Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Tchoukovski, fin des années trente

27 février 2021


Davantage de soleil qu’hier et point de chats pour venir se frotter à moi, je reste un long moment ce samedi à lire sur le banc.
Dès rentré, j’en termine avec les années trente de Korneï Tchoukovski.
Douze mai mil neuf cent trente-cinq : Hier j’ai eu la visite de Khardjiev et d’Anna Akhmatova. Anna Andreïevna dit qu’elle a vendu aux éditions de la Littérature soviétique une sélection de ses poèmes. Mais le directeur a exigé qu’il n’y ait ni mysticisme, ni pessimisme, ni politique.
« Il ne reste que la fornication », dit-elle.
Dix-neuf décembre mil neuf cent trente-cinq : Sa femme s’est plainte de ce qu’Arossev, qui avait invité Romain Rolland chez lui, ne s’était pas occupé de chasser les punaises qui couraient dans son lit. Le pauvre Rolland a passé deux nuits blanches à cause de ça – mais sans récriminer ; il  a même essayé de couper court à cette conversation. Gorki a dit sur un ton qui était presque celui du compliment : « Arossev est parfaitement idiot. »
Dix-sept janvier mil neuf cent trente-six : Par exemple, il a un ami docteur, et récemment ce docteur a soigné une fillette nommée Marie-Antoinette ( !).
« Pourquoi l’avez-vous appelée Marie-Antoinette ? a-t-il demandé à la mère.
--Eh bien une fois, dans le calendrier j’ai vu marqué : tel jour « exécution de Marie-Antoinette », et je me suis dit que ce devait être une révolutionnaire. »
Vingt-deux avril mil neuf cent trente-six : Quel tumulte dans la salle ! Mais LUI reste calme, l’air un peu las, pensif et majestueux. On sent une énorme habitude du pouvoir, une très grande force et en même temps quelque chose de féminin, de doux. Je me retourne : tout le monde a le regard attendri, amoureux, joyeux, exalté. (LUI = Staline)
Juin mil neuf cent trente-six : A table un dame toute peinturlurée (« Je suis une admiratrice ») me dit : « Je suppose que vous adorez les enfants. Vous en parlez de façon  tellement admirable… »
Agacé par ses minauderies insupportables, je lui réponds : « Non, je ne les supporte pas. Rien que de les regarder, ça me dégoûte.
-Comment ? Comment ?
-Mais c’est vrai.
-Alors pourquoi leur écrivez-vous des histoires ?
-Pour l’argent.
-Pour l’argent ?
-Oui. »
Ne doutant pas de ma sincérité, elle raconte maintenant sur la plage : « Tchoukovski est d’un cynisme horrible. »
Juin mil neuf cent trente-six : Je viens d’apprendre la mort de Gorki. Il fait nuit. Je marche dans le jardin et je pleure… Impossible d’écrire une ligne.
Sept septembre mil neuf cent trente-six à Odessa : J’ai demandé aux élèves s’ils connaissaient les iambes, les trochées et les amphibraques. Personne n’en avait entendu parler.
Premier avril mil neuf cent trente-sept : J’ai cinquante-cinq ans aujourd’hui, et une sciatique, et l’estomac qui me fait mal. Je suis surchargé de travail. J’ai été malade et insomniaque tout l’hiver. Pourtant je me sens d’humeur sereine, joyeuse.
Vingt-sept avril mil neuf cent trente-sept : J’évoque Gorki, sa richesse, les soucis qui l’occupaient les derniers temps, et l’atmosphère de vulgarité dans laquelle Krioutchkov le faisait baigner…
« Sa richesse ! s’exclame, étonné, le chirurgien. Combien donc gagnait-il par mois ? » Les masses n’ont  jamais su qu’il était riche…