Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
2 février 2021
Deux fois lu par mes soins, le Journal d’Eugène Delacroix (Plon), commencé par lui le mardi trois septembre mil huit cent vingt-deux s’interrompt le mardi cinq octobre mil huit cent vingt-quatre. Il ne reprendra cette pratique qu’en mil huit cent quarante-sept.
Jeune peintre, Delacroix, comme l’époque le lui permettait, ne craignait pas d’utiliser ses jeunes modèles à d’autres fins, lorsque toutefois son ardeur le lui permettait, ainsi que le montrent ces quelques extraits :
Vendredi seize mai mil huit cent vingt-trois : J’ai vu mardi dernier Sidonie. Il y a eu quelques moments ravissants. Qu’elle était bien, nue et au lit ! Surtout des baisers et des approches délicieuses.
Lundi douze janvier mil huit cent vingt-quatre : Je suis rentré à mon atelier saisi de zèle et, Hélène étant arrivée peu après, j’ai tout de suite fait quelques ensembles pour mon tableau. Elle a emporté malheureusement une partie de mon énergie de ce jour.
Dimanche vingt-cinq janvier mil huit cent vingt-quatre : J’ai pensé, en revenant de mon atelier, à faire une jeune fille rêveuse qui taille une plume, debout devant une table.
Mercredi sept avril mil huit cent vingt-quatre : Ce matin Hélène est venue. O disgrâce… Je n’ai pu. – Irais-je sur les traces de mon brave frère ?
Lundi douze avril mil huit cent vingt-quatre : Je suis toujours possédé d’une petite fièvre qui me dispose facilement à une émotion vive.
Dimanche dix-huit avril mil huit cent vingt-quatre : A l’atelier à neuf heures. Laure venue. Avancé le portrait. C’est une chose singulière que l’ayant désirée tout le temps de la séance, au moment de son départ, assez précipité à la vérité, ce n’était plus tout à fait de même ; il m’eût fallu le temps de me reconnaître.
Lundi vingt-six avril mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a manqué de parole. J’ai travaillé toute la journée avec chaleur. J’étais fatigué sur le soir. Retouché les jambes du jeune homme au coin et la vieille.
Mercredi neuf juin mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a amené une admirable Adeline de seize ans, grande, bien faite et d’une tête charmante. Je ferai son portrait et m’en promets ; j’y pense.
Lundi quatorze juin mil huit cent vingt-quatre : J’aurais besoin d’une maîtresse pour mater la chair d’habitude. J’en suis fort tourmenté et soutiens à mon atelier de magnanimes combats. Je souhaite quelquefois la venue de la première femme venue. Fasse le ciel que vienne Laure demain !
Jeune peintre, Delacroix, comme l’époque le lui permettait, ne craignait pas d’utiliser ses jeunes modèles à d’autres fins, lorsque toutefois son ardeur le lui permettait, ainsi que le montrent ces quelques extraits :
Vendredi seize mai mil huit cent vingt-trois : J’ai vu mardi dernier Sidonie. Il y a eu quelques moments ravissants. Qu’elle était bien, nue et au lit ! Surtout des baisers et des approches délicieuses.
Lundi douze janvier mil huit cent vingt-quatre : Je suis rentré à mon atelier saisi de zèle et, Hélène étant arrivée peu après, j’ai tout de suite fait quelques ensembles pour mon tableau. Elle a emporté malheureusement une partie de mon énergie de ce jour.
Dimanche vingt-cinq janvier mil huit cent vingt-quatre : J’ai pensé, en revenant de mon atelier, à faire une jeune fille rêveuse qui taille une plume, debout devant une table.
Mercredi sept avril mil huit cent vingt-quatre : Ce matin Hélène est venue. O disgrâce… Je n’ai pu. – Irais-je sur les traces de mon brave frère ?
Lundi douze avril mil huit cent vingt-quatre : Je suis toujours possédé d’une petite fièvre qui me dispose facilement à une émotion vive.
Dimanche dix-huit avril mil huit cent vingt-quatre : A l’atelier à neuf heures. Laure venue. Avancé le portrait. C’est une chose singulière que l’ayant désirée tout le temps de la séance, au moment de son départ, assez précipité à la vérité, ce n’était plus tout à fait de même ; il m’eût fallu le temps de me reconnaître.
Lundi vingt-six avril mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a manqué de parole. J’ai travaillé toute la journée avec chaleur. J’étais fatigué sur le soir. Retouché les jambes du jeune homme au coin et la vieille.
Mercredi neuf juin mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a amené une admirable Adeline de seize ans, grande, bien faite et d’une tête charmante. Je ferai son portrait et m’en promets ; j’y pense.
Lundi quatorze juin mil huit cent vingt-quatre : J’aurais besoin d’une maîtresse pour mater la chair d’habitude. J’en suis fort tourmenté et soutiens à mon atelier de magnanimes combats. Je souhaite quelquefois la venue de la première femme venue. Fasse le ciel que vienne Laure demain !
1er février 2021
Si ce n’est la plus efficace, au moins ce doit être la plus bruyante, cette tronçonneuse en activité samedi matin dans le jardin. Un voisin propriétaire y dirige un acolyte outillé de cet engin, tout en participant lui-même avec une scie. Il s’agit de ramener à une hauteur raisonnable la haie qui longe le mur du fond de la copropriété. Au temps où le jardin était entretenu par un paysagiste, cette haie ne dépassait pas un mètre et était taillée avec une simple cisaille. Depuis que les copropriétaires ont repris la main et font le minimum, elle a été abandonnée à elle-même et atteint au moins deux mètres.
Soudain, entre deux rugissements mécaniques, on tape violemment dans la porte du porche. Le voisin propriétaire va ouvrir. C’est une femme énervée de derrière le mur. Elle s’en prend à lui sans que je n’arrive à comprendre pourquoi, car il semble que si ça coupe ce matin, c’est justement à la demande de la copropriété d’outre mur.
Le voisin propriétaire fait ressortir l’intruse en lui conseillant d’aller faire un tour. Au lieu de cela quelques minutes plus tard elle tambourine à nouveau. Elle veut savoir le nom du propriétaire à la scie. « Je n’ai pas à vous donner mon nom, lui répond-il, et vous êtes trop énervée pour que l’on puisse discuter. » Elle finit par repartir en menaçant de son mari.
Le bruit de tronçonnage se poursuit, nuisant gravement au concert de carillon et sans que n’apparaisse le conjoint.
Soudain, entre deux rugissements mécaniques, on tape violemment dans la porte du porche. Le voisin propriétaire va ouvrir. C’est une femme énervée de derrière le mur. Elle s’en prend à lui sans que je n’arrive à comprendre pourquoi, car il semble que si ça coupe ce matin, c’est justement à la demande de la copropriété d’outre mur.
Le voisin propriétaire fait ressortir l’intruse en lui conseillant d’aller faire un tour. Au lieu de cela quelques minutes plus tard elle tambourine à nouveau. Elle veut savoir le nom du propriétaire à la scie. « Je n’ai pas à vous donner mon nom, lui répond-il, et vous êtes trop énervée pour que l’on puisse discuter. » Elle finit par repartir en menaçant de son mari.
Le bruit de tronçonnage se poursuit, nuisant gravement au concert de carillon et sans que n’apparaisse le conjoint.
30 janvier 2021
Surprise au réveil ce samedi, le troisième confinement n’est plus à l’ordre du jour. Ce pourrait être rassurant si on ne savait pas que chaque décision est susceptible d’être remise en cause le lendemain.
La seule vraie nouveauté est la fermeture des plus grandes des grandes surfaces. Les commentateurs ne citent qu’Ikea, un temple pour beaucoup. Je me flatte de n’y jamais avoir mis un pied.
Ce qui arrive comme prévu, c’est la pluie quotidienne, une incitation supplémentaire à se tenir enfermé.
J’en suis victime. Avant-guerre, j’avais de grosses difficultés à rester une journée sans sortir de chez moi. A présent, quand il pleut, je dois me forcer pour quitter la maison. Ne serait-ce qu’aller acheter du pain me coûte.
La seule vraie nouveauté est la fermeture des plus grandes des grandes surfaces. Les commentateurs ne citent qu’Ikea, un temple pour beaucoup. Je me flatte de n’y jamais avoir mis un pied.
Ce qui arrive comme prévu, c’est la pluie quotidienne, une incitation supplémentaire à se tenir enfermé.
J’en suis victime. Avant-guerre, j’avais de grosses difficultés à rester une journée sans sortir de chez moi. A présent, quand il pleut, je dois me forcer pour quitter la maison. Ne serait-ce qu’aller acheter du pain me coûte.
29 janvier 2021
Comme je l’avais pressenti, les secondes doses empêchent les nouvelles premières doses. S’ajoute à cela la livraison des vaccins revue à la baisse chaque matin. Ce n’est pas demain la veille que je pourrai être piqué et ainsi en est-il de tou(te)s les plus de soixante-cinq ans.
Lors de la Deuxième Guerre Mondiale les masques à gaz étaient distribués à tout le monde en même temps. Je l’ai lu et relu dans les Journaux de Guerre. On ne disait pas à certain(e)s « Désolé, c’est la pénurie, il va falloir attendre trois mois, en cas de gazage évitez de respirer. »
En cette fin janvier, s’il y avait eu assez de vaccins pour tout le monde, quatre-vingt-quinze pour cent des futurs morts auraient échappé à ce sort funeste.
*
Parmi les vacciné(e)s : soixante-dix pour cent de femmes, trente pour cent d’hommes. C’est dire s’il est difficile pour ces derniers d’atteindre soixante-quinze ans.
*
De Pierre Ducrozet : « Il y a beaucoup d'incertitudes, oh oui, on nage dedans, ma bonne dame, tout flotte on ne sait plus rien - mais une chose, une seule chose est certaine : si tu dis LA Covid, tu es de droite. »
Lors de la Deuxième Guerre Mondiale les masques à gaz étaient distribués à tout le monde en même temps. Je l’ai lu et relu dans les Journaux de Guerre. On ne disait pas à certain(e)s « Désolé, c’est la pénurie, il va falloir attendre trois mois, en cas de gazage évitez de respirer. »
En cette fin janvier, s’il y avait eu assez de vaccins pour tout le monde, quatre-vingt-quinze pour cent des futurs morts auraient échappé à ce sort funeste.
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Parmi les vacciné(e)s : soixante-dix pour cent de femmes, trente pour cent d’hommes. C’est dire s’il est difficile pour ces derniers d’atteindre soixante-quinze ans.
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De Pierre Ducrozet : « Il y a beaucoup d'incertitudes, oh oui, on nage dedans, ma bonne dame, tout flotte on ne sait plus rien - mais une chose, une seule chose est certaine : si tu dis LA Covid, tu es de droite. »
28 janvier 2021
D’abord il y a eu urgence à agir, puis décision d’attendre une semaine qu’on sache si le couvre-feu à dix-huit heures sert à kekchose, puis se persuader dès maintenant que ça ne sert pas comme il faudrait, et se dire qu’il faut vite prendre une décision afin de ne pas être accusé d’avoir traîné, tel est le nouveau vent de panique qui souffle sur nos dirigeants politiques et qui va mener à un choix obligé, ce troisième confinement, pouvant même être « très serré » (comme dit le porte-parole du Gouvernement).
*
Ces journalistes qui s’étonnent des émeutes des derniers jours aux Pays-Bas. «Un pays si calme», disent-ils. Manifestement, ils n’ont jamais entendu parler des Provos de mil neuf cent soixante-sept.
La différence étant que ces derniers contestaient la société de consommation alors que les émeutiers du jour la soutiennent en pillant les magasins.
*
Ces journalistes qui s’étonnent des émeutes des derniers jours aux Pays-Bas. «Un pays si calme», disent-ils. Manifestement, ils n’ont jamais entendu parler des Provos de mil neuf cent soixante-sept.
La différence étant que ces derniers contestaient la société de consommation alors que les émeutiers du jour la soutiennent en pillant les magasins.
27 janvier 2021
J’ai toujours eu conscience en prenant ou en renouvelant une carte d’adhérent que je faisais preuve d’optimisme. Ainsi en fut-il pour ma dernière carte Pop du Centre Pompidou, d’une durée de deux ans, prise le douze novembre deux mille dix-neuf. Pourrai-je être encore vivant ou simplement valide pour l’utiliser jusqu’au bout. Je n’avais pas envisagé l’autre éventualité, que ce soit le Centre Pompidou qui défaille.
Il l’a été par la faute du Covid et ne m’a offert en compensation qu’une prolongation de la validité de cette carte Pop égale à la durée de la fermeture du Musée. Rien pour compenser, entre le premier et le deuxième confinement, mon refus de fréquenter sur réservation un lieu où j’allais librement avant.
Et voici maintenant ce Centre Pompidou qui annonce sa fermeture pour gros travaux entre deux mille vingt-trois et deux mille vingt-sept (comprendre : deux mille vingt-huit voire vingt-neuf). Comme il est peu probable qu’on soit complètement sorti de la pandémie avant deux mille vingt-trois et je n’ai toujours aucune envie d’y entrer en mode dégradé, je crains de ne pouvoir y retourner un jour.
*
Autre achat téméraire de la même époque : celui d’une carte « dix voyages » pour le tramouais du Havre. Je n’ai pu l’utiliser que le temps d’un aller-retour entre la Gare et la plage. Elle va expirer le six juillet deux mille vingt et un. Je doute d’avoir l’occasion de retourner là-bas quatre fois avant sa péremption.
Il l’a été par la faute du Covid et ne m’a offert en compensation qu’une prolongation de la validité de cette carte Pop égale à la durée de la fermeture du Musée. Rien pour compenser, entre le premier et le deuxième confinement, mon refus de fréquenter sur réservation un lieu où j’allais librement avant.
Et voici maintenant ce Centre Pompidou qui annonce sa fermeture pour gros travaux entre deux mille vingt-trois et deux mille vingt-sept (comprendre : deux mille vingt-huit voire vingt-neuf). Comme il est peu probable qu’on soit complètement sorti de la pandémie avant deux mille vingt-trois et je n’ai toujours aucune envie d’y entrer en mode dégradé, je crains de ne pouvoir y retourner un jour.
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Autre achat téméraire de la même époque : celui d’une carte « dix voyages » pour le tramouais du Havre. Je n’ai pu l’utiliser que le temps d’un aller-retour entre la Gare et la plage. Elle va expirer le six juillet deux mille vingt et un. Je doute d’avoir l’occasion de retourner là-bas quatre fois avant sa péremption.
26 janvier 2021
Lorsque cela commence à sentir le roussi pour les nazis. Heinrich Böll est envoyé sur le front de l’Est. C’est là qu’il finira la guerre, blessé.
Suite et fin de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, à l’Ouest, le vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante-trois : A peine étions-nous embarqués hier dans le train – nous avions déjà roulé une demi-heure en direction de la Russie – qu’un horrible attentat a visé notre convoi ; comme par miracle – un vrai miracle – on m’a tiré d’entre trois wagons complètement disloqués, au milieu de morts et de blessés, j’ai juste une contusion à l’épaule et une écorchure à la main, c’est tout. Je t’écrirai encore à ce sujet, c’était horrible.
A sa femme, à l’Est, le quinze novembre mil neuf cent quarante-trois : Nous sommes terrés au bord d’un immense champ de tournesols dont il ne subsiste que les tiges nues de l’automne, pilonné des deux côtés par l’artillerie et labouré en tous sens par les chenilles des chars ; une terre épaisse, lourde et noire comme la poix, dans laquelle nous peinons à creuser nos trous.
A sa femme, Saint-Avold, cinq mars mil neuf cent quarante-quatre : J’ai surmonté cinq ans de guerre, j’ai traversé plus d’un danger et, dans l’ensemble, j’ai eu une sacrée chance, que je ne méritais vraiment pas ; et je pense que je continuerai à avoir de la chance, mais si je dois repartir, ce sera à nouveau pour longtemps.
A sa femme, en Roumanie, le deux juin mil neuf cent quarante-quatre : Avant-hier, à 6 heures du matin, le mercredi après la Pentecôte, j’ai été blessé lors de la dernière attaque, à 20 mètres des lignes russes. Cette fois-ci j’ai réellement reçu « du fer dans le dos » à l’épaule gauche, trois vrais éclats, un affaire assez désagréable, parce que je ne peux pas bien m’allonger ni m’asseoir… (…)
Ces derniers jours étaient vraiment horribles. Je suis très heureux que Dieu m’ait tiré de là. Il avait fait une chaleur atroce, toute la journée, une atmosphère terriblement poussiéreuse, il n’y avait pas une goutte à boire, ni à manger, et nous avancions d’une colline dénudée à l’autre, toujours sous un feu intense, mon Dieu, c’était vraiment l’enfer.
A sa femme, Sepsiszentgyörgy, le cinq juin mil neuf cent quarante-quatre : Dieu sait que je connais maintenant la guerre, je la connais sous tous ses angles, et, je te le dis, (…) ne crois rien de ce qu’on imprime ou de ce qu’on a imprimé à son propos (…), tout ce bavardage idiot et criminel des journaux n’a pas sa place là-dedans ; vraiment, je t’en supplie, ne crois rien de tout cela.
A sa femme, Debrecen, le vingt-trois juin mil neuf cent quarante-quatre : C’est si dur, de passer à côté de la vie, n’est-ce pas ? Toutes ces soirées du mois de juin, ces délicieuses journées de printemps et les innombrables jours d’été qui nous attendent.
A sa femme, Debrecen, le deux juillet mil neuf cent quarante-quatre : … et cela fait maintenant cinq semaines que je végète avec ma blessure dans des lits sales, avec en plus une fièvre dont on ne connaît pas encore les origines et qu’on essaie de traiter avec toutes sortes de pilules. J’ai compris l’absurdité de la folie militaire, et tout simplement la démence de toute guerre.
Tous les soirs j’attends avec impatience le bulletin de la Wehrmacht pour savoir s’il n’apportera pas enfin la vraie grande nouvelle militaire, celle qui laissera entrevoir la fin de la guerre.
Suite et fin de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, à l’Ouest, le vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante-trois : A peine étions-nous embarqués hier dans le train – nous avions déjà roulé une demi-heure en direction de la Russie – qu’un horrible attentat a visé notre convoi ; comme par miracle – un vrai miracle – on m’a tiré d’entre trois wagons complètement disloqués, au milieu de morts et de blessés, j’ai juste une contusion à l’épaule et une écorchure à la main, c’est tout. Je t’écrirai encore à ce sujet, c’était horrible.
A sa femme, à l’Est, le quinze novembre mil neuf cent quarante-trois : Nous sommes terrés au bord d’un immense champ de tournesols dont il ne subsiste que les tiges nues de l’automne, pilonné des deux côtés par l’artillerie et labouré en tous sens par les chenilles des chars ; une terre épaisse, lourde et noire comme la poix, dans laquelle nous peinons à creuser nos trous.
A sa femme, Saint-Avold, cinq mars mil neuf cent quarante-quatre : J’ai surmonté cinq ans de guerre, j’ai traversé plus d’un danger et, dans l’ensemble, j’ai eu une sacrée chance, que je ne méritais vraiment pas ; et je pense que je continuerai à avoir de la chance, mais si je dois repartir, ce sera à nouveau pour longtemps.
A sa femme, en Roumanie, le deux juin mil neuf cent quarante-quatre : Avant-hier, à 6 heures du matin, le mercredi après la Pentecôte, j’ai été blessé lors de la dernière attaque, à 20 mètres des lignes russes. Cette fois-ci j’ai réellement reçu « du fer dans le dos » à l’épaule gauche, trois vrais éclats, un affaire assez désagréable, parce que je ne peux pas bien m’allonger ni m’asseoir… (…)
Ces derniers jours étaient vraiment horribles. Je suis très heureux que Dieu m’ait tiré de là. Il avait fait une chaleur atroce, toute la journée, une atmosphère terriblement poussiéreuse, il n’y avait pas une goutte à boire, ni à manger, et nous avancions d’une colline dénudée à l’autre, toujours sous un feu intense, mon Dieu, c’était vraiment l’enfer.
A sa femme, Sepsiszentgyörgy, le cinq juin mil neuf cent quarante-quatre : Dieu sait que je connais maintenant la guerre, je la connais sous tous ses angles, et, je te le dis, (…) ne crois rien de ce qu’on imprime ou de ce qu’on a imprimé à son propos (…), tout ce bavardage idiot et criminel des journaux n’a pas sa place là-dedans ; vraiment, je t’en supplie, ne crois rien de tout cela.
A sa femme, Debrecen, le vingt-trois juin mil neuf cent quarante-quatre : C’est si dur, de passer à côté de la vie, n’est-ce pas ? Toutes ces soirées du mois de juin, ces délicieuses journées de printemps et les innombrables jours d’été qui nous attendent.
A sa femme, Debrecen, le deux juillet mil neuf cent quarante-quatre : … et cela fait maintenant cinq semaines que je végète avec ma blessure dans des lits sales, avec en plus une fièvre dont on ne connaît pas encore les origines et qu’on essaie de traiter avec toutes sortes de pilules. J’ai compris l’absurdité de la folie militaire, et tout simplement la démence de toute guerre.
Tous les soirs j’attends avec impatience le bulletin de la Wehrmacht pour savoir s’il n’apportera pas enfin la vraie grande nouvelle militaire, celle qui laissera entrevoir la fin de la guerre.
25 janvier 2021
Après la côte normande, c’est de la côte picarde que le jeune Heinrich Böll doit surveiller les Anglais, ce qu’il fait en recourant de plus en souvent à l’alcool pour supporter sa vie de soldat du Reich.
Suite de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, Tully, le trente et un mai mil neuf cent quarante-trois : Hier après-midi et hier soir, j’ai drôlement picolé ; j’étais un peu triste de ne pas avoir de courrier depuis deux jours et, tandis que je buvais un malheureux petit verre de vin, je me suis retrouvé soudain entouré de gens très frivoles, cela a dégénéré en une fête à la fin de laquelle j’étais le seul à avoir gardé les idées claires alors que, physiquement, j’étais complètement ivre.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le seize août mil neuf cent quarante-trois : L’un des jeux d’enfants les plus extraordinaires, le cerf-volant, se pratique beaucoup en ce moment dans les champs moissonnés ; ce n’est pas sans mélancolie et sans leur envier toutes ces manipulations familières que je les observe à la jumelle quand je suis posté pour surveiller les avions.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt et un août mil neuf cent quarante-trois : Car je vis ici sans la moindre porte, et les fenêtres sont mal en point, les soldats ont dû les brûler un de ces derniers hivers. Vraiment, tout ce qui a dû passer dans le poêle comme mobilier, fenêtres et portes, durant les trois dernières années d’occupation sur la côte atlantique, cela ferait presque la richesse d’un petit Etat.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt-quatre août mil neuf cent quarante-trois : Dimanche, j’ai été au café du village, et j’ai encore bu un bon coup, qui s’est avéré par la suite un peu exagéré – bon sang, il y avait une ambiance dingue là-dedans ! Toute la jeunesse du coin s’était donné rendez-vous et dansait, dansait, dansait tellement que l’air était rempli de poussière et que la sueur coulait à grosses gouttes ; c’était vraiment intéressant de voir ces jouvenceaux pommadés, et les filles, de la plus timide à la prima donna langoureuse. Il y avait aussi de véritables gamins, entre cinq et douze ans, qui couraient partout, ouvraient avec beaucoup de manières des bouteilles de mousseux, le versant dans des verres comme des maîtres, et qui savaient boire le cognac avec dignité ; un incroyable spectacle que ces mômes de douze ans avec leur horrible visage de vieillards, buvant de l’alcool et fumant des cigarettes !
A sa femme, Yzengremer, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quarante-trois : Hier, au départ de la marche, il faisait un temps magnifique, vraiment un soleil éclatant ; doré, très doux et brillant ; c’était samedi après-midi, les Français avaient fini le travail, et dans les villages que nous traversions, ils étaient assis dans leurs cafés chaleureux, ou à leurs fenêtres à nous regarder passer en nage, avec un mélange de raillerie et de pitié. Hélas, j’ai alors pensé que j’en étais bientôt à la cinquième année de jeunesse sacrifiée…
Suite de mes prélèvements dans Lettres de guerre 1939-1945 publié chez L’Iconoclaste :
A sa femme, Tully, le trente et un mai mil neuf cent quarante-trois : Hier après-midi et hier soir, j’ai drôlement picolé ; j’étais un peu triste de ne pas avoir de courrier depuis deux jours et, tandis que je buvais un malheureux petit verre de vin, je me suis retrouvé soudain entouré de gens très frivoles, cela a dégénéré en une fête à la fin de laquelle j’étais le seul à avoir gardé les idées claires alors que, physiquement, j’étais complètement ivre.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le seize août mil neuf cent quarante-trois : L’un des jeux d’enfants les plus extraordinaires, le cerf-volant, se pratique beaucoup en ce moment dans les champs moissonnés ; ce n’est pas sans mélancolie et sans leur envier toutes ces manipulations familières que je les observe à la jumelle quand je suis posté pour surveiller les avions.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt et un août mil neuf cent quarante-trois : Car je vis ici sans la moindre porte, et les fenêtres sont mal en point, les soldats ont dû les brûler un de ces derniers hivers. Vraiment, tout ce qui a dû passer dans le poêle comme mobilier, fenêtres et portes, durant les trois dernières années d’occupation sur la côte atlantique, cela ferait presque la richesse d’un petit Etat.
A sa femme, La Mollière d’Aval, le vingt-quatre août mil neuf cent quarante-trois : Dimanche, j’ai été au café du village, et j’ai encore bu un bon coup, qui s’est avéré par la suite un peu exagéré – bon sang, il y avait une ambiance dingue là-dedans ! Toute la jeunesse du coin s’était donné rendez-vous et dansait, dansait, dansait tellement que l’air était rempli de poussière et que la sueur coulait à grosses gouttes ; c’était vraiment intéressant de voir ces jouvenceaux pommadés, et les filles, de la plus timide à la prima donna langoureuse. Il y avait aussi de véritables gamins, entre cinq et douze ans, qui couraient partout, ouvraient avec beaucoup de manières des bouteilles de mousseux, le versant dans des verres comme des maîtres, et qui savaient boire le cognac avec dignité ; un incroyable spectacle que ces mômes de douze ans avec leur horrible visage de vieillards, buvant de l’alcool et fumant des cigarettes !
A sa femme, Yzengremer, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quarante-trois : Hier, au départ de la marche, il faisait un temps magnifique, vraiment un soleil éclatant ; doré, très doux et brillant ; c’était samedi après-midi, les Français avaient fini le travail, et dans les villages que nous traversions, ils étaient assis dans leurs cafés chaleureux, ou à leurs fenêtres à nous regarder passer en nage, avec un mélange de raillerie et de pitié. Hélas, j’ai alors pensé que j’en étais bientôt à la cinquième année de jeunesse sacrifiée…
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