Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
10 avril 2022
Retour du beau temps ce samedi matin, parfait pour aller dans l’Ile de Ré, oui mais le car qui y mène n’est toujours pas là à huit heures dix, alors qu’il devrait être parti depuis vingt-cinq minutes. Deux autres l’attendent. Elle et lui vont là-bas pour travailler. Impossible de joindre Transports Nouvelle Aquitaine, ils sont sur répondeur. Je décide de changer mes plans et souhaite bon courage à mes compagnons d’infortune. La Gare est à côté. Un train, que je prends sans souci avec ma carte de bus, part pour Rochefort, duquel je vais descendre à Angoulins-sur-Mer.
Pas trace de cette mer quand il s’arrête à la halte ferroviaire. Je me renseigne auprès du premier coureur venu.
-Si vous suivez ce chemin, vous allez la trouver, me répond-il.
Ce chemin est goudronné et utilisable par les piétions et les bicyclistes. Je comprends bientôt, à voir les marais qui m’entourent, où ne sont visibles que des huîtrières et un fumoir à poissons, qu’elle est plus loin qu’on pourrait le penser.
Au bout d’une demi-heure de marche, elle se fait d’abord entendre puis apparaît derrière la digue qui domine la plage. A l’extrémité sont des cabanes à carrelets vers lesquelles je vais. Ensuite commence un étroit sentier sur une falaise décrite comme très dangereuse par un panneau.
On peut ainsi rejoindre La Rochelle que j’aperçois au loin mais je préfère retourner sur la digue et m’asseoir au premier banc, devant le Cercle Nautique d’Angoulins où s’active une jeunesse désireuse d’aller sur l’eau. J’y lis Hugo un moment puis vais demander au restaurant Les Viviers si je peux y venir pour seulement manger des huîtres.
-Oui à midi, me répond un garçon efféminé.
Je trouve un autre banc face à l’Ile d’Aix, que l’on voit bien maintenant que le soleil monte dans le ciel bleu, et reprends ma lecture jusqu’à ce qu’il soit l’heure de retourner aux Viviers.
A une table d’extérieur ensoleillée qui donne sur de lointains hangars et des plans d’eau, je m’offre six huîtres et un verre de chardonnay pour la somme rondelette de quinze euros trente.
Avant le retour vers la halte ferroviaire, je m’assois sur un troisième banc à la hauteur du second restaurant du lieu, nommé La Madrague, où certains déjeunent à deux pas de la mer mais sans la voir, cachée qu’elle est derrière la digue. « Vous êtes déjà bien bronzé », me dit une femme dont je regarde la fille. « Et qu’est-ce que vous lisez de beau ? »
De retour à La Rochelle, j’achète mon dessert dans une boulangerie ouverte depuis le premier avril sur le port, pour la saison et de peu de choix, un gâteau au chocolat à deux euros quatre-vingts. Je le mange dans mon logis puis vais prendre le café à L’Echo à une table fort éloignée de l’intérieur de l’établissement où est diffusé un match de rugby qui excite les locaux, La Rochelle Bordeaux.
*
Dix heures quinze, le moment où à Angoulins-sur-Mer apparaissent les premiers marcheurs à bâtons. Si c’est un couple, l’homme est devant et la femme suit. Comme chez les bicyclistes.
*
Au Centre Nautique, conseil d’une fille à un garçon : « Des fois, faut que tu mettes les doigts dedans pour faire revenir le taquet ».
*
Ces chiens ou ces enfants qui viennent vous renifler lorsque vous lisez sur un banc public ; leurs parents, car ils le sont aussi de leurs animaux (viens voir papa), considèrent tous qu’il va de soi que vous devez en être flatté. Tout mouvement d’humeur de votre part est suivi d’un « Vous inquiétez pas, il n’est pas méchant ». Si vous leur répondez « Encore heureux ! » et « Libre à vous d’en avoir, mais n’en faites pas profitez les autres », vous avez droit à « Vous n’allez pas en mourir » et un peu plus loin, quand ils pensent que vous n’entendez pas, à « Quel connard ! ».
Pas trace de cette mer quand il s’arrête à la halte ferroviaire. Je me renseigne auprès du premier coureur venu.
-Si vous suivez ce chemin, vous allez la trouver, me répond-il.
Ce chemin est goudronné et utilisable par les piétions et les bicyclistes. Je comprends bientôt, à voir les marais qui m’entourent, où ne sont visibles que des huîtrières et un fumoir à poissons, qu’elle est plus loin qu’on pourrait le penser.
Au bout d’une demi-heure de marche, elle se fait d’abord entendre puis apparaît derrière la digue qui domine la plage. A l’extrémité sont des cabanes à carrelets vers lesquelles je vais. Ensuite commence un étroit sentier sur une falaise décrite comme très dangereuse par un panneau.
On peut ainsi rejoindre La Rochelle que j’aperçois au loin mais je préfère retourner sur la digue et m’asseoir au premier banc, devant le Cercle Nautique d’Angoulins où s’active une jeunesse désireuse d’aller sur l’eau. J’y lis Hugo un moment puis vais demander au restaurant Les Viviers si je peux y venir pour seulement manger des huîtres.
-Oui à midi, me répond un garçon efféminé.
Je trouve un autre banc face à l’Ile d’Aix, que l’on voit bien maintenant que le soleil monte dans le ciel bleu, et reprends ma lecture jusqu’à ce qu’il soit l’heure de retourner aux Viviers.
A une table d’extérieur ensoleillée qui donne sur de lointains hangars et des plans d’eau, je m’offre six huîtres et un verre de chardonnay pour la somme rondelette de quinze euros trente.
Avant le retour vers la halte ferroviaire, je m’assois sur un troisième banc à la hauteur du second restaurant du lieu, nommé La Madrague, où certains déjeunent à deux pas de la mer mais sans la voir, cachée qu’elle est derrière la digue. « Vous êtes déjà bien bronzé », me dit une femme dont je regarde la fille. « Et qu’est-ce que vous lisez de beau ? »
De retour à La Rochelle, j’achète mon dessert dans une boulangerie ouverte depuis le premier avril sur le port, pour la saison et de peu de choix, un gâteau au chocolat à deux euros quatre-vingts. Je le mange dans mon logis puis vais prendre le café à L’Echo à une table fort éloignée de l’intérieur de l’établissement où est diffusé un match de rugby qui excite les locaux, La Rochelle Bordeaux.
*
Dix heures quinze, le moment où à Angoulins-sur-Mer apparaissent les premiers marcheurs à bâtons. Si c’est un couple, l’homme est devant et la femme suit. Comme chez les bicyclistes.
*
Au Centre Nautique, conseil d’une fille à un garçon : « Des fois, faut que tu mettes les doigts dedans pour faire revenir le taquet ».
*
Ces chiens ou ces enfants qui viennent vous renifler lorsque vous lisez sur un banc public ; leurs parents, car ils le sont aussi de leurs animaux (viens voir papa), considèrent tous qu’il va de soi que vous devez en être flatté. Tout mouvement d’humeur de votre part est suivi d’un « Vous inquiétez pas, il n’est pas méchant ». Si vous leur répondez « Encore heureux ! » et « Libre à vous d’en avoir, mais n’en faites pas profitez les autres », vous avez droit à « Vous n’allez pas en mourir » et un peu plus loin, quand ils pensent que vous n’entendez pas, à « Quel connard ! ».
9 avril 2022
Ce vendredi, jour de l’arrivée officielle de la tempête Diego, les cafés sous ma fenêtre ne se donnent même pas la peine d’ouvrir.
Quand je mets le pied dehors, je constate avec plaisir que si ça souffle, il ne pleut plus. Cela me permet d’arriver en bon état au Café de la Paix. J’y lis tranquillement Choses vues, bien que l’on diffuse une radio désolante dans cet endroit chic dont Bourvil était aussi un familier.
Chic, il l’est uniquement par son décor. Le midi, il fait brasserie, et pas des meilleures (je vois passer la livraison de conserves). Chaque matin, avec le « pop » retentissant qui garantit le geste d’un professionnel, l’un des garçons débouche un nombre incroyable de bouteilles.
Il ne pleut pas davantage à midi lorsque le vent me pousse au restaurant japonais Cusine Yuri. A son menu à volonté, j’ajoute le supplément sashimis à cinq euros.
A partir de quatorze heures, Diego y va à fond. Plus personne ne rôde autour du Bassin des Chalutiers.
Cafés fermés, quais déserts, cela me donne une image de La Rochelle pendant le premier confinement.
*
Plus que deux jours avant le premier tour de cette Election Présidentielle que je boude. Macron et Le Pen seront les deux qualifiés. Mélenchon aura une nouvelle fois du mal à accepter le résultat, lui qui rêve de battre Macron au deuxième tour grâce à l’apport des voix d’extrême-droite. Pour un avenir à la vénézuélienne, votez Mélenchon. C’est ce que feront certains de ma connaissance, mais moins fièrement qu’il y a cinq ans. Pécresse (otage de Ciotti) et Hidalgo (otage d’elle-même) vont retourner s’occuper de Paris et de l’Ile de France (leur autre point commun : parler faux à la tribune). Roussel va retourner chez le coiffeur dont il fait la pub sur ses affiches (il a droit à une coupe gratuite). Poutou et Arthaud vont retourner aux batailles perdues d’avance (« on lâche rien »). Zorglub, dont l’initiale est peinte sur les chars de cette ordure de Poutine dont il est un admirateur, va continuer à grenouiller. Dupont-Aignan, « le complotiste des villes », et Lassalle, « le complotiste des champs », comme les nomme si bien Renaud Dély, vont crier à l’élection volée. Jadot va se faire déconstruire par Sandrine Rousseau.
Quand je mets le pied dehors, je constate avec plaisir que si ça souffle, il ne pleut plus. Cela me permet d’arriver en bon état au Café de la Paix. J’y lis tranquillement Choses vues, bien que l’on diffuse une radio désolante dans cet endroit chic dont Bourvil était aussi un familier.
Chic, il l’est uniquement par son décor. Le midi, il fait brasserie, et pas des meilleures (je vois passer la livraison de conserves). Chaque matin, avec le « pop » retentissant qui garantit le geste d’un professionnel, l’un des garçons débouche un nombre incroyable de bouteilles.
Il ne pleut pas davantage à midi lorsque le vent me pousse au restaurant japonais Cusine Yuri. A son menu à volonté, j’ajoute le supplément sashimis à cinq euros.
A partir de quatorze heures, Diego y va à fond. Plus personne ne rôde autour du Bassin des Chalutiers.
Cafés fermés, quais déserts, cela me donne une image de La Rochelle pendant le premier confinement.
*
Plus que deux jours avant le premier tour de cette Election Présidentielle que je boude. Macron et Le Pen seront les deux qualifiés. Mélenchon aura une nouvelle fois du mal à accepter le résultat, lui qui rêve de battre Macron au deuxième tour grâce à l’apport des voix d’extrême-droite. Pour un avenir à la vénézuélienne, votez Mélenchon. C’est ce que feront certains de ma connaissance, mais moins fièrement qu’il y a cinq ans. Pécresse (otage de Ciotti) et Hidalgo (otage d’elle-même) vont retourner s’occuper de Paris et de l’Ile de France (leur autre point commun : parler faux à la tribune). Roussel va retourner chez le coiffeur dont il fait la pub sur ses affiches (il a droit à une coupe gratuite). Poutou et Arthaud vont retourner aux batailles perdues d’avance (« on lâche rien »). Zorglub, dont l’initiale est peinte sur les chars de cette ordure de Poutine dont il est un admirateur, va continuer à grenouiller. Dupont-Aignan, « le complotiste des villes », et Lassalle, « le complotiste des champs », comme les nomme si bien Renaud Dély, vont crier à l’élection volée. Jadot va se faire déconstruire par Sandrine Rousseau.
8 avril 2020
S’il n’y avait que la pluie ou s’il n’y avait que le vent, mais il y a les deux ce jeudi matin, raison pour laquelle L’Amiral Café, Le Bistro du Gabut et les autres n’ont même pas essayé d’installer leurs terrasses, ni de baisser les auvents électriques.
Courageusement, je prends la petite passerelle qui permet d’arriver plus vite quai Duperré. Celui-ci est tellement balayé par le vent que sur sa voie cyclable les quelques bicyclistes ayant décidé de sortir marchent à côté de leur machine. Ensuite, heureusement, la rue est à arcades de la Grosse Horloge au Café de la Paix.
C’est très bien trempé que je pousse la porte de cet établissement dont j’ai appris qu’avant la période café militaire cela avait été une chapelle d’hôpital, d’où sa forme. Après un café à un euro quatre-vingts (son prix doit varier en fonction de l’heure), je me plonge dans Choses vues.
Quand mon voisin qui travaille chez Bouygues Télécom (c’est écrit sur son vêtement) s’apprête à partir, il se renseigne sur ce que je lis. « Choses vues ». « Pardon ? » « Choses vues de Victor Hugo. « Ah, connais pas, mais c’est bizarre, je viens de finir Quatrevingt-treize. Depuis qu’on m’oblige plus à le lire, je trouve ça très bien. » A voir ses cheveux blancs, cela doit faire quarante ans qu’il n’est pas obligé.
Quand je reviens vers mon domicile temporaire, c’est pire côté pluie et vent. Je dois me battre contre un mur invisible pour avancer dans le port et j’arrive complètement draché. Pas même le temps de sécher avant de ressortir pour le déjeuner.
J’opte pour L’Ardoise. Au menu du jour figurent en entrée une tarte tomates oignons moutarde et en plat un sot-l’y-laisse de dinde riz au pesto de roquette. « C’est quoi précisément le sot-l’y-laisse ? » demandé-je à la petite serveuse, fille de la maison. « Ah, bonne question », me dit-elle. « Maman, c’est quoi le sot-l’y-laisse ? ». « Mais on te l’a dit tout à l’heure », répond son père. J’apprends que c’est la partie la plus charnue de la dinde. C'est joliment dit. En dessert est proposée une mousse de fruits qui ne demande pas d’explication.
-Vous travaillez dans le coin ? me demande l’agréable mère de l’agréable écervelée quand je paie.
-Non, je suis en vacances.
-Ah ce n’est pas le meilleur temps pour ça, me répond-elle, et demain ce sera pire.
Je sais, on attend un certain Diego.
*
Avec Hugo, j’en suis à la Guerre de Soixante-Dix quand, dans Paris assiégé, il mange les animaux du Jardin des Plantes. Il est applaudi à tous les coins de rues. La foule crie « Vive Victor Hugo ». Dans le même temps, chaque jour, il porte secours, comme il dit, à des femmes jeunes ou moins jeunes de qui il exige des contreparties. Souvent il ne s’agit que de regarder, parfois c’est davantage. Ces privautés sont notées de manière codée et ont été déchiffrées par Henri Guillemin.
Deux échantillons :
Secours à Marie Chauffour, ouvrière sans travail. Entorse, 5 frs.
Mlle Rousseil. Toussaint. Parfait.
Entorse, Toussaint, dans les deux cas des seins nus.
Le vingt-six novembre mil huit cent soixante-dix, l’écrivain, alors âgé de soixante-huit ans, fait les comptes :
Récapitulation des sommes données par moi depuis le 5 septembre, en petites sommes de 5, 10 et 15 frs., tant au pavillon de Rohan que rue Frochot : 3 265 frs.
Cela en fait des secours.
Courageusement, je prends la petite passerelle qui permet d’arriver plus vite quai Duperré. Celui-ci est tellement balayé par le vent que sur sa voie cyclable les quelques bicyclistes ayant décidé de sortir marchent à côté de leur machine. Ensuite, heureusement, la rue est à arcades de la Grosse Horloge au Café de la Paix.
C’est très bien trempé que je pousse la porte de cet établissement dont j’ai appris qu’avant la période café militaire cela avait été une chapelle d’hôpital, d’où sa forme. Après un café à un euro quatre-vingts (son prix doit varier en fonction de l’heure), je me plonge dans Choses vues.
Quand mon voisin qui travaille chez Bouygues Télécom (c’est écrit sur son vêtement) s’apprête à partir, il se renseigne sur ce que je lis. « Choses vues ». « Pardon ? » « Choses vues de Victor Hugo. « Ah, connais pas, mais c’est bizarre, je viens de finir Quatrevingt-treize. Depuis qu’on m’oblige plus à le lire, je trouve ça très bien. » A voir ses cheveux blancs, cela doit faire quarante ans qu’il n’est pas obligé.
Quand je reviens vers mon domicile temporaire, c’est pire côté pluie et vent. Je dois me battre contre un mur invisible pour avancer dans le port et j’arrive complètement draché. Pas même le temps de sécher avant de ressortir pour le déjeuner.
J’opte pour L’Ardoise. Au menu du jour figurent en entrée une tarte tomates oignons moutarde et en plat un sot-l’y-laisse de dinde riz au pesto de roquette. « C’est quoi précisément le sot-l’y-laisse ? » demandé-je à la petite serveuse, fille de la maison. « Ah, bonne question », me dit-elle. « Maman, c’est quoi le sot-l’y-laisse ? ». « Mais on te l’a dit tout à l’heure », répond son père. J’apprends que c’est la partie la plus charnue de la dinde. C'est joliment dit. En dessert est proposée une mousse de fruits qui ne demande pas d’explication.
-Vous travaillez dans le coin ? me demande l’agréable mère de l’agréable écervelée quand je paie.
-Non, je suis en vacances.
-Ah ce n’est pas le meilleur temps pour ça, me répond-elle, et demain ce sera pire.
Je sais, on attend un certain Diego.
*
Avec Hugo, j’en suis à la Guerre de Soixante-Dix quand, dans Paris assiégé, il mange les animaux du Jardin des Plantes. Il est applaudi à tous les coins de rues. La foule crie « Vive Victor Hugo ». Dans le même temps, chaque jour, il porte secours, comme il dit, à des femmes jeunes ou moins jeunes de qui il exige des contreparties. Souvent il ne s’agit que de regarder, parfois c’est davantage. Ces privautés sont notées de manière codée et ont été déchiffrées par Henri Guillemin.
Deux échantillons :
Secours à Marie Chauffour, ouvrière sans travail. Entorse, 5 frs.
Mlle Rousseil. Toussaint. Parfait.
Entorse, Toussaint, dans les deux cas des seins nus.
Le vingt-six novembre mil huit cent soixante-dix, l’écrivain, alors âgé de soixante-huit ans, fait les comptes :
Récapitulation des sommes données par moi depuis le 5 septembre, en petites sommes de 5, 10 et 15 frs., tant au pavillon de Rohan que rue Frochot : 3 265 frs.
Cela en fait des secours.
7 avril 2022
Ce mercredi, c’est dans le bus Sept que je grimpe, précisément dans l’un de ceux, peu nombreux, qui vont jusqu’à Chef de Baie, pas loin de la Pallice. S’y trouve le port de pêche et une petite plage. L’arrivée se fait devant le restaurant Tonton Louis, le seul présent ici.
Je le contourne pour m’approcher des bateaux de pêche et fais le tour de ce port trop moderne pour être totalement attrayant (hélas le temps n’est plus du Bassin des Chalutiers). Je prends aussi quelques photos de hangars colorés quand aucune voiture n’est garée devant.
J’emprunte ensuite le sentier qui mène à la plage. Celle-ci est dominée par un Bar de la Plage fermé. Au-delà, le sentier douanier mène à la pointe de Chef de Baie puis se poursuit. On peut aller ainsi jusqu’au Vieux Port. Je m’arrête près d’une tour carrée, contemple au loin celles dites de la Rochelle et fais demi-tour.
Un banc est bienvenu au-dessus de la plage où je sors Choses vues tout en regardant une intrépide en maillot se livrer à des exercices de méditation sur le sable. Vite rhabillée, elle s’en va et lui succèdent des marcheurs dans la mer en combinaison. D’autres marcheurs, à bâtons, font du bruit sur le chemin.
Il fait gris et doux mais vers onze heures cela fraîchît un peu. Je retrouve Tonton Louis, y entre réserver une table et demande à la patronne si je peux rester au chaud à une table de l’entrée en attendant l’heure du déjeuner. Elle accepte et me sert un café. Je lis à nouveau Hugo jusqu’à ce qu’une des serveuses vienne me chercher pour me conduire à une table avec vue sur le port.
Je suis venu là pour le buffet de fruits de mer à volonté. Il est proposé au prix de trente-six euros quatre-vingt-dix. J’ajoute huit euros pour six huîtres de Ré et sept euros vingt pour le vin blanc charentais.
Depuis le Covid, on ne se sert plus seul ici. D’aimables serveuses le font à votre place. Dans mes choix successifs : crevettes, écrevisses, bulots, demi-tourteau, couteaux servis chauds et aussi des praires, amandes, clams et palourdes qu’à ma demande on m’apporte ouvertes. Tout est en direct de la criée.
D’autres viennent ici pour les plats de poissons ou pour le homard. A la table voisine un trio déjeune au champagne, dont l’une qui annonce que c’est la première fois depuis deux ans qu’elle ose revenir au restaurant. De temps en temps un bateau entre dans le port.
Il est presque quatorze heures quand pour moi c’est assez. C’est aussi l’heure du bus du retour (le suivant dans trois heures). J’en suis le seul voyageur au départ. Un peu plus loin deux branlotins échappés d’un lycée y grimpent à leur tour. Ils parlent d’une fille. « Je la suis plus sur Insta, dit l’un, mais sa mère, elle est magnifique. Un jour, elle est venue la chercher au lycée et toute la classe était Ouaouh, c’est qui cette femme ? »
*
Ambiance maritime dans les toilettes de Tonton Louis : sirènes de bateaux et cris de goélands.
Je le contourne pour m’approcher des bateaux de pêche et fais le tour de ce port trop moderne pour être totalement attrayant (hélas le temps n’est plus du Bassin des Chalutiers). Je prends aussi quelques photos de hangars colorés quand aucune voiture n’est garée devant.
J’emprunte ensuite le sentier qui mène à la plage. Celle-ci est dominée par un Bar de la Plage fermé. Au-delà, le sentier douanier mène à la pointe de Chef de Baie puis se poursuit. On peut aller ainsi jusqu’au Vieux Port. Je m’arrête près d’une tour carrée, contemple au loin celles dites de la Rochelle et fais demi-tour.
Un banc est bienvenu au-dessus de la plage où je sors Choses vues tout en regardant une intrépide en maillot se livrer à des exercices de méditation sur le sable. Vite rhabillée, elle s’en va et lui succèdent des marcheurs dans la mer en combinaison. D’autres marcheurs, à bâtons, font du bruit sur le chemin.
Il fait gris et doux mais vers onze heures cela fraîchît un peu. Je retrouve Tonton Louis, y entre réserver une table et demande à la patronne si je peux rester au chaud à une table de l’entrée en attendant l’heure du déjeuner. Elle accepte et me sert un café. Je lis à nouveau Hugo jusqu’à ce qu’une des serveuses vienne me chercher pour me conduire à une table avec vue sur le port.
Je suis venu là pour le buffet de fruits de mer à volonté. Il est proposé au prix de trente-six euros quatre-vingt-dix. J’ajoute huit euros pour six huîtres de Ré et sept euros vingt pour le vin blanc charentais.
Depuis le Covid, on ne se sert plus seul ici. D’aimables serveuses le font à votre place. Dans mes choix successifs : crevettes, écrevisses, bulots, demi-tourteau, couteaux servis chauds et aussi des praires, amandes, clams et palourdes qu’à ma demande on m’apporte ouvertes. Tout est en direct de la criée.
D’autres viennent ici pour les plats de poissons ou pour le homard. A la table voisine un trio déjeune au champagne, dont l’une qui annonce que c’est la première fois depuis deux ans qu’elle ose revenir au restaurant. De temps en temps un bateau entre dans le port.
Il est presque quatorze heures quand pour moi c’est assez. C’est aussi l’heure du bus du retour (le suivant dans trois heures). J’en suis le seul voyageur au départ. Un peu plus loin deux branlotins échappés d’un lycée y grimpent à leur tour. Ils parlent d’une fille. « Je la suis plus sur Insta, dit l’un, mais sa mère, elle est magnifique. Un jour, elle est venue la chercher au lycée et toute la classe était Ouaouh, c’est qui cette femme ? »
*
Ambiance maritime dans les toilettes de Tonton Louis : sirènes de bateaux et cris de goélands.
6 avril 2022
Ce mardi matin alors qu’une sorte de brouillasse m’oblige à utiliser mon vêtement de pluie pour la première fois, les arcades rochelaises prouvent leur utilité et c’est peu mouillé que j’arrive à hauteur de la place de Verdun au Café de la Paix.
Cet établissement classé Monument Historique est quasiment désert à mon entrée. Aussi puis-je, avec l’accord des garçons, en photographier l’intérieur, murs à miroirs, grands lustres rococos, plafonds décorés de stucs et peintures florales, avant de commander un café verre d’eau à deux euros. Peu après arrivent des habitué(e)s à café et des couples de passage à petit-déjeuner. Tandis que l’un des garçons sert, l’autre fait briller.
Le Café de la Paix a été construit en mil huit cent cinquante-deux à l'emplacement d'un établissement hospitalier édifié en mil sept cent douze sur les plans de l'ingénieur militaire Claude Masse et de diverses maisons dont une partie servait déjà de café militaire depuis le début du dix-neuvième siècle. Il a été réaménagé vers mil neuf cent par le dénommé Carache. La salle du café, avec son décor Belle Epoque, a été restaurée en mil neuf cent trente et un.
L’un de ses clients célèbres fut Georges Simenon, quand, à l’âge de vingt-neuf ans, il loua près de là, à Marsilly, une gentilhommière nommée La Richardière où il resta deux ans. A cette époque, il possédait deux loups qu’il promenait en laisse comme des chiens dans le village, jusqu’à ce qu’il soit obligé de s’en débarrasser.
C’est en sulky, tiré par un cheval, et traversant les champs de blé et de colza, ce qui lui causait des soucis avec les paysans, que Simenon se rendait à La Rochelle. On a rescellé un anneau sur le mur du Café de la Paix à l’endroit où il avait l'habitude d'attacher son cheval, mais le vrai est entre les mains de la fille du propriétaire.
L’écrivain laissait traîner ses oreilles sous les lustres. Je fais de même mais sans succès car mes voisins sont trop loin. De plus, une radio couvre les paroles des uns et des autres. Elle permet à l’un des garçons de chanter L’amour à la machine avec Alain Souchon.
Dans ce cadre enchanteur, je lis longuement Choses vues de Victor Hugo, espérant une éclaircie qui ne vient pas. Il semble que l’on soit parti pour passer la journée dans un brumisateur.
*
Et ce crachin est toujours de mise quand je rejoins L’Ardoise pour y déjeuner de son menu du jour : petite salade grecque, boudin noir aux deux pommes et tarte abricot amandes. Ma surprise est de découvrir que la petite serveuse à queue de cheval est la fille des jeunes tenanciers. Elle est aujourd’hui vêtue de son ticheurte noir Opération Requiem de défenseuse des animaux marins.
*
Je suis un homme qui pense à autre chose. (Victor Hugo, Choses vues)
Cet établissement classé Monument Historique est quasiment désert à mon entrée. Aussi puis-je, avec l’accord des garçons, en photographier l’intérieur, murs à miroirs, grands lustres rococos, plafonds décorés de stucs et peintures florales, avant de commander un café verre d’eau à deux euros. Peu après arrivent des habitué(e)s à café et des couples de passage à petit-déjeuner. Tandis que l’un des garçons sert, l’autre fait briller.
Le Café de la Paix a été construit en mil huit cent cinquante-deux à l'emplacement d'un établissement hospitalier édifié en mil sept cent douze sur les plans de l'ingénieur militaire Claude Masse et de diverses maisons dont une partie servait déjà de café militaire depuis le début du dix-neuvième siècle. Il a été réaménagé vers mil neuf cent par le dénommé Carache. La salle du café, avec son décor Belle Epoque, a été restaurée en mil neuf cent trente et un.
L’un de ses clients célèbres fut Georges Simenon, quand, à l’âge de vingt-neuf ans, il loua près de là, à Marsilly, une gentilhommière nommée La Richardière où il resta deux ans. A cette époque, il possédait deux loups qu’il promenait en laisse comme des chiens dans le village, jusqu’à ce qu’il soit obligé de s’en débarrasser.
C’est en sulky, tiré par un cheval, et traversant les champs de blé et de colza, ce qui lui causait des soucis avec les paysans, que Simenon se rendait à La Rochelle. On a rescellé un anneau sur le mur du Café de la Paix à l’endroit où il avait l'habitude d'attacher son cheval, mais le vrai est entre les mains de la fille du propriétaire.
L’écrivain laissait traîner ses oreilles sous les lustres. Je fais de même mais sans succès car mes voisins sont trop loin. De plus, une radio couvre les paroles des uns et des autres. Elle permet à l’un des garçons de chanter L’amour à la machine avec Alain Souchon.
Dans ce cadre enchanteur, je lis longuement Choses vues de Victor Hugo, espérant une éclaircie qui ne vient pas. Il semble que l’on soit parti pour passer la journée dans un brumisateur.
*
Et ce crachin est toujours de mise quand je rejoins L’Ardoise pour y déjeuner de son menu du jour : petite salade grecque, boudin noir aux deux pommes et tarte abricot amandes. Ma surprise est de découvrir que la petite serveuse à queue de cheval est la fille des jeunes tenanciers. Elle est aujourd’hui vêtue de son ticheurte noir Opération Requiem de défenseuse des animaux marins.
*
Je suis un homme qui pense à autre chose. (Victor Hugo, Choses vues)
5 avril 2022
Ma carte Yélo dix voyages étant restée vierge depuis l’incident de la Gare où elle fut avalée par un automate, il est temps de l’utiliser. Ce que je fais ce lundi matin en montant dans le bus Illico numéro Un qui a pour but le lointain port de commerce de La Pallice. J’en descends au terminus, Magasins Généraux, sur un long boulevard arboré, au milieu de nulle part.
Je vais du côté où je devine une grue, sans illusions sur la possibilité de m’en approcher car depuis plusieurs années l’ensemble de la zone portuaire est bouclée, hauts grillages, caméras, portillons tournants, badges obligatoires.
C’est bien une grue. Au loin j’entrevois des bateaux. En face est un ancien hôtel jouxté de bâtiments abandonnés et graffés. Une jeune femme qui sort des cartons me dit que je ne verrai rien de plus. Je lui demande si elle sait où est le restaurant Hangar Vingt-Sept. A l’autre bout du boulevard, vers la place du Marché où je ne verrai pas de marché.
En chemin je m’arrête pour photographier un curieux bâtiment en forme de carapace quand arrive celui que je devine être son responsable. J’apprends qu’il s’agit de la Scène de Musiques Zactuelles de La Rochelle. Je lui dis que c’est curieux qu’elle soit aussi excentrée. « Elles le sont toutes », me répond-il. « Je suis de Rouen et ce n’est pas le cas. » Il connaît le Cent Six, qu’il prétend loin du centre. « On peut y aller à pied, ici ce n’est pas possible. ». Ce têtu ne veut pas l’admettre. Je lui demande où est le Hangar Vingt-Sept. Plus loin. Près du marché. En contrebas.
Il me faut l’aide d’une troisième personne pour le trouver, coincé qu’il est entre des bâtiments protégés par des grillages et des pylônes à haute tension. J’y entre pour réserver une table à midi et m’y installe pour boire un café à un euro cinquante.
C’est un beau bâtiment à la structure en bois. Au comptoir s’affaire une dame chaleureuse et gouailleuse qui pourrait s’appeler Annie. Quand j’ai appris à celle qui travaille à Paris que j’allais à La Rochelle, elle m’a tout de suite dit « Chouette, tu vas pouvoir retourner chez Annie ». « Tu es sûre que c’était à La Rochelle ? Ce n’était pas plutôt à Saint-Nazaire ? » Chez Annie est le nom d’un restaurant routier où nous avons passé un très bon moment. Renseignement pris, c’est elle qui avait raison, Annie et son restaurant étaient dans le port de la Pallice, étaient car c’est fini hélas, la faute au bouclage du port. « Chez Annie à l’agonie », a titré Sud-Ouest en deux mille onze. « Pris au piège dans la zone portuaire, privé de sa clientèle, le restaurant d'Annie Marchesseau est condamné. »
Ce Hangar Vingt-Sept, dont j’ai eu vent par Tripadvisor, est donc une sorte de succédané. « Difficile à trouver », précisent les critiques. J’y lis Hugo un bon moment en écoutant la fausse Annie discuter avec les routiers et autres qui viennent boire un café. « Faut voter pour les petits, leur dit-elle, faut voter Arthaud, faut voter Poutou, pour qu’ils soient remboursés de leurs frais. » Au bout d’un moment, j’en suis certain, cette fausse Annie est la vraie. J’en ai la confirmation. Elle fait partie du personnel qui a été embauché pour ce nouveau restaurant créé par Port Atlantique La Rochelle.
Vers onze heures, je tente à nouveau de voir ce qui se passe dans ce foutu port où des panneaux souhaitent la bienvenue en toutes les langues mais où ne peuvent entrer que les professionnels. Impossible de voir la queue d’un bateau de ce côté-là, alors je parcours les rues du quartier, passe près de l’esthétique bâtiment du marché, découvre un pittoresque Café Populaire « alimentation » casse-croûte » (fermé pour travaux jusqu’au deux mai) et termine par l’Intermarché tout neuf construit près d’une ancienne cheminée d’usine en briques rouges.
A midi une table m’attend au Hangar Vingt-Sept. Annie a cédé la place à une équipe de femmes rodées au service du déjeuner. J’opte pour le menu complet : buffet d’entrées, andouillette sauce aux cèpes avec frites et dessert en libre-service, avec un quart de vin rouge, tout cela pour seulement quinze euros quatre-vingt-dix. Le Hangar Vingt-Sept est vite complet, des camionneurs, des ouvriers du port, des employés d’ailleurs. Mon voisin mange avec son ordinateur.
Pour rentrer j’attends le bus Illico numéro Un à l’arrêt Air Liquide et à quatorze heures pile je m’installe au soleil à la terrasse du Bistro du Gabut où mon café et mon verre d’eau ne mettent pas trente secondes à m’être livrés.
*
« Mon lit n’est pas fait, j’te préviens, et y a du bordel partout », entends-je ma voisine dire à l’homme qu’elle ramène chez elle à onze heures du soir ce dimanche. Une fois la porte fermée je n’entends plus rien, hormis les aboiements de son chien, un petit modèle qui gueule dès qu’il y a un imprévu.
Je vais du côté où je devine une grue, sans illusions sur la possibilité de m’en approcher car depuis plusieurs années l’ensemble de la zone portuaire est bouclée, hauts grillages, caméras, portillons tournants, badges obligatoires.
C’est bien une grue. Au loin j’entrevois des bateaux. En face est un ancien hôtel jouxté de bâtiments abandonnés et graffés. Une jeune femme qui sort des cartons me dit que je ne verrai rien de plus. Je lui demande si elle sait où est le restaurant Hangar Vingt-Sept. A l’autre bout du boulevard, vers la place du Marché où je ne verrai pas de marché.
En chemin je m’arrête pour photographier un curieux bâtiment en forme de carapace quand arrive celui que je devine être son responsable. J’apprends qu’il s’agit de la Scène de Musiques Zactuelles de La Rochelle. Je lui dis que c’est curieux qu’elle soit aussi excentrée. « Elles le sont toutes », me répond-il. « Je suis de Rouen et ce n’est pas le cas. » Il connaît le Cent Six, qu’il prétend loin du centre. « On peut y aller à pied, ici ce n’est pas possible. ». Ce têtu ne veut pas l’admettre. Je lui demande où est le Hangar Vingt-Sept. Plus loin. Près du marché. En contrebas.
Il me faut l’aide d’une troisième personne pour le trouver, coincé qu’il est entre des bâtiments protégés par des grillages et des pylônes à haute tension. J’y entre pour réserver une table à midi et m’y installe pour boire un café à un euro cinquante.
C’est un beau bâtiment à la structure en bois. Au comptoir s’affaire une dame chaleureuse et gouailleuse qui pourrait s’appeler Annie. Quand j’ai appris à celle qui travaille à Paris que j’allais à La Rochelle, elle m’a tout de suite dit « Chouette, tu vas pouvoir retourner chez Annie ». « Tu es sûre que c’était à La Rochelle ? Ce n’était pas plutôt à Saint-Nazaire ? » Chez Annie est le nom d’un restaurant routier où nous avons passé un très bon moment. Renseignement pris, c’est elle qui avait raison, Annie et son restaurant étaient dans le port de la Pallice, étaient car c’est fini hélas, la faute au bouclage du port. « Chez Annie à l’agonie », a titré Sud-Ouest en deux mille onze. « Pris au piège dans la zone portuaire, privé de sa clientèle, le restaurant d'Annie Marchesseau est condamné. »
Ce Hangar Vingt-Sept, dont j’ai eu vent par Tripadvisor, est donc une sorte de succédané. « Difficile à trouver », précisent les critiques. J’y lis Hugo un bon moment en écoutant la fausse Annie discuter avec les routiers et autres qui viennent boire un café. « Faut voter pour les petits, leur dit-elle, faut voter Arthaud, faut voter Poutou, pour qu’ils soient remboursés de leurs frais. » Au bout d’un moment, j’en suis certain, cette fausse Annie est la vraie. J’en ai la confirmation. Elle fait partie du personnel qui a été embauché pour ce nouveau restaurant créé par Port Atlantique La Rochelle.
Vers onze heures, je tente à nouveau de voir ce qui se passe dans ce foutu port où des panneaux souhaitent la bienvenue en toutes les langues mais où ne peuvent entrer que les professionnels. Impossible de voir la queue d’un bateau de ce côté-là, alors je parcours les rues du quartier, passe près de l’esthétique bâtiment du marché, découvre un pittoresque Café Populaire « alimentation » casse-croûte » (fermé pour travaux jusqu’au deux mai) et termine par l’Intermarché tout neuf construit près d’une ancienne cheminée d’usine en briques rouges.
A midi une table m’attend au Hangar Vingt-Sept. Annie a cédé la place à une équipe de femmes rodées au service du déjeuner. J’opte pour le menu complet : buffet d’entrées, andouillette sauce aux cèpes avec frites et dessert en libre-service, avec un quart de vin rouge, tout cela pour seulement quinze euros quatre-vingt-dix. Le Hangar Vingt-Sept est vite complet, des camionneurs, des ouvriers du port, des employés d’ailleurs. Mon voisin mange avec son ordinateur.
Pour rentrer j’attends le bus Illico numéro Un à l’arrêt Air Liquide et à quatorze heures pile je m’installe au soleil à la terrasse du Bistro du Gabut où mon café et mon verre d’eau ne mettent pas trente secondes à m’être livrés.
*
« Mon lit n’est pas fait, j’te préviens, et y a du bordel partout », entends-je ma voisine dire à l’homme qu’elle ramène chez elle à onze heures du soir ce dimanche. Une fois la porte fermée je n’entends plus rien, hormis les aboiements de son chien, un petit modèle qui gueule dès qu’il y a un imprévu.
4 avril 2022
Rochefort, ville chargée d’Histoire, est mon étape dominicale. Je descends du car Neuf devant sa belle Gare située place Françoise-Dorléac. Par la rue Henri-Laborit (il fut ici médecin à l’Hôpital de la Marine, tout comme Victor Segalen), je rejoins l’ancienne Ecole de Médecine Navale, un bâtiment devenu privé dont je fais une photo à travers les grilles. Après le cours d’Ablois, j’arrive à l’endroit où se tient chaque premier dimanche du mois une brocante de professionnels à laquelle s’adjoignent des particuliers. J’aperçois quelques livres mais il y a trop de monde pour que j’aie envie d’en faire le tour.
Une rue perpendiculaire (elles le sont quasiment toutes les unes aux autres) me permet de rejoindre le bord de la Charente où devrait être amarrée l’Hermione mais celle-ci, gravement atteinte par un champignon, est en cure au Pays Basque. Un périscope géant se montre un peu là. Longeant cette paisible rivière, j’arrive à la Corderie Royale qu’il est impossible de faire entrer dans une seule photo.
Dans un beau bâtiment à proximité d’icelle, qui autrefois accueillait les soldats surveillant l’Arsenal est un restaurant nommé Les Longitudes et comme il est midi et qu’il y a de petites tables dehors sous les arcades, je demande à occuper l’une d’elles au grand étonnement du personnel qui trouve qu’il fait froid. Il y a pourtant un peu de soleil. Et une belle vue sur l’entrée de la Corderie, la Charente, les familles du dimanche et une tour penchée. Je mange là un burgueur basique à douze euros cinquante, accompagné d’un quart de bordeaux rouge à cinq euros, et le fait suivre d’un café à un euro quatre-vingts.
Après ce repas sommaire, je continue le long de la Charente, passe à côté de la Médiathèque Erik Orsenna (un honneur que je juge immérité) et arrive au port de plaisance. Les nuages se faisant de plus en plus présents, je regagne le centre de la ville par le plus court chemin, dédaignant la maison de Pierre Loti, un auteur qui ne m’a jamais enthousiasmé.
Un autochtone m’apprend que des cafés, j’en trouverai près de l’Hôtel de Ville. En effet, deux grosses brasseries se font face sur la place dont les jets d’eau sont absents, Colbert et Les Demoiselles (celle-ci datant du film de Jacques Demy).
Pour une raison de lumière, je choisis Colbert. La bourgeoisie locale est en plein repas, mais on me laisse occuper une table pour un café à un euro soixante. Je reste longtemps, au chaud, à lire Victor Hugo, dans cette ville synonyme pour lui de malheur, puis, avec dix minutes d’avance, je vais attendre le car du retour à l’arrêt Roy Bry, pas loin de la brocante qui remballe avant l’heure.
*
Moyennant finances, on peut visiter la Corderie Royale en long et en large, surtout en long : trois cent soixante-quatorze mètres.
*
On trouve aussi à Rochefort le Conservatoire du Bégonia (il en abrite la plus grande collection au monde).
Le bégonia doit son nom à Michel Bégon. Grand intendant de Colbert et assainisseur de Rochefort, il finança l’expédition du père Plumier qui rapporta d’Amérique cette nouvelle plante. Une information que j’aurai vite oubliée.
*
Outre Pierre Loti, qui donne son nom à un collège (est-ce bien raisonnable ?), sont nés à Rochefort Maurice Merleau-Ponty et Dominique Aury (cette circonstance est-elle responsable de son goût pour le masochisme ?). Maurice Renard y est mort, banalement, d’une congestion pulmonaire.
Une rue perpendiculaire (elles le sont quasiment toutes les unes aux autres) me permet de rejoindre le bord de la Charente où devrait être amarrée l’Hermione mais celle-ci, gravement atteinte par un champignon, est en cure au Pays Basque. Un périscope géant se montre un peu là. Longeant cette paisible rivière, j’arrive à la Corderie Royale qu’il est impossible de faire entrer dans une seule photo.
Dans un beau bâtiment à proximité d’icelle, qui autrefois accueillait les soldats surveillant l’Arsenal est un restaurant nommé Les Longitudes et comme il est midi et qu’il y a de petites tables dehors sous les arcades, je demande à occuper l’une d’elles au grand étonnement du personnel qui trouve qu’il fait froid. Il y a pourtant un peu de soleil. Et une belle vue sur l’entrée de la Corderie, la Charente, les familles du dimanche et une tour penchée. Je mange là un burgueur basique à douze euros cinquante, accompagné d’un quart de bordeaux rouge à cinq euros, et le fait suivre d’un café à un euro quatre-vingts.
Après ce repas sommaire, je continue le long de la Charente, passe à côté de la Médiathèque Erik Orsenna (un honneur que je juge immérité) et arrive au port de plaisance. Les nuages se faisant de plus en plus présents, je regagne le centre de la ville par le plus court chemin, dédaignant la maison de Pierre Loti, un auteur qui ne m’a jamais enthousiasmé.
Un autochtone m’apprend que des cafés, j’en trouverai près de l’Hôtel de Ville. En effet, deux grosses brasseries se font face sur la place dont les jets d’eau sont absents, Colbert et Les Demoiselles (celle-ci datant du film de Jacques Demy).
Pour une raison de lumière, je choisis Colbert. La bourgeoisie locale est en plein repas, mais on me laisse occuper une table pour un café à un euro soixante. Je reste longtemps, au chaud, à lire Victor Hugo, dans cette ville synonyme pour lui de malheur, puis, avec dix minutes d’avance, je vais attendre le car du retour à l’arrêt Roy Bry, pas loin de la brocante qui remballe avant l’heure.
*
Moyennant finances, on peut visiter la Corderie Royale en long et en large, surtout en long : trois cent soixante-quatorze mètres.
*
On trouve aussi à Rochefort le Conservatoire du Bégonia (il en abrite la plus grande collection au monde).
Le bégonia doit son nom à Michel Bégon. Grand intendant de Colbert et assainisseur de Rochefort, il finança l’expédition du père Plumier qui rapporta d’Amérique cette nouvelle plante. Une information que j’aurai vite oubliée.
*
Outre Pierre Loti, qui donne son nom à un collège (est-ce bien raisonnable ?), sont nés à Rochefort Maurice Merleau-Ponty et Dominique Aury (cette circonstance est-elle responsable de son goût pour le masochisme ?). Maurice Renard y est mort, banalement, d’une congestion pulmonaire.
3 avril 2022
A la hauteur de la plage de la Concurrence et perpendiculairement à celle-ci s’étend un vaste espace plus ou moins naturel qui remonte jusqu’à une gare secondaire. Cette sorte de coulée verte rochelaise s’appelle le Parc Charruyer et est malheureusement traversé dans sa largeur par des routes à voitures. J’y entre ce samedi matin, à l’abri du vent et sous un ciel bleu.
Je croise d’abord quelques animaux, dont des poules de Marans et un baudet du Poitou qui a envie d’être mon ami. Je caresse son nez blanc avant de voir l’écriteau qui annonce que ça mord. Il braie quand je m’éloigne pour longer une petite rivière dont j’ignore le nom. Près d’icelle sont les locaux de la Boule Rochelaise et du Palet Rochelais, ainsi qu’une statue d’un très ancien Maire, Pierre Doriole. Les garde-fous des ponts sont en béton imitation bois. Ils me rappellent ceux du jardin public de Louviers, un des rares lieux de sortie familiale lorsque j’étais enfant.
Avant d’atteindre la gare, je reviens sur mes pas puis, à partir de la Concurrence, suis le bord de la mer jusqu’à la tour de la Chaîne et le cours des Dames connu pour ses restaurants de piètre qualité. Un échappe à la mauvaise réputation, un italien nommé La Storia, où je réserve une table pour le déjeuner avant d’aller lire au Bistro du Gabut orienté plein sud et à l’abri du vent.
A midi je prends place sous l’auvent de La Storia où il fait presque froid. La serveuse qui apporte mon quart de vin rouge charentais me trouve courageux.
-Je vous sers votre vin ? me demande-t-elle
-Si vous me le proposez, allez-y.
-Vous voulez m’exploiter jusqu’au bout, c’est ça ? Je ferais comme vous.
Le reste du personnel est masculin et également jeune et sympathique. Je commande une pizza nommée La Truffée composée de crème de champignons truffée et échalotes, fior di latte, champignons frais, speck (jambon italien), burrata, noix torréfiées et huile de truffe. Elle a belle allure et est fort bonne. Pour dessert, ce sera le tiramisu di Sabrina, l’authentique (biscuit au café, mascarpone, amaretto). Celui-ci est bon sans être remarquable.
Les tables sous l’auvent sont maintenant toutes occupées. Près de moi sont quatre garçons et deux filles. Il est question de commander des pizzas. Qui est pour ? « Moi je suis chaud », dit l’une des filles. Aucune fille ne fera l’accord au féminin dans ce cas. Pour ma part, j’ai moins froid quand je quitte cette bonne adresse après avoir réglé vingt-sept euros cinquante.
Sur le Cours des Dames sont installées les guérîtes où l’on vend les billets pour les excursions en mer. Constatant que pour aller à l’Ile d’Aix, c’est trente euros si l’on veut y rester plus que quelques heures, alors que l’on doit déjà se fader le tour de Fort Boyard (vu à la télé) et subir le baratin d’un commentateur durant toute la traversée, je renonce à mon idée d’employer ce moyen pour revoir cette délicieuse petite île dont il me restera un souvenir lointain et confus.
*
Le baudet du Poitou, très brun, très poilu, un mètre cinquante, quatre cent cinquante kilos, a failli disparaître. Il n’en restait que quarante-quatre en mil neuf cent soixante-dix-sept. Ils sont maintenant deux mille quatre cent quarante.
*
Ce baudet du Poitou me fait penser, malgré moi, à ce baudet de Poutou. Ce qui n’est pas gentil. « Si l’Otan avait été dissolu », l’entends-je dire à la télé dans l’après-midi.
Je croise d’abord quelques animaux, dont des poules de Marans et un baudet du Poitou qui a envie d’être mon ami. Je caresse son nez blanc avant de voir l’écriteau qui annonce que ça mord. Il braie quand je m’éloigne pour longer une petite rivière dont j’ignore le nom. Près d’icelle sont les locaux de la Boule Rochelaise et du Palet Rochelais, ainsi qu’une statue d’un très ancien Maire, Pierre Doriole. Les garde-fous des ponts sont en béton imitation bois. Ils me rappellent ceux du jardin public de Louviers, un des rares lieux de sortie familiale lorsque j’étais enfant.
Avant d’atteindre la gare, je reviens sur mes pas puis, à partir de la Concurrence, suis le bord de la mer jusqu’à la tour de la Chaîne et le cours des Dames connu pour ses restaurants de piètre qualité. Un échappe à la mauvaise réputation, un italien nommé La Storia, où je réserve une table pour le déjeuner avant d’aller lire au Bistro du Gabut orienté plein sud et à l’abri du vent.
A midi je prends place sous l’auvent de La Storia où il fait presque froid. La serveuse qui apporte mon quart de vin rouge charentais me trouve courageux.
-Je vous sers votre vin ? me demande-t-elle
-Si vous me le proposez, allez-y.
-Vous voulez m’exploiter jusqu’au bout, c’est ça ? Je ferais comme vous.
Le reste du personnel est masculin et également jeune et sympathique. Je commande une pizza nommée La Truffée composée de crème de champignons truffée et échalotes, fior di latte, champignons frais, speck (jambon italien), burrata, noix torréfiées et huile de truffe. Elle a belle allure et est fort bonne. Pour dessert, ce sera le tiramisu di Sabrina, l’authentique (biscuit au café, mascarpone, amaretto). Celui-ci est bon sans être remarquable.
Les tables sous l’auvent sont maintenant toutes occupées. Près de moi sont quatre garçons et deux filles. Il est question de commander des pizzas. Qui est pour ? « Moi je suis chaud », dit l’une des filles. Aucune fille ne fera l’accord au féminin dans ce cas. Pour ma part, j’ai moins froid quand je quitte cette bonne adresse après avoir réglé vingt-sept euros cinquante.
Sur le Cours des Dames sont installées les guérîtes où l’on vend les billets pour les excursions en mer. Constatant que pour aller à l’Ile d’Aix, c’est trente euros si l’on veut y rester plus que quelques heures, alors que l’on doit déjà se fader le tour de Fort Boyard (vu à la télé) et subir le baratin d’un commentateur durant toute la traversée, je renonce à mon idée d’employer ce moyen pour revoir cette délicieuse petite île dont il me restera un souvenir lointain et confus.
*
Le baudet du Poitou, très brun, très poilu, un mètre cinquante, quatre cent cinquante kilos, a failli disparaître. Il n’en restait que quarante-quatre en mil neuf cent soixante-dix-sept. Ils sont maintenant deux mille quatre cent quarante.
*
Ce baudet du Poitou me fait penser, malgré moi, à ce baudet de Poutou. Ce qui n’est pas gentil. « Si l’Otan avait été dissolu », l’entends-je dire à la télé dans l’après-midi.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante