Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Jeudi noir : Lubrizol s’enflamme, Chirac s’éteint

28 septembre 2019


Ce jeudi, c’est par les premières infos de France Culture à six heures que j’apprends que l’usine Lubrizol de Rouen, classée Seveso haut, est en feu. Les images des explosions et de l’immense panache de fumée noire que je vois sur Internet montrent l’ampleur de la catastrophe. Je préviens l’homme au chapeau qui travaille près de cette sympathique entreprise américaine. L’idée d’aller passer la journée à Dieppe me traverse l’esprit mais je ne donne pas suite.
La Préfecture annonce le déclenchement de la sirène d’alerte à huit heures alors que ça brûle depuis deux heures quarante. Bien que j’habite on ne peut plus au centre de la ville, je ne l’entends pas. On décide de la fermeture des établissements scolaires et on conseille aux habitants d’éviter de sortir. Pour que je sois plus en sécurité à l’intérieur, il faudrait que mon logement ne laisse pas entrer l’air extérieur.
Je comprends vite que je ne fais pas partie de ceux qui vont subir le pire car le vent fait passer la fumée de la rive gauche, celle des pauvres où sont implantées les usines dangereuses, à la rive droite, visant particulièrement les hauteurs bourgeoises de Bois-Guillaume et Mont-Saint-Aignan puis elle continue vers les campagnes aisées d’Isneauville et de Quincampoix. Leurs habitants vont sévèrement morfler, me dis-je lorsque je sors dans le jardin le jour levé, voyant de mes propres yeux la noirceur du ciel.
Muni de mon appareil photo, je vais faire un p’tit tour, croisant encore moins de monde dans les rues qu’un dimanche après-midi. Certains des rares passants se protègent avec des masques chirurgicaux, des foulards ou des écharpes, ce qui doit être peu efficace et contribue à l’ambiance de fin de monde qui règne sur la ville.
« Dernière lecture avant l’asphyxie ? », dis-je à une dame que je trouve devant la boîte à livres du square Saint-Pierre-du-Châtel, on y propose Pour qui sonne le glas. Elle me regarde de l’air d’une qui pense « Qu’est-ce qui me veut çui-là ? ». Près du Palais de Justice, je croise une femme à masque et à chien. « Vous ne mettez pas de masque à votre chien ? », lui dis-je. « J’en ai pas pour elle malheureusement sinon je le ferai », se plaint-elle.
De retour à la maison, je partage mes photos sur le réseau social Effe Bé puis regarde ce qu’on raconte sur la chaîne d’info continue. Rien d’informatif, uniquement du bavardage sur fond de fumée noire. Et tout à coup Chirac meurt et Rouen disparaît totalement des télés et des sites des quotidiens nationaux. Depuis le temps que sa nécrologie était sur le feu (si je puis dire), il n’y a eu qu’à appuyer sur le bouton pour occuper des heures d’antenne et les pages de journaux. Notre maison brûle, me dis-je, et tous les téléspectateurs regardent Chirac.
Avant de ressortir, vers quatorze heures trente, je sais quand même que le feu est sous contrôle et que le nuage de vingt-deux kilomètres sur six se dissout dans l’arrière-pays jusqu’en Picardie. Les averses s’en mêlant, des habitants de Buchy ont récupéré de l’eau de pluie noircie par la suie.
C’est désert au Faute de Mieux où l’on envisage de fermer avant l’heure. « Les gens ont peur », me dit la serveuse. Le patron explique à une de ses connaissances que les flics avaient le masque à gaz ce matin sur le plateau, du côté d’Isneauville.
-Qu’est-ce que tu fous-là, t’es pas confiné, toi ? demande-t-il a un habitué qui entre.
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L’entreprise Lubrizol appartient au milliardaire Warren Buffett qui l’a achetée pour faire le maximum de pognon, comme l’explique un article de mars deux mille onze du Wall Street Journal. En deux mille treize, tant de mercaptan s’est échappé de l’usine actuellement en feu qu’on l’a senti jusqu’à Paris et dans le sud de l’Angleterre (quatre mille euros d’amende). C’est à sa proximité que se prépare l’éco-quartier Flaubert. On doit cette audacieuse réalisation à la Métropole, dont le Chef, Sanchez, Socialiste, vient de se tirer au Canada, loin des fumées délétères.