Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
28 janvier 2017
Ambiance de printemps précoce ce vendredi soir à l’Opéra de Rouen. Des fleurs et des papillons géants suspendus dominent temporairement le foyer. Floraison est une installation d’Astrid de Geuser en lien avec Tistou les pouces verts, l’opéra participatif qui se déroulera bientôt sans moi. A l’ouverture des portes de la salle, je monte au premier balcon où j’ai une très mauvaise place presque au bout du premier rang côté pair.
Le Malandain Ballet Biarritz fait toujours salle comble pour cause de danse néoclassique qui plaît à tout le monde. D’où je suis, je vois les quatre cinquièmes de la scène et la moitié de la fosse où seront les musiciens. A cet endroit, impossible de lire le livret programme faute d’un bon éclairage mais je n’ai aucun mal à reconnaître Chopin quand les doigts du pianiste, Jean-Paul Gasparian, se posent sur l’instrument. Voilà qui va émoustiller ma voisine de l’autre jour. Nocturnes, chorégraphie de Thierry Malandain, est élégamment dansée par une vingtaine de jeunes gens, moitié filles, moitié garçons, vêtus de beige. Cela ne mérite que des applaudissements.
A l’entracte je reste à l’étage, observant les fleurs et les papillons par le dessus, ainsi que les grouillantes fourmis qui jouent du coude autour du bar.
Après Chopin, Vivaldi, ne prenons aucun risque. Cela nous vaut d’entendre le talentueux contre-ténor Nicholas Tamagna. Estro, chorégraphie de Thierry Malandain, se danse en noir avec de grosses lanternes qui peuvent se transformer en sièges. Les mouvements d’ensemble sont parfaitement réussis, les filles longilignes et jolies et les garçons féminins. C’est un triomphe à la fin. Le défaut de cette danse néoclassique, c’est que ça plaît à tout me monde, même à moi.
*
Ce vendredi matin, passant par la rue des Bons-Enfants, j’observe les dégâts.
Au bout de la rue Ecuyère, Le Nash a brûlé la veille au soir, sans qu’il y ait de victimes, la faute au chauffage de la terrasse. L’appartement du premier est détruit lui aussi.
Le chauffage des terrasses, une aberration anti-écologique consécutive à l’interdiction de fumer à l’intérieur des cafés.
*
Chez Sushi Tokyo, rue Verte, une fille a posé son téléphone contre sa carafe d’eau. Elle discute avec je ne sais qui sur Skype tout en mangeant avec les doigts.
Des pervers qui paient pour regarder une fille manger salement, ça doit exister.
*
Le matin de ce même vendredi, Macron est l’invité des Matins de France Culture pour parler de culture. Pas inintéressant à écouter car c’est avant tout un intellectuel, une espèce rare chez les politiciens.
A la fin, Matthieu Conquet lui fait découvrir Salauds de pauvres de Mustang. Il aime bien et n’y décèle apparemment pas malice. On le lui offre.
Salauds de pauvres / Ils boivent dès le matin / Du vin de pauvre / Ils n’y connaissent rien.
*
Du côté des riches, Fillon est vraiment dans la mouise. Jeudi soir, dans le Journal de Téheffun, il peine à démontrer que sa Penelope faisait un vrai travail pour lui, relecture de discours, lecture des journaux, rencontres de gens par-ci par-là, présence à des réunions où il ne pouvait pas aller (les réunions de parents d’élèves des écoles privées de ses enfants peut-être ?), tout cela payé grassement. Le présentateur évite soigneusement de lui demander si ces activités de proximité conjugale étaient également de mise quand sa femme était l’attachée parlementaire de son successeur, et encore plus payée. Il s’enfonce avec ses enfants avocats employés pour leur compétence quand il était Sénateur, lesquels, vérification faite, n’étaient qu’étudiants en droit.
Je le pressens grillé.
Juppé jure qu’il ne sera pas le candidat de secours. Sarkozy ne dit rien.
Le Malandain Ballet Biarritz fait toujours salle comble pour cause de danse néoclassique qui plaît à tout le monde. D’où je suis, je vois les quatre cinquièmes de la scène et la moitié de la fosse où seront les musiciens. A cet endroit, impossible de lire le livret programme faute d’un bon éclairage mais je n’ai aucun mal à reconnaître Chopin quand les doigts du pianiste, Jean-Paul Gasparian, se posent sur l’instrument. Voilà qui va émoustiller ma voisine de l’autre jour. Nocturnes, chorégraphie de Thierry Malandain, est élégamment dansée par une vingtaine de jeunes gens, moitié filles, moitié garçons, vêtus de beige. Cela ne mérite que des applaudissements.
A l’entracte je reste à l’étage, observant les fleurs et les papillons par le dessus, ainsi que les grouillantes fourmis qui jouent du coude autour du bar.
Après Chopin, Vivaldi, ne prenons aucun risque. Cela nous vaut d’entendre le talentueux contre-ténor Nicholas Tamagna. Estro, chorégraphie de Thierry Malandain, se danse en noir avec de grosses lanternes qui peuvent se transformer en sièges. Les mouvements d’ensemble sont parfaitement réussis, les filles longilignes et jolies et les garçons féminins. C’est un triomphe à la fin. Le défaut de cette danse néoclassique, c’est que ça plaît à tout me monde, même à moi.
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Ce vendredi matin, passant par la rue des Bons-Enfants, j’observe les dégâts.
Au bout de la rue Ecuyère, Le Nash a brûlé la veille au soir, sans qu’il y ait de victimes, la faute au chauffage de la terrasse. L’appartement du premier est détruit lui aussi.
Le chauffage des terrasses, une aberration anti-écologique consécutive à l’interdiction de fumer à l’intérieur des cafés.
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Chez Sushi Tokyo, rue Verte, une fille a posé son téléphone contre sa carafe d’eau. Elle discute avec je ne sais qui sur Skype tout en mangeant avec les doigts.
Des pervers qui paient pour regarder une fille manger salement, ça doit exister.
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Le matin de ce même vendredi, Macron est l’invité des Matins de France Culture pour parler de culture. Pas inintéressant à écouter car c’est avant tout un intellectuel, une espèce rare chez les politiciens.
A la fin, Matthieu Conquet lui fait découvrir Salauds de pauvres de Mustang. Il aime bien et n’y décèle apparemment pas malice. On le lui offre.
Salauds de pauvres / Ils boivent dès le matin / Du vin de pauvre / Ils n’y connaissent rien.
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Du côté des riches, Fillon est vraiment dans la mouise. Jeudi soir, dans le Journal de Téheffun, il peine à démontrer que sa Penelope faisait un vrai travail pour lui, relecture de discours, lecture des journaux, rencontres de gens par-ci par-là, présence à des réunions où il ne pouvait pas aller (les réunions de parents d’élèves des écoles privées de ses enfants peut-être ?), tout cela payé grassement. Le présentateur évite soigneusement de lui demander si ces activités de proximité conjugale étaient également de mise quand sa femme était l’attachée parlementaire de son successeur, et encore plus payée. Il s’enfonce avec ses enfants avocats employés pour leur compétence quand il était Sénateur, lesquels, vérification faite, n’étaient qu’étudiants en droit.
Je le pressens grillé.
Juppé jure qu’il ne sera pas le candidat de secours. Sarkozy ne dit rien.
27 janvier 2017
Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset). Quelques mois après une première mention du sida, on y voit apparaître un certain Jean-Michel Basquiat. Mil neuf cent quatre-vingt-deux est également l’année d’un voyage en Chine pour Andy :
Tout le monde a peur d’attraper le cancer homo. Alors maintenant ils baisent avec leur gros orteil. (Lundi huit mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’ai commandé des ris de veau que je déteste pour ne pas manger. (Jeudi vingt-cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Me suis arrêté chez Schrafft sur la 58e et Madison. Les serveuses disaient toutes : « Est-ce que c’est lui ? » « C’est lui. » « Ce n’est pas lui. » Alors quand je suis sorti j’ai dit : « C’est moi. » Ça les a excitées. (Samedi vingt et un août mil neuf cent quatre vingt-deux)
Rencontré Bruno Bischofberger (taxi $ 7,50). Il est venu avec Jean-Michel Basquiat. C’est la gosse qui signait « Samo » quand il était sur le trottoir de Greenwich Village à peindre des tee-shirts. Je lui avais donné 10 dollars tout de suite et l’avait envoyé à Serendipity pour essayer de vendre ses tee-shirts. C’est un de ces gosses qui me rend fou. Il est noir mais certains disent qu’il est portoricain, alors je ne sais pas. Bruno l’a découvert et maintenant il a la vie facile. Il a un loft super sur Christie Street. C’est un gamin de la moyenne bourgeoisie –il est allé à l’université, etc. (Lundi quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’oublie d’ajouter que la veille Jean-Michel Basquiat avait voulu me rembourser les 40 dollars qu’il me devait de l’époque où il peignait des t-shirts et m’empruntait de l’argent. J’ai refusé. J’étais gêné : j’étais surpris que ce soit tout ce que je lui avais donné. Je pensais lui avoir donné davantage. (Mardi cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Promené sur la 5e Avenue. Distribué Interview. Essayé de les donner à un groupe d’ouvriers du bâtiment mais ils m’ont ri au nez. J’étais gêné. Mais un autre groupe d’ouvriers du bâtiment, dans la rue d’après, m’en a demandé quelques-uns, alors ça s’est équilibré. (Vendredi vingt deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Dans un village, les enfants ont chanté God Bless America et Jingle Bells. C’était écœurant parce que c’était triste de voir ces petits enfants devoir faire les singes. Une autre fournée de gens en bus devait arriver après nous et ça serait le même numéro. (Mercredi trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux, Pékin)
Envoyé Benjamin à Chinatown parce que je n’avais pas acheté de cadeaux en Chine. (Lundi huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Tout le monde a peur d’attraper le cancer homo. Alors maintenant ils baisent avec leur gros orteil. (Lundi huit mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’ai commandé des ris de veau que je déteste pour ne pas manger. (Jeudi vingt-cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Me suis arrêté chez Schrafft sur la 58e et Madison. Les serveuses disaient toutes : « Est-ce que c’est lui ? » « C’est lui. » « Ce n’est pas lui. » Alors quand je suis sorti j’ai dit : « C’est moi. » Ça les a excitées. (Samedi vingt et un août mil neuf cent quatre vingt-deux)
Rencontré Bruno Bischofberger (taxi $ 7,50). Il est venu avec Jean-Michel Basquiat. C’est la gosse qui signait « Samo » quand il était sur le trottoir de Greenwich Village à peindre des tee-shirts. Je lui avais donné 10 dollars tout de suite et l’avait envoyé à Serendipity pour essayer de vendre ses tee-shirts. C’est un de ces gosses qui me rend fou. Il est noir mais certains disent qu’il est portoricain, alors je ne sais pas. Bruno l’a découvert et maintenant il a la vie facile. Il a un loft super sur Christie Street. C’est un gamin de la moyenne bourgeoisie –il est allé à l’université, etc. (Lundi quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
J’oublie d’ajouter que la veille Jean-Michel Basquiat avait voulu me rembourser les 40 dollars qu’il me devait de l’époque où il peignait des t-shirts et m’empruntait de l’argent. J’ai refusé. J’étais gêné : j’étais surpris que ce soit tout ce que je lui avais donné. Je pensais lui avoir donné davantage. (Mardi cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Promené sur la 5e Avenue. Distribué Interview. Essayé de les donner à un groupe d’ouvriers du bâtiment mais ils m’ont ri au nez. J’étais gêné. Mais un autre groupe d’ouvriers du bâtiment, dans la rue d’après, m’en a demandé quelques-uns, alors ça s’est équilibré. (Vendredi vingt deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
Dans un village, les enfants ont chanté God Bless America et Jingle Bells. C’était écœurant parce que c’était triste de voir ces petits enfants devoir faire les singes. Une autre fournée de gens en bus devait arriver après nous et ça serait le même numéro. (Mercredi trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux, Pékin)
Envoyé Benjamin à Chinatown parce que je n’avais pas acheté de cadeaux en Chine. (Lundi huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-deux)
26 janvier 2017
« Mesdames et messieurs, la panne d’un autre train retient actuellement notre train en gare », annonce le chef de bord du sept heures vingt-huit pour Paris ce mercredi. On soupire autour de moi, voilà une journée qui commence bien. Pour ma part, je suis également dans le train pour Mallaig (Ecosse) que prend Paul Theroux au début du chapitre dix-huit du Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni. Il roule.
Le nôtre finit par partir avec dix minutes de retard, ce qui me laisse le temps à l’arrivée de rejoindre le onzième arrondissement avec le bus Vingt et de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg : bidouillage du nombre de votants lors de la Primaire dite de la Gauche, emploi par Fillon de sa femme Penelope pour pas de travail et un gros salaire et deuxième emploi encore plus louche de ladite à La Revue des Deux Mondes dont le directeur d’alors tombe des nues ne l’ayant jamais vue.
Un encart en bas de page retient mon attention : « Recherche héritier ».
« Le soussigné Maître Raffaele Bernasconi, notaire à Lugano, canton du Tessin (Suisse), invite toute personne qui répute être un héritier de la défunte, Madame Juliana Grubhoffer, (…) à s’annoncer (…) dans le délais de six mois à partir de la publication de la présente invitation et de produire dans le même délais la documentation qui atteste le rapport de parentèle. Après cette période, l’héritage sera dévolu aux seuls héritiers constatés, avec réserve de la pétition d’héritage. » Un délice le vocabulaire juridique des notaires, j’apprécie particulièrement l’emploi du verbe réputer.
L’un des rideaux de fer de Book-Off a été tagué. C’est celui exactement situé face à l’entrée des marchandises du Monoprix, laquelle ai-je appris lors d’une récente livraison du Ramble Tamble de Philippe Dumez était autrefois un passage, et précisément celui où Anna Karina allait prendre des cours d'anglais dans le Bande à part de Jean-Luc Godard.
« Etes-vous heureux » (sans point d’interrogation) me demande-t-on d’une écriture appliquée sur un mur de la rue de la Main d’Or, pas loin du théâtre où l’antisémite se donne toujours en spectacle. De nombreuses affichettes jaunes signées du « Collectif des Citoyens du XIe » posent une autre question : « Pourquoi voter Mélenchon ? » (Oui, pourquoi ?).
Retourné Chez Céleste pour déjeuner, je m’y ennuie devant un avocat aux crabes et un colombo de poulet. Que ce soit dans le train, le bus, le café, la bouquinerie ou bien ici, j’ai l’impression d’être entouré d’imbéciles. Il y a des jours comme ça. C’est la même chose dans l’autre Book-Off et au café La Ville d’Argentan à Saint-Lazare.
« Mesdames et messieurs, suite à un incident technique au niveau des portes, nous attendons la visite technique avant de partir », annonce le chef de bord du dix-sept heures vingt-cinq pour Rouen. « C’est pas vrai, les connards ! », entends-je derrière moi. Je termine ma lecture du livre de Paul Theroux, lequel a du mal à boucler son tour de la Grande-Bretagne par la côte en raison d’une grève totale des trains consécutive à la politique de Thatcher, l’inspiratrice de Fillon. Pas loin de moi, un jeune homme s’occupe à commander une literie « Palace Hôtel », jonglant au téléphone entre sa femme et l’entreprise de livraison.
-Le lit qu’on dort, on le mettra dans la chambre d’ami », explique-t-il à la première.
Nous finissons par partir avec vingt minutes de retard et arrivons de même.
« Rouen, ici Rouen, assurez-vous que vous n’avez rien oublié dans le train. Pour la sortie, veuillez emprunter la passerelle. »
*
Ramble Tamble s’est arrêté ce lundi au numéro cent, à mon regret.
*
C’était vrai que les gens qui vivaient face à un horizon plat avaient tendance à construire des maisons carrées. (Paul Theroux, Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni, Cahiers Rouges/Grasset)
*
« Penelope file un mauvais coton » (titre pour Le Canard Enchaîné de la semaine prochaine).
Le nôtre finit par partir avec dix minutes de retard, ce qui me laisse le temps à l’arrivée de rejoindre le onzième arrondissement avec le bus Vingt et de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg : bidouillage du nombre de votants lors de la Primaire dite de la Gauche, emploi par Fillon de sa femme Penelope pour pas de travail et un gros salaire et deuxième emploi encore plus louche de ladite à La Revue des Deux Mondes dont le directeur d’alors tombe des nues ne l’ayant jamais vue.
Un encart en bas de page retient mon attention : « Recherche héritier ».
« Le soussigné Maître Raffaele Bernasconi, notaire à Lugano, canton du Tessin (Suisse), invite toute personne qui répute être un héritier de la défunte, Madame Juliana Grubhoffer, (…) à s’annoncer (…) dans le délais de six mois à partir de la publication de la présente invitation et de produire dans le même délais la documentation qui atteste le rapport de parentèle. Après cette période, l’héritage sera dévolu aux seuls héritiers constatés, avec réserve de la pétition d’héritage. » Un délice le vocabulaire juridique des notaires, j’apprécie particulièrement l’emploi du verbe réputer.
L’un des rideaux de fer de Book-Off a été tagué. C’est celui exactement situé face à l’entrée des marchandises du Monoprix, laquelle ai-je appris lors d’une récente livraison du Ramble Tamble de Philippe Dumez était autrefois un passage, et précisément celui où Anna Karina allait prendre des cours d'anglais dans le Bande à part de Jean-Luc Godard.
« Etes-vous heureux » (sans point d’interrogation) me demande-t-on d’une écriture appliquée sur un mur de la rue de la Main d’Or, pas loin du théâtre où l’antisémite se donne toujours en spectacle. De nombreuses affichettes jaunes signées du « Collectif des Citoyens du XIe » posent une autre question : « Pourquoi voter Mélenchon ? » (Oui, pourquoi ?).
Retourné Chez Céleste pour déjeuner, je m’y ennuie devant un avocat aux crabes et un colombo de poulet. Que ce soit dans le train, le bus, le café, la bouquinerie ou bien ici, j’ai l’impression d’être entouré d’imbéciles. Il y a des jours comme ça. C’est la même chose dans l’autre Book-Off et au café La Ville d’Argentan à Saint-Lazare.
« Mesdames et messieurs, suite à un incident technique au niveau des portes, nous attendons la visite technique avant de partir », annonce le chef de bord du dix-sept heures vingt-cinq pour Rouen. « C’est pas vrai, les connards ! », entends-je derrière moi. Je termine ma lecture du livre de Paul Theroux, lequel a du mal à boucler son tour de la Grande-Bretagne par la côte en raison d’une grève totale des trains consécutive à la politique de Thatcher, l’inspiratrice de Fillon. Pas loin de moi, un jeune homme s’occupe à commander une literie « Palace Hôtel », jonglant au téléphone entre sa femme et l’entreprise de livraison.
-Le lit qu’on dort, on le mettra dans la chambre d’ami », explique-t-il à la première.
Nous finissons par partir avec vingt minutes de retard et arrivons de même.
« Rouen, ici Rouen, assurez-vous que vous n’avez rien oublié dans le train. Pour la sortie, veuillez emprunter la passerelle. »
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Ramble Tamble s’est arrêté ce lundi au numéro cent, à mon regret.
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C’était vrai que les gens qui vivaient face à un horizon plat avaient tendance à construire des maisons carrées. (Paul Theroux, Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni, Cahiers Rouges/Grasset)
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« Penelope file un mauvais coton » (titre pour Le Canard Enchaîné de la semaine prochaine).
25 janvier 2017
Me voici à l’Opéra de Rouen ce dimanche après-midi, casé en corbeille entre des femmes âgées de la bourgeoisie bourgeoisante ayant sur la musique un avis définitif et non discutable, le classique oui, le contemporain non. Ma voisine de gauche a envie de retourner à Nohant pour le Festival Chopin et d’en profiter pour visiter une quatrième fois la maison de Georges Sand. La table est mise, on s’attend à la voir entrer dans la salle à manger.
Nous sommes loin de Chopin ce dimanche. Pour commencer, c’est The Unanswered Question de Charles Ives, une œuvre pour laquelle ont été ouvertes les portes d’entrée de la salle et celles des loges. Sur la scène, le trompettiste Franck Paque fait face en solo au tutti de l’Orchestre provenant du foyer. « C’est n’importe quoi. Il joue tout seul », dit ma voisine de droite à l’issue, croyant que la musique du foyer était celle d’un enregistrement. Les musiciens descendant dans la salle lui donne un cruel démenti, ce qui ne la démonte pas : « Ah très bien. C’est original. » La question de savoir pourquoi certain(e)s peuvent voter pour un Trump ou tout autre politicien à opinion variable et contradictoire n’est pas sans réponse.
Suit Soleil rouge (concerto pour trompette), une création de Thierry Pécou inspirée « d’un chant cérémonial des premiers Américains qui est un mélange de tradition amérindienne et de christianisme, et, d’une façon plus générale, des techniques de battements de tambours des Indiens Navajos ». Le trompettiste est le renommé Håkan Hardenberger qui au début de ce Soleil rouge fait un usage inhabituel de son instrument, frappant en rythme sur l’embouchure. L’Orchestre est dirigé par le jeune chef Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, déjà apprécié ici en novembre dernier et qui remplace Leo Hussain absent pour une raison inconnue (Ma voisine de gauche : « On l’a déjà vu, ce petit chef-là »).
C’est du très bon Pécou. Mes voisines applaudissent comme tout le monde et s’abstiennent de faire des commentaires. Thierry Pécou, chemise orange, vient saluer entre Jamie Phillips et Håkan Hardenberger.
-Ça ne nous plaît peut-être pas à nous, mais ça plaira à nos petits-enfants, entends-je à l’entracte.
-Oui, et c’est bien pour les musiciens de jouer des choses nouvelles, ils ne peuvent pas faire toujours la même chose.
L’œuvre suivante date de plus d’un siècle. Elle ne prête donc pas à discussion. C’est la Symphonie numéro neuf en mi mineur d’Antonín Dvořák, plus connue sous le nom de Symphonie du Nouveau Monde, pour laquelle le talentueux Jamie Phillips n’a pas besoin de partition. Il confirme qu’il sait tirer de l’Orchestre le meilleur. C’est un grand moment de plaisir qui s’achève par un quatrième mouvement orgasmique. Les applaudissements sont copieux et suscitent plusieurs retours du maestro sur la scène. Un bis de ce dernier mouvement m’agréerait mais c’est trop demander.
*
Ce concert « américain » a été opportunément donné une première fois vendredi dernier à l’heure où l’abominable Trump prêtait serment.
Une double vidéo mise en ligne par le quotidien britannique The Independent en dit plus qu’un long discours. A gauche, on voit Barack Obama le jour de sa première investiture attendant que sa femme Michelle fasse le tour de la voiture avec son cadeau protocolaire puis montant les marches derrière elle vers le couple Bush. A droite, on voit Donald Trump lors de sa propre investiture fonçant vers le couple Obama sans se soucier le moins du monde de sa femme Melania reléguée à l’arrière avec son cadeau protocolaire.
*
Le soir venu, résultat de la Primaire dite de Gauche : Hamon en tête et favori du second tour. Voilà qui ne va pas faire plaisir à Mélenchon, ils sont sur le même créneau. M’étonnerait pas que certains des soutiens de ce dernier aillent voter Valls dimanche prochain. Ça ne fera pas davantage plaisir aux Droitistes qui voient l’espace offert à Macron s’élargir et donc Fillon en danger. De là à ce qu’ils aillent eux aussi voter Valls.
*
Il y a des points que j’apprécie dans le discours de Hamon, notamment sa remise en cause de la dévotion à la croissance et à la « valeur travail ». Je ne compte pas pour autant aller choisir dimanche prochain celui qui finira cinquième du premier tour de la Présidentielle.
Nous sommes loin de Chopin ce dimanche. Pour commencer, c’est The Unanswered Question de Charles Ives, une œuvre pour laquelle ont été ouvertes les portes d’entrée de la salle et celles des loges. Sur la scène, le trompettiste Franck Paque fait face en solo au tutti de l’Orchestre provenant du foyer. « C’est n’importe quoi. Il joue tout seul », dit ma voisine de droite à l’issue, croyant que la musique du foyer était celle d’un enregistrement. Les musiciens descendant dans la salle lui donne un cruel démenti, ce qui ne la démonte pas : « Ah très bien. C’est original. » La question de savoir pourquoi certain(e)s peuvent voter pour un Trump ou tout autre politicien à opinion variable et contradictoire n’est pas sans réponse.
Suit Soleil rouge (concerto pour trompette), une création de Thierry Pécou inspirée « d’un chant cérémonial des premiers Américains qui est un mélange de tradition amérindienne et de christianisme, et, d’une façon plus générale, des techniques de battements de tambours des Indiens Navajos ». Le trompettiste est le renommé Håkan Hardenberger qui au début de ce Soleil rouge fait un usage inhabituel de son instrument, frappant en rythme sur l’embouchure. L’Orchestre est dirigé par le jeune chef Jamie Phillips, boursier à la Phil Gustavo Dudamel de Los Angeles et chef associé du Hallé Orchestra, déjà apprécié ici en novembre dernier et qui remplace Leo Hussain absent pour une raison inconnue (Ma voisine de gauche : « On l’a déjà vu, ce petit chef-là »).
C’est du très bon Pécou. Mes voisines applaudissent comme tout le monde et s’abstiennent de faire des commentaires. Thierry Pécou, chemise orange, vient saluer entre Jamie Phillips et Håkan Hardenberger.
-Ça ne nous plaît peut-être pas à nous, mais ça plaira à nos petits-enfants, entends-je à l’entracte.
-Oui, et c’est bien pour les musiciens de jouer des choses nouvelles, ils ne peuvent pas faire toujours la même chose.
L’œuvre suivante date de plus d’un siècle. Elle ne prête donc pas à discussion. C’est la Symphonie numéro neuf en mi mineur d’Antonín Dvořák, plus connue sous le nom de Symphonie du Nouveau Monde, pour laquelle le talentueux Jamie Phillips n’a pas besoin de partition. Il confirme qu’il sait tirer de l’Orchestre le meilleur. C’est un grand moment de plaisir qui s’achève par un quatrième mouvement orgasmique. Les applaudissements sont copieux et suscitent plusieurs retours du maestro sur la scène. Un bis de ce dernier mouvement m’agréerait mais c’est trop demander.
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Ce concert « américain » a été opportunément donné une première fois vendredi dernier à l’heure où l’abominable Trump prêtait serment.
Une double vidéo mise en ligne par le quotidien britannique The Independent en dit plus qu’un long discours. A gauche, on voit Barack Obama le jour de sa première investiture attendant que sa femme Michelle fasse le tour de la voiture avec son cadeau protocolaire puis montant les marches derrière elle vers le couple Bush. A droite, on voit Donald Trump lors de sa propre investiture fonçant vers le couple Obama sans se soucier le moins du monde de sa femme Melania reléguée à l’arrière avec son cadeau protocolaire.
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Le soir venu, résultat de la Primaire dite de Gauche : Hamon en tête et favori du second tour. Voilà qui ne va pas faire plaisir à Mélenchon, ils sont sur le même créneau. M’étonnerait pas que certains des soutiens de ce dernier aillent voter Valls dimanche prochain. Ça ne fera pas davantage plaisir aux Droitistes qui voient l’espace offert à Macron s’élargir et donc Fillon en danger. De là à ce qu’ils aillent eux aussi voter Valls.
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Il y a des points que j’apprécie dans le discours de Hamon, notamment sa remise en cause de la dévotion à la croissance et à la « valeur travail ». Je ne compte pas pour autant aller choisir dimanche prochain celui qui finira cinquième du premier tour de la Présidentielle.
24 janvier 2017
Si les deux jeunes femmes venues avec moi en Deux Chevaux à la Fabrique des Savoirs d’Elbeuf viennent d’abord pour le bâtiment et les collections permanentes qu’il abrite, je suis là avant tout pour découvrir Roadkill, la première exposition personnelle du disagneur taxidermiste Sylvain Wavrant, natif de Sologne, pour qui l’année deux mille seize fut celle du passage de la création d’accessoires de mode ou de théâtre (notamment pour le metteur en scène Thomas Jolly) à celle d’œuvres à montrer dans les galeries d’art. Avant de pouvoir entrer, il nous faut patienter un quart d’heure sur le trottoir dans la froidure. Le Musée, sis dans une partie de l'ancienne usine drapière Blin & Blin, n’ouvre qu’à quatorze heures.
A l’heure dite, la jeune femme de l’accueil nous ouvre la porte. Elle me délivre un billet gratuit qui donne droit de voir ce pour quoi je suis venu et les salles d’exposition permanente (une expo Hector Malot nécessiterait de débourser quatre euros mais comme je ne suis pas fou de l’écrivain de La Bouille, je m’en dispense).
Les installations de Sylvain Wavrant sont dans le long passage qui mène aux collections permanentes. Comme l’indique le titre de l’exposition, il s’est agi pour lui de créer sur le thème de l’accident de voiture dont sont victimes les animaux qu’il récupère dans les fossés.
C’est une suite d’œuvres à la beauté sombre, en noir et rouge et or, le rouge paillette matérialisant le sang mais donnant aussi un supplément d’âme glamour aux scènes tragiques et figées. Les titres et les descriptifs sont éloquents : Le Glas (corneille naturalisée, essuie-glaces), Partir à point (lapereau naturalisé, soufflet de levier de vitesse, paillettes), Le Manège enchanté (peau de blaireau, roue de voiture, paillettes, perles), Narcisse (pic naturalisé, rétroviseur, perles, strass Swarovski), Premières loges (pare-brise encadré, merle naturalisé), Roadkill (renard naturalisé, coffrage, bitume), Blaireau ! (blaireau naturalisé, pare-choc, broderie, perles et strass Swarovski), Refuge (pigeon naturalisé, ampoule et phare de voiture), Panier garni (blaireau naturalisé, pneu de voiture, paillettes, ballon rouge en forme de cœur), Tentative de survie (renard naturalisé, couverture de survie), Splash (corneille naturalisée, porte de voiture rouge, paillettes). Cette liste me plaît en elle-même par son côté de froid constat pouvant donner naissance à l’imagination. Une femme est là, venue avec cinq moutards d’âge maternel. L’un d’eux, à la vue de ces animaux soudés aux objets qui les ont tués, a une parole de commisération : « Pauvres trucs ».
Sur le mur du fond, en une série de photos signée Fred Margueron, Sylvain Wavrant se met en scène dans le rôle de l’animal pris dans les phares sur une route forestière et pour qui ça finit mal.
Tout cela me plaît beaucoup et je pense qu’il en serait de même si je ne connaissais pas personnellement l’artiste.
Guère intéressé par ce que proposent les expositions permanentes j’en fais quand même le tour, passant par l’archéologie locale, les tristes animaux empaillés et les machines à filature sur lesquelles ont souffert bien des ouvriers, dans des salles aux cloisons épaisses, basses de plafond, peu éclairées, où je me sens oppressé. Je vais m’aérer un petit moment au belvédère du cinquième étage (vue sur le cimetière, l’église et les autres bâtiments industriels reconvertis) puis retrouve mes deux compagnes de voyage.
Le retour à Rouen dans la Deux Chevaux de notre aimable chauffeur est sans histoire. Nul animal ne passe sous les roues de la petite voiture grise, ni ne vient s’écraser sur son pare-brise.
*
Sur un mur de la Fabrique des Savoirs, un tableau à l’érotisme pompier : Sapho et Phaon. Point n’est dit qui l’a peint (ou alors je n’ai pas vu). Il est précisé que c’est un « Envoi de l’Etat » de mil huit cent quatre-vingt-douze.
*
J’aime bien Sylvain, c'est le seul garçon que je connaisse qui me saute au cou quand on se croise dans la rue.
A l’heure dite, la jeune femme de l’accueil nous ouvre la porte. Elle me délivre un billet gratuit qui donne droit de voir ce pour quoi je suis venu et les salles d’exposition permanente (une expo Hector Malot nécessiterait de débourser quatre euros mais comme je ne suis pas fou de l’écrivain de La Bouille, je m’en dispense).
Les installations de Sylvain Wavrant sont dans le long passage qui mène aux collections permanentes. Comme l’indique le titre de l’exposition, il s’est agi pour lui de créer sur le thème de l’accident de voiture dont sont victimes les animaux qu’il récupère dans les fossés.
C’est une suite d’œuvres à la beauté sombre, en noir et rouge et or, le rouge paillette matérialisant le sang mais donnant aussi un supplément d’âme glamour aux scènes tragiques et figées. Les titres et les descriptifs sont éloquents : Le Glas (corneille naturalisée, essuie-glaces), Partir à point (lapereau naturalisé, soufflet de levier de vitesse, paillettes), Le Manège enchanté (peau de blaireau, roue de voiture, paillettes, perles), Narcisse (pic naturalisé, rétroviseur, perles, strass Swarovski), Premières loges (pare-brise encadré, merle naturalisé), Roadkill (renard naturalisé, coffrage, bitume), Blaireau ! (blaireau naturalisé, pare-choc, broderie, perles et strass Swarovski), Refuge (pigeon naturalisé, ampoule et phare de voiture), Panier garni (blaireau naturalisé, pneu de voiture, paillettes, ballon rouge en forme de cœur), Tentative de survie (renard naturalisé, couverture de survie), Splash (corneille naturalisée, porte de voiture rouge, paillettes). Cette liste me plaît en elle-même par son côté de froid constat pouvant donner naissance à l’imagination. Une femme est là, venue avec cinq moutards d’âge maternel. L’un d’eux, à la vue de ces animaux soudés aux objets qui les ont tués, a une parole de commisération : « Pauvres trucs ».
Sur le mur du fond, en une série de photos signée Fred Margueron, Sylvain Wavrant se met en scène dans le rôle de l’animal pris dans les phares sur une route forestière et pour qui ça finit mal.
Tout cela me plaît beaucoup et je pense qu’il en serait de même si je ne connaissais pas personnellement l’artiste.
Guère intéressé par ce que proposent les expositions permanentes j’en fais quand même le tour, passant par l’archéologie locale, les tristes animaux empaillés et les machines à filature sur lesquelles ont souffert bien des ouvriers, dans des salles aux cloisons épaisses, basses de plafond, peu éclairées, où je me sens oppressé. Je vais m’aérer un petit moment au belvédère du cinquième étage (vue sur le cimetière, l’église et les autres bâtiments industriels reconvertis) puis retrouve mes deux compagnes de voyage.
Le retour à Rouen dans la Deux Chevaux de notre aimable chauffeur est sans histoire. Nul animal ne passe sous les roues de la petite voiture grise, ni ne vient s’écraser sur son pare-brise.
*
Sur un mur de la Fabrique des Savoirs, un tableau à l’érotisme pompier : Sapho et Phaon. Point n’est dit qui l’a peint (ou alors je n’ai pas vu). Il est précisé que c’est un « Envoi de l’Etat » de mil huit cent quatre-vingt-douze.
*
J’aime bien Sylvain, c'est le seul garçon que je connaisse qui me saute au cou quand on se croise dans la rue.
23 janvier 2017
Comment faire pour rejoindre Elbeuf afin d’y voir à la Fabrique des Savoirs la première exposition personnelle de Sylvain Wavrant, me demandé-je, quand soudain tombe dans ma boîte un mail envoyé par la Réunion des Musées de la Métropole. Cette institution propose d’y aller ce ouiquennede gratuitement en Deux Chevaux avec un chauffeur. Je m’inscris illico. Quoi de plus adéquat, me dis-je ensuite, que d’aller en voiture voir une série d’œuvres qui transcendent des animaux victimes de la route (comme on dit).
Trois voitures sont garées parallèlement sur l’esplanade Marcel-Duchamp devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen quand j’y arrive à treize heures, quinze minutes avant le départ, en ce samedi glacial : une bleue, une crème, une grise. Je salue leur propriétaire, un jeune quadragénaire barbu qui lance son entreprise de visites touristiques en Deudeuche : Rouen 2CV Tour. « C’est avec moi que vous allez partir, me dit-il, dans la grise ». Les autres voitures, conduites par ses employés, iront à la Corderie Vallois et au Musée Corneille.
Nous sommes trois passagers pour ce premier voyage de l’après-midi. Mes grandes jambes me donnent le droit de m’installer à l’avant. Deux jeunes femmes se partagent la banquette arrière. L’une est enseignante chercheuse en chimie à l’Université et l’autre encore chercheuse d’un emploi dans la culture dix ans après l’obtention de son diplôme. Elles sont plus excitées que moi par l’aventure. Pour elles, comme pour notre chauffeur, cette voiture est un objet de collection tout à fait vintage. Moi je l’ai connue au temps où elle courait les rues, quand elle était avec la Quatre Ailes la voiture de ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent, parmi lesquels beaucoup de jeunes. Si je n’en ai jamais eu (hormis sous sa forme dérivée de Méhari), je m’y suis souvent assis dans les années soixante-dix. Je me souviens d’un trajet dans le Lot avec une fille qui m’avait pris en stop et qui conduisait si dangereusement que j’étais descendu avant d’avoir atteint mon objectif. Je ne me souvenais pas en revanche qu’on était si à l’étroit dans l’habitacle.
Notre chauffeur est des plus prudents. Il nous annonce que nous sommes ces premiers clients. C’est le tout début de son entreprise. Avant, il était directeur financier. Grâce à sa nouvelle activité, il va pouvoir faire ce dont il rêvait, un peu de gestion, un peu de mécanique et surtout rencontrer des gens de toute sorte. Il espère emmener des touristes au sommet des collines à panorama, la côte Sainte-Catherine, la côte de Canteleu.
-L’autre jour avec la voiture, j’ai croisé une ancienne collègue, j’étais son supérieur hiérarchique. Elle m’a regardé. Non, c’est pas lui. Si, c’était moi.
Il nous explique qu’on ne s’improvise pas promeneur de gens en voiture. Il lui a fallu passer un examen d'attestation professionnelle en transport routier léger de personnes.
Contrairement à ce que je craignais, il fait bien chaud dans la Deux Chevaux. C’est grâce à la récupération de la chaleur du pot d’échappement, apprends-je. Sur l’autoroute, nous filons à quatre-vingts avec des pointes à quatre-vingt-dix. Les panneaux lumineux qui demandent aux automobilistes de diminuer leur vitesse de vingt kilomètres heure pour cause de pollution aux particules fines ne nous concernent pas, mais si vous étiez à Paris, dis-je à notre sympathique chauffeur, cette voiture serait interdite de circulation, il ne faudrait pas que ce règlement arrive à Rouen.
-Je sais, me dit-il, ça m’inquiète un peu. Là-bas, on fait des visites avec des Deux Chevaux électriques, ce n’est pas la même chose.
En effet, que serait une Deuche sans son bruit de moteur caractéristique.
Nous arrivons par Orival et sommes devant la Fabrique des Savoirs à deux heures moins le quart. Rendez-vous est pris à quinze heures pour le retour.
Trois voitures sont garées parallèlement sur l’esplanade Marcel-Duchamp devant le Musée des Beaux-Arts de Rouen quand j’y arrive à treize heures, quinze minutes avant le départ, en ce samedi glacial : une bleue, une crème, une grise. Je salue leur propriétaire, un jeune quadragénaire barbu qui lance son entreprise de visites touristiques en Deudeuche : Rouen 2CV Tour. « C’est avec moi que vous allez partir, me dit-il, dans la grise ». Les autres voitures, conduites par ses employés, iront à la Corderie Vallois et au Musée Corneille.
Nous sommes trois passagers pour ce premier voyage de l’après-midi. Mes grandes jambes me donnent le droit de m’installer à l’avant. Deux jeunes femmes se partagent la banquette arrière. L’une est enseignante chercheuse en chimie à l’Université et l’autre encore chercheuse d’un emploi dans la culture dix ans après l’obtention de son diplôme. Elles sont plus excitées que moi par l’aventure. Pour elles, comme pour notre chauffeur, cette voiture est un objet de collection tout à fait vintage. Moi je l’ai connue au temps où elle courait les rues, quand elle était avec la Quatre Ailes la voiture de ceux qui n’avaient pas beaucoup d’argent, parmi lesquels beaucoup de jeunes. Si je n’en ai jamais eu (hormis sous sa forme dérivée de Méhari), je m’y suis souvent assis dans les années soixante-dix. Je me souviens d’un trajet dans le Lot avec une fille qui m’avait pris en stop et qui conduisait si dangereusement que j’étais descendu avant d’avoir atteint mon objectif. Je ne me souvenais pas en revanche qu’on était si à l’étroit dans l’habitacle.
Notre chauffeur est des plus prudents. Il nous annonce que nous sommes ces premiers clients. C’est le tout début de son entreprise. Avant, il était directeur financier. Grâce à sa nouvelle activité, il va pouvoir faire ce dont il rêvait, un peu de gestion, un peu de mécanique et surtout rencontrer des gens de toute sorte. Il espère emmener des touristes au sommet des collines à panorama, la côte Sainte-Catherine, la côte de Canteleu.
-L’autre jour avec la voiture, j’ai croisé une ancienne collègue, j’étais son supérieur hiérarchique. Elle m’a regardé. Non, c’est pas lui. Si, c’était moi.
Il nous explique qu’on ne s’improvise pas promeneur de gens en voiture. Il lui a fallu passer un examen d'attestation professionnelle en transport routier léger de personnes.
Contrairement à ce que je craignais, il fait bien chaud dans la Deux Chevaux. C’est grâce à la récupération de la chaleur du pot d’échappement, apprends-je. Sur l’autoroute, nous filons à quatre-vingts avec des pointes à quatre-vingt-dix. Les panneaux lumineux qui demandent aux automobilistes de diminuer leur vitesse de vingt kilomètres heure pour cause de pollution aux particules fines ne nous concernent pas, mais si vous étiez à Paris, dis-je à notre sympathique chauffeur, cette voiture serait interdite de circulation, il ne faudrait pas que ce règlement arrive à Rouen.
-Je sais, me dit-il, ça m’inquiète un peu. Là-bas, on fait des visites avec des Deux Chevaux électriques, ce n’est pas la même chose.
En effet, que serait une Deuche sans son bruit de moteur caractéristique.
Nous arrivons par Orival et sommes devant la Fabrique des Savoirs à deux heures moins le quart. Rendez-vous est pris à quinze heures pour le retour.
21 janvier 2017
Suite des prélèvements effectués lors de ma lecture du Journal d’Andy Warhol (Grasset) :
Avec Travolta à notre table, c’est devenu impossible, la foule nous écrasait. Un policier était juste derrière, essayant de nous protéger, et il était soûl. J’ai dit : « Ne regarde pas tout de suite, Bob, mais tu as un gros pistolet et une grosse queue à un centimètre de ton cou. » Et le policier a demandé : « Puis-je faire quelque chose pour vous ? » Bob a ri et dit : « Restez juste là. » (Jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt, Houston)
La ligne New York - Miami est la pire, tout le monde est laid, Portoricain, Cubain et Sud-Américain, c’est dégoûtant. (Vendredi cinq septembre mil neuf cent quatre-vingt, New York-Miami)
Au moment où nous partions, elle est venue me dire : « Mon cher, avez-vous rencontré le prince de Thaïlande ? « Et elle a montré du doigt un gamin que nous avions pris pour un serveur. (Mercredi dix septembre mil neuf cent quatre-vingt)
Nelson Lyon est venu avec Michael O’Donoghue, celui qui a écrit Saturday Night Live. C’est un type amusant mais qui n’a pas l’air irlandais. Il a dit qu’à une soirée j’avais pris une photo de lui. Je devais viser quelqu’un derrière. (Mercredi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt)
Sharon m’a emmené dans une autre pièce pour me montrer une photo de son lord anglais en train de pisser, il a une queue comme un cheval. Elle ne sait pas si elle doit l’épouser, mais je lui ai dit qu’elle devrait avec une queue pareille. (Jeudi vingt-cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt)
Après déjeuner, nous avons décidé d’aller voir l’expo Gainsborough –un tas de gens beaux et leurs chiens. Et nous étions tellement près de Giverny que nous avons tous décidé d’y aller. Hubert est venu en blouse blanche et nous en a fait faire le tour. Nous avons passé un moment merveilleux. (Vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, Paris)
Tom et moi avons parlé de Jim Morrison et Tom m’a raconté qu’ils ramassaient parfois trois filles et que Jim s’écroulait, alors il devait les baiser toutes les trois. (Samedi dix-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-un)
Ma famille, quand ils essaient de venir me voir, je dis toujours que je suis en voyage. (Mercredi six juillet mil neuf cent quatre-vingt-un)
J’ai dit à Jon qu’il était gros, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. (Vendredi vingt-huit août mil neuf cent quatre-vingt-un)
Leo Castelli est venu avec sa petite amie, Laura de Copper. Il buvait, ils s’enlaçaient et s’embrassaient. Je n’en reviens pas de ce vieil homme… C’est la fille qui donne de l’argent à Jackie Curtis. Leo a commandé un portrait d’elle. (Vendredi neuf mil neuf cent octobre quatre-vingt-un)
Il y avait un cardinal qui venait de faire une attaque d’hémiplégie, alors une moitié seulement de lui était là… (Vendredi vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-un, Toronto)
*
Je n’aurais pu me trouver par hasard à Giverny le jour où Andy y fut. Le vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, j’étais en classe au Bec-Hellouin. Les vacances de printemps commençaient le lendemain.
Avec Travolta à notre table, c’est devenu impossible, la foule nous écrasait. Un policier était juste derrière, essayant de nous protéger, et il était soûl. J’ai dit : « Ne regarde pas tout de suite, Bob, mais tu as un gros pistolet et une grosse queue à un centimètre de ton cou. » Et le policier a demandé : « Puis-je faire quelque chose pour vous ? » Bob a ri et dit : « Restez juste là. » (Jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt, Houston)
La ligne New York - Miami est la pire, tout le monde est laid, Portoricain, Cubain et Sud-Américain, c’est dégoûtant. (Vendredi cinq septembre mil neuf cent quatre-vingt, New York-Miami)
Au moment où nous partions, elle est venue me dire : « Mon cher, avez-vous rencontré le prince de Thaïlande ? « Et elle a montré du doigt un gamin que nous avions pris pour un serveur. (Mercredi dix septembre mil neuf cent quatre-vingt)
Nelson Lyon est venu avec Michael O’Donoghue, celui qui a écrit Saturday Night Live. C’est un type amusant mais qui n’a pas l’air irlandais. Il a dit qu’à une soirée j’avais pris une photo de lui. Je devais viser quelqu’un derrière. (Mercredi premier octobre mil neuf cent quatre-vingt)
Sharon m’a emmené dans une autre pièce pour me montrer une photo de son lord anglais en train de pisser, il a une queue comme un cheval. Elle ne sait pas si elle doit l’épouser, mais je lui ai dit qu’elle devrait avec une queue pareille. (Jeudi vingt-cinq décembre mil neuf cent quatre-vingt)
Après déjeuner, nous avons décidé d’aller voir l’expo Gainsborough –un tas de gens beaux et leurs chiens. Et nous étions tellement près de Giverny que nous avons tous décidé d’y aller. Hubert est venu en blouse blanche et nous en a fait faire le tour. Nous avons passé un moment merveilleux. (Vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, Paris)
Tom et moi avons parlé de Jim Morrison et Tom m’a raconté qu’ils ramassaient parfois trois filles et que Jim s’écroulait, alors il devait les baiser toutes les trois. (Samedi dix-huit avril mil neuf cent quatre-vingt-un)
Ma famille, quand ils essaient de venir me voir, je dis toujours que je suis en voyage. (Mercredi six juillet mil neuf cent quatre-vingt-un)
J’ai dit à Jon qu’il était gros, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. (Vendredi vingt-huit août mil neuf cent quatre-vingt-un)
Leo Castelli est venu avec sa petite amie, Laura de Copper. Il buvait, ils s’enlaçaient et s’embrassaient. Je n’en reviens pas de ce vieil homme… C’est la fille qui donne de l’argent à Jackie Curtis. Leo a commandé un portrait d’elle. (Vendredi neuf mil neuf cent octobre quatre-vingt-un)
Il y avait un cardinal qui venait de faire une attaque d’hémiplégie, alors une moitié seulement de lui était là… (Vendredi vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-un, Toronto)
*
Je n’aurais pu me trouver par hasard à Giverny le jour où Andy y fut. Le vendredi trois avril mil neuf cent quatre-vingt-un, j’étais en classe au Bec-Hellouin. Les vacances de printemps commençaient le lendemain.
20 janvier 2017
La technique pour être dans une voiture de seconde avant autrui à l’arrêt des trains venus du Havre est de passer par une voiture de première, il n’en descend que quelques voyageurs. C’est ce que je fais ce mercredi dans la bétaillère de sept heures vingt-huit pour Paris. S’il fait chaud en première, on se pèle en seconde.
-Vous pourriez monter un peu le chauffage ? demande l’un au contrôleur qui passe.
-Il est au maximum, répond celui-ci.
-Y en a pas !
-Bah oui, c’est ça.
Les rares qui avaient ôté leur manteau ont eu tôt fait de le remettre. A l’arrivée les vitres de la voiture sont totalement couvertes de buée, ce qui montre que nous sommes toujours vivants.
Rouen est à l’Ouest, Paris est dans l’Est, ainsi que le rappelle la froidure encore plus dure dans la capitale. Le bus Vingt me réchauffe un peu les fesses mais je dois ensuite affronter le vent glacial qui balaie la place de la Bastille. Le Café du Faubourg m’est une étape revigorante. Chez Book-Off, la chaleur tombe par des bouches au plafond. Je m’y attarde bien que la pêche soit mince. En sortant, je fais quand même un saut au marché d’Aligre. Bien des vendeurs ne sont pas là.
A midi, c’est au Péhemmu chinois, assis près d’un chauffage d’appoint qui fait peu son office, que j’attends celle qui doit déjeuner avec moi, Son travail actuel nous empêche de partager une galette chez elle cette année.
Quand elle arrive, nous optons pour le classique confit de canard pommes rissolées. Elle me parle de sa vie compliquée et pleine d’incertitudes. Comme nous n’avons pas de voisins, la gentille serveuse tourne le chauffage vers nous et le met à fond. Pour prolonger le bon moment, nous ajoutons un dessert, crème brûlée pour elle, moelleux au chocolat pour moi, puis un café.
-Ça caille, me dit le patron du Péhemmu chinois au moment de payer.
Je dis au revoir, place de la Bastille, à celle qui travaille non loin de là et m’engouffre dans le métro pour parcourir une distance qu’en d’autres jours j’aurais faite à pied. Il s’agit d’aller se réfugier au Centre Pompidou. Beaucoup ont eu la même idée. Jamais je n’ai vu une telle file d’attente devant le vestiaire.
A l’étage de l’Art Moderne, je musarde dans des salles temporaires consacrées à CoBrA, à Fluxus, aux Lettristes et à l’Internationale Situationniste (dans laquelle pérore Debord). Mai Soixante-Huit a droit à un couloir. J’y découvre un film d’époque de Jean-Pierre Prévot. Un peu plus loin, je salue deux Chaissac puis les Ten Lizes d’Andy.
Mon train de retour est celui de dix-sept heures vingt-cinq. Il est chauffé et j’y ai place réservée.
*
Près de Beaubourg, une fille à la face joyeuse se précipitant vers moi :
-Monsieur, je peux vous prendre deux minutes de votre temps ?
-Il n’en est pas question.
Encore une de ces associations qui vivent grâce à la misère du monde.
*
Depuis un certain temps, pour cause de désorganisation permanente et d’économie de personnel, les places réservées dans les trains ne sont plus matérialisées par un petit papier.
Il existe toutefois une possibilité (discriminatoire) de connaître les places libres. Avec son smartphone. Qui n’en a pas doit s’attendre à se faire jeter.
Cependant, pour qui s’est assis à une place signalée libre par l’application de la Senecefe, rien n’est gagné. Il peut encore être délogé par un voyageur qui aura acheté un billet avec réservation après qu’il se fut assis.
Il y a donc une morale dans cette histoire.
Et deux conclusions :
Une : l’application de la Senefece ne sert à rien.
Deux : il est prudent d’avoir une réservation.
-Vous pourriez monter un peu le chauffage ? demande l’un au contrôleur qui passe.
-Il est au maximum, répond celui-ci.
-Y en a pas !
-Bah oui, c’est ça.
Les rares qui avaient ôté leur manteau ont eu tôt fait de le remettre. A l’arrivée les vitres de la voiture sont totalement couvertes de buée, ce qui montre que nous sommes toujours vivants.
Rouen est à l’Ouest, Paris est dans l’Est, ainsi que le rappelle la froidure encore plus dure dans la capitale. Le bus Vingt me réchauffe un peu les fesses mais je dois ensuite affronter le vent glacial qui balaie la place de la Bastille. Le Café du Faubourg m’est une étape revigorante. Chez Book-Off, la chaleur tombe par des bouches au plafond. Je m’y attarde bien que la pêche soit mince. En sortant, je fais quand même un saut au marché d’Aligre. Bien des vendeurs ne sont pas là.
A midi, c’est au Péhemmu chinois, assis près d’un chauffage d’appoint qui fait peu son office, que j’attends celle qui doit déjeuner avec moi, Son travail actuel nous empêche de partager une galette chez elle cette année.
Quand elle arrive, nous optons pour le classique confit de canard pommes rissolées. Elle me parle de sa vie compliquée et pleine d’incertitudes. Comme nous n’avons pas de voisins, la gentille serveuse tourne le chauffage vers nous et le met à fond. Pour prolonger le bon moment, nous ajoutons un dessert, crème brûlée pour elle, moelleux au chocolat pour moi, puis un café.
-Ça caille, me dit le patron du Péhemmu chinois au moment de payer.
Je dis au revoir, place de la Bastille, à celle qui travaille non loin de là et m’engouffre dans le métro pour parcourir une distance qu’en d’autres jours j’aurais faite à pied. Il s’agit d’aller se réfugier au Centre Pompidou. Beaucoup ont eu la même idée. Jamais je n’ai vu une telle file d’attente devant le vestiaire.
A l’étage de l’Art Moderne, je musarde dans des salles temporaires consacrées à CoBrA, à Fluxus, aux Lettristes et à l’Internationale Situationniste (dans laquelle pérore Debord). Mai Soixante-Huit a droit à un couloir. J’y découvre un film d’époque de Jean-Pierre Prévot. Un peu plus loin, je salue deux Chaissac puis les Ten Lizes d’Andy.
Mon train de retour est celui de dix-sept heures vingt-cinq. Il est chauffé et j’y ai place réservée.
*
Près de Beaubourg, une fille à la face joyeuse se précipitant vers moi :
-Monsieur, je peux vous prendre deux minutes de votre temps ?
-Il n’en est pas question.
Encore une de ces associations qui vivent grâce à la misère du monde.
*
Depuis un certain temps, pour cause de désorganisation permanente et d’économie de personnel, les places réservées dans les trains ne sont plus matérialisées par un petit papier.
Il existe toutefois une possibilité (discriminatoire) de connaître les places libres. Avec son smartphone. Qui n’en a pas doit s’attendre à se faire jeter.
Cependant, pour qui s’est assis à une place signalée libre par l’application de la Senecefe, rien n’est gagné. Il peut encore être délogé par un voyageur qui aura acheté un billet avec réservation après qu’il se fut assis.
Il y a donc une morale dans cette histoire.
Et deux conclusions :
Une : l’application de la Senefece ne sert à rien.
Deux : il est prudent d’avoir une réservation.
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