Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

1er juin 2023


Glander de terrasse en terrasse, tel aurait dû être mon programme du jour, mais ce mercredi, c’est encore nuages et vent froid, impossible de s’y asseoir. Aussi, sitôt mon petit-déjeuner pris (crêpes et allongé), je repars marcher sur le Géherre Trente-Quatre, cette fois dans la direction de Paimpol, avec pour but Tréveneuc.
Peu après le départ, le sentier est barré, détour obligé par un quartier résidentiel (Porsche et Béhemmevé modèle de luxe garées devant les villas). Près d’une entrée, une affichette attire mon attention : « Cours de yoga gratuit Pliez vos jambes Gardez le dos bien droit Inclinez votre buste et ramassez les crottes de votre chien Bonne relaxation ».
Le chemin retrouvé, le paysage devient magnifique, de la vraie côte sauvage à la bretonne. Au bout d’un bon moment, j’aperçois les bateaux du port à flot de Tréveneuc. Il me faut encore marcher un bout avant d’y arriver. Je reconnais la chapelle Saint-Marc jouxtée du Cyprès de Lambert qui, suite à des tempêtes, pousse dans tous les sens. Au-dessus de ce port sont Les Viviers de Saint-Marc où l’on peut déjeuner certains midis des produits de la mer. C’est aussi cher que dans un restaurant et on mange enfermé dans un bâtiment, pas de quoi me donner envie.
La fois précédente, j’avais poursuivi jusqu’au centre de Tréveneuc à la recherche d’une gargote, laquelle était fermée. Je ne refais pas cette erreur. Je descends sur la petite plage au plus près des bateaux secoués par les vagues, puis fais une courte pause sur un banc plus ou moins abrité et repars dans l’autre sens.
De retour à Saint-Quay, je vais boire un café à l’intérieur du Café de la Plage, impossible de tenir sur sa terrasse. Je demande au néo barbu qui me sert s’ils font toujours une formule du midi. « Oui, me répond-il, je n’ai pas encore eu le temps de l’afficher » (il est onze heures dix et je suis le seul client). Je réserve donc une table avec vue et dès midi opère la translation.
On m’apporte l’ardoise avec sa formule plat dessert à seize euros. Je suis déçu de découvrir que ce dessert est un café gourmand. Le plat est un effiloché de porc pomme de terre patate douce. Le vin est au verre et cher, je m’en passe. Cet effiloché est correct mais le café gourmand minable : on ne m’y prendra plus.
Quand je ressors, le temps est le même. Néanmoins, je réussis à lire sur un banc au-dessus de la Grève Noire jusqu’à ce qu’il soit l’heure de la réouverture de CocciMarket. Une cliente se demande quand on va revoir le soleil, et puis ce vent c’est pénible. Toute cette journée, de même que les précédentes, j’ai entendu des Breton(ne)s se plaindre du temps qu’il fait ici, alors qu’en Sud Bretagne, c’est soleil et chaleur. Dix degrés de plus qu’à Saint-Brieuc à Vannes l’après-midi.
Peut-être faudrait-il redonner au département des Côtes-d’Armor son ancien nom de Côtes-du-Nord ?
                                                                           *
Au Mustang, il y a l’habitué en chef, autour duquel se groupent les autres habitués quand ils arrivent, quatre-vingt-deux ans, belle allure mais un peu bancal.
Ce mercredi matin, à l’un des présents qui n’ose pas aller demander un service à un qui n’est pas là :
-Va le voir de ma part. Je l’ai connu morpion. J’ai même baisé sa mère.
 

31 mai 2023


L’arrêt de car BreizhGo le plus proche de mon domicile temporaire a pour nom La Vallée. Quand j’y arrive ce mardi vers sept heures et demie, j’aperçois par terre un grain de café identique au mien. Je le ramasse. Ce petit porte-monnaie est vide. Qu’en faire ? Je le mets dans ma poche. Bientôt arrivent deux travailleurs et une collégienne puis le car de sept heures trente-quatre. Parti de Paimpol, il est déjà bien plein, surtout de scolaires. Certains descendent à l’arrêt suivant, Casino, des élèves de l’école Notre-Dame de la Ronce et du collège Stella Maris. D’autres montent, qui vont à Saint-Brieuc, calmes car ensommeillés.
Je suis le seul à descendre à l’arrêt Estran de Binic, pas loin du bar tabac Le Narval. Je marche jusqu’à l’église devant laquelle est la seule boulangerie du pays. Un croissant et un pain au chocolat me coûtent deux euros vingt. Je retourne au Narval où l’allongé est à un euro cinquante.
Ce matin encore, le ciel est gris et le vent froid. Je vais jusqu’à la plage, à laquelle on accède par un tunnel un peu effrayant, me demandant ce que je vais pouvoir faire par ce temps qui empêche de s’asseoir sur un banc pour lire. Quasiment rien n’est ouvert à cette heure à Binic. En bas de la succession de plans inclinés qui permet de rejoindre le Géherre Trente-Quatre, je lis « Port de Saint-Quay 6,5 km ». Pourquoi pas ? me dis-je.
Je connais le début de ce chemin que l’on doit assez vite quitter pour cause d’effondrement. La fois précédente, ce détour m’avait permis de voir un cheval dans son pré. Aujourd’hui, on y construit de moches maisons. Je retrouve le sentier, agréable, varié, avec quelques passages où je dois être prudent, passe devant la croix sur les rochers de bord de mer puis arrive à la plage des Godelins où j’avais fait demi-tour.
Cette fois, je poursuis, descends ce que je dois remonter ensuite, plusieurs fois, grimpe un escalier qualifié de dangereux (il l’est, avec ses marches étroites et abimées), ouf je suis en haut. Le sentier disparaît presque dans les herbes, s’élargit à nouveau, descends, remonte, passe devant un calvaire.
Un plan « Vous êtes ici » me rassure, j’ai fait plus de la moitié. Vient le moment où j’atteins la plage des Moulins. Après, le Géherre est goudronné, encore un kilomètre cinq pour atteindre Saint-Quay. Pour la première fois depuis mon départ, je croise un quidam puis j’aperçois les mats des voiliers du port du Portrieux. Il faut encore contourner celui-ci.
Parti à neuf heures, j’arrive à onze heures. Après avoir retenu une table aux Plaisanciers, je récupère à l’intérieur de L’Ecume avec un verre d’eau et un café.
A midi, pour faire suite au buffet d’entrées, c’est un faux filet frites salade et une crème antillaise puis je reprends la marche pour rejoindre le Café de la Plage.
Si le soleil est apparu, le vent n’a pas disparu. Je réussis néanmoins à lire en terrasse un bon moment, alors que celles et ceux qui s’assoient aux autres tables ne tiennent pas plus de cinq minutes. Avoir caillé sur la Côte d’Opale m’a été un bon entrainement.
                                                                   *
Longtemps que je n’avais marché aussi longuement et sans m’arrêter plus que le temps nécessaire pour admirer le paysage. Essoufflé parfois, mais pas asphyxié comme je l’étais à Quimper, au point que je devais prendre un bus pour monter la côte qui menait à mon logis Air Bibi. Je pense de plus en plus que j’avais chopé le Covid à cette époque.
 

30 mai 2023


Frustrant ce chemin bloqué qui empêche d’aller sur l’île de la Comtesse. Je ne m’y résous pas et remarque qu’à marée basse, en passant entre les rochers au bout de la plage, on doit pouvoir y accéder en loucedé. Ce lundi, vers huit heures et quart, quand je passe par là, la mer est retirée. Je mets mon idée à exécution. Je marche sur le sable mouillé, grimpe un sévère plan incliné pavé et me voici à l’entrée où un écriteau met en garde : « Ile de la Comtesse (ne vous laissez pas surprendre par la marée) ». Le chemin de ronde est toujours praticable, ainsi que celui qui permet d’entrer au cœur des ruines. Il n’y a là rien d’exceptionnel mais je m’y sens bien (comme lorsque j’erre dans un cimetière). D’un côté, on a belle vue sur la turquerie. De l’autre, sur l’ile Harbour au large, dont la maison-phare est automatisée.
Mon tour de Comtesse terminé, je redescends prudemment le plan incliné et rejoins le sentier de randonnée. Il est neuf heures quand j’arrive au Poisson Rouge. Le ciel est gris et le vent frais. Cependant je peux lire assez longtemps en terrasse. Quand j’en pars, c’est à cause de voisins bruyants retour du marché.
Ce marché est au bout du port du Pontrieux. Il est assez joli et cher (un kilo de bananes, deux euros quatre-vingts). A son entrée, quatre jeunes hommes qui pourraient être d’anciens élèves de Notre-Dame-de-la-Ronce distribuent des tracts.
-C’est pour qui ? demandé-je à l’un.
-Renaissance, le bilan des six ans d’Emmanuel Macron.
-Ah ah ah !
Il rit avec moi. Personne ne veut de leur tract. Certains sont même agressifs envers eux. « Allez viens, dit une femme en tirant son mari vindicatif par la manche, parle pas de politique, c’est pas bon. »
Le restaurant Les Plaisanciers étant fermé, je retiens une table au Victoria. A l’intérieur, car il fait de plus en plus froid. Pour attendre midi, je n’ai d’autre choix que d’aller boire un autre café. A L’Ecume cette fois, et dedans.
J’ai une petite table avec vue sur les bateaux de pêche au Victoria et le personnel est fort aimable. Mon choix se porte sur une pizza Napoli (câpres et anchois) que je fais suivre d’une crêpe caramel beurre salé. C’est bien bon. Avec le verre de merlot, j’en ai pour vingt euros trente. Je quitte ce restaurant au moment où d’autres ne peuvent y entrer, c’est complet.
Revenu côté Kasino, je constate que même au-dessus de la Grève Noire, il souffle un vent froid. Les vieilles et les vieux du muret n’y sont pas.
Il n’y a que derrière Le Mustang que je trouve un endroit sans vent. Une table en terrasse me permet de boire un café et de lire Lettres d’Afrique de Karen Blixen. J’avais oublié quelle chasseuse elle fut. Stupéfiant, le nombre d’animaux sauvages qui ont perdu la vie à cause d’elle. Carnivores et herbivores, elle tue tout, du lion à l’antilope. Et même des pigeons, tirés depuis sa maison.
                                                                       *
Passe devant Le Poisson Rouge un homme qui traîne son moutard derrière lui assis sur le chariot du marché encore vide.
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Plus tôt, un habitué au patron du Mustang : « T’es bien Normand toi, pour être aussi con ! ». Il l’est en effet, Normand.
 

29 mai 2023


Après une nuit sans trouble de voisinage, je quitte mon logis Air Bibi quand le soleil se lève ce dimanche de Pentecôte et arrive au Fournil du Casino pour son ouverture. Muni d’un pain au chocolat, je traverse la petite place pour entrer au Mustang où l’allongé m’est apporté sans que j’aie à le demander. Une partie de la clientèle habituelle est déjà là. Avec le patron, ça discute des femmes. « Le mieux, c’est d’en avoir deux, comme ça y en a toujours une qui est gentille ». De la jeunesse saoule se présente, à peine majeure, et est néanmoins servie en boissons alcoolisées.
Je ne m’attarde pas car à cent mètres, place de Verdun, se tient le vide grenier de l’école Notre-Dame-de-la-Ronce. Il se prolonge dans l’entrée du Parc de la Duchesse Anne, un lieu que je n’avais pas repéré lors de ma précédente venue. Sans doute une partie des vendeurs sont-ils des parents d’élèves de l’école privée catholique en question. Ce vide grenier est honorable. Je vois de bons livres, mais que j’ai déjà.
Après en avoir fait le tour, je rejoins par mon sentier habituel le vieux port du Portrieux. Ici c’est le Printemps du Port avec un marché de bouquinistes. Sur les vingt annoncés, seuls huit sont là à huit heures et demie. Nous sommes quatre acheteurs potentiels. Je ne vois pas un livre qui puisse me plaire.
Comme Le Poisson Rouge bulle encore, je bois un café à la terrasse de L’Ecume, un bar ouvert sept jours sur sept dès six heures et demie, puis ouvre Lettres d’Afrique. S’installent alors des navigateurs stagiaires de l’Ecole des Glénans et leurs encadrants, de plus en plus nombreux, venus là préparer leur journée. Le dernier arrivé est le plus âgé. Il s’assoit près de ma table.
-Je ne fais pas partie de la bande, lui dis-je.
-Ce n’est pas grave, je ne vous dérange pas ?
-Non, du moment qu’on ne m’oblige pas à monter sur un bateau.
Une fille est la cheffe qui donne les consignes et présente le programme. « On va alterner du côtier et des bananes ». L’arrivée se fera dans le port de Lézardrieux. « Bonne lecture », me dit mon voisin quand ils s’en vont. Je lui souhaite bon vent.
Quand je repasse au marché des bouquinistes, ils sont dix et toujours rien d’intéressant. Par les rues du dedans, je retourne au vide grenier.  Là, c’est l’affluence. Un vendeur propose les cent soixante premiers numéros de Fiction pour deux cents euros, au moins trente kilos me dit-il, une affaire assurément, mais pas pour moi.
Vers onze heures et quart, je suis de retour au Mustang où le patron est secondé par sa femme et une charmante jeune fille qui est peut-être la leur. Près de ce troquet s’est installé un marchand d’huîtres devant lequel il y a file d’attente. En coopération avec le bar, on peut avoir six huîtres, un verre de vin blanc, pain et beurre  pour huit euros cinquante. Le sympathique patron de ce troquet s’occupe de moi et très vite c’est ce que je déguste à l’une des tables abritées du vent.
Pour suivre, je me rapproche de Notre-Dame-de-la-Ronce et de ses mères d’élèves (où sont les pères ?). Pour cinq euros cinquante, je leur achète une galette saucisse, une grosse part de gâteau au chocolat et un gobelet d’Oasis que je mange et bois à l’une des tables installées près de l’entrée du Parc.
Quand midi sonne à l’église, je suis déjà sur l’un des bancs dominant la Grève Noire au-delà du Kasino. C’est un lieu de rendez-vous de vieilles et de vieux venant là avec des bicyclettes à assistance électrique. Après la baignade, on chauffe ses vieux os assis contre un mur de pierre tout en papotant. Il fait vraiment chaud ici. Pour la première fois, j’offre mes bras aux rayons du soleil tandis que je lis Karen Blixen.
Vers quatorze heures, je vais prendre le café assis à une table haute face à la mer au Café de la Plage où il faut garder la veste en raison du vent. A ma gauche, un homme se rêve chevrier. Sa femme travaille aux finances de la ville de Saint-Brieuc.
                                                                                *
J’ai l’air suffisamment breton pour qu’un automobiliste s’arrête afin de me demander l’embarcadère de l’Arcouest pour aller à Bréhat.
- C’est pas par ici, mon pauv’ meusieur, faut aller à Paimpol et ce sera fléché.
 

28 mai 2023


Dans le logement Air Bibi du dessous, un couple hier, deux couples cette nuit, le premier ayant été rejoint par un second. Il est encore plus certain qu’ils ne baiseront pas et donc aucune chance qu’ils s’endorment tôt.
C’est la cata, je les entends toute la nuit, parlant fort, riant aux éclats, poussant des cris, car ils s’occupent à des jeux de société ou à regarder des vidéos pendant des heures. A quatre heures du matin, je finis par taper sur le sol avec le balai, ce qui les fait taire. Cette nuit, je n’aurai pas dormi plus de trois heures.
Avant de sortir, j’envoie un message à mon logeur pour lui demander d’intervenir mais je ne suis pas rassuré pour l’avenir. Il n’y a aucune isolation phonique entre les deux niveaux et le rez-de-chaussée fait caisse de résonnance.
C’est pas très frais que je descends vers la plage du Casino. J’achète deux crêpes un euro vingt à la boulangerie et les mange avec un allongé au Mustang. Tel est mon petit-déjeuner, grâce auquel je tiens à peu près debout. Le soleil est là ce samedi marin. Par le sentier de randonnée, je rejoins le Poisson Rouge où je peux lire un long moment en terrasse.
Pas d’ouvriers ce jour aux Plaisanciers, des gens du coin qui, comme ils disent, profitent du pont de la Pentecôte. Je déjeune en terrasse au soleil, alors que la plupart veulent y être à l’ombre. Certains gardent pour cela leur manteau d’hiver. La formule à seize euros est mon choix, comme hier. Le plat du jour est poulet rôti au thym. Je reste là plus longtemps que désiré car les serveuses sont débordées par l’affluence.
Par l’intérieur du bourg, je rejoins le Café de la Plage. Cette fois, malgré le vent qui souffle encore, je peux rester à lire après avoir bu mon café. Ma table donne sur la plage du Casino. C’est la première fois que je vois des intrépides se jeter du haut du plongeoir dans la piscine d’eau de mer.
                                                                     *
Au retour, un message de mon logeur, service minimum : « Bonjour Michel, désolé pour le dérangement. Je vais transmettre aux locataires du dessous afin que ça ne se produise plus. »
 

27 mai 2023


Ma première nuit à Saint-Quay est bonne, bien que je sois un peu gêné par les éclats de voix et les rires du jeune couple de l’appartement du dessous, autre Air Bibi du même propriétaire. Cela me permet de vérifier que chez les jeunes couples d’aujourd’hui la sexualité n’est pas une priorité, on s’en passe même très bien, au bénéfice des séries regardées ensemble.
Au réveil, le ciel est gris. Quand je mets le pied dehors, je reconnais le vent du Nord. Je retrouve la boulangerie Le Fournil du Casino où j’achète un pain au chocolat (un euro trente) et je vais le manger à l’intérieur du Péhemmu Le Mustang, accompagné d’un allongé à un euro quarante. La clientèle est locale, adepte des jeux à perdre. Chacun(e) appelle l’autre par son prénom. Quand je paie le patron me dit « A bientôt ». C’est possible.
Le Géherre Trente-Quatre m’appelle. Il me permet de retrouver la piscine d’eau de mer, le sémaphore, la turquerie de l’Hôtel Ker Moor et l’île de la Comtesse. Cette dernière est désormais inaccessible pour cause d’effondrement de la côte. La partie du sentier qui suit s’est écroulée lors de mon précédent séjour. Après un détour par la route, je retrouve le bord de mer et marche jusqu’au port moderne en forme de grande pince. Le restaurant Les Plaisanciers s’y trouve toujours. J’y réserve une table en terrasse, espérant la venue du soleil.
En attendant, je vais commencer la relecture de Lettres d’Afrique de Karen Blixen face au petit port du Portrieux, à la terrasse du Poisson Rouge, inchangée. Le café y est à un euro cinquante. Les habitués qui passent ont tous les mêmes mots pour dénoncer le vent et les nuages. Bien que je n’aie pas de pull, faute d’en avoir emporté un, je réussis à lire là un bon moment puis vais faire quelques courses à la supérette Votre Marché et un renouvellement de gouttes pour les yeux à la pharmacie.
Il fait bien trop froid pour manger en terrasse ce midi. L’aimable patronne des Plaisanciers me trouve une place à l’intérieur. L’endroit est couru pour son menu avec buffet d’entrées à seize euros. Je choisis ensuite les paupiettes de veau et la mousse au chocolat. Le quart de vin rouge est à quatre euros. A la clientèle des ouvriers porteurs de vêtements salis par le travail (certains se servent avec les doigts) s’ajoute celle des retraités du coin souvent mal habillés. C’est un ballet incessant autour du buffet d’entrées, complété par celui des serveuses qui virevoltent avec leurs plateaux de desserts et les assiettes de plats du jour. Je suis presque étourdi.
Le soleil apparaît quand je sors mais le vent est toujours là. Revenu par l’intérieur du bourg à la plage du Casino, je tente un café à la terrasse du Café de la Plage, toujours là lui aussi, un euro cinquante, vue ébouriffante sur la mer agitée, mais ça souffle trop froid pour que je puisse lire. Aussi je ne m’attarde pas, allant compléter ma documentation et acheter des tickets de car BreizhGo à l’Office de Tourisme auprès d’un personnel charmant.
                                                                  *
Cet extrait d’une lettre de Karen Blixen citée dans la préface à sa correspondance publiée chez Folio : je sais bien que je vis dans un monde qui appartient au passé et qui sera bientôt révolu. Aujourd’hui, il n’y a pas que les vieilles et les vieux pour penser ça.
 

26 mai 2023


Le ciel est bleu pour mon nouveau départ. Bien content de n’être pas sous la pluie ce jeudi pour tirer ma nouvelle petite valise. Le train Nomad de sept heures vingt-quatre va bien lui aussi. Il n’en est pas de même du métro Treize. Qu’on y soit serré comme sardines est habituel mais qu’il s’arrête plusieurs fois en chemin. Heureusement, j’ai du temps avant le Tégévé pour Saint-Brieuc. Je suis même bien en avance à la Gare Montparnasse. J’y regarde cette foule de voyageurs dont beaucoup avec des valises énormes. Un homme en cornaque quatre.
Ce Tégévé de dix heures cinquante-trois est complet. A côté de moi, j’ai un brave Breton de Guingamp mais derrière une femme du genre prof retraitée qui ne cesse de parler à son muet de mari, toutes ces sorties culturelles, avec visites guidées.
Nous arrivons comme prévu à treize heures vingt à Saint-Brieuc d’où un car BreizhGo direction Paimpol part cinq minutes plus tôt. C’est malin, le suivant est dans une heure vingt-cinq. Je l’attends au soleil à la terrasse du Bistrot Gourmand en buvant un café verre d’eau à un euro cinquante (c’est ici que j’ai déjeuné, très bien, avant mon départ la fois précédente).
Je paie deux euros au conducteur du car BreizhGo, qui heureusement ne me demande pas de mettre ma valise dans la soute. Parmi les voyageurs, des scolaires dont la journée est déjà finie. Je descends à l’arrêt Kasino de Saint-Quay-Portrieux et fais une photo de la plage avec femmes offrant leur corps au soleil puis je monte vers mon logis Air Bibi.
Son prix raisonnable se paie : il est à un kilomètre de la mer. Pas facile à trouver. Vers la fin, il faut passer par un chemin de terre, et comme la rue que je cherche porte le même nom des deux côtés de la départementale, je me retrouve dans le village voisin. Un aimable autochtone à la peau noire me remet dans la bonne commune.
En revanche, je n’ai aucun mal à trouver la boîte à clés et à entrer dans mon studio du premier étage. Par la fenêtre ouverte, j’entends chanter les oiseaux.
                                                               *
Je ne prends aucun risque pour mon séjour en Bretagne cette année. A Saint-Quay, tout me plaît. Formule que devrait reprendre à son compte l’Office du Tourisme.
                                                               *
Pour m’attrister, la nouvelle que Jean-Louis Murat est mort ce jeudi à l’âge de soixante et onze ans, chez lui, dans son Auvergne natale, d’une embolie pulmonaire.
Je l’ai vu deux fois en concert à Rouen, au Hangar Vingt-Trois et place Saint-Marc lors des Terrasses du Jeudi de juillet deux mille sept où j’étais bien accompagné.
                                                               *
« C’est toujours Lecanuet le maire de Rouen ? Ah bon il est mort ! C’est bizarre on dirait que c’est toujours Lecanuet le maire de Rouen… » (Jean-Louis Murat au Hangar Vingt-Trois en deux mille six)
 

24 mai 2023


Dans la nuit de lundi à mardi, comme je ne dors pas à minuit quarante-neuf, je descends mettre en marche mon ordinateur et annule mon voyage à Paris qui ne m’est remboursé qu’à demi car je m’y prends au dernier moment, peur d’être fatigué avant un départ prochain et envie de lire au soleil des terrasses rouennaises.
Ce que je fais à partir de midi à celle du Son du Cor et c’est grâce à ce changement de programme que je vois venir vers moi la plus rohmérienne des Rouennaises. « Tu te souviens qu’on devait se voir un jour au Lido et que tu n’es pas venue », lui dis-je. Elle ne se souvient pas. C’était avant la Guerre du Covid et depuis ce rendez-vous raté, plus aucune nouvelle d’elle. Je l’invite à s’asseoir à ma table et nous reprenons la conversation où nous l’avions laissée.
De retour à la maison, je prends connaissance de la marche à suivre pour entrer dans mon prochain logis Air Bibi :
« Le bâtiment se trouve au bout de l'allée indiquée par des panneaux bleus à l'entrée.
Marchez jusqu'au fond de l'allée qui va tourner à gauche pour arriver tout au bout devant des panneaux de bois et un portillon.
Avancez alors à gauche le long des panneaux de bois. Vous trouverez un boîtier gris fixé sur un panneau. Abaissez le clapet puis entrez le code et appuyez avec un doigt de chaque côté du boitier pour récupérer les clés, pensez à brouiller le code du boîtier lorsque vous les avez récupérées.
Une fois les clés en main, vous pouvez rentrer dans le bâtiment. L'appartement se trouve au premier étage, porte de gauche.
La porte de l'immeuble n'est jamais verrouillée mais vous avez la clé au cas où.
La deuxième clé ouvre la serrure du haut de la porte du logement. »
De quoi me dire : « Espérons que tu t’en sortes sans anicroche ». Auparavant, il y a l’espoir d’un voyage sans incident, deux trains, un car.
 

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