Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
18 septembre 2018
A l’heure où le soleil se lève, je descends sur le quai de la Seine, rive droite, où doit se tenir le coutumier Quai des Livres, ce grand déballage du stock d’associations, de professionnels et de particuliers, mais pour l’heure, c’est à peine si les voitures desdits sont là. Ma présence permet d’éviter à l’un d’eux qui a commencé à mettre ses tables côté Seine de faire une erreur. Les numéros des stands sont pourtant visibles côté pelouse, écrits cette année en chiffres énormes à la peinture rouge ou blanche. Ce salopage de la promenade est à mettre au compte de Rouen Conquérant, responsable de l’évènement.
Je vais quand même jusqu’à l’autre bout, constatant que les tentes du Salon des Ecrivains Normands où doivent s’installer des auteurs locaux, avec l’espoir de vendre leurs propres livres, sont loin d’être montées. Parmi les vendeurs de la partie la plus lointaine se trouve mon vieux copain d’école. Les mains sur les hanches, il ronchonne après un des organisateurs qui lui a dit de se mettre à gauche de tel numéro alors qu’il fallait comprendre à droite.
-Que tu sois d’un côté ou de l’autre, cela ne va pas changer grand-chose à ta vente de livres, lui dis-je.
-Oui mais ça fait du bien de râler, me répond-il, ce en quoi je l’approuve.
Lorsque je repars dans l’autre sens pas mal de vendeurs sont installés et j’ai la chance d’être parmi les premiers auprès d’un couple qui propose les livres de son père à elle à des prix très intéressants. Je les quitte avec un sac déjà bien lourd. Je trouve d’autres ouvrages ailleurs et quand je suis de nouveau à l’autre bout, mes deux sacs en plastique sont pleins. « Je parie qu’il y en a d’autres dans le sac à dos », persifle mon vieux copain. « Oui, les plus lourds, je vais devoir rentrer chez moi poser tout ça. »
Il est neuf heures. Les tentes des auteurs autoédités ne sont pas encore prêtes. Ceux-ci piaffent à proximité avec leur valise pleine de livres qui sera presque aussi lourde quand ils repartiront ce soir. Deux camions hollandais voulant ravitailler les bateaux de tourisme fluvial immatriculés là-bas sont bloqués par les cubes de béton à l’entrée des exposants. Il y a conflit avec les organisateurs qui refusent de les laisser passer.
A peine suis-je de retour que je fais de nouvelles trouvailles tandis que sur l’autre rive des marathoniens courent sous les applaudissements. Les auteurs locaux sont maintenant assis derrière leurs livres. Un chanteur, local lui aussi, de folk américain, s’apprête à leur donner l’aubade. Je n’en dirai pas plus car la seule fois où j’ai parlé de lui, j’ai reçu de sa part un mail incendiaire. Il est dix heures et demie, j’ai un sac rempli. Je rentre à nouveau afin de déjeuner tôt et d’y retourner.
Il y a davantage de monde lors de mon troisième passage et encore suffisamment de livres qui m’intéressent pour remplir deux sacs sous le soleil, car il fait très beau ce dimanche, pourtant c’est le jour de la Fête de l’Humanité. Bien que je n’aie pas couru quarante-deux kilomètres, ni même la moitié, ni même seulement dix (j’en serais bien incapable), j’ai les pieds épuisés et, lorsque je rejoins mon logement, je ne suis guère plus brillant que le couple de marathoniens que je suis puis dépasse rue Grand-Pont alors qu’ils rentrent chez eux en clopinant.
A l’arrivée, je fais le bilan de cette édition fructueuse : cinquante-cinq livres achetés pour une dépense de cinquante et un euros.
Parmi ceux-ci : Les wagons rouges, nouvelles de Stig Dagerman (Maurice Nadeau), Entretiens d’Arthur Schopenhauer (Criterion), La part obscure de nous-mêmes (Une histoire des pervers) d’Elisabeth Roudinesco (Albin Michel), Lettres intimes d’Eugène Delacroix (L’Imaginaire Gallimard), Ermite à Paris (Pages autobiographiques) d’Italo Calvino (Gallimard) et Chez Victor Hugo (Les tables tournantes de Jersey), le compte-rendu des séances de spiritisme par Vacquerie et les fils Hugo (Stock Plus).
*
La plus mal lotie des vendeuses : celle qui se trouve à côté du camion de la boulangerie Paul, subissant le bruit et les gaz du groupe électrogène.
*
Le plus bizarre des acheteurs : celui qui fait inscrire sur chaque livre par les vendeurs la formule suivante. « Acheté au Quai des Livres de Rouen », puis leur demande de dater et de signer,
-Il a peut-être besoin d’un alibi, me dit l’un d’eux.
*
Ceux qui ne vendent pas assez accusent le marathon qui bloque la moitié de la ville.
Je vais quand même jusqu’à l’autre bout, constatant que les tentes du Salon des Ecrivains Normands où doivent s’installer des auteurs locaux, avec l’espoir de vendre leurs propres livres, sont loin d’être montées. Parmi les vendeurs de la partie la plus lointaine se trouve mon vieux copain d’école. Les mains sur les hanches, il ronchonne après un des organisateurs qui lui a dit de se mettre à gauche de tel numéro alors qu’il fallait comprendre à droite.
-Que tu sois d’un côté ou de l’autre, cela ne va pas changer grand-chose à ta vente de livres, lui dis-je.
-Oui mais ça fait du bien de râler, me répond-il, ce en quoi je l’approuve.
Lorsque je repars dans l’autre sens pas mal de vendeurs sont installés et j’ai la chance d’être parmi les premiers auprès d’un couple qui propose les livres de son père à elle à des prix très intéressants. Je les quitte avec un sac déjà bien lourd. Je trouve d’autres ouvrages ailleurs et quand je suis de nouveau à l’autre bout, mes deux sacs en plastique sont pleins. « Je parie qu’il y en a d’autres dans le sac à dos », persifle mon vieux copain. « Oui, les plus lourds, je vais devoir rentrer chez moi poser tout ça. »
Il est neuf heures. Les tentes des auteurs autoédités ne sont pas encore prêtes. Ceux-ci piaffent à proximité avec leur valise pleine de livres qui sera presque aussi lourde quand ils repartiront ce soir. Deux camions hollandais voulant ravitailler les bateaux de tourisme fluvial immatriculés là-bas sont bloqués par les cubes de béton à l’entrée des exposants. Il y a conflit avec les organisateurs qui refusent de les laisser passer.
A peine suis-je de retour que je fais de nouvelles trouvailles tandis que sur l’autre rive des marathoniens courent sous les applaudissements. Les auteurs locaux sont maintenant assis derrière leurs livres. Un chanteur, local lui aussi, de folk américain, s’apprête à leur donner l’aubade. Je n’en dirai pas plus car la seule fois où j’ai parlé de lui, j’ai reçu de sa part un mail incendiaire. Il est dix heures et demie, j’ai un sac rempli. Je rentre à nouveau afin de déjeuner tôt et d’y retourner.
Il y a davantage de monde lors de mon troisième passage et encore suffisamment de livres qui m’intéressent pour remplir deux sacs sous le soleil, car il fait très beau ce dimanche, pourtant c’est le jour de la Fête de l’Humanité. Bien que je n’aie pas couru quarante-deux kilomètres, ni même la moitié, ni même seulement dix (j’en serais bien incapable), j’ai les pieds épuisés et, lorsque je rejoins mon logement, je ne suis guère plus brillant que le couple de marathoniens que je suis puis dépasse rue Grand-Pont alors qu’ils rentrent chez eux en clopinant.
A l’arrivée, je fais le bilan de cette édition fructueuse : cinquante-cinq livres achetés pour une dépense de cinquante et un euros.
Parmi ceux-ci : Les wagons rouges, nouvelles de Stig Dagerman (Maurice Nadeau), Entretiens d’Arthur Schopenhauer (Criterion), La part obscure de nous-mêmes (Une histoire des pervers) d’Elisabeth Roudinesco (Albin Michel), Lettres intimes d’Eugène Delacroix (L’Imaginaire Gallimard), Ermite à Paris (Pages autobiographiques) d’Italo Calvino (Gallimard) et Chez Victor Hugo (Les tables tournantes de Jersey), le compte-rendu des séances de spiritisme par Vacquerie et les fils Hugo (Stock Plus).
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La plus mal lotie des vendeuses : celle qui se trouve à côté du camion de la boulangerie Paul, subissant le bruit et les gaz du groupe électrogène.
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Le plus bizarre des acheteurs : celui qui fait inscrire sur chaque livre par les vendeurs la formule suivante. « Acheté au Quai des Livres de Rouen », puis leur demande de dater et de signer,
-Il a peut-être besoin d’un alibi, me dit l’un d’eux.
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Ceux qui ne vendent pas assez accusent le marathon qui bloque la moitié de la ville.
17 septembre 2018
Désappointé je suis en arrivant à la gare de Rouen ce samedi matin. Le train de neuf heures trois venant de Paris et allant au Havre est annoncé avec une heure de retard due à une panne d’aiguillage. Il devait m’emmener jusqu’à Bréauté où j’avais correspondance pour Fécamp. C’est mort.
Je vais au guichet où l’on rembourse mon billet. Mon envie de bord de mer étant pressante, j’en achète un autre pour Dieppe où a lieu le Festival International de Cerf-Volant, un évènement où je suis allé autrefois quand j’étais bien accompagné et auquel je n’avais pas envie de participer seul. Mon train part comme prévu à neuf heures douze.
Tout va bien, me dis-je au café du même nom peu après dix heures. Mon breuvage bu, je rejoins le bord de mer. Peu de cerfs-volants sont en l’air car ça ne souffle guère. Peu de vent, peu de mouvement, doit être un proverbe de cerf-voliste.
C’est surtout les grosses structures qui en pâtissent, que leurs propriétaires n’arrivent pas à faire décoller. Les drones tournant dans le ciel n’ont pas grand-chose à filmer. Cela n’empêche pas les envolées verbales du spiqueur québécois. Il vante la vingtième édition du « plus grand festival de cerfs-volants au monde » avec des participants « venus de partout ».
A midi, malgré le ciel noir, je m’installe à l’une des trois tables de trottoir de La Musardière d’où je commande une assiette de fruits de mer augmentée de douze bulots, des moules marinières frites maison et une tarte aux figues, avec pour boisson un quart de chardonnay.
A l’une des tables derrière la mienne est un couple récent de quinquagénaires dont la conversation est déjà affligeante. Elle : « J’vais prendre une petite photo et l’envoyer à Fabrice : devine où on est ? » A sa gauche, c’est le défilé de celles et ceux qui en cherchent une, dont beaucoup ont des chiens. Une femme transporte dans une poussette un chihuahua, ce chien dont le nom porte en lui les deux activités récurrentes de ces animaux.
Après avoir réglé une addition de trente euros quatre-vingts, je vais au Mieux Ici Qu’En Face pour le café, lequel est toujours à un euro. De sa terrasse sont visibles les cerfs-volants les plus hauts, ceux qui dépassent le toit des maisons de quatre ou cinq étages. Peu à peu le ciel devient bleu. Il l’est tout à fait lorsque je retourne en bord de mer. Le vent s’est levé. Tout a décollé. Je fais une série de photos, reconnaissant la plupart des engins aériens. Dans le domaine du cerf-volant, il y a peu de renouvellement.
Sur terre, en revanche, tout est différent, plots en béton, gosses pierres, rues barrées, voitures en travers et vigiles divers.
*
La question que se posent l’un à l’autre les cerfs-volistes quand ils se rencontrent à midi :
-T’as volé ce matin ?
*
Un jeune couple sur la plage vers onze heures. Elle : « On va aller manger, comme ça ce sera fait. »
Je vais au guichet où l’on rembourse mon billet. Mon envie de bord de mer étant pressante, j’en achète un autre pour Dieppe où a lieu le Festival International de Cerf-Volant, un évènement où je suis allé autrefois quand j’étais bien accompagné et auquel je n’avais pas envie de participer seul. Mon train part comme prévu à neuf heures douze.
Tout va bien, me dis-je au café du même nom peu après dix heures. Mon breuvage bu, je rejoins le bord de mer. Peu de cerfs-volants sont en l’air car ça ne souffle guère. Peu de vent, peu de mouvement, doit être un proverbe de cerf-voliste.
C’est surtout les grosses structures qui en pâtissent, que leurs propriétaires n’arrivent pas à faire décoller. Les drones tournant dans le ciel n’ont pas grand-chose à filmer. Cela n’empêche pas les envolées verbales du spiqueur québécois. Il vante la vingtième édition du « plus grand festival de cerfs-volants au monde » avec des participants « venus de partout ».
A midi, malgré le ciel noir, je m’installe à l’une des trois tables de trottoir de La Musardière d’où je commande une assiette de fruits de mer augmentée de douze bulots, des moules marinières frites maison et une tarte aux figues, avec pour boisson un quart de chardonnay.
A l’une des tables derrière la mienne est un couple récent de quinquagénaires dont la conversation est déjà affligeante. Elle : « J’vais prendre une petite photo et l’envoyer à Fabrice : devine où on est ? » A sa gauche, c’est le défilé de celles et ceux qui en cherchent une, dont beaucoup ont des chiens. Une femme transporte dans une poussette un chihuahua, ce chien dont le nom porte en lui les deux activités récurrentes de ces animaux.
Après avoir réglé une addition de trente euros quatre-vingts, je vais au Mieux Ici Qu’En Face pour le café, lequel est toujours à un euro. De sa terrasse sont visibles les cerfs-volants les plus hauts, ceux qui dépassent le toit des maisons de quatre ou cinq étages. Peu à peu le ciel devient bleu. Il l’est tout à fait lorsque je retourne en bord de mer. Le vent s’est levé. Tout a décollé. Je fais une série de photos, reconnaissant la plupart des engins aériens. Dans le domaine du cerf-volant, il y a peu de renouvellement.
Sur terre, en revanche, tout est différent, plots en béton, gosses pierres, rues barrées, voitures en travers et vigiles divers.
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La question que se posent l’un à l’autre les cerfs-volistes quand ils se rencontrent à midi :
-T’as volé ce matin ?
*
Un jeune couple sur la plage vers onze heures. Elle : « On va aller manger, comme ça ce sera fait. »
14 septembre 2018
La météo est formelle pour ce mercredi : pluie à Rouen, ciel bleu à Paris. Le gris est remplacé par du bleu à hauteur de la centrale de Porcheville. Juste après, le train longe l’autoroute. C’est un passage que j’aime bien et je me débrouille toujours pour avoir les yeux levés de mon livre à ce moment-là.
Il fait bien beau quand je sors de terre à Ledru-Rollin. Je passe le temps qu’il faut chez Book-Off, au marché d’Aligre et chez Emmaüs sans guère charger mon sac, puis je me mets en quête d’un restaurant avec une terrasse à l’ombre.
Je le trouve boulevard Richard-Lenoir, sobrement nommé Le Paris. A midi pile, je m’y installe à l’une des tables située de part et d’autre de l’entrée. A ma droite sont deux jeunes femmes amies. J’opte pour un menu complet que note sur son carnet le jeune serveur dynamique : salade du chef, saucisson de Lyon purée maison sauce aux oignons et tiramisu, cela accompagné d’un quart de brouilly.
L’intérieur du restaurant s’emplit de nombre d’habitué(e)s. Les deux amies ont une vraie conversation, chacune écoutant l’autre. Je trouve bon ce que je mange mais peu copieux le dessert. Après avoir réglé vingt et un euros, je rejoins le port de l’Arsenal.
J’y trouve une place à l’ombre afin de poursuivre la lecture exhaustive des Fables de La Fontaine. Cela me permet d’oublier temporairement quelques soucis récents. Quand le soleil arrive à mes pieds, j’attrape un bus Vingt-Neuf et en descends à Opéra Quatre Septembre.
Après un café bu au comptoir du Bistrot d’Edmond où le serveur est stressé quel que soit le temps, je fais le tour du second Book-Off. Parmi les quelques livres à un euro que je mets dans mon panier, Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart (Seuil), ouvrage dans lequel elle évoque son géniteur, l’auteur de L’Etabli, ancien maoïste devenu mutique.
Dans la bétaillère du retour, j’ai place non loin d’une femme d’un âge certain à chapeau de paille et vêture paysanne. Elle n’a pas composté son billet, ce que lui reproche le contrôleur. Il fallait l’arrêter quand il est passé la première fois.
-Je suis fatiguée, je dormais à moitié, ment-elle efficacement.
Le ciel est gris à l’arrivée, mais on dirait qu’il n’a pas plu à Rouen.
*
Rue de Charonne, sur un mur près d’Emmaüs : « Ta mère aurait dû t’avaler. »
*
Rachid Taha, je l’ai vu sur scène il y a bien des années, au temps de Carte de Séjour quand il chantait Douce France. C’était à Val-de-Reuil pour la Fête de la Rose, sur l’île du Roi il me semble. Dans cette ville alors, nul jeune homme barbu, nulle jeune femme voilée.
Dans la nuit de mardi à mercredi, aux Lilas, il est mort d’une crise cardiaque. Il avait cinquante-neuf ans.
Il fait bien beau quand je sors de terre à Ledru-Rollin. Je passe le temps qu’il faut chez Book-Off, au marché d’Aligre et chez Emmaüs sans guère charger mon sac, puis je me mets en quête d’un restaurant avec une terrasse à l’ombre.
Je le trouve boulevard Richard-Lenoir, sobrement nommé Le Paris. A midi pile, je m’y installe à l’une des tables située de part et d’autre de l’entrée. A ma droite sont deux jeunes femmes amies. J’opte pour un menu complet que note sur son carnet le jeune serveur dynamique : salade du chef, saucisson de Lyon purée maison sauce aux oignons et tiramisu, cela accompagné d’un quart de brouilly.
L’intérieur du restaurant s’emplit de nombre d’habitué(e)s. Les deux amies ont une vraie conversation, chacune écoutant l’autre. Je trouve bon ce que je mange mais peu copieux le dessert. Après avoir réglé vingt et un euros, je rejoins le port de l’Arsenal.
J’y trouve une place à l’ombre afin de poursuivre la lecture exhaustive des Fables de La Fontaine. Cela me permet d’oublier temporairement quelques soucis récents. Quand le soleil arrive à mes pieds, j’attrape un bus Vingt-Neuf et en descends à Opéra Quatre Septembre.
Après un café bu au comptoir du Bistrot d’Edmond où le serveur est stressé quel que soit le temps, je fais le tour du second Book-Off. Parmi les quelques livres à un euro que je mets dans mon panier, Le jour où mon père s’est tu de Virginie Linhart (Seuil), ouvrage dans lequel elle évoque son géniteur, l’auteur de L’Etabli, ancien maoïste devenu mutique.
Dans la bétaillère du retour, j’ai place non loin d’une femme d’un âge certain à chapeau de paille et vêture paysanne. Elle n’a pas composté son billet, ce que lui reproche le contrôleur. Il fallait l’arrêter quand il est passé la première fois.
-Je suis fatiguée, je dormais à moitié, ment-elle efficacement.
Le ciel est gris à l’arrivée, mais on dirait qu’il n’a pas plu à Rouen.
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Rue de Charonne, sur un mur près d’Emmaüs : « Ta mère aurait dû t’avaler. »
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Rachid Taha, je l’ai vu sur scène il y a bien des années, au temps de Carte de Séjour quand il chantait Douce France. C’était à Val-de-Reuil pour la Fête de la Rose, sur l’île du Roi il me semble. Dans cette ville alors, nul jeune homme barbu, nulle jeune femme voilée.
Dans la nuit de mardi à mercredi, aux Lilas, il est mort d’une crise cardiaque. Il avait cinquante-neuf ans.
13 septembre 2018
S’il est une lecture qui se passe de commentaires, c’est celle de la Correspondance de concert de Glenn Gould publié avec son Journal d’une crise par Fayard en deux mille deux :
C’est très généreux de votre part de me proposer d’habiter chez vous lorsque je serai à Winnipeg. La plus stricte honnêteté m’oblige cependant à vous dire que le maintien de la bonne santé mentale de votre foyer commande que vous rejetiez l’idée même de m’avoir comme hôte. A W.D. Hurst, le quinze janvier mil neuf cent cinquante-huit
Je vous avais dit « pas de cachet », et c’était sérieux ! Je vous retourne donc le chèque et vous voudrez bien en utiliser le montant pour acheter à l’intention de vos choristes des épaulettes ou toute autre guipure qui leur conviendra. A Roy Frankel, le treize juin mil neuf cent cinquante-huit
La Sonate de Berg, curieusement, est de deux minutes plus longue que dans mon ancienne version pour Hallmark. Cela signifie probablement que la sénilité me guette. En tout cas, c’est une version très expansive répondant exactement à ce que je cherchais. Je serais fort étonné si je n’en tirais pas une certaine fierté. A Cynthia Millman, le sept juillet mil neuf cent cinquante-huit
J’ai pris la liberté d’abuser de votre nature généreuse et de vos talents évidents d’aide de camp en vous expédiant de Bruxelles deux appareils de chauffage dont j’ai fait l’acquisition à Salzbourg. Ils ne disposaient hélas pas du voltage adéquat pour produire la moindre chaleur à Bruxelles. J’espère qu’il en ira autrement à Berlin ! Au Capitaine Richard O’Hagan, le vingt-neuf août mil neuf cent cinquante-huit
J’ai été très content d’avoir de vos nouvelles ; c’est si gentil à vous de faire des suggestions pour Noël. Pourtant, me connaissant comme vous me connaissez, vous ne me trouverez pas, j’en suis sûr, trop asocial si je décourage toutes vos idées de divertissement pour cette époque de l’année. A Edward Viets, le neuf septembre mil neuf cent cinquante-huit
Pour le moment, tout se passe bien à Stockholm, à l’exception du représentant local de Steinway qui, pour une raison inexplicable, semble très ennuyé que je joue un Bechstein. A Walter Homburger, le deux octobre mil neuf cent cinquante-huit
J’ai parlé deux fois aujourd’hui avec Kollitsch. Il est comme toujours plein de sollicitude, mais s’inquiète évidemment aussi de savoir si je jouerai mon récital vendredi. Je lui ai déclaré sans ambages qu’il n’était pas question que je bouge de mon lit (au demeurant fort confortable !) tant que durera cette fièvre exotique avec son assortiment de douleurs et de faiblesse. A Walter Homburger, le dix-huit octobre mil neuf cent cinquante-huit
Qu’en est-il du voyage Florence-Turin ? Est-ce que j’y vais à pied ou en auto-stop ? A Walter Homburger, le trente octobre mil neuf cent cinquante-huit
Ma manière d’écrire pour le piano a l’habitude d’être beaucoup trop dense et de donner à la main gauche une texture de pédalier d’orgue, ce qui a pour résultat de la rendre injouable sauf pour un violoncelle. A David Diamond, le vingt-trois février mil neuf cent cinquante-neuf
Et voilà donc qu’à la suite d’une subite lubie, je me suis retrouvé à la tête d’un domaine situé à une trentaine de kilomètres au nord de Toronto, répondant au doux nom de « Donchery ». Ce fut un vrai coup de foudre qui dura… jusqu’au lendemain de la signature du bail. A Edith Boecker, le vingt et un janvier mil neuf cent soixante
Merci de votre lettre ; je suis rentré récemment d’un séjour de dix semaines à Philadelphie où j’ai été soigné par un chirurgien orthopédiste très réputé. Quatre de ces semaines ont été passées dans un plâtre qui me recouvrait tout le corps, immobilisant mon bras, les deux autres semaines étant consacrées à de la physiothérapie. A Abe Cohen, le sept juin mil neuf cent soixante
Pour répondre à votre question concernant mes rituels d’avant concert, je trouve effectivement que l’eau chaude constitue un très efficace décontractant musculaire et il est vrai que je porte tout au long de l’année des gants spécialement conçus pour moi. Ces gants, cependant, n’ont pas pour but d’amuser la galerie, mais ont une raison éminemment pratique qui consiste à assurer à mes mains une température constate lorsque je me trouve dans des auditoriums mal chauffés. A un admirateur, Robert Wolverton, le quatorze septembre mil neuf cent soixante
Je suis ravi de pouvoir vous annoncer que mon épaule droite va beaucoup mieux, qu’il n’y avait là rien de bien grave, et que tous ces problèmes n’ont été dus qu’au fait d’avoir porté un peu étourdiment une valise trop lourde. A Anahid Alexanian, le vingt-trois septembre mil neuf cent soixante
Glenn Gould joua pour la dernière fois en concert le dix avril mil neuf cent soixante-quatre à Chicago.
C’est très généreux de votre part de me proposer d’habiter chez vous lorsque je serai à Winnipeg. La plus stricte honnêteté m’oblige cependant à vous dire que le maintien de la bonne santé mentale de votre foyer commande que vous rejetiez l’idée même de m’avoir comme hôte. A W.D. Hurst, le quinze janvier mil neuf cent cinquante-huit
Je vous avais dit « pas de cachet », et c’était sérieux ! Je vous retourne donc le chèque et vous voudrez bien en utiliser le montant pour acheter à l’intention de vos choristes des épaulettes ou toute autre guipure qui leur conviendra. A Roy Frankel, le treize juin mil neuf cent cinquante-huit
La Sonate de Berg, curieusement, est de deux minutes plus longue que dans mon ancienne version pour Hallmark. Cela signifie probablement que la sénilité me guette. En tout cas, c’est une version très expansive répondant exactement à ce que je cherchais. Je serais fort étonné si je n’en tirais pas une certaine fierté. A Cynthia Millman, le sept juillet mil neuf cent cinquante-huit
J’ai pris la liberté d’abuser de votre nature généreuse et de vos talents évidents d’aide de camp en vous expédiant de Bruxelles deux appareils de chauffage dont j’ai fait l’acquisition à Salzbourg. Ils ne disposaient hélas pas du voltage adéquat pour produire la moindre chaleur à Bruxelles. J’espère qu’il en ira autrement à Berlin ! Au Capitaine Richard O’Hagan, le vingt-neuf août mil neuf cent cinquante-huit
J’ai été très content d’avoir de vos nouvelles ; c’est si gentil à vous de faire des suggestions pour Noël. Pourtant, me connaissant comme vous me connaissez, vous ne me trouverez pas, j’en suis sûr, trop asocial si je décourage toutes vos idées de divertissement pour cette époque de l’année. A Edward Viets, le neuf septembre mil neuf cent cinquante-huit
Pour le moment, tout se passe bien à Stockholm, à l’exception du représentant local de Steinway qui, pour une raison inexplicable, semble très ennuyé que je joue un Bechstein. A Walter Homburger, le deux octobre mil neuf cent cinquante-huit
J’ai parlé deux fois aujourd’hui avec Kollitsch. Il est comme toujours plein de sollicitude, mais s’inquiète évidemment aussi de savoir si je jouerai mon récital vendredi. Je lui ai déclaré sans ambages qu’il n’était pas question que je bouge de mon lit (au demeurant fort confortable !) tant que durera cette fièvre exotique avec son assortiment de douleurs et de faiblesse. A Walter Homburger, le dix-huit octobre mil neuf cent cinquante-huit
Qu’en est-il du voyage Florence-Turin ? Est-ce que j’y vais à pied ou en auto-stop ? A Walter Homburger, le trente octobre mil neuf cent cinquante-huit
Ma manière d’écrire pour le piano a l’habitude d’être beaucoup trop dense et de donner à la main gauche une texture de pédalier d’orgue, ce qui a pour résultat de la rendre injouable sauf pour un violoncelle. A David Diamond, le vingt-trois février mil neuf cent cinquante-neuf
Et voilà donc qu’à la suite d’une subite lubie, je me suis retrouvé à la tête d’un domaine situé à une trentaine de kilomètres au nord de Toronto, répondant au doux nom de « Donchery ». Ce fut un vrai coup de foudre qui dura… jusqu’au lendemain de la signature du bail. A Edith Boecker, le vingt et un janvier mil neuf cent soixante
Merci de votre lettre ; je suis rentré récemment d’un séjour de dix semaines à Philadelphie où j’ai été soigné par un chirurgien orthopédiste très réputé. Quatre de ces semaines ont été passées dans un plâtre qui me recouvrait tout le corps, immobilisant mon bras, les deux autres semaines étant consacrées à de la physiothérapie. A Abe Cohen, le sept juin mil neuf cent soixante
Pour répondre à votre question concernant mes rituels d’avant concert, je trouve effectivement que l’eau chaude constitue un très efficace décontractant musculaire et il est vrai que je porte tout au long de l’année des gants spécialement conçus pour moi. Ces gants, cependant, n’ont pas pour but d’amuser la galerie, mais ont une raison éminemment pratique qui consiste à assurer à mes mains une température constate lorsque je me trouve dans des auditoriums mal chauffés. A un admirateur, Robert Wolverton, le quatorze septembre mil neuf cent soixante
Je suis ravi de pouvoir vous annoncer que mon épaule droite va beaucoup mieux, qu’il n’y avait là rien de bien grave, et que tous ces problèmes n’ont été dus qu’au fait d’avoir porté un peu étourdiment une valise trop lourde. A Anahid Alexanian, le vingt-trois septembre mil neuf cent soixante
Glenn Gould joua pour la dernière fois en concert le dix avril mil neuf cent soixante-quatre à Chicago.
12 septembre 2018
Des mois d’attente pour consulter le moindre dermatologue mais pour l’oto-rhino-laryngologiste une semaine et c’est bon. Ce pourquoi lundi matin, je me dirige vers la gare près de laquelle j’ai rendez-vous à neuf heures avec celui que m’a conseillé mon médecin traitant. Il s’agit d’essayer de savoir pourquoi j’entends trop. En terme médical, pourquoi je souffre d’hyperacousie.
L’ascenseur ouvre directement sur le cabinet médical. Une secrétaire prend quelques renseignements sur mon compte. Je dois lui épeler le nom de ma rue.
-C’est lundi matin, c’est pour ça, trouve-t-elle pour excuse.
Elle conserve le courrier de mon médecin et ma carte vitale. Je vais m’asseoir dans la salle d’attente dont les murs sont ornés de reproductions de tableaux de Matisse. Grâce à la fenêtre ouverte j’entends on ne peut mieux le bruit des engins et la conversation imagée des ouvriers « putain, ça fait chier, putain » du chantier de construction d’un hôtel cinq étoiles.
Ce n’est qu’à neuf heures et quart que se présente le spécialiste des oreilles, du nez et de la gorge. Il m’interroge avec précision mais la plupart de ses questions sont celles que l’on pose à un malentendant. Puis il m’examine le dedans des oreilles avec de l’appareillage électronique. Tout est normal. Enfin il me fait passer un test d’audition. J’entends parfaitement les aigus et les basses, ainsi que les mots de deux syllabes prononcés de plus en plus bas dans le casque.
Il ressort de tout cela que je ne souffre pas d’insuffisance auditive. Quant à savoir pourquoi j’ai l’impression d’entendre trop depuis quelques années, c’est moins clair. Cela doit se passer dans le cerveau, à l’endroit où sont traités les sons.
Je règle la somme de soixante-sept euros à l’homme en blouse blanche. Sauf problème inattendu, nous ne nous reverrons pas.
*
Dix internes, filles et garçons, l’autre midi à la terrasse du Son du Cor. Sept prennent une pinte ; cinq fument ; pour déjeuner tout à l’heure, ce sera au restaurant de burgueurs. Un jour, ils culpabiliseront leurs patients, dont ils jugeront mauvaise l’hygiène de vie.
Leur conversation est de salle de garde dans un premier temps, puis ils évoquent les différents stages à faire pendant leurs études. Un bon plan : demander le Samu d’Evreux avant les exams. Il ne s’y passe pas grand-chose. Cela permet de réviser.
*
Ce lundi matin, comme beaucoup d’autres usagers, je me heurte à la porte de la Poste Principale, rue de la Jeanne, fermée jusqu’à treize heures trente pour raison exceptionnelle.
J’y retourne vers seize heures et demande à l’un des postiers la cause de cette fermeture imprévue.
-C’est deux pontes qui sont venus de Paris pour nous prêcher la bonne parole. Nous, on s’en fout et ça fait chier tout le monde. Résultat : on passe l’après-midi à se faire engueuler.
L’ascenseur ouvre directement sur le cabinet médical. Une secrétaire prend quelques renseignements sur mon compte. Je dois lui épeler le nom de ma rue.
-C’est lundi matin, c’est pour ça, trouve-t-elle pour excuse.
Elle conserve le courrier de mon médecin et ma carte vitale. Je vais m’asseoir dans la salle d’attente dont les murs sont ornés de reproductions de tableaux de Matisse. Grâce à la fenêtre ouverte j’entends on ne peut mieux le bruit des engins et la conversation imagée des ouvriers « putain, ça fait chier, putain » du chantier de construction d’un hôtel cinq étoiles.
Ce n’est qu’à neuf heures et quart que se présente le spécialiste des oreilles, du nez et de la gorge. Il m’interroge avec précision mais la plupart de ses questions sont celles que l’on pose à un malentendant. Puis il m’examine le dedans des oreilles avec de l’appareillage électronique. Tout est normal. Enfin il me fait passer un test d’audition. J’entends parfaitement les aigus et les basses, ainsi que les mots de deux syllabes prononcés de plus en plus bas dans le casque.
Il ressort de tout cela que je ne souffre pas d’insuffisance auditive. Quant à savoir pourquoi j’ai l’impression d’entendre trop depuis quelques années, c’est moins clair. Cela doit se passer dans le cerveau, à l’endroit où sont traités les sons.
Je règle la somme de soixante-sept euros à l’homme en blouse blanche. Sauf problème inattendu, nous ne nous reverrons pas.
*
Dix internes, filles et garçons, l’autre midi à la terrasse du Son du Cor. Sept prennent une pinte ; cinq fument ; pour déjeuner tout à l’heure, ce sera au restaurant de burgueurs. Un jour, ils culpabiliseront leurs patients, dont ils jugeront mauvaise l’hygiène de vie.
Leur conversation est de salle de garde dans un premier temps, puis ils évoquent les différents stages à faire pendant leurs études. Un bon plan : demander le Samu d’Evreux avant les exams. Il ne s’y passe pas grand-chose. Cela permet de réviser.
*
Ce lundi matin, comme beaucoup d’autres usagers, je me heurte à la porte de la Poste Principale, rue de la Jeanne, fermée jusqu’à treize heures trente pour raison exceptionnelle.
J’y retourne vers seize heures et demande à l’un des postiers la cause de cette fermeture imprévue.
-C’est deux pontes qui sont venus de Paris pour nous prêcher la bonne parole. Nous, on s’en fout et ça fait chier tout le monde. Résultat : on passe l’après-midi à se faire engueuler.
11 septembre 2018
Dès potron-jacquet, ce dimanche, j’arrive dans le quartier populaire de la Croix de Pierre où c’est le vide grenier annuel. Comme d’habitude, les déballeurs s’y installent doucement, ce qui m’oblige à plusieurs allers et retours. Au bout d’un moment, je découvre un gisement de cédés dont plusieurs pourraient m’intéresser. Je demande le prix à celui qui est derrière le stand, un cafetier que je connais.
-Ce n’est pas à moi, elle arrive.
Elle arrive en effet, c’est une vieille femme que je connais également et avec qui j’ai de temps en temps des échanges plutôt chaleureux.
-C’est trois euros ou cinq les doubles, me dit-elle.
J’en repose quatre, ne gardant que Vélo Va de Dick Annegarn et Ici-bas, ici-même de Miossec. Dans ce dernier, point de livret.
-Il est complet ?
-J’en sais rien, me répond sa vendeuse peu aimablement.
-Je me demande s’il n’y avait pas un livret.
-J’en sais rien, me répète-t-elle encore plus agressivement, et puis je suis stressée.
Je repose les deux cédés. La vieillesse n’excuse pas tout, et elle me rend service en me dissuadant d’acheter ses cédés alors que je suis devenu incapable d’écouter ceux que je possède.
-Il a de l’argent, se permet de dire le cafetier derrière mon dos, tandis que je m’éloigne. Comme si le problème avait été le prix. Je fréquentais sa terrasse, rue Armand-Carrel, quand celle du Son du Cor était à l’ombre, à l’époque (avec ou sans majuscule) où je n’avais pas repéré celle plus agréable du Sacre.
Foin de ce malotru et de cette mal embouchée, Je suis mieux accueilli chez les anars de L’Insoumise. J’y fais provision de livres à trois pour un euro, dont plusieurs qu’arrivé à la maison je regretterai sûrement d’avoir achetés, mais c’est pour une bonne cause. Un peu plus loin, je me vois offrir par un garçon de ma connaissance Une très légère oscillation (Journal 2014-2017) de Sylvain Tesson (Equateurs), ce dont je le remercie fort.
Un autre vide grenier a lieu ce dimanche, celui très couru d’Isneauville, commune bourgeoise de l’agglomération rouennaise. Y aller ou non, j’hésite puis décide que oui. Pour cela, j’attends le bus Onze devant l’Hôtel de Ville. Sa conductrice m’apprend que des voitures mal garées l’empêcheront d’aller plus loin que la Jardinerie.
Il me faut donc marcher d’abord jusqu’au Lycée, puis suivre la grand-route, le long de laquelle depuis mon dernier passage des immeubles d’habitat collectif ont remplacé les exploitations maraîchères. Enfin j’arrive au carrefour à feux tricolores. La rue principale est à gauche, où débute le déballage protégé par un camion de la voierie mis en travers. Il est dix heures et demie et la foule est là. Parmi les premiers vendeurs un garçon de ma connaissance me salue, à qui je dis que j’ai préféré commencer par la Croix de Pierre où l’espoir de trouver des livres à mon goût était plus grand. Ici, au moins, ce sera une promenade à la campagne. De moins en moins la campagne, me répond-il évoquant les nouvelles constructions.
En fait de promenade, ce n’est pas ça non plus. Il me faut slalomer en gardant mon calme parmi toutes ces personnes qui ont choisi ce lieu comme sortie dominicale avec leurs multiples moutards. « Dès ma sortie de la maternité j’envisageais le suivant », déclare l’une.
Je m’astreins cependant à faire tout le parcours de ce qui ressemble à la rue du Gros-Horloge un samedi après-midi. Ce n’est pas bon pour le commerce. On ne voit pas la marchandise. « J’ai bien cru que je n’arriverais pas à rembourser ma place », déclare une vendeuse. Je ne sors mon porte-monnaie que pour acheter trois pots de confiture de framboise (cinq euros le tout).
Il est midi quand je suis de retour au point de départ. J’en ai plein les bottes (comme on dit) et je dois encore rejoindre pédestrement l’arrêt de la Jardinerie pour attraper le bus de midi trente (le prochain une heure plus tard).
*
Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où patrouillent des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs.
-Ce n’est pas à moi, elle arrive.
Elle arrive en effet, c’est une vieille femme que je connais également et avec qui j’ai de temps en temps des échanges plutôt chaleureux.
-C’est trois euros ou cinq les doubles, me dit-elle.
J’en repose quatre, ne gardant que Vélo Va de Dick Annegarn et Ici-bas, ici-même de Miossec. Dans ce dernier, point de livret.
-Il est complet ?
-J’en sais rien, me répond sa vendeuse peu aimablement.
-Je me demande s’il n’y avait pas un livret.
-J’en sais rien, me répète-t-elle encore plus agressivement, et puis je suis stressée.
Je repose les deux cédés. La vieillesse n’excuse pas tout, et elle me rend service en me dissuadant d’acheter ses cédés alors que je suis devenu incapable d’écouter ceux que je possède.
-Il a de l’argent, se permet de dire le cafetier derrière mon dos, tandis que je m’éloigne. Comme si le problème avait été le prix. Je fréquentais sa terrasse, rue Armand-Carrel, quand celle du Son du Cor était à l’ombre, à l’époque (avec ou sans majuscule) où je n’avais pas repéré celle plus agréable du Sacre.
Foin de ce malotru et de cette mal embouchée, Je suis mieux accueilli chez les anars de L’Insoumise. J’y fais provision de livres à trois pour un euro, dont plusieurs qu’arrivé à la maison je regretterai sûrement d’avoir achetés, mais c’est pour une bonne cause. Un peu plus loin, je me vois offrir par un garçon de ma connaissance Une très légère oscillation (Journal 2014-2017) de Sylvain Tesson (Equateurs), ce dont je le remercie fort.
Un autre vide grenier a lieu ce dimanche, celui très couru d’Isneauville, commune bourgeoise de l’agglomération rouennaise. Y aller ou non, j’hésite puis décide que oui. Pour cela, j’attends le bus Onze devant l’Hôtel de Ville. Sa conductrice m’apprend que des voitures mal garées l’empêcheront d’aller plus loin que la Jardinerie.
Il me faut donc marcher d’abord jusqu’au Lycée, puis suivre la grand-route, le long de laquelle depuis mon dernier passage des immeubles d’habitat collectif ont remplacé les exploitations maraîchères. Enfin j’arrive au carrefour à feux tricolores. La rue principale est à gauche, où débute le déballage protégé par un camion de la voierie mis en travers. Il est dix heures et demie et la foule est là. Parmi les premiers vendeurs un garçon de ma connaissance me salue, à qui je dis que j’ai préféré commencer par la Croix de Pierre où l’espoir de trouver des livres à mon goût était plus grand. Ici, au moins, ce sera une promenade à la campagne. De moins en moins la campagne, me répond-il évoquant les nouvelles constructions.
En fait de promenade, ce n’est pas ça non plus. Il me faut slalomer en gardant mon calme parmi toutes ces personnes qui ont choisi ce lieu comme sortie dominicale avec leurs multiples moutards. « Dès ma sortie de la maternité j’envisageais le suivant », déclare l’une.
Je m’astreins cependant à faire tout le parcours de ce qui ressemble à la rue du Gros-Horloge un samedi après-midi. Ce n’est pas bon pour le commerce. On ne voit pas la marchandise. « J’ai bien cru que je n’arriverais pas à rembourser ma place », déclare une vendeuse. Je ne sors mon porte-monnaie que pour acheter trois pots de confiture de framboise (cinq euros le tout).
Il est midi quand je suis de retour au point de départ. J’en ai plein les bottes (comme on dit) et je dois encore rejoindre pédestrement l’arrêt de la Jardinerie pour attraper le bus de midi trente (le prochain une heure plus tard).
*
Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où patrouillent des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs.
10 septembre 2018
Vers sept heures, ce samedi, je prends place dans le bus Teor Un qui mène à Mont-Saint-Aignan. Environ un tiers des voyageurs ne valident pas de titre de transport. Il est tôt, c’est le ouiquennede, les contrôleurs ne bossent pas. C’est ce que l’on croit jusqu’au jour où on se fait choper. « Freins puissants, pour votre sécurité tenez-vous aux barres de maintien », indique le message défilant. Il y aurait bien eu un accident récemment. Je descends à Campus et rejoins le parquigne de la Fac de Lettres où se tient le vide grenier annuel, rien à voir avec l’Université.
J’en parcours les allées sans y trouver grand-chose mais n’en repars pas bredouille. Dans mon sac : Plume, pinceau et poison d’Oscar Wilde et Traité de la cabane solitaire d’Antoine Marcel, l’un et l’autre publiés par Arléa, un euro les deux, et Sonderkommando (Dans l’enfer des chambres à gaz) de Shlomo Venezia avec une préface de Simone Veil, publié chez Albin Michel , un euro.
Je suis rentré bien avant que commence le concert hebdomadaire de carillon. Je l’écoute sur le banc du jardin en terminant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. A Colchiques dans les prés succède San Francisco de Maxime Le Forestier.
L’après-midi, je prends un café verre d’eau à la terrasse du Sacre en lisant les Carnets de Kazimierz Brandys quand la Marche pour le Climat arrive place du Vieux. Cette initiative citoyenne (comme ils disent) est née à Paris suite à la démission du Hulot et a fait des petits en province. Elles et eux sont quelques centaines à défiler, que j’entends plus que je ne vois, criant des slogans tout en tapant dans leurs mains en cadence: « C’est pas le climat qu’il faut changer, c’est le système qu’il faut changer » « La pollution, la surconsommation, ça nous mène à l’extinction ».
Pendant ce temps, dans toute la ville, des dizaines de milliers d’autres se mobilisent contre le climat. Leur manifestation a pour nom Grande Braderie de Rouen.
Et jeudi dernier, au Havre, Bruno le Maire, Ministre de l’Economie, et Elisabeth Borne, Ministre des Transports et subalterne du Ministre de la Transition Ecologique, inauguraient au Havre le plus gros porte-conteneur à pavillon français, dont les boîtes sont pleines de marchandises fabriquées en Chine, parmi lesquelles celles qui remplaceront les bradées d’aujourd’hui, avant de l’être à leur tour.
*
Il faudrait dire : « Marche pour que l’évolution du climat reste compatible avec le maintien de l’espèce humaine sur terre ».
*
La surconsommation, c’est toujours la consommation de l’autre.
*
Avec De Rugy pour Ministre de la Transition Ecologique, lui qui a fait voter l’Assemblée Nationale sur le glyphosate à deux heures du matin, on est au moins sûr de continuer à avancer vers la catastrophe. Quarante-quatre ans et déjà tous les cheveux blancs. Alors que le Hulot, soixante-trois ans, pas un cheveu blanc. Biologique, la teinture, j’espère.
*
Macron et le paiement de l’impôt à la source. Si ça plante : « Voyez comme j’avais raison d’avoir des doutes ». Si ça marche : « Voyez comme j’ai eu raison de prendre le risque. »
J’en parcours les allées sans y trouver grand-chose mais n’en repars pas bredouille. Dans mon sac : Plume, pinceau et poison d’Oscar Wilde et Traité de la cabane solitaire d’Antoine Marcel, l’un et l’autre publiés par Arléa, un euro les deux, et Sonderkommando (Dans l’enfer des chambres à gaz) de Shlomo Venezia avec une préface de Simone Veil, publié chez Albin Michel , un euro.
Je suis rentré bien avant que commence le concert hebdomadaire de carillon. Je l’écoute sur le banc du jardin en terminant la Correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès. A Colchiques dans les prés succède San Francisco de Maxime Le Forestier.
L’après-midi, je prends un café verre d’eau à la terrasse du Sacre en lisant les Carnets de Kazimierz Brandys quand la Marche pour le Climat arrive place du Vieux. Cette initiative citoyenne (comme ils disent) est née à Paris suite à la démission du Hulot et a fait des petits en province. Elles et eux sont quelques centaines à défiler, que j’entends plus que je ne vois, criant des slogans tout en tapant dans leurs mains en cadence: « C’est pas le climat qu’il faut changer, c’est le système qu’il faut changer » « La pollution, la surconsommation, ça nous mène à l’extinction ».
Pendant ce temps, dans toute la ville, des dizaines de milliers d’autres se mobilisent contre le climat. Leur manifestation a pour nom Grande Braderie de Rouen.
Et jeudi dernier, au Havre, Bruno le Maire, Ministre de l’Economie, et Elisabeth Borne, Ministre des Transports et subalterne du Ministre de la Transition Ecologique, inauguraient au Havre le plus gros porte-conteneur à pavillon français, dont les boîtes sont pleines de marchandises fabriquées en Chine, parmi lesquelles celles qui remplaceront les bradées d’aujourd’hui, avant de l’être à leur tour.
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Il faudrait dire : « Marche pour que l’évolution du climat reste compatible avec le maintien de l’espèce humaine sur terre ».
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La surconsommation, c’est toujours la consommation de l’autre.
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Avec De Rugy pour Ministre de la Transition Ecologique, lui qui a fait voter l’Assemblée Nationale sur le glyphosate à deux heures du matin, on est au moins sûr de continuer à avancer vers la catastrophe. Quarante-quatre ans et déjà tous les cheveux blancs. Alors que le Hulot, soixante-trois ans, pas un cheveu blanc. Biologique, la teinture, j’espère.
*
Macron et le paiement de l’impôt à la source. Si ça plante : « Voyez comme j’avais raison d’avoir des doutes ». Si ça marche : « Voyez comme j’ai eu raison de prendre le risque. »
7 septembre 2018
Quand le train de sept heures cinquante-neuf quitte la gare de Rouen ce mercredi, j’ai une pensée pour celui dont les obsèques vont débuter dans une demi-heure puis je me plonge dans les Fables de La Fontaine jusqu’à Saint-Lazare..
Les métros Trois et Huit me mènent jusqu’à la porte du Café du Faubourg. Mon café bu, j’ouvre Le Parisien sur le comptoir. On y informe sur les graves conséquences de l’insuffisance cardiaque. Ses symptômes principaux sont l’essoufflement, les chevilles qui enflent, une toux persistante. Passe-t-on de l’insuffisance veineuse à l’insuffisance cardiaque, c’est ce que je me demande en pliant le journal.
Chez Book-Off, où l’on a rangé Olivier Messiaen : une poétique du merveilleux de Brigitte Massin (Alinéa) au rayon Poésie, je trouve quelques livres à un euro à mettre dans mon sac, dont L’Analphabète (récit autobiographique) d’Agota Kristof (Zoé) et Les morts à leur place (journal d’un tournage) de Gregor von Rezzori (Le Serpent à Plume) puis, après être passé pour rien au marché d’Aligre et chez Emmaüs, je me rapproche du Palais de Pékin, avenue Parmentier. Ce midi n’y déjeunent que des esseulé(e)s et un duo d’ouvriers. L’un de ceux-ci boit son Coca au goulot de la bouteille, ce qui m’horripile.
Mes douze euros réglés (buffet à volonté et quart de vin blanc), je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la Petite Rockette devant laquelle s’agglutinent des impatient(e)s. Après avoir résolu un problème de serrure, les responsables lèvent le rideau de fer. La foule se précipite vers vêtements et objets divers. Je suis seul dans le coin des livres et en trouve deux à mon goût : Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys et Truman Capote, biographie par Gerald Clarke (tous deux chez Gallimard).
A proximité se trouve la dernière adresse de Jacques Higelin, cimetière du Père Lachaise, et je veux l’aller saluer. Je sais que sa tombe est proche de celle de Bashung et j’ai parfaitement en mémoire la localisation de cette dernière.
Un homme et une femme quinquagénaires sont assis sur une pierre tombale à l’entrée du sentier qui démarre de l’autre côté de l’allée pavée qui longe la dernière demeure d’Alain Baschung (1947-2009). Je leur demande s’ils savent où.
« C’est là », me dit l’homme en montrant l’emplacement voisin. Rien de moins ostentatoire, une simple dalle décorée de galets et de coquillages, une minuscule plaque Jacques Higelin (1941-2018), quelques offrandes de particuliers. J’en fais une photo.
Il n’y a qu’une trentaine de mètres entre cette dalle et le banc où Higelin était assis le jour de l’enterrement de Bashung. Savait-il alors qu’à sa mort il serait enterré juste à côté ? C’est la question que je me pose en m’arrêtant devant la pierre tombale de Bashung après avoir traversé l’allée pavée. Pour finir, comme lui aussi repose dans le coin, et qu’aujourd’hui n’y font pas grumeau des fans inconsolables, je photographe la tombe de James Douglas Morrison (1943-1971).
Le métro Trois me conduit à Quatre Septembre. Après un café verre d’eau aux Ducs, j’explore le second Book-Off. J’y trouve deux livres à un euro : Victor Hugo en voyage de Krishnâ Renou (Payot) et Fontaine, autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp de Teodoro Gilabert (L’oeil ébloui) J’y trouve aussi le vieux bouquiniste, toujours vaillant malgré ses problèmes de santé.
-Maintenant ici, les livres d’art, c’est plus cher que chez Amazon, râle-t-il.
-Il n’y a pas que vous qui ayez le droit de faire du pognon, nous aussi, lui répond un employé.
-Quelle vulgarité ! s’exclame-t-il faussement choqué.
Avant le train de dix-sept heures quarante-huit, je prends un autre café A la Ville d’Argentan.
Deux habitués sont en conversation avec le cuisinier. L’un d’eux ne veut pas prendre d’alcool car il a rendez-vous demain avec son cardiologue.
-J’espère que tu n’as pas lu Le Parisien aujourd’hui, lui dit le cuisinier.
Il lui explique l’article sur l’insuffisance cardiaque.
-Rassure-toi, conclut-il, c’est toujours les meilleurs qui partent en premier, toi tu risques rien.
Les métros Trois et Huit me mènent jusqu’à la porte du Café du Faubourg. Mon café bu, j’ouvre Le Parisien sur le comptoir. On y informe sur les graves conséquences de l’insuffisance cardiaque. Ses symptômes principaux sont l’essoufflement, les chevilles qui enflent, une toux persistante. Passe-t-on de l’insuffisance veineuse à l’insuffisance cardiaque, c’est ce que je me demande en pliant le journal.
Chez Book-Off, où l’on a rangé Olivier Messiaen : une poétique du merveilleux de Brigitte Massin (Alinéa) au rayon Poésie, je trouve quelques livres à un euro à mettre dans mon sac, dont L’Analphabète (récit autobiographique) d’Agota Kristof (Zoé) et Les morts à leur place (journal d’un tournage) de Gregor von Rezzori (Le Serpent à Plume) puis, après être passé pour rien au marché d’Aligre et chez Emmaüs, je me rapproche du Palais de Pékin, avenue Parmentier. Ce midi n’y déjeunent que des esseulé(e)s et un duo d’ouvriers. L’un de ceux-ci boit son Coca au goulot de la bouteille, ce qui m’horripile.
Mes douze euros réglés (buffet à volonté et quart de vin blanc), je remonte la rue du Chemin-Vert jusqu’à la Petite Rockette devant laquelle s’agglutinent des impatient(e)s. Après avoir résolu un problème de serrure, les responsables lèvent le rideau de fer. La foule se précipite vers vêtements et objets divers. Je suis seul dans le coin des livres et en trouve deux à mon goût : Carnets (Paris, 1985-1987) de Kazimierz Brandys et Truman Capote, biographie par Gerald Clarke (tous deux chez Gallimard).
A proximité se trouve la dernière adresse de Jacques Higelin, cimetière du Père Lachaise, et je veux l’aller saluer. Je sais que sa tombe est proche de celle de Bashung et j’ai parfaitement en mémoire la localisation de cette dernière.
Un homme et une femme quinquagénaires sont assis sur une pierre tombale à l’entrée du sentier qui démarre de l’autre côté de l’allée pavée qui longe la dernière demeure d’Alain Baschung (1947-2009). Je leur demande s’ils savent où.
« C’est là », me dit l’homme en montrant l’emplacement voisin. Rien de moins ostentatoire, une simple dalle décorée de galets et de coquillages, une minuscule plaque Jacques Higelin (1941-2018), quelques offrandes de particuliers. J’en fais une photo.
Il n’y a qu’une trentaine de mètres entre cette dalle et le banc où Higelin était assis le jour de l’enterrement de Bashung. Savait-il alors qu’à sa mort il serait enterré juste à côté ? C’est la question que je me pose en m’arrêtant devant la pierre tombale de Bashung après avoir traversé l’allée pavée. Pour finir, comme lui aussi repose dans le coin, et qu’aujourd’hui n’y font pas grumeau des fans inconsolables, je photographe la tombe de James Douglas Morrison (1943-1971).
Le métro Trois me conduit à Quatre Septembre. Après un café verre d’eau aux Ducs, j’explore le second Book-Off. J’y trouve deux livres à un euro : Victor Hugo en voyage de Krishnâ Renou (Payot) et Fontaine, autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp de Teodoro Gilabert (L’oeil ébloui) J’y trouve aussi le vieux bouquiniste, toujours vaillant malgré ses problèmes de santé.
-Maintenant ici, les livres d’art, c’est plus cher que chez Amazon, râle-t-il.
-Il n’y a pas que vous qui ayez le droit de faire du pognon, nous aussi, lui répond un employé.
-Quelle vulgarité ! s’exclame-t-il faussement choqué.
Avant le train de dix-sept heures quarante-huit, je prends un autre café A la Ville d’Argentan.
Deux habitués sont en conversation avec le cuisinier. L’un d’eux ne veut pas prendre d’alcool car il a rendez-vous demain avec son cardiologue.
-J’espère que tu n’as pas lu Le Parisien aujourd’hui, lui dit le cuisinier.
Il lui explique l’article sur l’insuffisance cardiaque.
-Rassure-toi, conclut-il, c’est toujours les meilleurs qui partent en premier, toi tu risques rien.
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