Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A Paris le jour des septante et un ans

17 février 2022


Un jour gris ce mercredi seize février deux mille vingt-deux qui marque le septante et unième anniversaire de ma naissance. Arrivé à la Gare de Rouen, je range le parapluie au fond de mon sac à dos puisqu’à Paris il est possible de se déplacer sous terre.
C’est ainsi que par la sortie Traversière de la station Ledru-Rollin je débouche devant le Café du Faubourg. Il n’est que neuf heures aussi m’assois-je en salle, attendant que la serveuse débordée par la présence d’une dizaine de clients s’intéresse à moi. Mon café bu, je reprends Carnets d’un vieil amoureux de Marcel Mathiot, une lecture peu susceptible de me faire oublier mon âge, même si l’auteur a vingt ans de plus, toujours fringant.
Dans ce troquet nous sommes en mode dégradé. La propreté laisse à désirer, notamment dans les toilettes, et il faut subir la télé, une émission sur l’anorexie. Ce n’est pas l’ancienne équipe, celle d’avant-guerre, qui aurait toléré ça. Des clients du comptoir ne reste que le pire, un buveur de verres de vin blanc qui déblatère.
-C’est pour ça qu’il y a de plus en plus de lesbiennes sur la terre, parce que vous êtes vraiment des merdes, lui dit la serveuse, qui en est une, de celles qui paradoxalement s’ingénient à ressembler physiquement à un homme.
Entré chez Book-Off à dix heures, je trouve parmi les livres à un euro J’irai chanter sur vos tombes (Vian et Le Déserteur) de Marc Dufaud (Editions Invenit), une étude sur la réception de cette chanson en son temps, et l’étonnant Pisser à Paris (Guide pratique et culturel des WC gratuits) de Claude Lussac et Nathalie Marx (Editions du Pallio), logiquement rangé au rayon Voyage.
Un peu avant midi, de l’autre côté du carrefour, je trouve sous un immeuble l’entrée du passage de la Bonne Graine. Juste avant le coude à angle droit qui ramène vers la rue Ledru-Rollin est le restaurant Les Passagers de Beyrouth. Celle qui travaille près de la place de la Bastille y a réservé une table pour moi. Dès que j’en pousse la porte, je suis accueilli chaleureusement par le maître des lieux.
Un peu plus tard elle arrive et je lui sais gré de s’être rendue disponible pour fêter avec moi les septante et un ans, cela alors qu’elle souffre d’une fichue otite traitée par des médicaments qui la fatiguent. Deux autres duos déjeunent aussi dans la salle rustique ornée de lambris.
C’est un très bon moment et un très bon repas servi par un hôte fort sympathique. Nous dégustons la formule « Mezza pour deux personnes », laquelle se compose de huit variétés d’entrées froides et chaudes, d’un choix de grillades et d’une farandole de douceurs libanaises, tout cela accompagné d’un grand verre de citronnade fraîche, d’un verre de vin rouge de la plaine de la Bekaa fort boisé et de thé à la menthe.
Il est un peu plus de quatorze heures lorsque nous nous séparons à la station de métro Ledru-Rollin.
A la sortie principale de la station Opéra, l’ambiance est assurée par un joueur de cornemuse en kilt. Au second Book-Off, parmi les livres à un euro, je trouve le numéro Treize de la revue de littérature érotique Les Feuillets roses (L’Effeuillée rose) que publiait Nigel Gauvin à Etoile-sur-Rhône à la fin du siècle dernier, puis, ne supportant plus le mode dégradé avec radio franchouillarde de La Ville d’Argentan, j’attends l’heure de mon train de retour près de la station de métro Quatre Septembre, au bistrot Chez Edmond. Le personnel y est sympathique, la clientèle jeune et la musique électro propice à la lecture. A la table la plus proche, un duo masculin féminin travaille au scénario d’une série sentimentale on ne peut plus gnangnan.
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La façon d’exprimer son âge à la française, soixante-neuf soixante-dix soixante-et-onze, sans changer de dizaine, contribue à amoindrir la réalité du temps qui passe et vous rapproche de la catastrophe finale. Quand septante, à la belge ou à la suisse, montre clairement qu’une marche a été franchie. De même en est-il pour octante (huitante dans certains cantons) et nonante. Et que dire de ce foutu quatre-vingt. Avoir quatre fois vingt ans, quelle arnaque.