Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

16 novembre 2019


« Allez-y, de toute façon, il n’y a personne », me dit, alors que je cherche ma carte Pop’ (accès gratuit illimité), vers treize heures ce mercredi, la jeune fille chargée de contrôler les adhérents à l’entrée provisoire du Centre Pompidou. Je la sors à l’intérieur, toute neuve, valable pour deux ans, c’est son premier jour, tout comme c’est le premier jour de Faire son temps, la rétrospective consacrée à Christian Boltanski.
Arrivé au Niveau Six, vu qu’il n’y a aucune attente à l’entrée de la Galerie Deux où se tient l’exposition Bacon, je repasse par chacune de ses salles pour atteindre la Galerie Un. A son entrée est inscrit en lettres lumineuses le mot Départ.
La rétrospective Boltanski a pour forme un itinéraire obligé. Elle évoque la vie et la mort, le temps qui passe et abîme. Cette suite d’installations n’en fait qu’une, avec pour constante la pénombre parsemée d’ampoules nues. Ce qui agresse mes yeux fatigués. Aussi je n’en profite pas comme je le voudrais, d’autant que le dépliant explicatif au format tabloïd n’est pas pratique et doté de caractères d’imprimerie trop petits.
En résumé, nous sommes dans le tiret que l’on inscrit sur les tombes entre la date de naissance et celle du décès. Alors que je passe sous l’inscription Arrivée, un homme bien mis s’engouffre dans l’exposition par sa sortie. Membre du personnel, fraudeur, ou anxieux désirant faire la route dans l’autre sens, je ne sais. Cette sortie débouche dans l’une des boutiques du Centre Pompidou où l’on peut acheter de quoi se prouver qu’on est encore vivant.
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Ce n’est qu’après la visite que j’apprends en lisant le dépliant que je suis passé, entre autres, devant Vingt-sept possibilités d’autoportraits, Les soixante-deux membres du Club Mickey, Album de photos de la famille Durand, Réserve de Suisses morts (empilage de boîtes à biscuits sur lesquelles figurent des photos tirées de notices nécrologiques), Mes Morts (date tiret date), Le Terril Grand-Hornu (composé des manteaux noirs des mineurs et d’une lampe) et puis aussi Crépuscule (tapis d’ampoules dont l’une s’éteint chaque jour jusqu’à la fin de l’exposition) et Prendre la parole (silhouettes évoquant Giacometti s’adressant aux visiteurs quand ils s’approchent d’elles : « Dis-moi, étais-tu seul ? » « Dis-moi, as-tu eu peur ? »).
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Jeudi matin, j’écoute Christian Boltanski sur France Culture dans l’émission de Guillaume Erner puis vendredi midi dans celle d’Olivia Gesbert. La deuxième fois, il raconte exactement la même chose que la première. Mêmes confidences, mêmes réflexions, mêmes anecdotes, au mot près. Une façon peut-être d’arrêter le temps.
 

15 novembre 2019


C’est la bétaillère qui se charge de m’emmener à Paris en ce jour de triste anniversaire. Cela fait quatre ans que les islamistes ont fait cent trente mort(e)s et des quantités de blessé(e)s, physiques et psychiques, dans l’arrondissement où je passe nombre des matinées de mercredi.
Dans le métro qui m’y conduit, je côtoie une classe multiethnique du Collège Françoise Seligmann. Trois garçons minihiphopent, deux rubikscubent, un branle la barre et dit à une fille « Quoi, qu’est-ce que t’as compris ? ».
Après un court passage sur fond de marteau-piqueur au Café du Faubourg, j’explore les rayonnages de Book-Off sans y trouver de quoi me plaire. Le temps se maintenant, c’est à pied que je fais le chemin vers Beaubourg. A la Bastille des Policiers sont en place pour les commémorations. Arrivé au but, j’entre chez Templon. J’y découvre les dernières œuvres d’Oda Jaune, née en mil neuf cent soixante-dix-neuf en Bulgarie. Le corps humain l’inspire, qu’elle désassemble et réassemble en peinture. Ses propositions picturales n’ont pas de sens. En cours d’exposition, elles seront retournées. Oda Jaune crée également des sculptures anthropomorphes, que je préfère à ses tableaux.
La rue traversée, j’entre chez New New, au fond de l’impasse, pour un déjeuner chinois à volonté. J’y suis entouré de travailleurs parlant espagnol ou wolof et d’employées bien françaises dont la conversation roule sur le thème « Quand Catherine n’est pas là ». Il y a aussi des solitaires, dont un vieux Chinois qui mange avec une fourchette.
Ma présence dans le quartier est motivée par l’ouverture de l’exposition Christian Boltanski au Centre Pompidou. Quand j’en ressors, je monte dans le bus Vingt et Un. J’en descends à Opéra Quatre Septembre. Dans l’autre Book-Off je tombe sur un livre à un euro dont le titre racoleur me hérisse au plus haut point La vie sexuelle d’un islamiste à Paris. Il est écrit par une certaine Leïla Marouane et publié chez Albin Michel. Si j’étais le maître des lieux, j’irais le déposer dans l’un des cartons d’ouvrages destinés au broyage.
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Seul livre pour moi dans ce second Book-Off : Propos sur l’imparfait de Jacques Drillon., petit objet bleu de chez Zulma. Ainsi, l’imparfait nous sauve des entreprises de purification.
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Déjà la population parle de ce qu’on nomme les Fêtes. Il semblerait qu’il vaut mieux inviter à Noël et être invité au Jour de l’An. C’est moins de boulot.
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Comme lecture de train le Journal d’un séducteur de Søren Kierkegaard qu’il me souvient avoir tenté de lire une première fois, peu après mon arrivée à Rouen, à la terrasse du Saint-Amand, ce café devenu L’Espiguette et infréquentable. Cette fois encore, je n’irai pas au bout, ne retenant que cette maxime : A gens de village, trompette de bois.
 

14 novembre 2019


De ma lecture de Lettres du voyageur de Paul Morand, ouvrage paru aux Editions du Rocher, j’ai retenu ceci :
J’écris devant une porte au ripolin blanc. Un couple nordique est derrière que j’entends s’entrebaiser ; c’est le dégel. L’eau coule et aussi les épingles à cheveux plus liquides. La dame rit étouffé, comme Desdémone, cependant que je devine le Monsieur occupé à pousser dans les coins avec de grosses mains rouges à poils blonds. A Valentine Gross-Hugo, Grand-Hôtel Kristiana, le mercredi vingt avril mil neuf cent vingt et un
Germaine avait la migraine et une valise bourrée de partitions. A Irène Lagut, le dix-huit juillet mil neuf cent vingt et un (zeugme en l’honneur de Germaine Tailleferre)
… ma femme ayant une petite maison près de Rouen, je suis devenu, moi aussi, normand. (…) Mon adresse : manoir de Trianel, Perriers-sur-Andelle, Eure. A André Gide, trente juillet mil neuf cent vingt-sept
(« Quand vous voyez une jolie maison, dit Chesterton, ne l’achetez pas, achetez la maison d’en face. ») A Lolotte (Madame Alfred Fabre-Luce), le dix-neuf décembre mil neuf cent cinquante et un
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Arriverai-je un jour à lire A la recherche du temps perdu de ce Marcel Proust qu’a connu Paul Morand. J’en possède l’édition en un seul volume de chez Quarto/Gallimard achetée au prix immoral d’un euro chez Book-Off.  En attendant, ceci prélevé dans un livre de citations d’icelui dont je ne puis donner le titre, ne le retrouvant plus :
Mon amour pour Albertine n’avait été qu’une forme passagère de ma dévotion à la jeunesse. Nous croyons aimer une jeune fille, et nous n’aimons hélas ! en elle que cette aurore dont son visage reflète momentanément la rougeur. Albertine disparue
Il ne serait pas plus stupide qu’un autre s’il avait eu, comme tant de gens du monde, l’intelligence de savoir rester bête. Le côté de Guermantes
Ah ! parfaitement, La Pérouse, dit le général. C’est un nom connu. Il a sa rue. Du côté de chez Swann
Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix. Le temps retrouvé
Quant au bonheur, il n’a presque qu’une seule utilité, rendre le malheur possible. Le temps retrouvé
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En bonus, tiré du Journal de Jules Renard à la date du deux mars mil neuf cent trois : Quand on se réjouit d’être jeune, et qu’on remarque qu’on se porte bien, c’est la vieillesse.
 

12 novembre 2019


S’il m’arrive d’offrir des livres, récemment trois Marguerite Long à celui qui a voté pour moi aux Européennes, le premier d’Alexandre Tharaud et un Balzac à l’ami de Stockholm ainsi que le dernier d’Annie Ernaux à celle qui l’accompagne, je n’en prête pas, ayant eu par le passé à le regretter. « Je peux t’emprunter ce livre ? », celui-ci sorti de ma bibliothèque avant même que j’aie répondu et jamais rendu.
Cependant quand, ce dimanche après-midi, je découvre sur le réseau social Effe Bé le message d’une étudiante qui se désole de ne trouver Petites Morts d’Isabelle Rossignol, dont elle a absolument besoin, ni dans les librairies ni dans les bibliothèques (il y est inconnu) et lance un appel au secours auprès de qui l’aurait et pourrait le lui prêter, je me signale.
Cette étudiante polonaise a quitté Gdansk pour s’inscrire en Lettres Modernes à l’Université de Rouen. Il lui faudrait ce livre à partir de lundi jusqu’à jeudi. « C'est vraiment important pour moi, ça peut être très gentil de votre côté ! », m’écrit-elle.
Je préfère ne pas l’inviter à passer chez moi. Cela pourrait l’inquiéter. Je lui donne rendez-vous ce lundi onze novembre devant l’Omnia. Elle choisit treize heures.
Le soir venu, au lit, je relis l’ouvrage d’Isabelle Rossignol publié par les Editions du Rouergue. « Espèces animales fantasmées, avec leurs machineries sexuelles, organes génitaux, secrétions, cavités, poils, saillies. Crudité des gestes et des paroles. Et puis un corps de femme, prisonnier d’images et de mots, cuisses scellées. Qui se cherche. » annonce la quatrième de couverture.
Le texte fait alterner, en courts chapitres, la description de coïts d’insectes imaginaires : La Corixa crocuta dispose d'un clitoris aux dimensions de pénis qu'elle peut retourner comme un gant pour en faire un vagin. et celle des blocages d’une jeune fille face à la relation sexuelle : Je me déshabillais devant eux. Je me mettais nue contre leur corps et, dans leurs bras, je vivais les premiers instants de l’amour. Ils pouvaient embrasser ma poitrine, prendre le temps de me caresser… puis au moment où ils croyaient que… je fermais mes cuisses, m’excusais, me rhabillais et je quittais les lieux.
Il tombe une sacrée drache quand je rejoins l’Omnia. A peine suis-je arrivé que je suis hélé par celle avec qui j’ai rendez-vous, grande, blonde, jolie et souriante, accompagnée d’une brune tout aussi grande et jolie. Avec un charmant accent, elle me dit encore une fois qu’elle a absolument besoin de ce livre et que ne l’ayant trouvé nulle part, heureusement que je suis là.
-Cela me fait plaisir de vous aider, lui dis-je.
-Est-ce que je pourrais vous l’acheter ? s’enhardit-elle à me demander.
Me traverse l’esprit l’envie de le lui offrir, mais une transaction financière me semble plus raisonnable.
-Je vous le laisse pour un euro, lui dis-je.
Si peu ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un tel contentement. Après m’avoir encore une fois remercié, pour le livre et pour avoir affronté l’averse, elle va s’abriter avec sa copine sous un parasol et je rentre sous le parapluie.
                                                                       *
J’ai voulu et j’ai obtenu que l’amour soit beau. C’est arrivé un jour de novembre où j’avais quitté ma ville pour une autre. écrit Isabelle Rossignol vers la fin de son livre. Le onze de ce mois de novembre marque le treizième anniversaire de mon Journal.
 

11 novembre 2019


Du soleil ce samedi matin, de quoi me donner envie de monter dans le train de neuf heures douze pour Dieppe. En chemin c’est ciel bleu et feuilles rousses, parfois dans un semi-brouillard. A l’arrivée, après avoir réservé une table pour midi à L’Espérance face au port de pêche où tous les bateaux semblent à l’arrêt, j’entre au Tout Va Bien. Je trouve place, côté fauteuils moelleux, près d’un quatuor de marins-pêcheurs plus très jeunes qui discutent des quotas. La saison de la coquille Saint-Jacques est comme chaque année problématique. Aujourd’hui, on ne peut les pêcher.
-Bon bah je vais bricoler un peu mon bateau, ranger un peu le bordel, déclare soudain l’un en se levant
Les trois autres le suivent. Leur table est bientôt occupée par deux couples à chariot retour du marché. Il est question d’une certaine Charline qui vient d’avoir son diplôme de facilitatrice en éducation positive. Je suis vers la fin des Lettres de guerre d’Heinrich Böll qui passa une partie de celle-ci pas loin d’ici, au Tréport, sous l’uniforme nazi.
La patronne de L’Espérance me fait toujours de l’effet, mais l’adultère n’est pas au menu. Dans celui à dix euros quatre-vingt-dix-neuf, je choisis le buffet d’entrées, la langue de bœuf à la provençale avec frites et la panna cotta aux fruits rouges. A ma droite, des grands-parents déjeunent avec leurs trois petites-filles. A ma gauche, c’est un couple de vieux homos. Ils ont aussi peu à se dire que les couples d’hétéros du même âge.
-Qu’est-ce que t’as pris ?, demande l’un à l’autre
-De la raie.
-Ah oui, c’est bon la raie.
Je ne sais comment interpréter cela.
Mon repas achevé, je fais un tour au Pollet, m’attardant à regarder les manœuvres du Christophorus. L’imposant chasseur de vase opère un demi-tour dans l’avant-port. Puis je vais marcher le long de la plage où les baraques à frites sont fermées pour de longs mois. Plus question de café en terrasse, c’est à l’intérieur du Brazza que j’atteins le bout de ma lecture.
En sortant, je croise le défilé des confréries et leur bagad, une aguiche pour la Foire aux Harengs de la semaine prochaine (ou un avertissement pour ceux qui comme moi ne mettent jamais le pied dans ce genre de festivité).
Dans le train de seize heures neuf qui me ramène à Rouen, le contrôleur prouve son utilité en collant un supplément de quarante-deux euros à la demoiselle assise devant moi pour avoir pris un billet à tarif réduit bien que sa Carte Jeune soit périmée puis en lançant un appel au corps médical afin qu’il vienne en aide à une voyageuse qui ne se sent pas très bien. Deux jeunes hommes et une jeune femme s’occupent d’elle. Rien de grave, elle aurait mangé des coquilles Saint-Jacques.
                                                                       *
Lucette Almanzor, épouse Destouches, ne sera jamais comme j’en rêvais la doyenne des Français(e)s, apprends-je au retour. Elle est morte ce huit novembre à l’âge de cent sept ans. « C’est fou je pensais justement à elle hier. Je relis D’un Château l’autre depuis quelques semaines », m’écrit l’ami de Stockholm quand je lui apprends la nouvelle.
L’un comme l’autre, nous sommes allés ces derniers mois voir la maison de Céline, dans laquelle Lucette se trouvait entourée des trois employées payées par sa vente en viager à un voisin. Celui-ci va sans doute la rénover. Elle deviendra aussi banale que celles du même modèle, route des Gardes, à Meudon.
 

8 novembre 2019


Pourquoi donc, certaines semaines, la Senecefe refuse-t-elle les billets au meilleur prix pour le sept heures cinquante-neuf qui n’est jamais complet et les autorise-t-elle pour le sept heures vingt-huit dans lequel s’entassent celles et ceux qui vont travailler dans la capitale ? C’est encore le cas ce mercredi. D’où ma présence dans la bétaillère du labeur, alors que j’aurais préféré l’autre, et je ne suis sans doute pas le seul. En conséquence, certains navetteurs commencent leur journée assis dans les marches pendant une heure et quart. Pas un bruit ne se fait entendre chez les assis dans la voiture où je suis. J’y lis Air de la solitude et autres écrits de Gustave Roud (Poésie/Gallimard) dont le lyrisme paysan me laisse de marbre.
A l’arrivée, je grimpe dans un bus Vingt-Neuf qui part une minute plus tard. Cela me permet de faire le tour du marché d’Aligre avant qu’il soit dix heures. Un serveur a rejoint la nouvelle équipe du Café du Faubourg, auprès de qui je ne m’attarde pas. Chez Book-Off, le personnel se réjouit du calme et je déplore de ne trouver qu’un livre à un euro à mettre dans mon sac : Chants orphiques de Dino Campana (Allia).
Voulant rejoindre le Quartier Latin je prends par erreur un bus Soixante-Seize. De plus, il est en service partiel, ne va pas plus loin que la Bastille. Je me récupère en montant dans le Quatre-Vingt-Sept qui arrive derrière. Je découvre ainsi qu’il fait partie de ceux dont le trajet a été modifié. Finie la rue des Ecoles, il suit les quais. J’en descends à celui de Montebello. Rien n’a changé du côté de la Cathédrale éventrée.
Il est midi quand j’entre au restaurant devenu franco-chinois La Cochonnaille où l’on écoute Radio Nostalgie. Le menu à douze euros est inchangé et j’ai toujours droit à un petit pot de rillettes en attendant l’entrée. Une serveuse arrive essoufflée, problème de bus après un rendez-vous avec un professeur de médecine dans le service duquel elle doit faire un stage. On y traite les cancers gastronomiques.
-Euh, la gastronomie, c’est ici, lui dit la patronne.
-Comment on dit alors ? Il est spécialisé dans celui du pancréas.
Une arrivée de clients met fin à cette conversation, des collègues de travail dont une Colombienne végétarienne. Leurs échanges sur le mode de la plaisanterie perpétuelle ne me font pas regretter d’être seul.
Ce n’est pas la nostalgie qui me ramène boulevard Saint-Michel, même s’il est sûr que j’aimerais y croiser encore Aguigui Mouna et les Hare Krishna. J’entre au Gibert Bleu, qui lui n’a pas changé depuis la première fois où j’y mis le pied, au début des années soixante-dix. J’y trouve pour onze euros dix le Journal particulier (1936) de Paul Léautaud (Mercure de France).
C’est avec le bus Vingt-Sept qui frôle toujours la Pyramide du Louvre que je rejoins l’autre Book-Off. M’y attendaient plus de livres à un euro que je ne l’espérais, dont Irène Némirovsky, biographie de Jonathan Weiss (Le Félin), Jules, recueil des nouvelles d’Henri-Pierre Roché (L’Herne), le numéro sept des Cahiers d’études Léo Ferré consacré à Marseille (Le Petit Véhicule) et la Correspondance de Roger Caillois et Victoria Ocampo (Stock).
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Innovation bienvenue chez Gibert Jaune à l’étage Littérature : un rayon Correspondances et Journaux Intimes, dans lequel je reviendrai fouiller.
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Le terminus du bus Vingt-Neuf : Porte de Montempoivre. Ce qui fait rêver mais doit décevoir.
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Conversation de commerçants en ligne à la Ville d’Argentan :
-On est sur le concept d’une boutique qui évolue en fonction du vote des internautes.
-Nous, on joue sur la rupture prochaine, plus que deux de disponibles, c’est malin.
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Le poète vaudois Gustave Roud est mort il y a un quart de siècle, à soixante-dix-neuf ans. Sa mort n’a pas fait plus de bruit que sa vie. écrit Philippe Jaccottet en ouverture de sa préface à Air de la solitude et autres écrits. De ce poète, ceci, quand même : Je suis moi par habitude, comme une salle d’auberge vide qui se souvient de ses hôtes absents, comme un carrefour abandonné.
 

2 novembre 2019


« Les services de l’État ont agi avec compétence, avec beaucoup de sang froid, beaucoup de professionnalisme », déclare Emmanuel Macron, Président de la République, Centriste de Droite, devant l’Hôtel de Ville de Rouen. « De là où je suis, je n’ai pas vu de défaillance, au contraire ». A ses côtés sont Yvon Robert, Maire et Chef de Métropole, Socialiste, et un peu en retrait Damien Adam, Député, Centriste de Droite, Sébastien Lecornu Ministre, ancien Maire de Vernon, ancien Droitiste, et le Préfet avec sa belle casquette.
De là où je suis, devant ma télé, le regardant s’exprimer à deux cents mètres de chez moi ce mercredi soir, je ne trouve pas que ce qu’il dit corresponde à l’évènement tel que je l’ai vécu. J’ai eu l’impression de services impréparés et débordés. Heureusement que les pompiers furent à la hauteur, malgré l’absence d’équipement approprié et l’eau qui manquait dans les tuyaux.
Ceux qui ont eu très chaud, voisins immédiats de Lubrizol et gens du voyage (comme au dit), dont l’aire d’accueil est coincée entre l’usine et le cimetière, n’auront pas l’occasion de lui décrire les faits de là où ils sont, car notre Président est maintenant rue de l’Hôpital. Il discute avec de la jeunesse qui boit des coups en terrasse comme tous les soirs. Devant les reproches qui se répètent, il finit par admettre qu’il y a peut-être eu des insuffisances, que cela permettra de s’améliorer. Une jeune femme soudain l’invective, à qui il reproche de faire son show, mais que fait-il lui ? Quelques « Macron démission » se font entendre. Pour mettre qui à sa place ? Les seuls qui répondent à cette question disent Le Pen ou Mélenchon. Que l’avenir nous en préserve !
L’idée de l’encasquetté pour la prochaine : supprimer la sirène d’alerte et prévenir la population individuellement par message envoyé à tous les mobiles. Macron approuve. Tout ce beau monde (Macron, Robert, Adam, Lecornu et Préfet) semble se dire « De toute façon ça n’arrivera plus », comme avant le vingt-six septembre il était sûr que cela n’arriverait jamais. Il ne leur vient pas à l’idée que la sirène, ça permet de réveiller les concernés la nuit, ce que ne fera jamais le bip d’un message électronique.
« Je vous l’avais promis, je suis venu », répète Macron. Ses interlocuteurs lui répondent invariablement qu’il aurait dû le faire avant. Il promet un évènement en deux mille vingt pour redorer le blason de la ville, une rencontre avec un de ses homologues. Monsieur est trop bon.
Le lendemain matin, on apprend que cette venue qualifiée de visite surprise, n’était qu’une étape sur la route d’Honfleur où le « couple présidentiel » allait se détendre à l'occasion du ouiquennede prolongé de la Toussaint. Que n’aurait-on pas dit s’il était passé sur l’autoroute à dix kilomètres de Rouen sans s’y arrêter. Obligé, s’est-il dit.
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La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, dit-on. En cas de démenti de cet adage, n’entendant pas la sirène malgré mon hyperacousie et n’ayant pas de téléphone portatif, la probabilité que j’en sois averti avant les premières infos de France Culture est mince.
 

1er novembre 2019


Pour des raisons tarifaires, je dois renoncer à mon habituel Corail ce mercredi et être au borduquet une demi-heure plus tôt. J’y attends la bétaillère de sept heures vingt-huit, le train des navetteurs (comme s’appellent celles et ceux qui travaillent chaque jour dans la capitale et n’ont pas encore renoncé à habiter Rouen). Face à moi, un double panneau publicitaire vante les huîtres (pour les riches) et les moules (pour les pauvres). Ces affiches du Comité National de Conchyliculture ont pour illustration des fêtards à bonnet qui boivent de l’eau.
Il y a suffisamment de places pour tout le monde dans le train à étage. Devant moi, un malvoyant lit en gros caractères sur sa tablette. Un silence imprévu s’installa, plombé par des révélations morbides.
Pour perdre mon avance, je monte dans le bus Vingt-Neuf. Après s’être faufilé dans le Marais, il me dépose à la Bastille. Il me faut ensuite vaincre les travaux de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
Le personnel du Café du Faubourg est désormais cent pour cent féminin, nouvelle gérante, nouvelle serveuse. Je demande à cette dernière ce que sont devenus les anciens. « Mathieu a pris une affaire à Saint-Maur », me répond-elle. Je ne saurai pas ce que sont devenus son serveur et sa serveuse exubérante qui s’était calmée au fil du temps. La collection de billets de banque du monde entier qui ornait le mur derrière le comptoir a disparu. « Il a dû les emporter », me dit cette jolie brune qui ignorait leur existence.
Chez Book-Off le calme règne. Jusqu’à ce qu’un jeune homme fasse une entrée remarquée : « Bonjour, c’est la désinsectisation. Pour les blattes. » Tant que ce n’est pas pour les punaises de lit. Une employée l’emmène dans le local du personnel à l’étage. Quelques livres à un euro trouvent place dans mon panier, dont Paul Léautaud de Martine Sagaert dans l’édition de poche Millésimes du Castor Astral, une nouvelle version de l’essai, déjà en ma possession, qu’elle avait publié en mil neuf cent quatre-vingt-huit à La Manufacture dans la collection « Qui êtes-vous ? », malheureusement polluée par une préface de Philippe Delerm. Martine Sagaert analyse avec une acuité très pertinente les fêlures léautaldiennes, écrit-il, un adjectif lui aurait valu les sarcasmes du concerné.
J’ajoute, chez Emmaüs, « Je veux regarder par le trou de la serrure », un minuscule ouvrage, publié chez Mille et Une Nuits, dans lequel Jean-Paul Morel recense les vilenies dites ou écrites par Edgar Degas.
Midi venu, je déjeune au Paris, boulevard Richard-Lenoir, à une petite table donnant sur le spectacle de la rue, déco à l’ancienne, musique parisienne à contrebasse, personnel du monde, menu complet à quatorze euros cinquante : soupe à je ne sais plus quoi, tartare de bœuf frites salade, tiramisu au café, quart de vin du mois (un pinot noir) à six euros cinquante.
Le métro Huit me permet de rejoindre l’autre Book-Off où il y a foule. Malgré la gêne occasionnée, j’y déniche à un euro l’édition en grand format, chez Christian Bourgois, de Lettres de Gertrud Kolmar, avec une photo d’icelle en couverture (j’en avais déjà l’édition de poche Titres). Une quinquagénaire demande un livre sur les ateliers d’écriture.
-Au rayon Loisirs, peut-être, lui dit la vendeuse.
La dame ne fait pas de commentaire, mais son air vexé en dit long sur ce qu’elle pense.
Pour rentrer j’ai place dans le seize heures dix-huit qui s’arrête à Mantes-la-Jolie, Vernon Giverny, Gaillon Aubevoye, Val-de-Reuil et Oissel. Il me permet d’arriver à Rouen à peu près au même moment qu’Emmanuel Macron, venu quant à lui en voiture officielle, sans proposer le covoiturage.
                                                                      *
Si j’étais dictateur, j’interdirai les librairies à qui n’y entre que pour occuper le temps entre midi et deux.
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Si j’étais dictateur, j’interdirai aussi à Philippe Delerm d’écrire des préfaces.
 

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