Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 mars 2020


Je pensais ne pas aller voter lors du premier tour de l’Election Municipale rouennaise. J’ai changé d’avis. Le mérite en revient à Marie-Andrée Malleville, galeriste bien connue, ancienne cheville ouvrière de l’Ubi, et à son incessante propagande pour la liste de Nicolas Mayer-Rossignol, le Fier de Rouen.
D’abord m’a énervé son refus de me dire si elle serait sur cette liste quand elle a commencé à la vanter, me répondant à chaque fois que je lui posais la question que l’important c’était le travail d’équipe, participatif, citoyen, et autres qualificatifs que j’abhorre.
Quand cette liste, Fier.e.s de Rouen a été publiée, j’ai vu qu’elle était en quatrième position. Cela ne m’a point étonné. Je ne la voyais pas s’engager pour être dans les profondeurs du classement.
Ensuite, sur le réseau social Effe Bé, ce fut de sa part une permanente injonction à voter pour lui, et donc pour elle, qui m’a permis de constater, une fois de plus, que dès que l’on met le doigt dans la politique, on perd sa liberté d’opinion, devenant béni oui oui jusqu’à la mauvaise foi.
L’espoir de la liste socialiste Mayer-Rossignol est d’arriver devant celle, écologiste, de Bérégovoy, afin que, quand il s’agira de faire liste commune pour le second tour, le Socialiste soit devant le Vert. Un sondage, commandé par la radio et la télé régionales, prédit le contraire, mais la différence entre les deux listes est dans la marge d’erreur.
Malgré le risque mortel encouru, je vais donc voter dimanche grâce à Marie-Andrée Malleville et pas pour elle.
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La puérilité de Nicolas Mayer-Rossignol : « Je veux que Rouen passe en ligue des champions », « zéro chômeur de longue durée » et faire de « Rouen la ville la plus propre de France ».
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Du côté de Jean-Louis Louvel, le candidat La République en Marche avec une partie de la Droite, c’est du même tonneau avec « zéro sans abri ». Il défend aussi, sans rire, le Contournement Est (périphérique autoroutier en projet depuis des décennies) parce que cela permettrait d’évacuer la ville en cas de nouvelle catastrophe de type Lubrizol.
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La liste des Animalistes est menée par un néo barbu prénommé Pierre-Alexandre. Son slogan : « Les Rouennais comptent, les animaux aussi ». J’en déduis que contrairement aux autres êtres humains, les Rouennais ne sont pas des animaux.
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Parmi les candidats, Bures (Droitiste), Louvel (Droitiste), Bérégovoy (Ecolo) et Guesdon (Animal) sont ceux dont les soutiens ont réussi à franchir le porche de la copropriété et à déposer la profession de foi (comme ils disent) dans ma boîte à lettres. J’ai croisé les dames chics qui le faisaient pour Louvel. « Vous avez choisi le perdant », leur ai-je dit. « Oh, faut pas nous dire ça », se sont-elles récriées.
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Deux candidats se sont fendus d’un courrier à mon nom : Louvel et Bures. Dans la missive de ce dernier cette petite vacherie : « A la différence de plusieurs candidats qui aiment tant notre ville qu’ils n’y habitent pas, je paie, comme vous, mes impôts à Rouen. »
 

14 mars 2020


Ce vendredi treize, tandis que je prends un billet pour Dieppe à l’automate, un homme jeune est allongé sur le sol. Il est entouré d’employés de la Senecefe. L’un d’eux le recouvre d’une couverture de survie. Je n’en saurai pas plus.
Comme souvent il n’y a pas grand monde dans ce train de neuf heures quinze, ce qui me permet d’être à plus d’un mètre de quiconque. Par la fenêtre, j’observe les premiers signes d’un printemps qui s’annonce mal.
J’ai bien conscience qu’en ce qui me concerne, bien que je n’atteigne pas l’âge fatidique de soixante-dix ans, deux mille vingt pourrait être deux mille fin.
Comment savoir si en allant à Dieppe, le lendemain du jour où Macron ferme les écoles et recommande de ne plus bouger de chez soi, je n’évite pas d’être contaminé à Rouen, ou bien si inversement je vais au devant du danger.
Au Tout Va Bien, dont le nom n’a jamais été autant à prendre au second degré, la vie suit son cours. Dans un coin de la salle, trois femmes (fille, mère, grand-mère) se chamaillent à qui envoie le plus de cœurs aux deux autres. Dans un autre, trois marins pêcheurs parlent d’une femme vue dans un porno en train de faire du vélo un gode fixé sur la selle enfilé dans la chatte. Je lis le Journal particulier de l’année mil neuf cent trente-cinq de Paul Léautaud.
C’est une journée ensoleillée et ventée. La mer roule ses vagues quand je la longe jusqu’a la piscine de plein air dans laquelle personne ne nage.
Ce n’est qu’à midi et quart que j’entre à La Musardière. S’y trouvent déjà trois couples d’âge divers. Je m’installe à hauteur du plus jeune. « Ça fait du bien de faire un truc à deux », lui dit-il. « Oui cela faisait longtemps », répond-elle. Ils jouent la scène des amoureux ensemble depuis huit ans qui ont laissé les enfants aux grands-parents le temps d’un ouiquennede.
Le premier menu est à dix-huit euros quatre-vingt-dix. J’y choisis la douzaine de bulots, la cuisse de canard à la bourguignonne et le creume-beule aux pommes. J’accompagne cela d’un demi de vin rouge du Pays d’Oc à quinze euros quatre-vingt-dix. Un quatrième couple, entré après moi, préfère le cidre car « ça fatigue moins et ça va avec tout ».  J’apprécie beaucoup la rustique cuisse de canard et ses frites fraîches, ainsi que le dessert.
-Il est treize heures quarante et une, on n’a jamais mangé aussi longuement, constate mon voisin romantique.
Au moment où je règle, les aimables tenanciers parlent d’un incendie dans une usine Seveso à Rouen. Je les interroge. Il s’agit de Saipol où une explosion a eu lieu. Dois-je rentrer ou rester à Dieppe ? Cela n’a pas l’ai trop grave, me dit-elle.
Je prends le café au Brazza, à distance raisonnable de deux profs qui parlent d’un troisième, déprimé, il a perdu sa maman, puis je manque m’endormir en lisant Léautaud et ce n’est pas la faute de ses écrits. Un quidam plein d’espoir s’adresse à la fille de la maison qui s’occupe du tabac. « Vous vendez du gel hydro alcoolique ? ».
« C’est la fin du monde », conclut un habitué du comptoir.
                                                                   *
Mon trajet de retour dans le train de seize heures cinq est semblable à celui de l’aller. Quand retournerai-je à Dieppe ? Et à Paris ? Que faire pour mon projet déjà payé d’escapade dans le Sud après le second tour des Municipales. Je n’en sais rien.
 

13 mars 2020


Ce mercredi, je bénéficie d’un train Corail et d’une place sans voisinage pour rejoindre Paris avec le maximum de sécurité. Loin de moi sont les porcs et les truies qui expectorent à tout va. Dans le métro, où règne une ambiance un peu pesante, je fais en sorte de toucher au minimum, de même au comptoir du Café du Faubourg.
Chez Book-Off, je choisis en gourmet plutôt qu’en gourmand, me contentant de quatre livres à un euro qui seront autant de lectures pour le train (s’il est encore permis de le prendre) : Mon journal dans la Drôle de paix de Jean Galtier-Boissière (Libretto), Histoire de l’Illusion de Georges Picard (José Corti), La Légende des petits matins de Jean-Claude Pirotte (La Petite Vermillon) et Elégance des temps endormis du Vicomte de Lascano-Tegui.
J’ai place assise sans voisinage dans le bus Quatre-Vingt-Six dont je descends à Cluny. A midi, j’entre à La Cochonnaille. Il me faut insister auprès du vieux serveur pour obtenir la table de mon choix (il veut me coller en vitrine afin que je fasse produit d’appel). Ensuite je n’ai pas droit au petit pot de rillettes en apéritif alors que le duo d’habitués arrivé un peu plus tard, oui. Malgré le sourire et l’amabilité de la jeune patronne chinoise, je ne reviendrai pas.
C’est sous un soleil quasiment printanier que je rejoins Gibert Joseph. Parmi son vrac de trottoir, un livre mérite mon attention : Lettres de Grenade de Swinburne (L’Archange Minotaure). Il coûte un euro. Je l’emporte à l’intérieur et monte à l’étage Littérature. Au rayon de la française du dix-neuvième siècle m’attendaient les deux premiers tomes d’occasion (neuf euros, six euros) de Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert publiés chez La Part Commune (pauvre Louise Colet, réduite à cet usage).
Assis dans le bus Vingt-Sept et sans voisinage, je me rapproche du Book-Off de Quatre Septembre. Au rayon Poésie à un euro sont quatre livres que je ne m’attendais pas à voir et au rayon Beaux Livres le vieux bouquiniste dont la présence me surprend moins. Il me dit bonjour, bouche cachée derrière son écharpe. « Je suis un peu parano en ce moment », m’explique-t-il. Il a de quoi l’être avec ses facteurs de comorbidité.
Je lui demande s’il connaît les éditions Le Soleil Noir. « Non », me répond-il. Plutôt que me demander pourquoi je lui pose cette question, il me raconte qu’il lit le Dictionnaire amoureux de la littérature de Pierre Assouline où il découvre des écrivains qu’il ne connaissait pas. Bref, il ne s’intéresse pas à ce que je lui dis, ne me parlant que de lui.
Le laissant à son narcissisme et à sa crainte, je descends payer mes quatre livres du Soleil Noir : Liberté des libertés d’Alain Jouffroy (illustré par Miró), L’Ordre discontinu du même (illustré par Veličković), L’Aiguille de diamant de l’anéantissement de Michel Bulteau (illustré par Hérold) et G. B. ou un ami présomptueux de Michel Fardoulis-Lagrange (illustré par Waldberg) que publia François Di Dio au temps du surréalisme tardif. Un éditeur dont me parlait parfois Sarane Alexandrian.
Une jeune personne m’en parla également, quand je fis d’elle des photos habillées (il me semble que c’était son oncle). Elle ne voulait pas se dévêtir. Ce que firent d’autres, parmi lesquelles la fille d’un médecin fort connu de la jeunesse de cette époque (il co-animait une émission de radio). Elle, suivait les traces de son père. Ses cours de médecine nous servirent à obturer les vitres afin que le voisinage n’en profite pas.
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La Seine fait des siennes. A Villennes, les maisons baignent. Je le constate dans le Corail du retour où je bénéfice d’une place sans voisinage.
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La bonne blague de ce mercredi : l’annulation du Salon du Survivalisme qui devait se tenir du vingt au vingt-deux mars à Paris.
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Il faut en convenir, celles et ceux qui se disaient « Allez salut bisou » sans se le faire (le bisou) avaient un temps d’avance.
 

10 mars 2020


Contre le coronavirus, l’Italie choisit la méthode chinoise. En bloquant tout, elle traite la maladie par le suicide économique. Il ne faudrait pas que la France soit dans la même situation avant le jour de mon départ en escapade. La Senecefe anticipe en proposant le report ou le remboursement des billets de Tégévé. Ce n’est pas bon signe.
En attendant, je vis comme à l’habitude, n’ayant à refuser aucune bise offerte ou main tendue vu le nombre de mes connaissances. A peine si je me lave les mains un peu plus souvent, quand j’y pense, notamment dans les toilettes du café que je fréquente. Pour un effet à peu près nul, car à peine les mains séchées, il faut toucher la porte de ces toilettes, puis celle de l’estaminet. Si je dois être malade je le serai, me dis-je. Comme de la grippe, contre laquelle chaque année je néglige de me faire vacciner, bien que j’aie atteint l’âge critique, heureusement sans facteur de comorbidité (comme disent les médecins qui sont devenus les invités permanents de la télé d’info continue).
Bizarre comme on se fiche des huit mille à douze mille morts de la grippe annuelle et comme on tient une comptabilité atterrée du nombre, bien moindre, de ceux du coronavirus. Alors qu’il serait possible de ne pas s’en soucier davantage, d’opter pour un « Mourez les vieux ! ». Cela arrangerait les affaires des caisses de retraite et allègerait un peu la surpopulation. Qui sait si Dame Nature n’a pas envoyé cette nouvelle maladie dans ce but. Certes, je pourrais faire partie des victimes, d’autant que je suis un homme.
C’est logique que plus d’hommes que de femmes meurent, m’a dit celle avec qui je déjeunais mercredi dernier à Paris, on n’en a pas besoin d’autant que de femmes pour assurer la survie de l’espèce.
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Quand même, il aurait mieux valu faire partie des premiers malades, une garantie d’être bien pris en charge. Si on en arrive à ce qui se dit en Italie, entre soigner un quadragénaire et un sexagénaire, tous deux mal en point, choisir le plus jeune, je suis mal barré.
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Depuis ce lundi matin : accès interdit aux écoles de l’Eure et de Seine-Maritime pour les élèves qui résident dans l’Oise. Que ces pestiférés ne franchissent pas la frontière !
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Outre Atlantique, Donald Trump fanfaronne mais il fait partie des victimes potentielles (soixante-treize ans). Tout comme Joe Biden (soixante-dix-sept ans) et Bernie Sanders (soixante-dix-huit ans).
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Comment cela va-t-il se terminer ? La seule prédiction à laquelle je me hasarde : comme il y eut un impôt sécheresse en mil neuf cent soixante-seize, il y aura un impôt coronavirus.
 

9 mars 2020


La veille du huit mars, « Ils insistent, on persiste » affichent les colleuses locales au bout de ma ruelle. « Ils » désigne l’engeance masculine, condamnée dans son ensemble. Pourquoi ne pas la faire disparaître ? C’est qu’on en a encore besoin pour devenir une maman, ce rêve de toute une vie.
Ailleurs ce sont d’autres messages, certains encore plus abscons, que ne doivent pas comprendre beaucoup de quidams et de quidames.
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Place Saint-Marc, c’est « Je ne suis pas sur Tripadvisor, ne juge pas mon corps ». Cela me rappelle ces femmes à l’Opéra de Rouen qui à chaque concert d’un pianiste talentueux mais guère avantagé par la nature (comme on peut dire) se disaient les unes aux autres : « Quel dommage qu’il soit si laid ».
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Sur les murs, il y a aussi le classique « Stop féminicides ». Plus simple à dire qu’à faire. Il faudrait empêcher certaines de choisir un gros taré pour se mettre en couple, mais comment ?
Régulièrement, le compteur des victimes de l’année est mis à jour. N’y sont dénombrées que les femmes tuées par des hommes  Je supplée à cette lacune en notant la mort d’une femme de trente ans poignardée par sa compagne de quarante ans, le samedi quatre janvier dernier à Montauban.
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L’animation du huit mars à Rouen : « Fabrique ta vulve » avec Jennifer Mackay et Claire Ruquier, au Café Couture. C’est dans un autre café de la ville que je passe une partie de ce dimanche pluvieux à tapoter mes notes de lecture du Journal d’Eugène Delacroix, tombant à la date du lundi vingt mai mil huit cent cinquante sur ceci : Je disais à Mme Barbier que l’indigne pantalon des femmes était un attentat aux droits de l’homme.
Peut-on encore regarder La Liberté guidant le peuple ?
 

6 mars 2020


Ce mercredi à Paris je commence par explorer le Book-Off du Faubourgs Saint-Antoine et y trouve à mettre dans mon panier quelques livres à un euro, dont La défeuillée d’Henri Thomas (Le temps qu’il fait) et Journal de guerre de Hans Carossa (Cahiers Rouges Grasset) puis je passe chez Emmaüs voir s’il n’y aurait pas trois livres de poche pour un euro qui m’y attendraient.
Je vise ensuite la place de la Bastille, en fais le tour par le côté où les travaux sont terminés et emprunte la rue Saint-Antoine afin de réserver une table au café L’Arsenal pour fêter mon anniversaire, quelques semaines en retard, avec celle qui travaille dans le quartier.
En attendant ce moment, j’entre au Rivolux pour la première fois depuis que l’intérieur en a été refait. « Changement de gérance », m’apprend un barbu à bonnet quand je m’étonne de n’y plus trouver Libération. Le café de comptoir y est passé d’un euro à un euro vingt.
A midi et quart, je prends place à une table d’où l’on a bonne vue sur l’extérieur et observe les adeptes de la trottinette et de la bicyclette mettre leur vie en jeu au carrefour. Aucun accident n’est encore à déplorer (comme on dit) quand arrive un peu avant une heure moins le quart celle que j’attends. Faisant fi de la prudence, nous nous embrassons. Après qu’elle m’a raconté la dernière tuile qui lui est tombée dessus, nous commandons conjointement une saucisse aligot accompagnée d’un vin du pays.
Le rustique patron nous offre une démonstration de versement d’aligot qui fait songer à la façon dont on sert le thé à la menthe dans les cafés arabes. Son accent du milieu de la France nous rappelle des vacances devenues lointaines.
Cette cuisine est fort bonne. Nous la dégustons en parlant des sujets du moment. En dessert, c’est un flan pour elle et une part de tarte Bourdaloue pour moi.
Quand arrive l’heure où elle doit retourner au labeur, je descends dans le métro et avec son aide rejoins le Book-Off de Quatre-Septembre dans lequel je trouve le vieux bouquiniste.
-On ne se serre pas la main, me dit-il.
Le Corail qui me ramène à Rouen est peu peuplé, ce qui réduit le risque de contagion. Il longe une Seine limoneuse dans laquelle baignent les arbres des deux rives.
Sur les vingt-neuf jours de février, vingt-trois furent des jours de pluie. Mars est parti pour faire mieux.
                                                               *
Publicité pour Céline rue Saint-Antoine : jeune femme au torse nu qui cache ses seins avec ses bras, vingt et unième siècle oblige.
                                                               *
Rentré à la maison, je m’intéresse à l’actualité de Penelope Fillon, cette femme sous emprise depuis des décennies. Chacune des réponses faites par elle lors du procès de son mari est une preuve supplémentaire de son asservissement.
Comment se fait-il que les Néo Féministes ne se penchent pas sur sa situation et ne la dénoncent pas publiquement ?
                                                               *
Le nombre de cafés, tant à Paris qu’à Rouen, d’où j’ai vu disparaître Libération.
 

5 mars 2020


Passant l’autre matin rue Richard-Lallemant, je vois sortir un homme à l’allure de lutin de la bouquinerie en gestation dans l’ancienne boutique de bicyclettes électriques située face à la porte discrète par où passent les clients honteux du sex-shop de la rue de la République.
Je le salue et lui demande quand cela va ouvrir. Il me désabuse, m’expliquant que ce n’est qu’un endroit où il rassemble ses livres, il a un travail ailleurs.
A considérer sa barbe et ses cheveux blancs, je l’aurais parié retraité. Me dit-il la vérité ? Tous les bouquinistes sont des caractériels, m’a déclaré un jour l’un d’eux. Ce que j’ai pu vérifier. Celui-ci (vrai ou faux), je ne l’ai jamais vu parmi les acheteurs de livres des marchés et vide greniers de la ville, et il est plutôt sympathique.
Comme je passe devant cette étrange boutique presque tous les jours pour aller faire mes courses chez U Express, je vais surveiller ça. Richard-Gontran Conteray dit Lallemant, fut imprimeur libraire à Rouen, une bouquinerie dans sa rue serait à sa place.
                                                     *
Agents immobiliers au Café des Chiens : ça cause de négo qui a abouti, de mandat signé, et de Tartempion qu’on avait mis dans la boucle.
                                                     *
Un jeune type qui vient de s’engager dans l’Armée, à sa copine : « Tu serais pas fière si j’allais en Irak ? »
Elle : « Non. »
                                                     *
Deux femmes sexagénaires :
-Quatre-vingt-dix-huit ans, toute seule dans son appartement. Depuis trente ans. Comment qu’a peut faire ?
-C’est peut-être ça qui la sauve.
                                                     *
Une cuisinière approximative : « Non, mais le veau, même si je le rate, ça peut pas être mauvais. »
                                                     *
« Moi j’ai toujours dit avant mes trente ans je veux être maman. » Sa mère perd la mémoire, elle a la maladie d’Elseneur.
                                                     *
« Allo, Michel, je t’appelle parce qu’il faut que tu penses à souhaiter un bon anniversaire à Bernadette demain. » (Il ne s’agit pas de moi, mais d’un amateur de jazz bien connu à Rouen)
                                                     *
Déjà qu’il fallait supporter « Au jour d’aujourd’hui », voici maintenant « A l’heure où on se parle ».
                                                     *
« On sera pas sans se revoir. »
(Hélas)
 

3 mars 2020


C’est sous le parapluie que je me rends chez mon dentiste ce lundi matin pour la visite bisannuelle. Je suis son premier rendez-vous. « Je ne vous serre pas la main, mais le cœur y est », me dit-il à l’arrivée. « Avec mes assistantes, on se salue avec les pieds », ajoute-t-il en me faisant une petite démonstration.
Lui porte un masque chirurgical et celle qui m’enfonce le tuyau aspire salive dans la bouche a un masque de catégorie supérieure. Un détartrage est au programme. Ce n’est pas une bonne affaire pour le patricien. Heureusement, il me trouve une carie débutante qui augmente l’addition.
Il ne pleut plus, momentanément, lorsque j’en sors un peu sonné.
                                                                   *
Après plusieurs écoles de l’Oise et de Haute-Savoie, voici celles de Crac’h, Carnac et Auray, dans le Morbihan, fermées sans préavis sur ordre de la Préfecture par crainte de la contagion.
Quand je pense qu’à la moindre grève, les enseignants ont droit à des remontrances de parents d’élèves « Vous nous prenez en otages, etc. » et aux hauts cris des politiciens de Droite réclamant un service minimum, et là, où il y a fermeture immédiate pour quatorze jours, ni cours, ni garderie, nul ne bronche.
Je suppose que certains de ces enfants seront gardés par leurs grands-parents, personnes particulièrement vulnérables.
                                                                   *
« Heureusement y avait Fanny », chantait, il y a longtemps, Hugues Aufray, m’est-il revenu en cette fin de février lorsque j’ai entendu les échos de la cérémonie des César.
Entre être accompagné jusqu’à la guillotine par Fanny Ardant et faire trois mètres avec la vertueuse comédienne (venue là dans l’espoir, déçu, d’avoir  un de ces César) qui surjoue sa sortie indignée (« C’est la honte ! ») quand on en donne un à Polanski, je n’hésite pas un quart de seconde.
                                                                  *
Puisque le penser correct du vingt-et-unième siècle exige que l’on ne distingue plus chez un créateur entre l’homme et l’artiste, je présume que le César remis à Ladj Ly pour son film Les Misérables récompense aussi sa peine de trois ans d’emprisonnement (dont un avec sursis) pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivie d’une libération avant le septième jour ».
                                                                  *
La morale mène à l’abstraction et à l’injustice. Elle est mère de fanatisme et d’aveuglement. Qui est vertueux doit couper des têtes. (François Mauriac, Carnets)
 

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