Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

1er novembre 2016


Suite et fin de mes notes de relecture du Journal (1879-1939) de l’abbé Mugnier paru au  Mercure de France dans la collection  Le Temps retrouvé), une édition contestée par A. d’Esneval dans un article du Bulletin de la Société J. K. Huysmans intitulé Le " Journal " de l'abbé Mugnier. Un document très expurgé, parfois remodelé, peut-il encore être tenu pour authentique?
Dans cette étude de l'édition du Journal par Marcel Billot pour le Mercure de France, A. d’Esneval regrette des coupures maladroites ou mal intentionnées et une simplification abusive du style et du caractère de l’abbé Mugnier. L'écrémage du manuscrit tel qu'il a été pratiqué est très préjudiciable à l'authenticité documentaire du Journal, conclut-il.
Quoi qu’il en soit, retrouvons Arthur Mugnier au début de la guerre de Quatorze, il mourra pendant la suivante à l’âge de quatre-vingt onze ans :
Seules les cartes de la guerre intéressent. On y pique de petits drapeaux. Une guerre, occasion d’apprendre sa géographie ! Le malheur instruit. (dix septembre mil neuf cent quatorze)
Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement. (douze septembre mil neuf cent quatorze)
Pour moi, le grand mal c’est de vivre en société. Le mensonge est une nécessité sociale. On ne peut être soi, au milieu des hommes. Ils vous engagent, vous enrégimentent, vous solidarisent, mettent la main sur votre liberté intérieure et extérieure. Toutes les institutions font main basse sur le moi humain. (treize octobre mil neuf cent quinze)
Mme Bourget rappelait avoir entendu Mme Zola dire à son mari : « Minet, veux-tu un chocolat ? » Zola, minet ! (vingt-neuf février mil neuf cent seize)
On parle du Bois Fumin, du côté de Verdun. Des morceaux de terre sortent de leur anonymat, connus des seuls oiseaux, de quelques fleurs ; les voilà illustrés par la violence, le feu, le sang. L’humanité est folle et tout ce qu’elle fait est discrédité par elle-même. (vingt-trois juin mil neuf cent seize)
Les gens de la bonne société transforment leurs habitudes en principes. Ils ne mettent rien dans leur vie, et c’est ce qu’ils appellent la correction et le « comme il faut ». Ils consacrent le vide et l’ennui, et l’inertie en mettant sur tout cela l’étiquette divine. (trente et un juillet mil neuf cent dix sept)
Descaves m’a parlé de Méry Laurent qui n’avait pas voulu être la maîtresse de Mallarmé parce qu’elle ne le trouvait pas assez propre. (vingt-six février mil neuf cent dix-huit)
Encore une allocution de mariage à préparer, jamais, jamais de repos et je suis fait cependant pour une paresse intelligente. (six juin mil neuf cent vingt)
Nous devions avoir Picasso et Colette, mais Picasso attend un bébé et Colette se fait remonter le visage. (cinq janvier mil neuf cent vingt et un)
Ce soleil de janvier est déconcertant. Faudra-t-il l’expier ? C’est comme la jeunesse des désirs que ne calme pas la soixantaine. (dix janvier mil neuf cent vingt et un)
Quand Oscar Wilde mourut, dit Berthelot, nous fûmes 9 à son enterrement. Il n’y avait qu’une couronne, de la part d’un locataire. On le conduisit au cimetière de Pantin. (même jour)
Oh ! les attentats contre l’individu, c’est-à-dire contre la vie ! On vous momifie, enfant, dans une croyance : maintenant vous croyez, ne bougez plus ! (onze mai mil neuf cent vingt-quatre)
Je ne tiens pas pour le moment à être chanoine prébendé. (vingt et un novembre mil neuf cent vingt-quatre)
Alphonse Daudet plein de charme mais faux. Il écrivait de belles lettres charmantes pour recommander les auteurs à Charpentier et il avait fait un signe mystérieux qui avertissait l’éditeur de n’en rien faire. (dix-neuf février mil neuf cent vingt cinq)
Notre époque peut se résumer ainsi : usines, banques, cinémas, dancings, palaces, enseignes lumineuses, réclames, automobiles, téléphonages, etc. C’est-à-dire matérialisme, argent, plaisir et tout le contraire de la simplicité et de la modestie. (huit octobre mil neuf cent vingt-six)
Curel citait ce mot de Toulouse-Lautrec qui était petit, bossu : « Quand je bande, je suis un trépied. » (huit août mil neuf cent vingt-sept)
Cueilli chemin faisant Paul Léautaud, qui habite 24 rue Guérard, à Fontenay-aux-Roses. C’est un homme qui, avec ses lunettes, sa figure maigre, sombre, mal rasée, sa voix et ses gestes de cabotin, ressemble ou à un prêtre défroqué ou à un homme de théâtre dans la débine. En réalité, un timide, un nerveux, un malheureux. (sept août mil neuf cent trente)
J’ai fait signer deux exemplaires du Voyage au bout de la nuit. Céline s’y prête avec très bonne grâce, sur la table de la salle à manger, le premier destiné à la comtesse de Castries, le second pour moi avec ces mots : « A M. le Chanoine Mugnier, notre compagnon d’infini, bien amicalement et respectueusement. » (dix-huit janvier mil neuf cent trente-trois)
 

31 octobre 2016


Mon exemplaire de l’édition de poche du Journal (1879-1939) de l’abbé Mugnier publié au Mercure de France, dans la collection Le Temps retrouvé, a certaines pages dont l’encre a pâli, comme si je l’avais usée à force de relectures. La plus récente, au Pays Basque, date du printemps dernier.
L’abbé Mugnier, plus souvent présent dans le monde (où il entra par Huysmans qu’il convertit) qu’à la chapelle (d’où des ennuis avec sa hiérarchie), y raconte essentiellement ce que d’autres lui racontent dans les salons ou au confessionnal, vivant par procuration la vie qu’il aurait voulu avoir, tout en donnant de temps à autre un point de vue sans illusions sur les hommes et la société. Il n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il reçoit un témoignage de reconnaissance, comme celui que lui envoie Cosima Wagner (une lettre de quatre pages) suite à une conférence qu’il a faite sur son défunt mari en mil huit cent quatre-vingt-quinze. Il m’est doux de rayonner sous forme admiratrice., avoue-t-il à cette occasion.
Cette relecture est responsable de nombreuses notes, dont voici les premières :
Renan couchait avec sa sœur. Lockroy aurait avoué qu’il aurait donné à Renan la croix de commandeur, en souvenir des exploits érotiques de l’auteur de La Vie de Jésus avec sa sœur Henriette sous la tente. (vingt-six avril mil huit cent quatre-vingt-seize, citant les propos d’un certain Dessus, ami de Huysmans )
Hier, Huysmans me contait que Victor Hugo était jusqu’à la fin un colosse « libidineux ». Il montait sur les omnibus pour y ramasser des petites filles avec lesquelles il se satisfaisait. (six septembre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept)
Hier, au confessionnal, une femme m’a révélé l’existence de brasseries (il y en aurait trois comme celle-là) à Paris, où, après une consommation élevée, on fournit, au premier, dans des salons d’un luxe inouï des femmes à des femmes, des femmes à des hommes, voire même des enfants, petites filles non encore violées ou qui le sont déjà et qui simulent une virginité perdue… Des femmes s’amusent avec des chiens, des danois dont on entend les aboiements. De vieux messieurs viennent, pour des sommes importantes, voir derrière des rideaux les spectacles auxquels leur impuissance les empêche de se mêler. Cette femme qui a été caissière dans l’une de ces maisons, m’a confié que les mères venaient proposer leurs filles encore vierges. (quatre septembre mil huit cent quatre-vingt-dix-huit)
Huysmans a redit qu’il n’y a pas de talent sans péché, que pour avoir du talent il faut avoir couché avec des femmes. Il va même plus loin. Baiser, dit-il, une femme, dessus, ne suffit pas. il faut du vice pour avoir du talent. Voilà une thèse curieuse. Dans quelle mesure est-elle vraie ? (dix-neuf mai mil neuf cent cinq)
Les femmes, les jeunes filles de la haute société fument maintenant devant leurs mères. (dix-sept juin mil neuf cent sept)
Lu la correspondance de Huysmans à Gustave Boucher. Quelques lignes sur moi m’ont déplu. Il m’appelle « pétulant abbé », « l’abbé Batifole ». (onze mars mil neuf cent neuf)
Encore la même jeune fille de la société (dix-neuf ans) couchant avec un valet de chambre. Elle l’aime. Elle lui avait fait faire ses Pâques. Conversion et perversion. (vingt-trois juin mil neuf cent neuf)
La comtesse Krosnowska m’a dit un mot de Renée Vivien morte de sa vie contre nature. Elle était trop étroitement unie avec la baronne Z. qui n’aime que les squelettes et les mourantes. (quinze octobre mil neuf cent dix)
On a beau être jeune, jolie et comtesse, et même pieuse : cela ne vous empêche pas de vous faire avorter deux fois, des œuvres de son mari et à l’insu de ce mari. Je viens de voir la coupable, qui est venue à mon confessionnal par cette pluie de novembre. (vingt-sept novembre mil neuf cent dix)
Jamais prêtre ne mangea plus en ville que moi. Je dissipe mon âme à pleine assiette. (vingt-neuf janvier mil neuf cent onze)
On m’a cité hier ce mot de Forain : « Le salon de la duchesse de Rohan, c’est la rue avec un toit. » (vingt-trois février mil neuf cent onze)
Je ne dis rien de Mme Bourget qui me paraît bonne, douce, mais peu intéressante, maladive d’ailleurs. Les hommes de lettres ne devraient pas se marier. (cinq février mil neuf cent douze)
 

29 octobre 2016


L’autre semaine, voulant acheter, comme j’en ai l’habitude, des billets de train via Internet, je me heurte au moment de payer à un refus de la banque, laquelle exige désormais que je lui donne un message de confirmation envoyé par téléphone portatif pour s’assurer que c’est bien moi
Je n’ai plus qu’à passer à la boutique de la Senefece, où il faut toujours attendre et qui ne dispose pas de toutes les offres promotionnelles.
Sorti de là, je me rends à l’agence du Crédit Agricole de la rue de la Jeanne, tape mon nom à la borne d’accueil (c’est obligatoire) et attends qu’un employé me reçoive en m’appelant par mon nom comme s’il me connaissait.
-Que puis-je faire pour vous ?
C’est la première question de la procédure. Je lui explique que je n’aurai jamais de téléphone portable (du moins tant que ce ne sera pas obligatoire). Je vais faire le nécessaire pour qu’on vous envoie un message vocal sur votre téléphone fixe, me répond-il. Il a besoin pour cela d’un tas de renseignements qu’il a déjà puisque je suis client depuis plus de quarante ans, jusqu’à photocopier ma carte d’identité. Pour finir, il me fait signer un avenant au contrat de ma carte bancaire.
Lorsque je veux commander un nouveau billet de train, je ne reçois aucun message vocal. Je retourne au Crédit Agricole où, bien qu’il n’y ait pas d'autres clients, je dois m’identifier à la borne (c’est obligatoire). Un employé inoccupé claironne mon nom deux minutes plus tard.
-Que puis-je faire pour vous ?
Je lui explique que son collègue, dont j’ai retenu le nom car c’est celui d’un roi mage, présentement au téléphone, n’a pas su faire quelque chose pour moi. Serait-il, lui, capable de résoudre mon problème ? Il me dit d’attendre que son voisin ait fini de téléphoner et que s’il n’arrivait pas à me donner satisfaction, il viendrait l’aider.
Cette fois, l’employé au nom de roi mage téléphone au service des cartes bancaires et apprend qu’on ne peut pas recevoir de code de confirmation par le téléphone fixe. C’est en revanche possible par mail.
Je suis donc obligé de donner mon adresse électronique à ma banque, ce que j’avais toujours refusé de faire, craignant qu’elle l’utilise pour me faire parvenir mes relevés de compte.
                                                                       *
Conséquence des remous liés à l’abattage des arbres rouennais, Rouen.fr, la Voix de son Maire, publie à nouveau le calendrier des prochaines coupes en spécifiant que les arbres condamnés seront remplacés et même que « de nouveaux arbres seront également ajoutés en plus ».
                                                                      *
De leur côté, les Ecologistes municipaux communiquent :
« Des associations et des citoyens s’interrogent sur les travaux qui sont en cours, notamment les abattages d’arbres. Nous les remercions de leur veille. »
Cet apparent soutien est vite démenti :
« Si certains abattages sont inadmissibles et injustifiables, tel celui des platanes de l’esplanade Waddington, d’autres s’inscrivent dans le cadre du plan pluriannuel de renouvellement du patrimoine arboré de la Ville de Rouen. Il est nécessaire de remplacer des arbres très vieillissants et / ou présentant des pathologies susceptibles de générer des risques de sécurité, tels les cerisiers de la Place du Lieutenant Aubert. »
Et la conclusion est non équivoque :
« Face aux questionnements des habitants, Françoise Lesconnec (adjointe en charge de l’environnement) et Jean-Michel Bérégovoy (adjoint en charge de la démocratie participative et de la coordination des politiques de proximité) ont décidé la création à partir de janvier prochain d’une « commission de la biodiversité » afin de travailler notamment, dans un esprit de transparence et de co-élaboration, au plan pluriannuel de renouvellement du patrimoine arboré. »
Autrement dit, tu contestes l’abattage des arbres, bravo, mais viens donc discuter avec nous, les gestionnaires verts adeptes des plans pluriannuels, qui savons mieux que toi ce qui est bon pour la nature et pour la ville, tu sortiras de là d’accord avec nous (c’est obligatoire).
 

28 octobre 2016


Mon sac posé à la maison au retour de Paris, je ressors ce mercredi afin de rejoindre le rassemblement contre l’abattage des arbres du square Verdrel (et d’ailleurs) organisé via le réseau social Effe Bé. J’en croise l’initiateur place des Carmes, porteur de bougies destinées à remplacer celles qui ont été volées ou mises à la poubelle.
Quelques jeunes gens sont déjà là, assis sur les marches du Musée des Beaux-Arts. D’autres protestataires d’âges divers arrivent. Je dépose le galet ramassé lundi sur la plage de Dieppe près d’une bougie puis discute avec certains, d’accord avec l’un qui me dit que le grand nettoyage de ce square est aussi ou surtout destiné à en supprimer la vie nocturne. Les homosexuels ne pourront plus s’enfiler dans les bosquets. Une journaliste est là qui prend des notes. Arrive aussi l’un des responsables de l’association Effet de Serre Toi-Même, un militant de la militance qui m’insupporte car il prêche en permanence (je l’ai déjà subi dans un rassemblement antinucléaire).
Quand je lui demande pourquoi ses amis écologistes élus au Conseil Municipal de Rouen soutiennent le plan d’abattage, il me répond que lui est associatif. Okay, mais sait-il pourquoi ils agissent ainsi ? Il faut le leur demander. Ils devraient être là, lui dis-je, et je n’en vois aucun, du moins ceux que je connais. Il y en a une, me dit-il, mais il ne veut pas me la montrer, « droit de réserve ».
Il harangue à nouveau les quelques dizaines de présent(e)s et finit par accaparer la journaliste. Quand il parle de Robert, Maire, Socialiste, chef des bûcherons, il l’appelle par son prénom.
Soûlé, je dis au revoir aux deux jeunes défenseurs des arbres à l’origine du rassemblement et quitte les lieux.
                                                              *
S’agissant des quatre cerisiers du Japon de la place du Lieutenant-Aubert abattus en début de semaine, l’alibi municipal serait que l’un était malade, régulièrement blessé par les camions entrant dans la zone piétonnière. (Toutes les rues piétonnières de Rouen sont envahies par les voitures et les camions. Que font les Ecologistes municipaux et les autres face à ce problème ? Rien.)
Le restaurateur de L’Etoile d’Or m’a dit qu’on ne lui avait pas demandé son avis avant de couper ces quatre cerisiers.
-Votre terrasse ne sera plus ombragée l’été prochain, lui ai-je fait remarquer.
-Ce n’est pas ça qui m’ennuie, m’a-t-il répondu, c’est qu’ils étaient si beaux au printemps avec leurs petites fleurs roses.
                                                             *
A qui servent les élu(e)s écolos rouennais(e)s ?
Tans que l’une, Françoise Lesconnec, Adjointe chargée de la Santé et de l’Environnement fait tomber les arbres, une autre, Fatima El Khili, Adjointe chargée du Logement et de l’Habitat Durable, des Bâtiments Communaux, de l’Energie, de la Commission Communale de Sécurité et de l’Hygiène et de la Salubrité Publique, fait fermer des bars de nuit.
                                                            *
Guillaume Blavette, le harangueur d’Effet de Serre Toi-Même, c’est Sers tes Effets Toi-Même.
                                                            *
Les homos, les Socialistes les préfèrent mariés, à la maison, un peu de télévision, une tisane, et au lit.
 

27 octobre 2016


Ambiance de vacances dans le train de huit heures douze ce mercredi, mais néanmoins studieuse. Les enfants montés à Vernon avec leurs mères soit lisent soit dessinent en silence. Les garçons ont les cheveux sur les oreilles. Les deux femmes qui ne se connaissent pas doivent être enseignantes. Elles ne lisent ni ne dessinent, ne tripotent pas de téléphone.
Les métros Trois et Huit m’emmènent jusqu’au Café du Faubourg où l’on se moque de François Hollande, « Monsieur Quatre Pour Cent », tandis que je bois vite le mien sans m’en mêler. J’explore ensuite Book-Off puis le marché d’Aligre.
Chez Céleste, j’opte cette fois pour la formule plat dessert : rôti de veau à l’ail et tarte Tatin. C’est calme, comme on dirait à Dieppe. Près de moi déjeunent trois peutes étudiants qui n’ont pas de soucis financiers.
-J’suis super chaud pour aller en Vendée ce week-end, c’est la saison des moules et de la langoustine, déclare l’un. Ça vous dit ?
Les autres sont aussi super chauds, mais l’un doit travailler sur son projet et l’autre a un anniversaire en famille.
Il est ensuite question de voter ou non à la primaire et quoi faire pour l’élection présidentielle :
-Nicolas Dupont-Aignan, je l’ai croisé, il est vachement sympa, conclut l’un.
La tarte Tatin est excellente.
Je rejoins la place de la Bastille, grimpe dans le bus Vingt-Neuf, en descends à Bibliothèque Nationale et vais profiter d’un poil de soleil sur l’une des chaises cernant le bassin du jardin du Palais Royal. Un jeune couple se sépare pour trouver de quoi s’asseoir. Elle fonce sur une chaise qui se libère tandis qu’il en cherche une autre trente mètres plus loin. Quand il a la chaise en main, il ne voit plus sa copine. En désespoir, il la bipe avec son téléphone. Sans cette technologie, il ne l’aurait jamais retrouvée.
                                                         *
Une femme félicitant le cuisinier à l’issue de son repas à la brasserie A la Ville d’Argentan :
-C’était très bon. C’était pas grand-chose à faire, mais c’était très bon.
                                                         *
Parmi les livres trouvés ce mercredi : Un peu de cocaïne pour me délier la langue… un étude vantant cette drogue et son usage, qu’écrivit le jeune Sigmund Freud avant de s’intéresser à autre chose (Max Milo Editions) et L’ardoise magique de Georges Perros avec poème liminaire de Michel Butor, postface de Bernard Noël et dessin de couverture de Frédéric Poulot (fils de l’auteur), dernier texte de l’écrivain, dédié aux laryngectomisés (Editions L’œil  ébloui).
                                                        *
Et aussi le Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche chez Arléa, un exemplaire dédicacé par l’auteur « Pour Serge Safran et Laure Leroy, peut-être à une prochaine fois. Amicalement. ». Serge Safran et Laure Leroy sont les responsables des Editions Zulma qui ont publié le Prix Femina nouveau. Le premier est également l’auteur d’une quinzaine de livres. Recevoir ce dictionnaire en cadeau quand on est écrivain, c’est la vexation assurée. La prochaine fois a dû rester hypothétique.
                                                        *
Dédicace idéale pour un tel livre : « Pour vous qui n’en aurez pas besoin, ce livre qui vous fera songer à certains que nous connaissons. »
                                                        *
Je le lis au hasard dans le train du retour, sans prendre de notes, hormis celle-ci :
Notes : toujours « griffonnées », ou « jetées à la hâte sur le papier ». Jamais le temps d’écrire proprement.
 

26 octobre 2016


J’ai déjà évoqué Georges Hyvernaud plusieurs fois, comment ce professeur d’Ecole Normale, ayant notamment exercé à Rouen, fut embrigadé comme tant d’autres dans l’armée française avec pour mission de défendre son pays contre l’ennemi nazi. Il sera fait prisonnier avant d’avoir l’occasion de se battre. Cette expérience, relatée dans les lettres qu’il envoya à sa femme Andrée, nourrira ses romans La Peau et les Os et Le Wagon à vaches, ouvrages parus dès après la guerre, qui n’eurent aucun succès et l’amenèrent à abandonner l’écriture. Ils sont réédités par Le Dilettante.
Les lettres à Andrée ont paru en mil neuf cent quatre-vingt-onze chez Seghers, huit ans après la mort de leur auteur, dans une édition établie et annotée par sa veuve, sous le titre L’Ivrogne et l’Emmerdeur (surnoms donnés par le lieutenant Hyvernaud à ses commandants successifs).
De la lecture de l’exemplaire acheté à l’un des bouquinistes du Clos Saint-Marc, je retiens ceci :
Cela présente quand même des avantages, les travaux purement physiques ; quand c’est fini, c’est fini, et il ne reste que le plaisir d’avoir fini. Ils ne laissent pas derrière eux cette affreuse traînée de copies à corriger ou de préparations à faire qui se forme derrière nos travaux universitaires. (mardi sept novembre mil neuf cent trente-neuf)
Je n’ai jamais eu, tu le sais, beaucoup de sympathie pour les propagandistes (quelle que soit la nature de leur propagande) qui entrent par effraction dans l’esprit des jeunes. (…)
Au surplus, les victimes  ne m’intéressent pas. Tant pis pour elles si elles ne savent pas se défendre. (…)
Revenons au précieux individualisme, comme le dit et le précise l’auteur peu connu déjà cité, dans un essai sur Stendhal que tu as copié de ta main. (samedi dix novembre mil neuf cent trente-neuf)
Ce matin une mégère venait rouspéter à la compagnie parce qu’un soldat qui couche chez elle l’a menacée de son couteau. (…) non seulement il couche chez la femme, mais il couche avec ses filles, avec les deux ensemble, deux rouquines effroyables dont l’une sort du sana, dont l’autre devrait y être. Des créatures maigres, sales, l’air cochon, sournois et égaré. Tout ce monde-là s’est expliqué en famille. Les filles disaient tout ce qu’on voulait, tout ce qu’elles faisaient avec le type. Elles reprochaient à la mère d’en faire autant. Et comme, dans la même chambre, il y a un frère et deux ou trois autres soldats, l’une des filles expliquait, afin de donner une haute idée de sa pudeur, que ça la gênait de se déshabiller devant tout le monde.(le même jour)
Mon commandant de compagnie est un homme très scrupuleux, très actif, très bien dans l’ensemble. Il a un règlement à la place d’un au moins de ses hémisphères cérébraux –c’est tout ce qu’on peut lui reprocher. (quatorze novembre mil neuf cent trente-neuf)
J’étais bien tranquille, au fond d’une baraque, confortablement assis sur une caisse à outils. J’ai été tiré de ma quiétude par les nécessités de la défense nationale. (dimanche vingt-six novembre mil neuf cent trente-neuf)
Mes notes s’arrêtent là, à la moitié du livre. Peut-être que je n’ai rien trouvé d’exceptionnel ensuite ou alors j’en ai égaré une partie.
Quand même ceci, daté du jeudi vingt-cinq avril mil neuf cent quarante, d’un mari soucieux de tranquilliser son épouse :
Et ta lettre du bombardement de Rouen par la D. C. A. Il ne faut quand même pas te frapper. Dans ton lit, tu es parfaitement en sécurité, tu sais. Il n’est pas indiqué de se balader dans les rues, voilà tout…
 

25 octobre 2016


Ce lundi, le confortable petit train de neuf heures onze me mène à Dieppe où j’espère ne pas être rattrapé par la pluie. Y voyage aussi une simplette parlant seule. Elle a emporté du lard pour manger et espère qu’un éducateur l’attendra à la gare.
Le ciel est gris à l’arrivée et question température « Y a rien de trop », comme on dit au Tout Va Bien où je bois un café avant d’y poursuive ma lecture du volume deux du Journal inutile de Paul Morand (Gallimard). A la table voisine, la fille de la maison améliore son anglais avec un jeune homme au pair.
« C’est calme » dit-on derrière le comptoir en constatant le peu de passants. « Pourtant, c’est les vacances scolaires ». Peu de bateaux de pêche sont dans le port. La majeure partie est en mer, sans doute cherchant la coquille Saint-Jacques. « Accostage réservé à la débarque », est-il écrit sur le quai où on les attend.
A midi, L’Espérance étant elle aussi en vacances, je choisis de déjeuner au Sully, quai Henri le Quatrième. Le décor, la vaisselle, le linge de table et la tenue des serveurs datent d’il y a quarante ans. Cela me rappelle mes premières vacances en Bretagne. Au menu à treize euros cinquante, je choisis l’assiette de bulots, la dorade pomme vapeur et la charlotte pistache fruits rouges. Trois autres tables sont occupées par des couples de retraités. C’est calme. L’homme le plus proche commente l’actualité pour sa femme qui fait semblant de l’écouter.
Le pain est décongelé, les bulots petits, la dorade sèche, la charlotte itou. A la table d’à côté, on en est aux cadeaux de Noël, pour le petit-fils, ce sera un drone. « C’était bon, vous avez bien mangé ? », me demande le serveur débutant. Je sens qu’il a besoin d’une réponse positive.
-Tout va bien, comme on dit chez vos concurrents.
Il fait doux quand je sors. Je longe la plage quasiment déserte jusqu’à la piscine de plein air où une dizaine de nageuses et nageurs font des allers et retours surveillés par une jeune femme en parka rouge. La passerelle en bois menant au Casino me permet de rejoindre le centre ville.
Je vise le Café des Tribunaux, connu pour son l’immense lustre, « maison fondée en 1736 » comme me le rappelle le paillasson où j’essuie mes pieds avant d’entrer. Surprise, il y a beaucoup de monde à l’intérieur, notamment des familles anglaises qui se nourrissent de moules frites sous le regard de la statue de la Justice dont les plateaux sont remplacés par des lampes. Ce n’est pas calme. Je réussis néanmoins à lire..
Dams le train du retour, un trio de voyageurs découvre qu’un billet électronique n’est valable que pour un seul départ. La contrôleuse leur inflige un supplément de sept euros par personne dont elle a du mal à obtenir le ticket :
-Parfois ça imprime pas parce qu’on est en pleine pampa et on arrive pas à joindre les serveurs.
Cette pampa s’appelle le Pays de Caux.
                                                                 *
Ce lundi, aux aurores, apprends-je au retour, les bûcherons envoyés par les « gestionnaires du patrimoine arboré » de la ville de Rouen ont coupé les quatre arbres qui faisaient le charme de la place du Lieutenant-Aubert.
 

24 octobre 2016


Les romans du dandy bas-normand Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, écrivain dix-neuvième à la misogyne affligeante, me sont toujours tombés des mains. Néanmoins, j’ai lu avec plaisir ses deux premiers Memoranda (rédigés a la demande de son ami Maurice de Guérin), lesquels sont republiés en un volume chez rue fromentin. Cela m’a permis de me faire de lui une opinion définitive : un pleurnichard au style ampoulé jusqu’au ridicule.
Echantillons :
Souffrant au flanc et fatigué, je me suis fait charrier chez moi en voiture. (dix-huit septembre mil huit cent trente-six)
Mes esprits s’étaient par degrés remontés. (dix-neuf septembre mil huit cent trente-six)
Allé chez A… Y suis resté longtemps – causé avec elle de sa vie intime qu’elle me livre maintenant parce que je l’ai pénétrée. (vingt-deux septembre mil huit cent trente-six, comprendre « pénétrer » au sens de « comprendre »)
C’est singulier, je ne puis souffrir dîner en ville avec des femmes. Je ne dîne bien qu’en dîner de garçons ou seul ; car je deviens un animal diablement égoïste et solitaire. (vingt-deux septembre mil huit cent trente-six)
(…) les femmes qui sortent le dimanche sont sans valeur, aristocratiquement parlant. (dimanche vingt-cinq septembre mil huit cent trente-six)
Bu de l’eau de Cologne dans de l’eau sucrée pour remonter mes esprits. (vingt-six septembre mil huit cent trente-six)
Ah ! Dès demain je balaierai mon esprit de ce limon du fond des eaux, en me jetant à quelque idée qui soit le souffle de toute cette écume que je veux répandre et sécher sur les grèves de mon imagination devenue aride. (dix novembre mil huit cent trente-six)
Décidément Mme P… est encore un très souhaitable débris de jolie femme. (mardi six décembre mil huit cent trente-six)
Resté la soirée chez Mme P… . Elle regarde toujours son mari quand elle avance quelque chose, non par sentiment, mais par peur. –Lui ne se gêne pas et la bourre. (le même jour, comprendre « la bourrer » au sens de « lui rentrer dedans » mais au sens de « remettre en cause son propos »)
Quoique je ne puisse pas aimer qui m’aimerait, je suis trop indolent dans ce moment-ci pour tenter de me faire aimer d’une jeune fille. (treize août mil huit cent trente-sept)
Inspiré un caprice à une enfant de dix-sept ans, blonde et mince, jolie et pourtant qui ne me plaît pas ! (sept décembre mil huit cent trente-sept)
Bien dormi, grâce à l’opium. (vingt-trois décembre mil huit cent trente-sept)
Penser à revêtir tous mes articles d’une éternelle ironie. (vingt-sept décembre mil huit cent trente-sept)
J’ai l’horreur et même physique de la gravité du dix-neuvième siècle, un pauvre siècle après tout ! à échanger contre le premier venu. (le même jour)
M’a demandé si je voulais sortir, mais j’étais en négligé avec un châle rose autour du cou, et j’ai dit que je resterais à lire un roman ramassé sur le canapé et dont les premières pages m’avaient attiré. (dix-neuf juin mil huit cent trente-huit)
Y ai échangé des mots assez vifs avec une jeune marchande qui a eu l’hypocrite bêtise de trouver mauvais que je la lorgnasse. (dimanche neuf septembre mil huit cent trente-huit)
Resté à rêvasser longtemps à une petite fille (treize ans à peine) que j’ai vue hier au concert, pâle, les yeux grands et gris, très rapprochés d’un nez grec très pur, observateurs, railleurs et déjà très tendres au milieu de tout cela, les cheveux d’un roux charmant, sans aucune boucle et coupés très courts comme ceux d’un garçon, les mains pleines de morbidezze, soutenant nonchalamment cette tête rousse et prématurément pensive, en entendant l’adorable harmonie de la Sémiramide. Je n’ai jamais rien vu de plus étrange et de plus délicieusement impressif que cette enfant. (…)
Je crois que je pourrais devenir amoureux de cette petite fille, amoureux jusqu’aux folies. C’en est une ce que j’écris là, mais c’est vrai. Pourquoi ne pas se regarder au fond de l’âme ? (vingt et un septembre mil huit cent trente-huit)
Mme Hugo était mollement couchée à l’avant-scène, jolie, piquante, mais la façon d’une courtisane et ayant toujours l’air de poser pour les vignettes des livres de son mari. (quatorze janvier mil huit cent trente-neuf)
 

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