, autrefois paru chez Jean-Michel Place et en prélève ceci :
On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées
                                                               *
J’écris avec mes poings
Sans virgules
Sans points
Sans coco
Sans pernod
Sans muselière
Sans bandage herniaire
                                                              *
C’est ma petite personne
Qui m’empêche de voir grand
                                                              *
Forte tête
Trouble-fête
Mal incarné comme un ongle
Inapte au drapeau
Inapte au tombeau
                                                             *
Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant ni figue ni raisin
                                                             *
Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air
                                                             *
C’est par un jour douteux
A l’estomac délicat
Au nez pincé sec
Aux yeux cernés vides
Que je me suis vidé de toutes mes certitudes
                                                             *
C’est au fond du puits
Que le ciel respire
                                                             *
Etre pauvre en leçons
Enseigner les lacunes
                                                             *
Les paroles qui tranchent
Sont à double tranchant
                                                             *
Je suis loin de moi
Quand j’écris
                                                             *
Pour devenir épave
Il faut persévérer
                                                             *
Les pensées les plus mûres
Pourrissent les premières
                                                             *
Il n’y a pas de règle
Pour sombrer
                                                             *
Chaque larme
Me rapproche de la mer
                                                             *
Ma raison d’être
Est d’être sans raison
                                                             *
A quoi rêvent les couteaux
Dans leurs sombres tiroirs ?
                                                             *
J’ai si longtemps dormi dans la fosse commune
Que les lieux communs ne me font pas peur
                                                             *
Le vouloir vivre
Fait ramper la vie
                                                             *
Etre lucide
C’est perdre connaissance
                                                             *
Etre à la hauteur
De sa déchéance
                                                             *
Les grabataires voient le ciel
A sa juste hauteur
                                                             *
C’est un scandale que d’être ici plutôt que là
                                                             *
Et pourquoi ne pas agir en toute méconnaissance de cause ?
                                                             *
Je pense
Donc je fuis
                                                             *
Toute une vie mal partie
Comme la suite
D’un petit cri nouveau-né
                                                             *
Quelques lettres signées Paul Valet complètent le choix de poèmes fait par Jacques Lacarrière, dont j’extrais ceci :
Il est étrange que, dès qu’on écrit sur mes œuvres, on parle de suite d’Artaud, de Cioran, ou des deux à la fois. Cela m’étonne un peu, mais leur influence ayant été nulle sur moi, croyez-vous qu’il soit souhaitable d’appuyer sur un bouton, ou les deux boutons à la fois, dont chacun sonne dans un appartement que je n’habite pas ? (à Guy Benoit, le quinze novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq)
Notre époque est une maison qui brûle et l’on me demande de faire un poème sur l’amour avec le coucher de soleil comme décor… Mais tout ce que je puis faire, c’est de crier : AU FEU ! On a assassiné des millions d’innocents, une nouvelle boucherie se prépare, la violence devient de plus en plus raffinée, aiguisée, scientifique, méthodique… et l’on me demande de peindre des roses ! (à une lectrice, le dix-neuf mars mil neuf cent cinquante et un)
On me demande mon état-civil ; or, je n’ai aucune confiance en lui. Est-il vrai ? Est-il faux ? Je n’en sais rien. On me demande l’histoire de ma vie. Mais je ne supporte aucune conception chronologique de l’existence. Le passé est une « matière » qui n’existe plus. Quant à l’avenir, il est imaginaire et illusoire. Il ne me reste que le présent et ses oscillations. (à Pascal Pia, le treize novembre mil neuf cent soixante-dix)
                                                             *
Georges Schwartz naît en mil neuf cent cinq d’une mère polonaise et d’un père ukrainien vivant à Moscou. Il apprend le piano. A la Révolution d’Octobre, les biens de la famille sont saisis par les bolcheviks. Fuite en Pologne puis départ pour Paris avec son père afin d’être élève de Vincent d’Indy. Laisse tomber la musique pour devenir médecin. Prend pour femme une Polonaise. Tous deux deviennent Français. S’installe comme généraliste à Vitry-sur-Seine. Pendant l’Occupation, devient chef résistant en Haute-Loire sous le nom de Seguin. A la Libération, retour à Vitry où il apprend que son père, sa mère et sa sœur ont été gazés à Auschwitz. Rouvre son cabinet comme homéopathe et commence à écrire sous le nom de Paul Valet. Après une longue maladie, des troubles neurologiques qui le rendront paralysé, il meurt en mil neuf cent quatre-vingt-sept.
 

18 février 2022


Je n’emploie jamais le verbe pisser, lui préférant l’enfantin faire pipi ou le technique uriner. De même, je ne vais pas aux chiottes, mais aux toilettes ou aux vécés. J’ai été éduqué dans une famille où ni parents ni grands-parents ne disaient un gros mot. J’en suis resté marqué.
Aussi du livre Pisser à Paris (Guide pratique et culturel des WC gratuits) de Claude Lussac et Nathalie Marx publié en deux mille douze aux Editions du Palio avec le soutien de Neoblaste qui a pour objectif de féconder les cerveaux et propager les pratiques, je n’aime pas le titre. Pour le reste, je suis bien content de l’avoir trouvé chez Book-Off pour un euro (le prix à payer pour utiliser les toilettes dans les gares de la capitale).
La quatrième de couverture est expose l’objet :
Que faire si un besoin urgent vous saisit place du Panthéon ?
On peut se précipiter dans l'un des cafés branchés de la rue Soufflot. Encore faut-il être d'humeur à s'acquitter d'une consommation ou à soutenir le regard du patron.
Pour ceux qui, par principe, s'y refusent, la montagne Sainte-Geneviève ne manque pas d'endroits où l'on peut, sans péage, parvenir là où le roi se rend seul.
Les plus pressés - et les plus républicains - choisiront la mairie du Ve, les lecteurs de Joyce le Collège des Irlandais et les matheux l'Institut Poincaré. Par la rue d'Ulm, les humanistes pourront pousser jusqu'à l'Ecole normale.
L’ouvrage bénéficie en épigraphe d’une formule alambiquée de Marcel Proust : Ce sont des besoins qu’il ne suffit pas de ne pas payer pour les avoir., d’une préface de Julien Darmon, professeur associé à Sciences Po pour le Master d’Urbanisme : En un mot, cet opuscule, dont il faut remercier Claude Lussac et Nathalie Marx, soulage. et d’une « entrée en matière » qui s’achève ainsi Pisser à Paris délivre quelques-unes de leurs clés à tous les libre-pisseurs.
Il ne s’agit pas dans ce livre de recenser les nombreuses sanisettes JiCé Decaux mais les toilettes des bâtiments publics ou privés accessibles gratuitement (parfois en trichant). Chacun de ces lieux est évoqué sous l’angle pratique et historique dans un style plaisant et noté selon sa qualité matérielle (transcendant, suffisant, contingent) et intellectuelle (mythique, inspiré, stimulant).
Pour exemple, les vécés du Musée National de la Marine :
On y pénètre par la porte latérale droite.
Contrôle des sacs parfois exigeant.
Comme dans le combat naval, il faut ensuite ruser, dans une manœuvre de contournement.
Prendre à bâbord comme pour se rendre dans le musée, dépasser les caisses en faisant semblant d’aller à la boutique, puis sortir de la boutique.
Le chemin de la sortie passe devant les toilettes, à tribord.
Il est précisé que celles-ci sont réservées aux visiteurs du musée.
On peut s’affranchir sans risque de cette contrainte, à portée plus rhétorique que disciplinaire.
Les WC sont fonctionnels.
Ils affichent la proportion d’urinoirs la plus élevée des lieux publics de la capitale.
Peut-être les toilettes du Musée de la Marine sont-elles soumises aux mêmes normes que les bâtiments de la Royale ?
                                                                       *
Libre-pisseur, je le suis, au point de souvent pratiquer sur la voie publique dans les villes de province. A Paris, je me méfie de l’amende qui pourrait m’interrompre. Sauf quand je me sens en totale sécurité. Comme la fois où j’ai arrosé des bambous près de l’Elysée sur le conseil et sous la surveillance d’un Céhéresse, un très bon souvenir.
 

17 février 2022


Un jour gris ce mercredi seize février deux mille vingt-deux qui marque le septante et unième anniversaire de ma naissance. Arrivé à la Gare de Rouen, je range le parapluie au fond de mon sac à dos puisqu’à Paris il est possible de se déplacer sous terre.
C’est ainsi que par la sortie Traversière de la station Ledru-Rollin je débouche devant le Café du Faubourg. Il n’est que neuf heures aussi m’assois-je en salle, attendant que la serveuse débordée par la présence d’une dizaine de clients s’intéresse à moi. Mon café bu, je reprends Carnets d’un vieil amoureux de Marcel Mathiot, une lecture peu susceptible de me faire oublier mon âge, même si l’auteur a vingt ans de plus, toujours fringant.
Dans ce troquet nous sommes en mode dégradé. La propreté laisse à désirer, notamment dans les toilettes, et il faut subir la télé, une émission sur l’anorexie. Ce n’est pas l’ancienne équipe, celle d’avant-guerre, qui aurait toléré ça. Des clients du comptoir ne reste que le pire, un buveur de verres de vin blanc qui déblatère.
-C’est pour ça qu’il y a de plus en plus de lesbiennes sur la terre, parce que vous êtes vraiment des merdes, lui dit la serveuse, qui en est une, de celles qui paradoxalement s’ingénient à ressembler physiquement à un homme.
Entré chez Book-Off à dix heures, je trouve parmi les livres à un euro J’irai chanter sur vos tombes (Vian et Le Déserteur) de Marc Dufaud (Editions Invenit), une étude sur la réception de cette chanson en son temps, et l’étonnant Pisser à Paris (Guide pratique et culturel des WC gratuits) de Claude Lussac et Nathalie Marx (Editions du Pallio), logiquement rangé au rayon Voyage.
Un peu avant midi, de l’autre côté du carrefour, je trouve sous un immeuble l’entrée du passage de la Bonne Graine. Juste avant le coude à angle droit qui ramène vers la rue Ledru-Rollin est le restaurant Les Passagers de Beyrouth. Celle qui travaille près de la place de la Bastille y a réservé une table pour moi. Dès que j’en pousse la porte, je suis accueilli chaleureusement par le maître des lieux.
Un peu plus tard elle arrive et je lui sais gré de s’être rendue disponible pour fêter avec moi les septante et un ans, cela alors qu’elle souffre d’une fichue otite traitée par des médicaments qui la fatiguent. Deux autres duos déjeunent aussi dans la salle rustique ornée de lambris.
C’est un très bon moment et un très bon repas servi par un hôte fort sympathique. Nous dégustons la formule « Mezza pour deux personnes », laquelle se compose de huit variétés d’entrées froides et chaudes, d’un choix de grillades et d’une farandole de douceurs libanaises, tout cela accompagné d’un grand verre de citronnade fraîche, d’un verre de vin rouge de la plaine de la Bekaa fort boisé et de thé à la menthe.
Il est un peu plus de quatorze heures lorsque nous nous séparons à la station de métro Ledru-Rollin.
A la sortie principale de la station Opéra, l’ambiance est assurée par un joueur de cornemuse en kilt. Au second Book-Off, parmi les livres à un euro, je trouve le numéro Treize de la revue de littérature érotique Les Feuillets roses (L’Effeuillée rose) que publiait Nigel Gauvin à Etoile-sur-Rhône à la fin du siècle dernier, puis, ne supportant plus le mode dégradé avec radio franchouillarde de La Ville d’Argentan, j’attends l’heure de mon train de retour près de la station de métro Quatre Septembre, au bistrot Chez Edmond. Le personnel y est sympathique, la clientèle jeune et la musique électro propice à la lecture. A la table la plus proche, un duo masculin féminin travaille au scénario d’une série sentimentale on ne peut plus gnangnan.
                                                                     *
La façon d’exprimer son âge à la française, soixante-neuf soixante-dix soixante-et-onze, sans changer de dizaine, contribue à amoindrir la réalité du temps qui passe et vous rapproche de la catastrophe finale. Quand septante, à la belge ou à la suisse, montre clairement qu’une marche a été franchie. De même en est-il pour octante (huitante dans certains cantons) et nonante. Et que dire de ce foutu quatre-vingt. Avoir quatre fois vingt ans, quelle arnaque.
 

15 février 2022


Ce lundi matin j’entre à la boulangerie du Fournil du Carré d’Or derrière un vieux copain d’école que je croise régulièrement dans le quartier. Non seulement je ne lui dis pas bonjour mais je fais comme s’il n’existait pas.
Copains nous étions, et des bons, à l’école élémentaire de garçons Anatole France de la rue Pampoule à Louviers. Enfant de pauvres mais bon élève, j’étais admis dans le groupe des autres bons élèves, des fils d’enseignant, inspecteur des impôts, gendarme, huissier, juge et autres professions intermédiaires. A la recréation nous ne jouions qu’entre nous, snobant les élèves moyens ou faibles, dont certains étaient encore plus pauvres que moi et vivaient dans le bidonville du Becquet.
Le père de ce copain était instituteur dans cette école Pampoule et deviendrait l’un des principaux animateurs du Comité d’Action du Gauche qui allait bientôt s’emparer de  la Mairie de Louviers. Sa mère était une ancienne institutrice promue enseignante du secondaire et serait plus tard ma prof de maths au Collège Ferdinand Buisson.
A partir de la sixième, je ne fréquenterai plus ce fils d’enseignants car en tant que boursier je serai d’office inscrit au Collège d’Enseignement Général tandis que lui et mes autres copains bourgeois seront d’office inscrits au Lycée Classique et Moderne.
Je n’ai de nouveau entendu parler de lui que bien plus tard, quand je faisais l’instituteur en maternelle à Louviers, à l’école Jean Macé. L’une des collègues (comme on dit) habitait le logement de fonction qui était celui des parents de cet ancien copain d’école. Un jour que j’étais invité chez elle, elle me raconta qu’il avait eu une maîtrise de cinéma et que son mémoire avait été entièrement rédigé par son père.
Bien plus plus tard, quand j’arrivais à Val-de-Reuil pour enseigner à la maternelle du Pivollet, je le retrouvais à la Mairie, responsable de je ne sais quoi, et quand, lors d’une réunion, je m’apprêtais à lui dire bonjour, il fit comme s’il ne me connaissait pas. Pendant les années que je passais sur place, j’eus le temps de constater ce qu’il était devenu : un valet des Socialistes imbu de sa personne.
Il y un an ou deux, je découvre que désormais retraité il habite place des Carmes avec sa femme et son grand benêt de fils. Le croisant, j’ai senti qu’il était prêt à me dire bonjour dans cette ville où peut-être il se sentait seul. J’ai fait semblant de ne pas le reconnaître.
                                                                *
« On se promène dans de l’espace mais en fait c’est que le temps qui passe. » Claire Simon dans Les Matins du samedi sur France Culture.
 

11 février 2022


« Je lis toujours avec intérêt votre journal notamment pour découvrir des auteurs tombés dans l’oubli, certains me semblant d'ailleurs n'être que peu apparus chez les libraires. Comment faites-vous vos sélections ??? », m’écrit un fidèle lecteur. Je ne le sais pas vraiment.
Quand je suis chez Book-Off où les livres sont rangés par ordre alphabétique, il y en a qui me font signe. Parfois c’est à cause de leur éditeur (petit souvent), parfois du nom de l’auteur (croisé ici ou là) ou simplement de leur titre intrigant. J’ouvre une page au hasard et je sais tout de suite si c’est bon pour moi. C’est l’intuition qui joue, liée à l’expérience, mais quand même pour un livre retenu, il y en a au moins cinq reposés.
Il est certain que beaucoup des livres que j’achète n’ont pas dû connaître les tables des librairies. Peut-être même ne sont-ils jamais entrés dans ces boutiques, n’ayant été vendus que par leur éditeur ou par le réseau de l’auteur.
Chez Book-Off, le rachat des livres n’est basé que sur un seul critère, leur très bon état. Les livres à petit tirage sont à égalité avec les meilleures ventes. En conséquence, il y a là un choix plus éclectique que chez Gibert.
                                                                      *
« Pour correspondre au mieux à vos attentes, n'hésitez pas à m'indiquer vos souhaits ou préférences en matière de lecture, d'éditeurs ou de collections, auteurs et autrices attendus... », demande la responsable de la future librairie rouennaise La Tonne.
Sont proposés Allia, Playlist Society, Eterotopia, Agone, Gallmeister, Cheyne, La Fabrique, Inculte, Densité, Le Nouvel Attila, Drakkar, La Peuplade, Notabilia, Zulma, Editions de la Boucherie littéraire, Éditions du sous-sol et Monsieur Toussaint-Louverture.
De bonnes suggestions donc, mais qui achètera les livres de ces éditeurs parmi la clientèle, un tout petit pourcentage. Le temps n’est plus où une librairie indépendante pouvait vivre en ne présentant sur ses tables que des livres exigeants, comme le faisait à Rouen l’ancienne Armitière, celle de la rue de l’Ecole, dans les années soixante-dix. Désormais, pour que vive une librairie, il lui faut vendre les succès du mois, dont pas mal de daube, comme le fait l’actuelle Armitière, celle de la rue de la Jeanne, et comme le fait Gibert à Paris malgré sa clientèle universitaire.
La libraire de La Tonne ne devrait pas suivre les conseils qu’on lui donne.
                                                                     *
Parmi mes trouvailles de mercredi dernier Paul Valet de Jacques Lacarrière publié par les défuntes éditions Jean-Michel Place, une monographie du poète, suivie de textes dudit. Je ne connais pas Paul Valet mais le réseau social Effe Bé, qui a de la mémoire, me rappelle que neuf ans et un jour plus tôt, j’avais partagé une photo de lui vieux, accompagné de ce texte : Exorciser les charognes les moufettes les remugles les égouts les fumiers les doctrines puantes toutes doctrines gluantes cloaque ammoniaque et j'ajoute toutes doctrines matraques.
 

1 ... « 88 89 90 91 92 93 94 » ... 362