Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
15 avril 2019
D’un ancien passage à Arcachon, je n’avais gardé comme souvenir que celui d’une ville qui ne m’avait pas retenu. Elle n’est certes pas aussi belle que La Rochelle ou Saint-Jean-de-Luz mais loin d’être laide comme La Baule ou les Sables-d’Olonne. Son architecture de front de mer est disparate, avec des réussites et des échecs, partiellement masqués par de beaux arbres, près desquels je marche encore une fois ce samedi en direction du Café de la Plage.
-C’était le dernier, dis-je un heure plus tard en payant mes deux euros, merci pour votre accueil.
Je n’ai rendez-vous avec ma logeuse qu’à midi, aussi passé-je une partie de la matinée à profiter du soleil sans vent en bord de mer et l’autre à tenter de trouver de l’intérêt aux chroniques de Vialatte au Café des Marquises.
Celle que j’attends arrive à l’heure dite.
-Vous n’avez pas eu de problème avec la voisine ? me demande-elle.
-Non, je l’ai parfois entendue téléphoner mais rien de bien gênant.
L’isolation sonore de ce bel immeuble bourgeois est un peu déficiente. J’ai aussi entendu ronfler cette dame jamais vue.
Ma valise a perdu une roulette en arrivant à Arcachon, la faute aux travaux urbains près de la gare. C’est donc à bout de bras que je la porte jusqu’à Maison et Tartines face à l’Hôtel de Ville, un établissement mi déco mi resto où officient trois femmes de générations différentes. Elles sont d’accord pour la garder jusqu’à l’heure de mon Tégévé. Tout est à vendre ici, jusqu’à la table et la chaise où je m’installe, ainsi que les couverts et le set de table qui porte en étiquette son prix.
La jeune fille qui prend ma commande a l’air sage qui convient à ce genre d’endroit où des femmes viennent déjeuner avec leurs copines. J’opte pour la formule à douze euros quatre-vingt-dix qui me donne droit à une tarte courgette chèvre tomate séchée suivie d’un tiramisu, des nourritures vertueuses qui me donnent l’impression de faire attention à ma santé. Le vice est représenté par un verre de vin rouge à quatre euros quatre-vingt-dix.
L’addition réglée et ma valise confiée, je m’assois une dernière fois face à la mer, sous un ciel bleu et sans le moindre vent. Un handicapé en voiture électrique avec gilet jaune et drapeau tricolore fait sa petite manif à lui tout seul dans l’indifférence générale. Un branlotin accompagné de trois branlotines déclare à l’une qu’elle n’est pas qualifiée pour parler d’éjac faciale. Au bout de l’embarcadère le va-et-vient des bateaux est incessant.
Je termine par une balade dans le Parc Mauresque où un panneau sur la porte de toilettes les annonce « réservées aux membres du club ». Cette polysémie me ravit. Elles sont ouvertes et j’y sors le mien.
Adieu Arcachon, ville où je ne reviendrai pas et où j’aurai passé deux bonnes semaines. Le Tégévé Inouï part à seize heures quatorze. Il s’arrête à Facture-Biganos puis à Bordeaux Saint-Jean où il se remplit, notamment de mères et grands-mères avec enfants en bas âge ou un peu plus vieux. Juste avant la fermeture des portes, un huit ou neuf ans lance à son père planté sur le quai « Passe une bonne solitude. Achète un chien ou un chat. »
Nous filons à presque trois cents kilomètres heure. A mi-chemin, Sarah, notre barista, annonce qu’elle vend des tickets de métro à deux euros cinquante (joli bénéfice). A l’approche de la capitale, elle reprend la parole pour dire qu’il y a moins trente pour cent sur tout le bar sauf les tickets de métro.
Nous arrivons à Paris Montparnasse à dix-neuf heures huit. J’ai quarante minutes avant le départ de mon train Paris Rouen pour rejoindre Saint-Lazare par la ligne Treize du métro. Plus de temps qu’il n’en faut. Las, c’était compter sans cette nuisance hebdomadaire : la manifestation des Gilets Jaunes. Le conducteur de la rame annonce que sur ordre de la Préfecture, il n’ira pas plus loin que Duroc. Je me rabats sur la ligne Douze. Pour la même raison, nous restons arrêtés à Concorde, serrés comme sardines pendant dix minutes, portes bloquées. J’arrive à Saint-Lazare cinq minutes après le départ de mon train, remarquablement à l’heure, pour lequel j’avais une place en première à treize euros soixante, non remboursable, non échangeable.
Insultant mentalement les Jaunes de tout mon vocabulaire, j’achète un billet de seconde classe à seize euros pour le train suivant, un omnibus surchargé, où au moins je suis assis, et n’arrive à Rouen qu’à vingt et une heures quarante-huit, sans avoir été contrôlé.
-C’était le dernier, dis-je un heure plus tard en payant mes deux euros, merci pour votre accueil.
Je n’ai rendez-vous avec ma logeuse qu’à midi, aussi passé-je une partie de la matinée à profiter du soleil sans vent en bord de mer et l’autre à tenter de trouver de l’intérêt aux chroniques de Vialatte au Café des Marquises.
Celle que j’attends arrive à l’heure dite.
-Vous n’avez pas eu de problème avec la voisine ? me demande-elle.
-Non, je l’ai parfois entendue téléphoner mais rien de bien gênant.
L’isolation sonore de ce bel immeuble bourgeois est un peu déficiente. J’ai aussi entendu ronfler cette dame jamais vue.
Ma valise a perdu une roulette en arrivant à Arcachon, la faute aux travaux urbains près de la gare. C’est donc à bout de bras que je la porte jusqu’à Maison et Tartines face à l’Hôtel de Ville, un établissement mi déco mi resto où officient trois femmes de générations différentes. Elles sont d’accord pour la garder jusqu’à l’heure de mon Tégévé. Tout est à vendre ici, jusqu’à la table et la chaise où je m’installe, ainsi que les couverts et le set de table qui porte en étiquette son prix.
La jeune fille qui prend ma commande a l’air sage qui convient à ce genre d’endroit où des femmes viennent déjeuner avec leurs copines. J’opte pour la formule à douze euros quatre-vingt-dix qui me donne droit à une tarte courgette chèvre tomate séchée suivie d’un tiramisu, des nourritures vertueuses qui me donnent l’impression de faire attention à ma santé. Le vice est représenté par un verre de vin rouge à quatre euros quatre-vingt-dix.
L’addition réglée et ma valise confiée, je m’assois une dernière fois face à la mer, sous un ciel bleu et sans le moindre vent. Un handicapé en voiture électrique avec gilet jaune et drapeau tricolore fait sa petite manif à lui tout seul dans l’indifférence générale. Un branlotin accompagné de trois branlotines déclare à l’une qu’elle n’est pas qualifiée pour parler d’éjac faciale. Au bout de l’embarcadère le va-et-vient des bateaux est incessant.
Je termine par une balade dans le Parc Mauresque où un panneau sur la porte de toilettes les annonce « réservées aux membres du club ». Cette polysémie me ravit. Elles sont ouvertes et j’y sors le mien.
Adieu Arcachon, ville où je ne reviendrai pas et où j’aurai passé deux bonnes semaines. Le Tégévé Inouï part à seize heures quatorze. Il s’arrête à Facture-Biganos puis à Bordeaux Saint-Jean où il se remplit, notamment de mères et grands-mères avec enfants en bas âge ou un peu plus vieux. Juste avant la fermeture des portes, un huit ou neuf ans lance à son père planté sur le quai « Passe une bonne solitude. Achète un chien ou un chat. »
Nous filons à presque trois cents kilomètres heure. A mi-chemin, Sarah, notre barista, annonce qu’elle vend des tickets de métro à deux euros cinquante (joli bénéfice). A l’approche de la capitale, elle reprend la parole pour dire qu’il y a moins trente pour cent sur tout le bar sauf les tickets de métro.
Nous arrivons à Paris Montparnasse à dix-neuf heures huit. J’ai quarante minutes avant le départ de mon train Paris Rouen pour rejoindre Saint-Lazare par la ligne Treize du métro. Plus de temps qu’il n’en faut. Las, c’était compter sans cette nuisance hebdomadaire : la manifestation des Gilets Jaunes. Le conducteur de la rame annonce que sur ordre de la Préfecture, il n’ira pas plus loin que Duroc. Je me rabats sur la ligne Douze. Pour la même raison, nous restons arrêtés à Concorde, serrés comme sardines pendant dix minutes, portes bloquées. J’arrive à Saint-Lazare cinq minutes après le départ de mon train, remarquablement à l’heure, pour lequel j’avais une place en première à treize euros soixante, non remboursable, non échangeable.
Insultant mentalement les Jaunes de tout mon vocabulaire, j’achète un billet de seconde classe à seize euros pour le train suivant, un omnibus surchargé, où au moins je suis assis, et n’arrive à Rouen qu’à vingt et une heures quarante-huit, sans avoir été contrôlé.
14 avril 2019
Un soleil éblouissant se lève derrière la grande roue d’Arcachon vers laquelle je marche pour l’avant-dernière fois ce vendredi. Il laisse entrevoir une belle journée que je choisis de passer au Pyla-sur-Mer, appelée Le Pilat avant que le snobisme ne s’en mêle, et bien connue par sa dune.
Le bus Baïa Un de dix heures quarante est déjà devant la gare quand je m’y présente avec un quart d’heure d’avance. Je paie un euro pour un ticket et vais m’asseoir. Derrière moi sont deux sexagénaires qui m’exaspèrent à ne pas comprendre dans quel bus elles sont. Ne sachant pas que Le Pyla-sur-Mer fait partie de La Teste-de-Buch, elles craignent que ce bus ne les emmène ailleurs. Je pourrais les rassurer mais n’en ai pas envie. Les autres passagers sont également des touristes, français, anglais, allemands. Tous veulent voir la dune et y grimper. Les derniers arrivés voyagent debout.
Vingt-cinq minutes plus tard, je suis le seul à descendre à l’arrêt Mairie du Pyla. Où donc pourrait se trouver le restaurant Les Deux Chênes recommandé par Le Guide du Routard il y a neuf ans ? Je demande à un autochtone en tenue de sport. Ça ne lui dit rien, mais allez donc voir là-bas, il y en a un de restaurant, devant lequel je passe tous les jours quand je cours mais je n’ai jamais fait attention à son nom, ça a tellement changé Le Pyla. La Poste est pourtant délicieusement désuète, que je photographie.
C’est bien mon restaurant. Je réserve une table sous les chênes auprès d’une charmante serveuse puis marche jusqu’au bord de la mer par l’accès du Cercle de Voile. Des bancs permettent de s’asseoir à l’entrée du bassin. De l’autre côté, c’est Le Cap-Ferret avec son phare à bout rouge, à gauche la dune. Elle a l’air proche mais un panneau l’indique à cinq kilomètres.
A midi j’ai le choix de la table. J’en prends une entre les deux chênes, à un emplacement qui laisse passer le soleil. L’ambiance est campagnarde, point maritime. Mon Guide du Routard posé sur la table, bien qu’ancien, me vaut un verre de kir offert. Il annonçait en deux mille neuf un menu du jour à douze euros le midi en semaine. Il est désormais à quatorze euros quatre-vingt-dix.
Je choisis les moules marinières à la crème suivies de la pièce du boucher (d’origine charolaise) frites salade et les accompagne d’un quart de bordeaux rouge d’appellation contrôlée à six euros quatre-vingt-dix. Trois ouvriers de générations différentes installés à ma gauche font de même mais refusent le verre pour le vin, préférant boire celui-ci dans le verre à eau « On n’est pas des bourgeois ».
Ces voisins trouvent les moules excellentes et je partage leur avis, bien longtemps que je n’en ai mangées d’aussi belles et goûteuses. Dans leur conversation, il est question d’un intérimaire dans la même entreprise depuis quinze ans et du patron qui a de la chance de ne pas se faire choper, puis d’accidents du travail : un mort à cause d’une toupie, une perte de testicules à cause d’une numérique.
Des couples prennent également place sous les chênes, plusieurs de retraités et un d’actifs où l’homme mange avec sa femme en travaillant au téléphone « N’hésitez pas à me solliciter ».
Vers une heure arrive la famille sans laquelle l’échantillon ne serait pas complet : père, mère, branlotin, branlotine, pré branlotine. « Pouvez-vous nous accueillir à cinq ? » Les trois descendants se chamaillent déjà pour choisir leur place. La plus jeune se prénomme Colombe, ce n’est pas avec ce genre de volatile qu’on peut avoir la paix. La mère est muette, le père élève la voix de temps à autre. Il porte une casquette Ping, et non Pine comme j’avais cru le lire d’abord, cela aurait pu, vu les trois conséquences. Un rouge-gorge vient se poser sur le goulot d’une bouteille d’Abatilles, l’eau d’Arcachon.
Pour dessert, je choisis le gâteau basque et il est délicieux. « C’était parfait », dis-je, lorsque je paie, à la patronne aussi aimable et efficace que ses deux serveuses, lesquelles ont fort à faire. S’il y a du monde au jardin sous les chênes, il y en a aussi en terrasse de trottoir et dans la salle.
Le chemin pour aller jusqu’à la dune aurait été côtier, peut-être aurais-je eu envie de poursuivre mais les propriétés privées allant jusqu’à la mer, il faudrait marcher le long de la route et ça non, même sur une piste pour piétons. Je pourrais continuer en bus mais la perspective de côtoyer des semblables à celles et ceux qui étaient dans le premier m’en empêche. Surtout, j’ai un mauvais souvenir de cette dune du Pyla, même si je ne sais plus pourquoi.
Je reste donc un moment au centre du Pyla-sur-Mer à regarder la mer près du Cercle de Voile, où nul n’en fait. Dans l’après-midi, je rentre à Arcachon où malgré le soleil un vent frisquet nuit aux allers et retours sur la promenade de bord de mer, comme le constatent de nombreux dépités.
Le bus Baïa Un de dix heures quarante est déjà devant la gare quand je m’y présente avec un quart d’heure d’avance. Je paie un euro pour un ticket et vais m’asseoir. Derrière moi sont deux sexagénaires qui m’exaspèrent à ne pas comprendre dans quel bus elles sont. Ne sachant pas que Le Pyla-sur-Mer fait partie de La Teste-de-Buch, elles craignent que ce bus ne les emmène ailleurs. Je pourrais les rassurer mais n’en ai pas envie. Les autres passagers sont également des touristes, français, anglais, allemands. Tous veulent voir la dune et y grimper. Les derniers arrivés voyagent debout.
Vingt-cinq minutes plus tard, je suis le seul à descendre à l’arrêt Mairie du Pyla. Où donc pourrait se trouver le restaurant Les Deux Chênes recommandé par Le Guide du Routard il y a neuf ans ? Je demande à un autochtone en tenue de sport. Ça ne lui dit rien, mais allez donc voir là-bas, il y en a un de restaurant, devant lequel je passe tous les jours quand je cours mais je n’ai jamais fait attention à son nom, ça a tellement changé Le Pyla. La Poste est pourtant délicieusement désuète, que je photographie.
C’est bien mon restaurant. Je réserve une table sous les chênes auprès d’une charmante serveuse puis marche jusqu’au bord de la mer par l’accès du Cercle de Voile. Des bancs permettent de s’asseoir à l’entrée du bassin. De l’autre côté, c’est Le Cap-Ferret avec son phare à bout rouge, à gauche la dune. Elle a l’air proche mais un panneau l’indique à cinq kilomètres.
A midi j’ai le choix de la table. J’en prends une entre les deux chênes, à un emplacement qui laisse passer le soleil. L’ambiance est campagnarde, point maritime. Mon Guide du Routard posé sur la table, bien qu’ancien, me vaut un verre de kir offert. Il annonçait en deux mille neuf un menu du jour à douze euros le midi en semaine. Il est désormais à quatorze euros quatre-vingt-dix.
Je choisis les moules marinières à la crème suivies de la pièce du boucher (d’origine charolaise) frites salade et les accompagne d’un quart de bordeaux rouge d’appellation contrôlée à six euros quatre-vingt-dix. Trois ouvriers de générations différentes installés à ma gauche font de même mais refusent le verre pour le vin, préférant boire celui-ci dans le verre à eau « On n’est pas des bourgeois ».
Ces voisins trouvent les moules excellentes et je partage leur avis, bien longtemps que je n’en ai mangées d’aussi belles et goûteuses. Dans leur conversation, il est question d’un intérimaire dans la même entreprise depuis quinze ans et du patron qui a de la chance de ne pas se faire choper, puis d’accidents du travail : un mort à cause d’une toupie, une perte de testicules à cause d’une numérique.
Des couples prennent également place sous les chênes, plusieurs de retraités et un d’actifs où l’homme mange avec sa femme en travaillant au téléphone « N’hésitez pas à me solliciter ».
Vers une heure arrive la famille sans laquelle l’échantillon ne serait pas complet : père, mère, branlotin, branlotine, pré branlotine. « Pouvez-vous nous accueillir à cinq ? » Les trois descendants se chamaillent déjà pour choisir leur place. La plus jeune se prénomme Colombe, ce n’est pas avec ce genre de volatile qu’on peut avoir la paix. La mère est muette, le père élève la voix de temps à autre. Il porte une casquette Ping, et non Pine comme j’avais cru le lire d’abord, cela aurait pu, vu les trois conséquences. Un rouge-gorge vient se poser sur le goulot d’une bouteille d’Abatilles, l’eau d’Arcachon.
Pour dessert, je choisis le gâteau basque et il est délicieux. « C’était parfait », dis-je, lorsque je paie, à la patronne aussi aimable et efficace que ses deux serveuses, lesquelles ont fort à faire. S’il y a du monde au jardin sous les chênes, il y en a aussi en terrasse de trottoir et dans la salle.
Le chemin pour aller jusqu’à la dune aurait été côtier, peut-être aurais-je eu envie de poursuivre mais les propriétés privées allant jusqu’à la mer, il faudrait marcher le long de la route et ça non, même sur une piste pour piétons. Je pourrais continuer en bus mais la perspective de côtoyer des semblables à celles et ceux qui étaient dans le premier m’en empêche. Surtout, j’ai un mauvais souvenir de cette dune du Pyla, même si je ne sais plus pourquoi.
Je reste donc un moment au centre du Pyla-sur-Mer à regarder la mer près du Cercle de Voile, où nul n’en fait. Dans l’après-midi, je rentre à Arcachon où malgré le soleil un vent frisquet nuit aux allers et retours sur la promenade de bord de mer, comme le constatent de nombreux dépités.
13 avril 2019
Il y a à voir ce jeudi matin par les vitres du Café de la Plage. Un trois-mâts se dirige vers le port, escorté de nombreux petits bateaux blancs qui lui rendent les honneurs. C’est un invité du Salon Nautique.
-Comment s’appelle ce bateau ? demande l’un des habitués aux trois autres.
-Le Marité.
Tiens donc ! Ce bateau a coûté cher au budget de la ville de Rouen au temps d’Albert (tiny), Maire, Centriste de Droite, dont il fut la folie. Son port d’attache est aujourd’hui Granville. Je me souviens l’avoir vu dans le port de Marseille où il accueillait l’émission Thalassa. Il a fière allure sur l’eau calme du bassin, propulsé par son moteur.
Gujan-Mestras vaut bien elle aussi une deuxième visite. Je monte donc pour la quatrième et dernière fois dans le Téheuherre Arcachon Bordeaux de dix heures trente-trois. Un garçon porteur de sacs en plastique demande à une fille s’il peut s’asseoir à côté d'elle.
-Non, je préfère rester seule, lui répond-elle.
-C’est pas grave, je vais aller pleurer tout seul dans mon coin.
Au lieu de quoi, il entre dans les toilettes et se fait débusquer en train d’y fumer par les contrôleurs. Il s’y enferme et refuse d’en sortir. L’un des hommes à casquette utilise la clé nécessaire à leur ouverture. Ce récalcitrant n’a, bien sûr, pas de billet et se fait éjecter du train juste avant son départ, au grand soulagement des deux dames assises à ma droite.
Dès mon arrivée à Gujan-Mestras, bien qu’il ne fasse pas très beau, je réserve une table en terrasse couverte au restaurant Le Vivier qui propose un menu à quinze euros puis je vais méditer au bout de la jetée du Christ sur l’avenir du monde et sur le mien en particulier.
J’ai une table au plus près de l’eau. Elle donne sur des pontons ruinés, avec vue sur des maisons colorées et sur l’immense château d’eau à rayures en forme de cône inversé. Si le menu du jour est à petit prix, le vin n’est qu’au verre et pas donné. J’opte pour du bordeaux blanc à quatre euros cinquante pour accompagner le tataki de thon et saumon fumé (pas mal), le mulet et son riz (moyen) et le croustillant au trois chocolats (décevant, il y a bien les trois chocolats mais où est le croustillant ?). Au moins l’endroit est-il enchanteur. Pour en profiter un peu plus longtemps, je commande un café à deux euros.
Sorti du Vivier, j’entreprends une longue dérive ostréicole dans le port de Larrios, allant dans des coins où nul ne se hasarde et en tirant une série de photos. J’aime l’aspect décati de nombre des cabanes et du matériel qui les entoure. L’élevage des huîtres est une occupation mystérieuse qui semble conciliable avec un certain laisser-aller.
De retour à l’entrée du port, je juge que j’en ai mérité une douzaine. Pour éviter les friqué(e)s vulgaires et les familles vacancières, j’opte pour le producteur Cap Noroît. Situé presque en face du Vivier, il vend surtout à emporter. La dégustation a lieu dans un hangar au confort minimal. J’y suis seul cet après-midi. L’ostréiculteur un peu bourru m’ouvre une douzaine d’huîtres assez petites et me les apporte avec du pain, du beurre et un verre de vin blanc, le tout pour dix euros.
En attendant le train du retour, je vais boire un café à un euro quarante au Pégase, un Péhemmu situé en face de la gare, dont la clientèle est peu reluisante.
Rentrant au studio, je suis comme chaque jour accueilli par le chant du merle. C’est également lui qui me réveille le matin avant sept heures.
*
Le tataki de thon, Boby l’aurait aimé.
-Comment s’appelle ce bateau ? demande l’un des habitués aux trois autres.
-Le Marité.
Tiens donc ! Ce bateau a coûté cher au budget de la ville de Rouen au temps d’Albert (tiny), Maire, Centriste de Droite, dont il fut la folie. Son port d’attache est aujourd’hui Granville. Je me souviens l’avoir vu dans le port de Marseille où il accueillait l’émission Thalassa. Il a fière allure sur l’eau calme du bassin, propulsé par son moteur.
Gujan-Mestras vaut bien elle aussi une deuxième visite. Je monte donc pour la quatrième et dernière fois dans le Téheuherre Arcachon Bordeaux de dix heures trente-trois. Un garçon porteur de sacs en plastique demande à une fille s’il peut s’asseoir à côté d'elle.
-Non, je préfère rester seule, lui répond-elle.
-C’est pas grave, je vais aller pleurer tout seul dans mon coin.
Au lieu de quoi, il entre dans les toilettes et se fait débusquer en train d’y fumer par les contrôleurs. Il s’y enferme et refuse d’en sortir. L’un des hommes à casquette utilise la clé nécessaire à leur ouverture. Ce récalcitrant n’a, bien sûr, pas de billet et se fait éjecter du train juste avant son départ, au grand soulagement des deux dames assises à ma droite.
Dès mon arrivée à Gujan-Mestras, bien qu’il ne fasse pas très beau, je réserve une table en terrasse couverte au restaurant Le Vivier qui propose un menu à quinze euros puis je vais méditer au bout de la jetée du Christ sur l’avenir du monde et sur le mien en particulier.
J’ai une table au plus près de l’eau. Elle donne sur des pontons ruinés, avec vue sur des maisons colorées et sur l’immense château d’eau à rayures en forme de cône inversé. Si le menu du jour est à petit prix, le vin n’est qu’au verre et pas donné. J’opte pour du bordeaux blanc à quatre euros cinquante pour accompagner le tataki de thon et saumon fumé (pas mal), le mulet et son riz (moyen) et le croustillant au trois chocolats (décevant, il y a bien les trois chocolats mais où est le croustillant ?). Au moins l’endroit est-il enchanteur. Pour en profiter un peu plus longtemps, je commande un café à deux euros.
Sorti du Vivier, j’entreprends une longue dérive ostréicole dans le port de Larrios, allant dans des coins où nul ne se hasarde et en tirant une série de photos. J’aime l’aspect décati de nombre des cabanes et du matériel qui les entoure. L’élevage des huîtres est une occupation mystérieuse qui semble conciliable avec un certain laisser-aller.
De retour à l’entrée du port, je juge que j’en ai mérité une douzaine. Pour éviter les friqué(e)s vulgaires et les familles vacancières, j’opte pour le producteur Cap Noroît. Situé presque en face du Vivier, il vend surtout à emporter. La dégustation a lieu dans un hangar au confort minimal. J’y suis seul cet après-midi. L’ostréiculteur un peu bourru m’ouvre une douzaine d’huîtres assez petites et me les apporte avec du pain, du beurre et un verre de vin blanc, le tout pour dix euros.
En attendant le train du retour, je vais boire un café à un euro quarante au Pégase, un Péhemmu situé en face de la gare, dont la clientèle est peu reluisante.
Rentrant au studio, je suis comme chaque jour accueilli par le chant du merle. C’est également lui qui me réveille le matin avant sept heures.
*
Le tataki de thon, Boby l’aurait aimé.
12 avril 2019
Le soleil brille ce mercredi matin quand je me rapproche du Café de la Plage, rendant bien visibles les cabanes tchanquées de l’île aux Oiseaux. Je m’installe à ma place habituelle avec mon matériel, précédant de peu les habitués qui depuis deux jours ont perdu l’un des leurs. Le trio restant parle du Salon Nautique qui se tiendra ce ouiquennede du côté du port. Un ou deux y ont des intérêts.
La Teste mérite sans conteste une deuxième visite. En vertu de quoi, je monte pour la troisième fois dans le train Arcachon Bordeaux à dix heures trente-trois. Comme il y a deux jours, je réserve une table au Bistrot du Centre, en terrasse cette fois, puis explore un peu plus le « cœur de ville » qui est en travaux (comme il se doit). Il dispose d’une belle église fortifiée et d’un hideux marché couvert. Près de celui-ci est le café Oh’Marché ! dont une partie de la terrasse repose sur une fausse pelouse.
La serveuse, qui ressemble assez à une coiffeuse, débarrasse deux tables sans se soucier de mon existence, puis semble la découvrir :
-Monsieur, on s’occupe de vous ?
-Non, pas du tout.
Près de moi sont deux femmes qui parlent d’une troisième travaillant chez une pharmacienne radine, elle ne met pas de chauffage, elle refuse de changer son logiciel obsolète, etc. Je m’efforce de lire les Chroniques de La Montagne de Vialatte. Je n’en suis qu’à la deux cent cinquante-cinquième sur huit cent quatre-vingt-dix-huit et j’ai de plus en plus de mal.
La serveuse tout à coup se précipite sur ma table :
-Je peux vous débarrasser, monsieur ? Je vous laisse le p’tit verre d’eau.
Sans attendre ma réponse, elle chope la tasse de mon café bu. S’il est une chose que je déteste, c’est bien ça.
-Faites comme vous voulez, lui dis-je d’un air revêche.
Quand arrivent deux autres femmes, dont l’une qui parle d’espace de parole et de choses à régler avec son père, je lève le camp et vais attendre midi dans le petit jardin public près du Bistrot du Centre.
Dans le menu du jour, je choisis la macédoine de légumes au thon et le lomo de porc à la crème d’ail. Derrière moi sont une vieille à déambulateur et sa fille. Au bout d’une demi-heure, l’ancienne se plaint d’avoir froid et voudrait terminer son repas à l’intérieur si c’est possible. Oui c’est possible. La fille, stoïque, s’occupe du déménagement. La plupart des ouvriers présents ont à peine leur plat arrivé qu’ils vident la salière dessus. En dessert, je choisis un croustillant aux pommes et pruneaux qui s’avère excellent. Une fois mon café aux œufs de Pâques bu, je paie mes dix-sept euros cinquante (dont trois verres de vin rouge à un euro) puis me dirige vers le port ostréicole.
Il se prolonge par un agréable chemin de promenade autour d’une lagune sur lequel je m’engage. Derrière moi marche un type en communication avec Houston, un mal vêtu qui se vante d’être consultant. Je m’arrête pour le laisser passer puis m’assois au bout de la digue d’où l’on voit bien les premiers immeubles d’Arcachon. L’un d’eux rappelle par son architecture la laideur des paquebots de croisière. Près de moi volette le premier citron de l’année.
Le chemin est surtout emprunté par des bicyclistes, ce qui me permet de constater que les années passent mais dans les familles adeptes du déplacement doux la hiérarchie reste la même, dans l’ordre : papa, fiston, fifille, maman (même si la troisième est plus âgée que le deuxième). Une exception : grande fifille, papa, maman. Quand il s’agit un couple, c’est toujours lui devant et elle derrière. « Oh ! le corps Morand ! », crie l’une en direction de son compagnon pédaleur. Je ne savais pas Paul enterré dans la lagune. Dans un bruit de basse-cour passe pédestrement un groupe de retraités réjouis, quatorze femmes (dont plusieurs à bâtons) pour trois hommes. Deux d’entre eux se plaignent que ça traîne derrière.
Vers quinze heures, je décide que c’est le moment du goûter. J’entre dans la seule cabane ouverte, celle de Laudrinette, et m’installe à une table donnant, c’est marée basse, sur la vase du port où s’égosillent des canards en mal d’eau.
Une jeune fille vient prendre ma commande.
-Une douzaine de grosses, s’il vous plaît
-On n’en a plus des grosses.
-Bon alors une douzaine de moyennes, s’il y en a.
Il y en a pour dix euros et deux euros cinquante le verre de vin blanc.
Ce lieu de dégustation est hélas fréquenté par des friqué(e)s vulgaires : « Moi j’aimerais bien faire chambres d’hôtes, pour l’accueil et tout, mais alors il faudrait une femme de ménage », claironne l’une.
En attendant mon train de retour, je bois un café à un euro trente (oui c’est possible) à la terrasse du Brémontier, pas loin de la gare. Deux types qui n’en sont pas à leur premier verre de cognac y évoquent l’ambitieux projet d’un troisième :
-Non mais lui, il est prêt à partir en Espagne, il a été à Bordeaux déjà.
Arcachon Bordeaux : soixante-six kilomètres, lis-je un peu plus tard dans la gare.
La Teste mérite sans conteste une deuxième visite. En vertu de quoi, je monte pour la troisième fois dans le train Arcachon Bordeaux à dix heures trente-trois. Comme il y a deux jours, je réserve une table au Bistrot du Centre, en terrasse cette fois, puis explore un peu plus le « cœur de ville » qui est en travaux (comme il se doit). Il dispose d’une belle église fortifiée et d’un hideux marché couvert. Près de celui-ci est le café Oh’Marché ! dont une partie de la terrasse repose sur une fausse pelouse.
La serveuse, qui ressemble assez à une coiffeuse, débarrasse deux tables sans se soucier de mon existence, puis semble la découvrir :
-Monsieur, on s’occupe de vous ?
-Non, pas du tout.
Près de moi sont deux femmes qui parlent d’une troisième travaillant chez une pharmacienne radine, elle ne met pas de chauffage, elle refuse de changer son logiciel obsolète, etc. Je m’efforce de lire les Chroniques de La Montagne de Vialatte. Je n’en suis qu’à la deux cent cinquante-cinquième sur huit cent quatre-vingt-dix-huit et j’ai de plus en plus de mal.
La serveuse tout à coup se précipite sur ma table :
-Je peux vous débarrasser, monsieur ? Je vous laisse le p’tit verre d’eau.
Sans attendre ma réponse, elle chope la tasse de mon café bu. S’il est une chose que je déteste, c’est bien ça.
-Faites comme vous voulez, lui dis-je d’un air revêche.
Quand arrivent deux autres femmes, dont l’une qui parle d’espace de parole et de choses à régler avec son père, je lève le camp et vais attendre midi dans le petit jardin public près du Bistrot du Centre.
Dans le menu du jour, je choisis la macédoine de légumes au thon et le lomo de porc à la crème d’ail. Derrière moi sont une vieille à déambulateur et sa fille. Au bout d’une demi-heure, l’ancienne se plaint d’avoir froid et voudrait terminer son repas à l’intérieur si c’est possible. Oui c’est possible. La fille, stoïque, s’occupe du déménagement. La plupart des ouvriers présents ont à peine leur plat arrivé qu’ils vident la salière dessus. En dessert, je choisis un croustillant aux pommes et pruneaux qui s’avère excellent. Une fois mon café aux œufs de Pâques bu, je paie mes dix-sept euros cinquante (dont trois verres de vin rouge à un euro) puis me dirige vers le port ostréicole.
Il se prolonge par un agréable chemin de promenade autour d’une lagune sur lequel je m’engage. Derrière moi marche un type en communication avec Houston, un mal vêtu qui se vante d’être consultant. Je m’arrête pour le laisser passer puis m’assois au bout de la digue d’où l’on voit bien les premiers immeubles d’Arcachon. L’un d’eux rappelle par son architecture la laideur des paquebots de croisière. Près de moi volette le premier citron de l’année.
Le chemin est surtout emprunté par des bicyclistes, ce qui me permet de constater que les années passent mais dans les familles adeptes du déplacement doux la hiérarchie reste la même, dans l’ordre : papa, fiston, fifille, maman (même si la troisième est plus âgée que le deuxième). Une exception : grande fifille, papa, maman. Quand il s’agit un couple, c’est toujours lui devant et elle derrière. « Oh ! le corps Morand ! », crie l’une en direction de son compagnon pédaleur. Je ne savais pas Paul enterré dans la lagune. Dans un bruit de basse-cour passe pédestrement un groupe de retraités réjouis, quatorze femmes (dont plusieurs à bâtons) pour trois hommes. Deux d’entre eux se plaignent que ça traîne derrière.
Vers quinze heures, je décide que c’est le moment du goûter. J’entre dans la seule cabane ouverte, celle de Laudrinette, et m’installe à une table donnant, c’est marée basse, sur la vase du port où s’égosillent des canards en mal d’eau.
Une jeune fille vient prendre ma commande.
-Une douzaine de grosses, s’il vous plaît
-On n’en a plus des grosses.
-Bon alors une douzaine de moyennes, s’il y en a.
Il y en a pour dix euros et deux euros cinquante le verre de vin blanc.
Ce lieu de dégustation est hélas fréquenté par des friqué(e)s vulgaires : « Moi j’aimerais bien faire chambres d’hôtes, pour l’accueil et tout, mais alors il faudrait une femme de ménage », claironne l’une.
En attendant mon train de retour, je bois un café à un euro trente (oui c’est possible) à la terrasse du Brémontier, pas loin de la gare. Deux types qui n’en sont pas à leur premier verre de cognac y évoquent l’ambitieux projet d’un troisième :
-Non mais lui, il est prêt à partir en Espagne, il a été à Bordeaux déjà.
Arcachon Bordeaux : soixante-six kilomètres, lis-je un peu plus tard dans la gare.
11 avril 2019
Le brouillard est de sortie ce mardi. Il cache la côte d’en face et masque partiellement la grande roue installée devant le Café de la Plage vers lequel je me dirige comme chaque jour.
-Je vous l’offre ce matin, me dit en apportant mon noir breuvage celui que je suppose être le patron.
Je le remercie de cette gentillesse. Vers neuf heures, quand j’en ai fini avec mes obligations numériques, l’horizon est dégagé. La journée devrait être belle.
Comme hier, je monte dans le Téheuherre Nouvelle Aquitaine qui va à Bordeaux Saint-Jean, avec cette fois un billet à un euro trente, car j’en descends à Gujan-Mestras, « capitale de l’huître », aux sept ports ostréicoles.
Avant d’aller de ce côté, je découvre un centre-ville en travaux (comme dans toute ville qui se respecte). L’habitat y est individuel et on y conduit nerveusement avec une petite tendance à ne pas vouloir s’arrêter pour laisser traverser le piéton sur les passages protégés. Un autochtone m’indique un restaurant près de la Mairie. Il s’agit du Bistrot Gourmand où je réserve une table en terrasse au soleil.
A midi, pour la première fois depuis le début de mon séjour, je peux ôter mon pull en déjeunant à l’extérieur. Le menu du jour est à treize euros cinquante. Je l’augmente de deux fois un euro cinquante en choisissant deux plats à supplément : six huîtres du bassin (de chez Bidart) et la pièce du boucher (d’origine allemande), sauce vigneronne, et ses frites au sel de Guérande. Le quart de vin blanc est à trois euros et au goût étrange. Mon voisin, un néo barbu, se contente de la salade du jour et de l’eau du pichet. Aux autres tables, dont plusieurs composées des ouvriers du chantier urbain, on n’hésite pas à payer le supplément pièce du boucher et à l’accompagner de bière ou de vin. Une seule femme est présente, au rire insupportable.
Le Bistrot Gourmand est tenu par un couple (dont elle d’origine chilienne) et leurs deux filles. La plus jeune est un peu approximative. Pour qui sont ces deux plats que je porte à bout de bras ? Son chemin est rarement le plus court. En dessert, faute de mieux, je choisis le clafoutis à la poire, sauce chocolat.
-Jamais depuis que je suis ici je n’ai mangé d’aussi bonnes frites, dis-je au patron en réglant mon dû.
Je me dirige ensuite vers le plus important des sept ports ostréicoles, celui de Larrios. J’en fais quelques photos. Il est prolongé d’une jetée avec à son extrémité un Christ en croix. Deux jeunes femmes y déjeunent sur un banc. Je m’assois sur celui opposé et me fais discret car dans leur conversation il est question de Rouen d’où l’une semble être originaire.
Je prends le train dans le sens du retour à quinze heures quinze mais en descends cinq minutes plus tard à La Hume, bourgade qui dispose d’une jolie plage très peu fréquentée d’où part un chemin côtier qui mène au port ostréicole de Meyran. Pour la première fois, je marche un peu longuement. La mer est basse, autant dire absente, mais un bassin rectangulaire jouxte les installations ostréicoles. J’en fais le tour et observe une équipe occupée à poncer mécaniquement des tuiles arrondies qui doivent avoir leur importance dans l’élevage des huîtres.
En attendant le train de seize heures vingt, je bois un diabolo menthe à trois euros à la terrasse du café qui fait face à la gare, laquelle restera fermée jusqu’à l’été. Deux Témoins de Jéhovah sont de permanence devant. A défaut d’informations ferroviaires, il est donc possible d’obtenir des informations bibliques, mais nul ne semble en voir besoin.
*
Sur le mur de mon logis temporaire, cette inscription: « La vie est belle ».
Sur une carte postale accrochée à la cloison devant laquelle j’écris : « Be so happy that what others look at you they become happy too ».
-Je vous l’offre ce matin, me dit en apportant mon noir breuvage celui que je suppose être le patron.
Je le remercie de cette gentillesse. Vers neuf heures, quand j’en ai fini avec mes obligations numériques, l’horizon est dégagé. La journée devrait être belle.
Comme hier, je monte dans le Téheuherre Nouvelle Aquitaine qui va à Bordeaux Saint-Jean, avec cette fois un billet à un euro trente, car j’en descends à Gujan-Mestras, « capitale de l’huître », aux sept ports ostréicoles.
Avant d’aller de ce côté, je découvre un centre-ville en travaux (comme dans toute ville qui se respecte). L’habitat y est individuel et on y conduit nerveusement avec une petite tendance à ne pas vouloir s’arrêter pour laisser traverser le piéton sur les passages protégés. Un autochtone m’indique un restaurant près de la Mairie. Il s’agit du Bistrot Gourmand où je réserve une table en terrasse au soleil.
A midi, pour la première fois depuis le début de mon séjour, je peux ôter mon pull en déjeunant à l’extérieur. Le menu du jour est à treize euros cinquante. Je l’augmente de deux fois un euro cinquante en choisissant deux plats à supplément : six huîtres du bassin (de chez Bidart) et la pièce du boucher (d’origine allemande), sauce vigneronne, et ses frites au sel de Guérande. Le quart de vin blanc est à trois euros et au goût étrange. Mon voisin, un néo barbu, se contente de la salade du jour et de l’eau du pichet. Aux autres tables, dont plusieurs composées des ouvriers du chantier urbain, on n’hésite pas à payer le supplément pièce du boucher et à l’accompagner de bière ou de vin. Une seule femme est présente, au rire insupportable.
Le Bistrot Gourmand est tenu par un couple (dont elle d’origine chilienne) et leurs deux filles. La plus jeune est un peu approximative. Pour qui sont ces deux plats que je porte à bout de bras ? Son chemin est rarement le plus court. En dessert, faute de mieux, je choisis le clafoutis à la poire, sauce chocolat.
-Jamais depuis que je suis ici je n’ai mangé d’aussi bonnes frites, dis-je au patron en réglant mon dû.
Je me dirige ensuite vers le plus important des sept ports ostréicoles, celui de Larrios. J’en fais quelques photos. Il est prolongé d’une jetée avec à son extrémité un Christ en croix. Deux jeunes femmes y déjeunent sur un banc. Je m’assois sur celui opposé et me fais discret car dans leur conversation il est question de Rouen d’où l’une semble être originaire.
Je prends le train dans le sens du retour à quinze heures quinze mais en descends cinq minutes plus tard à La Hume, bourgade qui dispose d’une jolie plage très peu fréquentée d’où part un chemin côtier qui mène au port ostréicole de Meyran. Pour la première fois, je marche un peu longuement. La mer est basse, autant dire absente, mais un bassin rectangulaire jouxte les installations ostréicoles. J’en fais le tour et observe une équipe occupée à poncer mécaniquement des tuiles arrondies qui doivent avoir leur importance dans l’élevage des huîtres.
En attendant le train de seize heures vingt, je bois un diabolo menthe à trois euros à la terrasse du café qui fait face à la gare, laquelle restera fermée jusqu’à l’été. Deux Témoins de Jéhovah sont de permanence devant. A défaut d’informations ferroviaires, il est donc possible d’obtenir des informations bibliques, mais nul ne semble en voir besoin.
*
Sur le mur de mon logis temporaire, cette inscription: « La vie est belle ».
Sur une carte postale accrochée à la cloison devant laquelle j’écris : « Be so happy that what others look at you they become happy too ».
10 avril 2019
Ce lundi, je teste La Teste, cette commune qui tient Arcachon dans un étau entre l’Aiguillon et la dune du Pyla. Le train m’y mène en trois minutes contre la modique somme d’un euro vingt.
Il est dix heures trente-six et tombe une légère pluie. Je découvre un centre-ville sans attrait où plusieurs boutiques sont à louer. Un autochtone m’aide à trouver le Bistrot du Centre recommandé par mon Guide du Routard d’il y a neuf ans. A cette époque, il faisait aussi hôtel, le seul du coin à avoir des chambres à prix modeste, c’est fini. Le restaurant lui n’a guère changé ses prix : le menu est à treize euros cinquante, le verre de vin à un euro, le café à un euro. Je juge prudent de réserver.
Le seul café ouvert est le Lauki Bar qui fait aussi hôtel et tabac. Son mobilier moderne est neuf. Trois tables seulement, la première est occupée par un néo barbu qui lit, la deuxième par deux vieilles sœurs ; je m’assois à la troisième. Cet endroit est hélas pollué par la télé d’info continue où l’on cancane à haut volume sur la « restitution » du Grand Débat, une soûlerie que l’on n’aurait pas connue sans les Gilets Jaunes.
« On ne se fait pas opérer pendant les vacances », assène une sœur à l’autre qui a de la cataracte. Ici, c’est la surdité que l’on risque. Je dois me boucher une oreille pour lire.
Il ne pleut plus quand à midi je pousse la porte du Bistrot du Centre où ne sévissent ni télé d’info ni radio musicale. Plusieurs tables sont déjà occupées par les habitués, dont une très longue où se casent des travailleurs, parmi lesquels un apprenti à peine sorti de l’enfance. Il faut peu de temps pour que ce soit complet. Un solitaire est venu avec Le Figaro pour ne pas s’ennuyer. Mes plus proches voisins sont un sexagénaire et une septuagénaire dont j’ignore le lien. Lui se désole de ce que Cuba se modernise et devienne un pays comme les autres, avec Internet, tout en tripotant son mobile entre ses cuisses à l’insu de celle qui lui fait face. Il ne conçoit les vacances qu’avec des activités culturelles. Il faut qu’il y ait des trucs à faire, parce que la plage ça va une journée. Le Gers, c’est sympa, il y a des trucs à faire, par exemple le Festival de Jazz de Marciac.
-Tu y as été ? lui demande-t-elle.
-Oui, une journée, c’était sympa.
J’ai choisi le pâté de campagne, le rougail saucisse (fort bon) et quand arrive mon dessert, une mousse exotique, j’en suis à mon troisième verre de vin et ils sont de bonne taille.
Ma vieille voisine se plaint des enfants, bien qu’il n’y en ait pas ici.
-Mais tu en as eu, toi, des enfants ? lui rétorque son commensal.
-Justement, je sais que c’est chiant, lui répond-elle.
Une fois bu mon café (accompagné d’œufs de Pâques) et un peu pompette, je reprends la route qui va vers la gare et la dépasse pour atteindre le quartier ostréicole. Il me plaît davantage que celui du Cap-Ferret et ses prix sont plus décents. Je photographie quelques maisons de bois et note des noms de lieux de dégustation : La Cabane à PinPin, La Cabane de Laurinette, Chez Jéjhène ou La 12 Zen (là, je soupçonne la fille de l’ostréiculteur d’être coiffeuse).
*
Expressions entendues à La Teste :
« Tu viens nous voir à nous. »
« Vous le connaissez à Serge. »
*
Un client des Marquises, où je prends mon café d’après-midi :
« Intellectuellement, je sais ce que je vaux. »
Il est dix heures trente-six et tombe une légère pluie. Je découvre un centre-ville sans attrait où plusieurs boutiques sont à louer. Un autochtone m’aide à trouver le Bistrot du Centre recommandé par mon Guide du Routard d’il y a neuf ans. A cette époque, il faisait aussi hôtel, le seul du coin à avoir des chambres à prix modeste, c’est fini. Le restaurant lui n’a guère changé ses prix : le menu est à treize euros cinquante, le verre de vin à un euro, le café à un euro. Je juge prudent de réserver.
Le seul café ouvert est le Lauki Bar qui fait aussi hôtel et tabac. Son mobilier moderne est neuf. Trois tables seulement, la première est occupée par un néo barbu qui lit, la deuxième par deux vieilles sœurs ; je m’assois à la troisième. Cet endroit est hélas pollué par la télé d’info continue où l’on cancane à haut volume sur la « restitution » du Grand Débat, une soûlerie que l’on n’aurait pas connue sans les Gilets Jaunes.
« On ne se fait pas opérer pendant les vacances », assène une sœur à l’autre qui a de la cataracte. Ici, c’est la surdité que l’on risque. Je dois me boucher une oreille pour lire.
Il ne pleut plus quand à midi je pousse la porte du Bistrot du Centre où ne sévissent ni télé d’info ni radio musicale. Plusieurs tables sont déjà occupées par les habitués, dont une très longue où se casent des travailleurs, parmi lesquels un apprenti à peine sorti de l’enfance. Il faut peu de temps pour que ce soit complet. Un solitaire est venu avec Le Figaro pour ne pas s’ennuyer. Mes plus proches voisins sont un sexagénaire et une septuagénaire dont j’ignore le lien. Lui se désole de ce que Cuba se modernise et devienne un pays comme les autres, avec Internet, tout en tripotant son mobile entre ses cuisses à l’insu de celle qui lui fait face. Il ne conçoit les vacances qu’avec des activités culturelles. Il faut qu’il y ait des trucs à faire, parce que la plage ça va une journée. Le Gers, c’est sympa, il y a des trucs à faire, par exemple le Festival de Jazz de Marciac.
-Tu y as été ? lui demande-t-elle.
-Oui, une journée, c’était sympa.
J’ai choisi le pâté de campagne, le rougail saucisse (fort bon) et quand arrive mon dessert, une mousse exotique, j’en suis à mon troisième verre de vin et ils sont de bonne taille.
Ma vieille voisine se plaint des enfants, bien qu’il n’y en ait pas ici.
-Mais tu en as eu, toi, des enfants ? lui rétorque son commensal.
-Justement, je sais que c’est chiant, lui répond-elle.
Une fois bu mon café (accompagné d’œufs de Pâques) et un peu pompette, je reprends la route qui va vers la gare et la dépasse pour atteindre le quartier ostréicole. Il me plaît davantage que celui du Cap-Ferret et ses prix sont plus décents. Je photographie quelques maisons de bois et note des noms de lieux de dégustation : La Cabane à PinPin, La Cabane de Laurinette, Chez Jéjhène ou La 12 Zen (là, je soupçonne la fille de l’ostréiculteur d’être coiffeuse).
*
Expressions entendues à La Teste :
« Tu viens nous voir à nous. »
« Vous le connaissez à Serge. »
*
Un client des Marquises, où je prends mon café d’après-midi :
« Intellectuellement, je sais ce que je vaux. »
9 avril 2019
Ce dimanche matin, le quatuor d’habitués du Café de la Plage fait relâche et on pourrait même croire que cet endroit a ouvert spécialement pour moi car il faut attendre neuf heures moins le quart pour qu’apparaisse le deuxième client. Le ciel est bleu, le soleil brille. Par la vitre, je distingue aisément les deux autres côtés du bassin (ce triangle équilatéral) et en son centre l’île aux Oiseaux avec ses deux maisons sur pilotis.
Vers neuf heures et demie, je pars explorer sur les hauteurs ce que l’on nomme la ville d’hiver, quartier de riches et baroques villas que firent construire les frères Pereire dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Cette ville d’hiver est irriguée par des rues que l’on nomme allées (c’est plus chic), lesquelles entourent le Parc Mauresque, aujourd’hui simple jardin public.
Un raide escalier me mène à l’entrée de celui-ci, près de laquelle je photographie la villa Térésa, puis je le traverse. Autrefois s’y tenait le Casino Mauresque, signé Paul Régnauld, dont l’architecture voulait rappeler celle de l’Alhambra de Grenade et de la Mosquée de Cordoue. Cet établissement a brûlé en mil neuf cent soixante-dix-sept. Sa maquette est exposée dans le parc dont je ressors allée du Moulin-Rouge où se trouve la villa Toledo, grande bâtisse de brique et pans de bois, décorée de dentelles de boiseries ciselées et agrémentée d’un escalier en trompe-l’œil.
Je poursuis par l’allée Faust pour voir la villa du même nom au numéro trois, une sorte de mini-château fort où habita Charles Gounod. En face, c’est l’allée Marie-Christine et la villa du même nom où séjourna Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (elle y rencontra son futur mari Alphonse le Douzième). Deux numéros après la villa Faust, voici la villa Marguerite, faux chalet suisse entouré de végétation luxuriante quasi tropicale. Au bout, la villa Brémontier, un mixte de château-fort et de pagode, fait face à la villa Graigcrostan réalisée par un Anglais, dans le style colonie des Indes.
Je trouve ensuite l’allée Docteur-Festal. Au numéro quatre est la villa Monaco, toute en brique avec de hautes cheminées (Alphonse le Douzième y vécut clandestinement sous le nom de marquis de Cavadonga). Je continue par l’allée Pasteur et arrive à la villa Alexandre-Dumas, à l’angle de l’allée du même nom. Elle est d’un style mi-mauresque mi-pagode avec d’élégantes fenêtres de brique et céramique et un toit original (Dumas ne fit qu’y passer).
D’autres villas de ce quartier d’hiver, moins connues, méritent elles aussi la photo. En ce dimanche matin, je n’y suis dérangé par personne.
Je le quitte par un chemin qui mène à un observatoire métallique avec escalier en colimaçon dans lequel il est impossible de se croiser (il fut construit par Paul Régnauld en collaboration avec Gustave Eiffel en mil huit cent soixante-trois). Il est interdit d’y monter à plus de cinq. Je me lance dans cette structure qui tremble à chaque pas et trouve là-haut un jeune couple qui m’attendait pour redescendre. Comme il était prévisible, la vue est magnifique sur la ville et le bassin.
Redescendu, j’emprunte une passerelle due elle aussi à Paul Régnauld et Gustave Eiffel (pas plus de dix personnes à la fois). Elle me ramène au Parc Mauresque que je quitte par son ascenseur gratuit qui me dépose face à une longue rue piétonnière par laquelle je retourne « chez moi ».
A midi, pour éviter les restaurants du bord de mer surchargés, je déjeune à la Brasserie des Marquises : foie gras de canard maison, maquereau entier snacké sauce vierge, avec deux verres de bordeaux blanc, pour vingt-huit euros soixante-dix. Cela faisait longtemps que je n’avais mangé un maquereau et celui-ci me déçoit. Trop sec, il ne vaut pas celui que me faisait ma manman.
Le temps restant beau, quoi faire d’autre l’après-midi que de glandouiller au bord de la mer.
*
L’allée du Moulin-Rouge doit son nom à Toulouse-Lautrec qui avait une villa près de la plage. Ayant pour habitude de se baigner nu, il était en bisbille avec ses voisins et pour ne plus les voir l’avait entourée d’une palissade sur laquelle il fit des dessins obscènes. Ceux qui rachetèrent cette villa commirent l’erreur de les brûler.
*
Il existe une série de photos de Toulouse-Lautrec en train de déféquer sur une plage. On trouve ça sur Internet. Je me demande s’il s’agit de celle d’Arcachon.
Vers neuf heures et demie, je pars explorer sur les hauteurs ce que l’on nomme la ville d’hiver, quartier de riches et baroques villas que firent construire les frères Pereire dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Cette ville d’hiver est irriguée par des rues que l’on nomme allées (c’est plus chic), lesquelles entourent le Parc Mauresque, aujourd’hui simple jardin public.
Un raide escalier me mène à l’entrée de celui-ci, près de laquelle je photographie la villa Térésa, puis je le traverse. Autrefois s’y tenait le Casino Mauresque, signé Paul Régnauld, dont l’architecture voulait rappeler celle de l’Alhambra de Grenade et de la Mosquée de Cordoue. Cet établissement a brûlé en mil neuf cent soixante-dix-sept. Sa maquette est exposée dans le parc dont je ressors allée du Moulin-Rouge où se trouve la villa Toledo, grande bâtisse de brique et pans de bois, décorée de dentelles de boiseries ciselées et agrémentée d’un escalier en trompe-l’œil.
Je poursuis par l’allée Faust pour voir la villa du même nom au numéro trois, une sorte de mini-château fort où habita Charles Gounod. En face, c’est l’allée Marie-Christine et la villa du même nom où séjourna Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (elle y rencontra son futur mari Alphonse le Douzième). Deux numéros après la villa Faust, voici la villa Marguerite, faux chalet suisse entouré de végétation luxuriante quasi tropicale. Au bout, la villa Brémontier, un mixte de château-fort et de pagode, fait face à la villa Graigcrostan réalisée par un Anglais, dans le style colonie des Indes.
Je trouve ensuite l’allée Docteur-Festal. Au numéro quatre est la villa Monaco, toute en brique avec de hautes cheminées (Alphonse le Douzième y vécut clandestinement sous le nom de marquis de Cavadonga). Je continue par l’allée Pasteur et arrive à la villa Alexandre-Dumas, à l’angle de l’allée du même nom. Elle est d’un style mi-mauresque mi-pagode avec d’élégantes fenêtres de brique et céramique et un toit original (Dumas ne fit qu’y passer).
D’autres villas de ce quartier d’hiver, moins connues, méritent elles aussi la photo. En ce dimanche matin, je n’y suis dérangé par personne.
Je le quitte par un chemin qui mène à un observatoire métallique avec escalier en colimaçon dans lequel il est impossible de se croiser (il fut construit par Paul Régnauld en collaboration avec Gustave Eiffel en mil huit cent soixante-trois). Il est interdit d’y monter à plus de cinq. Je me lance dans cette structure qui tremble à chaque pas et trouve là-haut un jeune couple qui m’attendait pour redescendre. Comme il était prévisible, la vue est magnifique sur la ville et le bassin.
Redescendu, j’emprunte une passerelle due elle aussi à Paul Régnauld et Gustave Eiffel (pas plus de dix personnes à la fois). Elle me ramène au Parc Mauresque que je quitte par son ascenseur gratuit qui me dépose face à une longue rue piétonnière par laquelle je retourne « chez moi ».
A midi, pour éviter les restaurants du bord de mer surchargés, je déjeune à la Brasserie des Marquises : foie gras de canard maison, maquereau entier snacké sauce vierge, avec deux verres de bordeaux blanc, pour vingt-huit euros soixante-dix. Cela faisait longtemps que je n’avais mangé un maquereau et celui-ci me déçoit. Trop sec, il ne vaut pas celui que me faisait ma manman.
Le temps restant beau, quoi faire d’autre l’après-midi que de glandouiller au bord de la mer.
*
L’allée du Moulin-Rouge doit son nom à Toulouse-Lautrec qui avait une villa près de la plage. Ayant pour habitude de se baigner nu, il était en bisbille avec ses voisins et pour ne plus les voir l’avait entourée d’une palissade sur laquelle il fit des dessins obscènes. Ceux qui rachetèrent cette villa commirent l’erreur de les brûler.
*
Il existe une série de photos de Toulouse-Lautrec en train de déféquer sur une plage. On trouve ça sur Internet. Je me demande s’il s’agit de celle d’Arcachon.
8 avril 2019
Cette fois c’est la pluie, toute la nuit, et encore le matin. Pour la première fois depuis mon arrivée, je dois ouvrir mon parapluie. Le vent de la promenade du bord de mer lui étant contraire, c’est par le boulevard de la Plage que je rejoins le café du même nom. L’un des habitués y raconte sa mésaventure de la veille. Il est allé aider un copain à bricoler, une bière, deux apéros, et puis du vin pendant le repas. « Je suis rentré à la mi-temps du match et là les gendarmes était au pré salé avec leur alcootest. »
-Vous habitez loin ? lui ont-ils demandé après qu’il eut soufflé.
-Non, juste à côté.
-Eh bien, rentrez vous coucher !
« Je ne me le suis pas fait dire deux fois. » conclut-il et puis il la raconte une deuxième fois, et une troisième fois.
Je rentre par le même chemin et, la pluie ne cessant pas, vais lire quelques chroniques de Vialatte aux Marquises, place du même nom, où le marché du samedi n’attire pas foule. Lire ou plutôt survoler car leur systématisme m’a découragé. M’a lassé notamment le recours récurent aux énumérations loufoques. De temps à autre, je trouve quand même quelque chose à noter dans mon carnet Muji. A onze heures entre dans l’établissement le vieux couple à cannes qui l’autre jour a dû faire deux tours de minibus pour atteindre le quartier du Moullaud. Un café vite bu et elle et lui repartent, toujours vaillants.
Pour déjeuner je vais au plus près, à la Pizzeria de Jéhenne (« depuis mil neuf cent soixante-dix-huit »), rue du même nom. J’en vois le haut de l’enseigne depuis ma fenêtre.
-Vous êtes tout seul, cher monsieur ? me demande l’une des serveuses.
Elle me donne la table qui fait face au pizzaiolo. Beaucoup d’habitués mangent ici, des jeunes qui arrivent ensemble et des vieux qui arrivent seuls mais se regroupent en une unique tablée. J’apprends que ces derniers sont envoyés par le Cécéhahesse (Centre Communal d’Action Sociale) et déjeunent ici du mardi au samedi. Ils sont bien mis. A Arcachon, certains pauvres n’ont pas l’apparence de leur état.
Je choisis la Campagnarde à treize euros quatre-vingts avec un quart de vin italien à trois euros vingt. Un couple fait une arrivée remarquée, lui pulvérisant avec sa tête l’applique située au-dessus de la table où il devait s’asseoir. Les membres du personnel se partagent entre ceux qui rient dans les coins et ceux qui disent « Oh putain ! ». Suit le jeune couple avec bébé qui manquait et nécessite une chaise haute. Le père a un faux air de Roberto Benigni et se plonge dans son mobile. La mère couve leur descendant. « Mon p’tit cœur », dit-elle à celui qui l’appellera la daronne (ou son équivalent) dans quinze ans. Pendant ce temps, le pizzaiolo n’arrête pas, ingrat labeur.
En dessert, je prends un tiramisu à six euros vingt. Il ne les vaut pas.
-Vous n’avez rien laissé, jeune homme, me dit une autre serveuse.
-Eh non !
-Eh bien bravo !
Une accalmie me permet de faire un aller et retour le long de la mer, puis je vais prendre un café à un euro quatre-vingt-dix au Grand Café Repetto. Deux vieilles habituées permanentées s’y plaignent auprès d’un serveur de l’homme à pull rouge qui leur a demandé de l’argent dans la rue. « Même ici », répètent-elles. Arcachon n’est plus ce qu’elle était.
En rentrant, j’allume la télé sur l’autre chaine d’info continue et y vois des images de Rouen où le temps a l’air meilleur qu’ici. Quelques dizaines de Gilets Jaunes se font repousser vers la rive gauche à l’aide de gaz lacrymogène tandis que d’autres ayant envahi les rues du centre-ville interdit à la manifestation se font courser près du Café des Taxis. Un engin de chantier a été incendié je ne sais où (les ouvriers apprécieront).
-Vous habitez loin ? lui ont-ils demandé après qu’il eut soufflé.
-Non, juste à côté.
-Eh bien, rentrez vous coucher !
« Je ne me le suis pas fait dire deux fois. » conclut-il et puis il la raconte une deuxième fois, et une troisième fois.
Je rentre par le même chemin et, la pluie ne cessant pas, vais lire quelques chroniques de Vialatte aux Marquises, place du même nom, où le marché du samedi n’attire pas foule. Lire ou plutôt survoler car leur systématisme m’a découragé. M’a lassé notamment le recours récurent aux énumérations loufoques. De temps à autre, je trouve quand même quelque chose à noter dans mon carnet Muji. A onze heures entre dans l’établissement le vieux couple à cannes qui l’autre jour a dû faire deux tours de minibus pour atteindre le quartier du Moullaud. Un café vite bu et elle et lui repartent, toujours vaillants.
Pour déjeuner je vais au plus près, à la Pizzeria de Jéhenne (« depuis mil neuf cent soixante-dix-huit »), rue du même nom. J’en vois le haut de l’enseigne depuis ma fenêtre.
-Vous êtes tout seul, cher monsieur ? me demande l’une des serveuses.
Elle me donne la table qui fait face au pizzaiolo. Beaucoup d’habitués mangent ici, des jeunes qui arrivent ensemble et des vieux qui arrivent seuls mais se regroupent en une unique tablée. J’apprends que ces derniers sont envoyés par le Cécéhahesse (Centre Communal d’Action Sociale) et déjeunent ici du mardi au samedi. Ils sont bien mis. A Arcachon, certains pauvres n’ont pas l’apparence de leur état.
Je choisis la Campagnarde à treize euros quatre-vingts avec un quart de vin italien à trois euros vingt. Un couple fait une arrivée remarquée, lui pulvérisant avec sa tête l’applique située au-dessus de la table où il devait s’asseoir. Les membres du personnel se partagent entre ceux qui rient dans les coins et ceux qui disent « Oh putain ! ». Suit le jeune couple avec bébé qui manquait et nécessite une chaise haute. Le père a un faux air de Roberto Benigni et se plonge dans son mobile. La mère couve leur descendant. « Mon p’tit cœur », dit-elle à celui qui l’appellera la daronne (ou son équivalent) dans quinze ans. Pendant ce temps, le pizzaiolo n’arrête pas, ingrat labeur.
En dessert, je prends un tiramisu à six euros vingt. Il ne les vaut pas.
-Vous n’avez rien laissé, jeune homme, me dit une autre serveuse.
-Eh non !
-Eh bien bravo !
Une accalmie me permet de faire un aller et retour le long de la mer, puis je vais prendre un café à un euro quatre-vingt-dix au Grand Café Repetto. Deux vieilles habituées permanentées s’y plaignent auprès d’un serveur de l’homme à pull rouge qui leur a demandé de l’argent dans la rue. « Même ici », répètent-elles. Arcachon n’est plus ce qu’elle était.
En rentrant, j’allume la télé sur l’autre chaine d’info continue et y vois des images de Rouen où le temps a l’air meilleur qu’ici. Quelques dizaines de Gilets Jaunes se font repousser vers la rive gauche à l’aide de gaz lacrymogène tandis que d’autres ayant envahi les rues du centre-ville interdit à la manifestation se font courser près du Café des Taxis. Un engin de chantier a été incendié je ne sais où (les ouvriers apprécieront).
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