Par un temps gris ce dimanche, après la tempête Eunice et avant la tempête Franklin, je lis des poèmes de Paul Valet, ceux figurant dans l’ouvrage de Jacques Lacarrière à lui consacré, autrefois paru chez Jean-Michel Place et en prélève ceci :
On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées
*
J’écris avec mes poings
Sans virgules
Sans points
Sans coco
Sans pernod
Sans muselière
Sans bandage herniaire
*
C’est ma petite personne
Qui m’empêche de voir grand
*
Forte tête
Trouble-fête
Mal incarné comme un ongle
Inapte au drapeau
Inapte au tombeau
*
Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant ni figue ni raisin
*
Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air
*
C’est par un jour douteux
A l’estomac délicat
Au nez pincé sec
Aux yeux cernés vides
Que je me suis vidé de toutes mes certitudes
*
C’est au fond du puits
Que le ciel respire
*
Etre pauvre en leçons
Enseigner les lacunes
*
Les paroles qui tranchent
Sont à double tranchant
*
Je suis loin de moi
Quand j’écris
*
Pour devenir épave
Il faut persévérer
*
Les pensées les plus mûres
Pourrissent les premières
*
Il n’y a pas de règle
Pour sombrer
*
Chaque larme
Me rapproche de la mer
*
Ma raison d’être
Est d’être sans raison
*
A quoi rêvent les couteaux
Dans leurs sombres tiroirs ?
*
J’ai si longtemps dormi dans la fosse commune
Que les lieux communs ne me font pas peur
*
Le vouloir vivre
Fait ramper la vie
*
Etre lucide
C’est perdre connaissance
*
Etre à la hauteur
De sa déchéance
*
Les grabataires voient le ciel
A sa juste hauteur
*
C’est un scandale que d’être ici plutôt que là
*
Et pourquoi ne pas agir en toute méconnaissance de cause ?
*
Je pense
Donc je fuis
*
Toute une vie mal partie
Comme la suite
D’un petit cri nouveau-né
*
Quelques lettres signées Paul Valet complètent le choix de poèmes fait par Jacques Lacarrière, dont j’extrais ceci :
Il est étrange que, dès qu’on écrit sur mes œuvres, on parle de suite d’Artaud, de Cioran, ou des deux à la fois. Cela m’étonne un peu, mais leur influence ayant été nulle sur moi, croyez-vous qu’il soit souhaitable d’appuyer sur un bouton, ou les deux boutons à la fois, dont chacun sonne dans un appartement que je n’habite pas ? (à Guy Benoit, le quinze novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq)
Notre époque est une maison qui brûle et l’on me demande de faire un poème sur l’amour avec le coucher de soleil comme décor… Mais tout ce que je puis faire, c’est de crier : AU FEU ! On a assassiné des millions d’innocents, une nouvelle boucherie se prépare, la violence devient de plus en plus raffinée, aiguisée, scientifique, méthodique… et l’on me demande de peindre des roses ! (à une lectrice, le dix-neuf mars mil neuf cent cinquante et un)
On me demande mon état-civil ; or, je n’ai aucune confiance en lui. Est-il vrai ? Est-il faux ? Je n’en sais rien. On me demande l’histoire de ma vie. Mais je ne supporte aucune conception chronologique de l’existence. Le passé est une « matière » qui n’existe plus. Quant à l’avenir, il est imaginaire et illusoire. Il ne me reste que le présent et ses oscillations. (à Pascal Pia, le treize novembre mil neuf cent soixante-dix)
*
Georges Schwartz naît en mil neuf cent cinq d’une mère polonaise et d’un père ukrainien vivant à Moscou. Il apprend le piano. A la Révolution d’Octobre, les biens de la famille sont saisis par les bolcheviks. Fuite en Pologne puis départ pour Paris avec son père afin d’être élève de Vincent d’Indy. Laisse tomber la musique pour devenir médecin. Prend pour femme une Polonaise. Tous deux deviennent Français. S’installe comme généraliste à Vitry-sur-Seine. Pendant l’Occupation, devient chef résistant en Haute-Loire sous le nom de Seguin. A la Libération, retour à Vitry où il apprend que son père, sa mère et sa sœur ont été gazés à Auschwitz. Rouvre son cabinet comme homéopathe et commence à écrire sous le nom de Paul Valet. Après une longue maladie, des troubles neurologiques qui le rendront paralysé, il meurt en mil neuf cent quatre-vingt-sept.
On ne libère pas l’homme de son rein flottant
Par une gaine élastique aux arêtes barbelées
*
J’écris avec mes poings
Sans virgules
Sans points
Sans coco
Sans pernod
Sans muselière
Sans bandage herniaire
*
C’est ma petite personne
Qui m’empêche de voir grand
*
Forte tête
Trouble-fête
Mal incarné comme un ongle
Inapte au drapeau
Inapte au tombeau
*
Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant ni figue ni raisin
*
Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air
*
C’est par un jour douteux
A l’estomac délicat
Au nez pincé sec
Aux yeux cernés vides
Que je me suis vidé de toutes mes certitudes
*
C’est au fond du puits
Que le ciel respire
*
Etre pauvre en leçons
Enseigner les lacunes
*
Les paroles qui tranchent
Sont à double tranchant
*
Je suis loin de moi
Quand j’écris
*
Pour devenir épave
Il faut persévérer
*
Les pensées les plus mûres
Pourrissent les premières
*
Il n’y a pas de règle
Pour sombrer
*
Chaque larme
Me rapproche de la mer
*
Ma raison d’être
Est d’être sans raison
*
A quoi rêvent les couteaux
Dans leurs sombres tiroirs ?
*
J’ai si longtemps dormi dans la fosse commune
Que les lieux communs ne me font pas peur
*
Le vouloir vivre
Fait ramper la vie
*
Etre lucide
C’est perdre connaissance
*
Etre à la hauteur
De sa déchéance
*
Les grabataires voient le ciel
A sa juste hauteur
*
C’est un scandale que d’être ici plutôt que là
*
Et pourquoi ne pas agir en toute méconnaissance de cause ?
*
Je pense
Donc je fuis
*
Toute une vie mal partie
Comme la suite
D’un petit cri nouveau-né
*
Quelques lettres signées Paul Valet complètent le choix de poèmes fait par Jacques Lacarrière, dont j’extrais ceci :
Il est étrange que, dès qu’on écrit sur mes œuvres, on parle de suite d’Artaud, de Cioran, ou des deux à la fois. Cela m’étonne un peu, mais leur influence ayant été nulle sur moi, croyez-vous qu’il soit souhaitable d’appuyer sur un bouton, ou les deux boutons à la fois, dont chacun sonne dans un appartement que je n’habite pas ? (à Guy Benoit, le quinze novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq)
Notre époque est une maison qui brûle et l’on me demande de faire un poème sur l’amour avec le coucher de soleil comme décor… Mais tout ce que je puis faire, c’est de crier : AU FEU ! On a assassiné des millions d’innocents, une nouvelle boucherie se prépare, la violence devient de plus en plus raffinée, aiguisée, scientifique, méthodique… et l’on me demande de peindre des roses ! (à une lectrice, le dix-neuf mars mil neuf cent cinquante et un)
On me demande mon état-civil ; or, je n’ai aucune confiance en lui. Est-il vrai ? Est-il faux ? Je n’en sais rien. On me demande l’histoire de ma vie. Mais je ne supporte aucune conception chronologique de l’existence. Le passé est une « matière » qui n’existe plus. Quant à l’avenir, il est imaginaire et illusoire. Il ne me reste que le présent et ses oscillations. (à Pascal Pia, le treize novembre mil neuf cent soixante-dix)
*
Georges Schwartz naît en mil neuf cent cinq d’une mère polonaise et d’un père ukrainien vivant à Moscou. Il apprend le piano. A la Révolution d’Octobre, les biens de la famille sont saisis par les bolcheviks. Fuite en Pologne puis départ pour Paris avec son père afin d’être élève de Vincent d’Indy. Laisse tomber la musique pour devenir médecin. Prend pour femme une Polonaise. Tous deux deviennent Français. S’installe comme généraliste à Vitry-sur-Seine. Pendant l’Occupation, devient chef résistant en Haute-Loire sous le nom de Seguin. A la Libération, retour à Vitry où il apprend que son père, sa mère et sa sœur ont été gazés à Auschwitz. Rouvre son cabinet comme homéopathe et commence à écrire sous le nom de Paul Valet. Après une longue maladie, des troubles neurologiques qui le rendront paralysé, il meurt en mil neuf cent quatre-vingt-sept.