Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

10 février 2016


Un personnage peu sympathique, typiquement homme de lettres du dix-neuvième siècle, misogyne, raciste et antisémite, flattant ses correspondants pour en tirer avantage mais les dénigrant par derrière, tel m’apparaît Charles Baudelaire après la lecture du choix de lettres dû à Claude Pichois et Jérôme Thélot publié par Folio Classique, livre que m’a offert celle venue me voir à Noël. Cependant, j’ai eu du plaisir à lire cette Correspondance et en ai tiré mon miel :
Chronique locale : J’ai appris par des ouvriers, qui travaillaient au jardin, qu’on avait surpris, il y a déjà longtemps, la femme du maire, se faisant foutre dans un confessionnal. (…) Il paraît que le curé a pris depuis lors ses précautions contre le sacrilège.  À Charles Asselineau, le vingt février mil huit cent cinquante-neuf (il s’agit d’Honfleur où habitait sa mère, rue du Neubourg)
Une critique de vous, n’est-ce pas encore une caresse, puisque c’est un honneur ? À Victor Hugo, en septembre mil huit cent cinquante-neuf
Pourquoi ne donneriez-vous pas quelques concerts encore en y ajoutant des morceaux nouveaux ? À Richard Wagner, le dix-sept février mil huit cent soixante
Avez-vous observé qu’un morceau de ciel, aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, etc., donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ? À Armand Fraisse, le dix-huit février mil huit cent soixante
Je suis désolé de vous faire observer pour la dixième fois qu’on ne retouche pas MES vers. Veuillez les supprimer. À Alphonse de Calonne, vingt-huit avril mil huit cent soixante
Un de ces jours, si vous le permettez, en allant à Honfleur, je m’arrêterai à Rouen ; mais comme je présume que vous êtes semblable à moi et que vous haïssez les surprises, je vous préviendrai quelque temps d’avance. À Gustave Flaubert, le vingt-six juin mil huit cent soixante
Sérieusement, sans mensonge et sans flatterie, vous m’avez causé une des plus vives jouissances que j’aie depuis longtemps reçues. À Auguste Vacquerie, le quatre avril mil huit cent soixante et un
Il est évident que, dans mes affaires actuelles, il y a des choses horriblement pressées ; ainsi, j’ai commis de nouveau la faute, dans ces tripotages de banque inévitables, de détourner pour mes dettes personnelles plusieurs centaines de francs qui ne m’appartenaient pas. À Madame Aupick, sa mère, le six mai mil huit cent soixante et un
Tu ne saurais croire jusqu’à quel point la race humaine est dégradée. Ce n’est plus ce monde charmant et aimable que j’ai connu autrefois : les artistes ne savent rien, les littérateurs ne savent rien, pas même l’orthographe. À Madame Aupick, le dix août mil huit cent soixante deux
 

9 février 2016


Ayant appris par un ami du réseau social Effe Bé l’existence de la Base de Données Publique Transparence Santé, un site gouvernemental qui permet de savoir si un médecin se fait inviter à déjeuner par les laboratoires pharmaceutiques et à quel prix, j’entre le nom de mon généraliste.
De deux mille treize à deux mille quinze, il s’est fait offrir dix-neuf fois un repas par les labos, l’addition allant de douze à cinquante-deux euros. Il a aussi bénéficié quatre fois de leur hospitalité (une quarantaine d’euros pour chaque).
Mon ophtalmologiste, quant à elle, n’a accepté en trois ans que deux invitations à déjeuner (trente et soixante euros) mais elle a aussi reçu une fois des viennoiseries (treize euros), a répondu à une enquête (trente euros) et surtout elle a bénéficié d’un déplacement offert par l’entreprise Croma avec frais d’hospitalité pour une somme de mil sept cent quarante euros.
Mon dentiste est le plus vertueux, aucun repas offert, aucun déplacement remboursé. Ne figurent à son nom que quatorze euros pour avoir répondu à une enquête et trente euros de don de matériel.
Je ne sais pas à quoi peut me servir tout ça. Je me vois mal réclamer des explications à mon médecin traitant sur ces six invitations à déjeuner par an et leurs contreparties éventuelles, ni demander à mon ophtalmo en quel lieu la maison Croma l’a conviée.
                                                                *
Un médecin qui ne déjeune, ni ne dîne, ni ne couche avec les labos, cela doit exister, mais la Base de Données Publique Transparence Santé n’en fournit pas la liste.
                                                                *
Et impossible d’être sûr qu’un médecin qui se tient loin de ces labos est plus compétent qu’un qui se laisse inviter.
 

8 février 2016


Très peu de monde ce samedi matin dans le train pour Le Havre qui s’éloigne de Rouen au ralenti sous un ciel gris et bas et dans lequel je voyage à prix « Happy Hour », huit euros. Tunnels et viaducs se succèdent dans la banlieue puis d’un coup c’est la campagne, le Pays de Caux, arrêt à Yvetot où personne ne descend vendre ses Pim Pam Poum, ensuite des champs verts et bruns, des routes étroites qui vont quelque part, une église, une mare, nouvel arrêt à Bréauté-Beuzeville, enfin des immeubles, des grues portuaires, les deux hautes cheminées, terminus. Il est dix heures. Dehors, ça souffle.
Je suis la voie du tramouais jusqu’à la Porte Océane, ne croisant guère de monde. La mer est là avec sa plage déserte, son port de plaisance où rien ne bouge. Au loin, un porte-conteneurs les remporte vides en Chine  Le vent n’est pas seulement fort, il est froid. J’entre dans le seul bar ouvert, le Spi. Le patron ressemble à ses clients, des piliers de comptoir parmi lesquels d’anciens marins. Leur conversation rugueuse mélange déchéance orthographique (« C’est bien la peine d’être allé à l’école jusqu’à quatorze ans ») et déchéance de nationalité (« Un franco-marocain qui fait une connerie au Maroc, s’il est déchu là-bas on nous le renvoie ? ») puis elle se fixe sur le tremblement de terre à Taïwan, une ville du Japon. J’y reste un certain temps à lire Rushdie.
Affrontant le grand vent, je poursuis en bord de mer jusqu'au restaurant indo-pakistanais Namasty India. Une affiche annonce un changement de propriétaire. Le buffet à volonté en fait les frais, remplacé par une assiette à alvéoles proposant un échantillon de divers plats pour onze euros. Je suis le seul client. Par la vitre, j’observe un courageux photographe qui s’approprie un immeuble Perret. Avec le nan au fromage et un quart de vin rouge, cela fait dix-huit euros cinquante.
Ce premier samedi du mois, la MuMa (Musée d’Art Moderne André Malraux) est gratuit. J’y visite l’exposition Le Havre en noir et blanc de Bernard Plossu qui, depuis qu’il l’a découverte en deux mille treize, est « fasciné par la ville portuaire ». En deux mille quatorze, il est revenu la parcourir. « Pour faire de bonnes photos, il faut être bien chaussé », a-t-il déclaré. Pour en faire de mauvaises aussi, me dis-je. Les siennes sont bonnes, c’est sûr, bien dans son style, mais beaucoup trop petites à mon goût. Une moitié a plus ou moins le format A Quatre. L’autre moitié est minuscule, quatre centimètres sur sept à peu près, de toutes petites images à l’ancienne entourées d’un passe-partout démesuré. Il faut se coller dessus pour voir de quoi il retourne, ce qui est possible car malgré la gratuité il n’y a pas grand monde.
Bousculé à nouveau par le vent tempétueux, je rejoins le quartier Saint-François dans l’espoir d’y trouver un café accueillant, mais presque tout est fermé. Les deux brasseries ouvertes sont emplies de convives faisant traîner le repas. Aucune table n’est disponible.
Je suis obligé de me rapprocher de la gare plus tôt que prévu et trouve refuge à La Baraka, brasserie café hôtel, au bout du boulevard de Strasbourg. J’y reprends ma lecture dans l’attente du train de seize heures cinquante-cinq. Peu fréquenté, il me ramène à Rouen où grouille la foule des consommateurs.
 

5 février 2016


Après l’averse, sous un ciel chargé, le chant du merlou m’accueille dans la ruelle ce mercredi matin, signe avant-coureur du printemps, un autre étant l’apparition des premières jonquilles du jardin. J’ai le temps d’arriver à la gare avant la drache suivante.
Le train s’approchant de Paris, le ciel se dégage jusqu’à devenir bleu. Je remise mon parapluie et prends le métro jusqu’au café du Faubourg. J’y bois un café à un euro dix au comptoir en parcourant Le Parisien puis entre chez Book-Off.
Le ciel est toujours bleu quand j’en ressors. Je rejoins la place de la Bastille à pied et trouve pas loin, rue Saint-Antoine, l’endroit où il me plaît de déjeuner : Le Rempart, « brasserie à l’esprit familial ». On y entend de la musique latino. Un jeune homme en est le gérant, un autre est en salle, la cuisine est faite par l’habituel immigré venu du Pakistan. La clientèle est variée, surtout du quartier. J’y mange près de deux filles qui travaillent dans le tourisme et ne parlent que de ça. Sauté de veau à la catalane et tiramisu aux spéculoos pour douze euros cinquante, avec un quart de morgon cela fera vingt et un euros.
-Ça a été ?, me demande le jeune gérant à l’esprit familial.
-Parfaitement, lui dis-je.
Quelques nuages sont en embuscade quand je ressors. Il ne faut pas longtemps avant qu’ils envoient la drache. Au sortir du bus Vingt, je me réfugie au Petit Choiseul, estaminet sis au bout du passage du même nom, et y prends un café à un euro au comptoir puis rejoins le deuxième Book-Off. On y solde encore mais les bonnes occasions sont parties. Je m’y attarde car la pluie redouble, mêlée de grêle, et y trouve Joseph Anton, une autobiographie de Salman Rushdie, livre paru chez Plon dans lequel l’écrivain anglais raconte la vie qu’il mène depuis qu’il a appris, un quatorze février, qu’une fatoua de Khomeiny le condamnait à mort (Joseph Anton étant son nom de clandestinité, composé des prénoms de Conrad et de Tchekhov) :
C’était le jour de la Saint-Valentin, mais il ne s’entendait pas très bien avec sa femme, la romancière américaine Marianne Wiggins. Six jours plus tôt elle lui avait déclaré qu’elle n’était pas heureuse et qu’« elle n’avait plus aucun plaisir à vivre avec lui », pourtant ils n’étaient mariés que depuis un peu plus d’un an mais lui aussi avait déjà pris conscience de l’erreur qu’ils avaient commise.
C’est le genre de livre dont je ne peux différer la lecture. Bien qu’il ait sept cent trente-quatre pages je pense l’avoir terminé avant le quatorze février.
                                                      *
Gare Saint-Lazare :
-Excusez-moi monsieur, une p’tite pièce pour manger.
-J’ai soixante-dix ans et je travaille.
Le non-dit a une certaine importance.
                                                      *
Gaillon Aubevoye : jeune femme qui entre dans le train en disant bonjour.
                                                      *
Au retour à Rouen, le pavé mouillé témoigne du temps qu’il a fait. Les graffitis présents depuis des mois sur la double porte du porche sont toujours là, à croire que les propriétaires n’ont jamais demandé à la Mairie de les effacer.
 

4 février 2016


Ce mardi soir, j’ai pour objectif de m’asseoir au plus près d’Alexandre Tharaud invité à jouer les Variations Goldberg à l’Opéra de Rouen. Pour ce faire et déjouer la concurrence, je me plante devant la porte de la salle, côté impair. Celle-ci ouverte, je peux m’asseoir sur la chaise de premier rang offrant la meilleure vue sur le clavier du piano Yamaha.
-Je savais bien que ce soir je devrais me battre avec vous, dis-je à celle qui arrive deuxième et s’installe à ma droite.
Elle ne se plaint pas, elle aussi bénéficie d’une très bonne place.
-On pourrait les revendre très cher, lui fais-je remarquer.
-Oh non, je ne pourrai jamais faire une chose pareille, se récrie-t-elle.
Bientôt, toutes les chaises avec vue sont occupées. Derrière nous, les trois niveaux de la salle s’emplissent. Le brouhaha s’accroît et devient considérable, inutile de se retourner pour savoir que c’est complet ce soir. Alexandre Tharaud a eu maintes fois l’occasion de se faire apprécier ici, notamment les trois années pendant lesquelles il était en résidence.
Un peu avant vingt heures, un couple se présente muni de billets donnant doit au placement libre sur les chaises mais toutes sont occupées. Au lieu de dénicher les deux resquilleurs, le placeur en chef fait installer deux sièges supplémentaires gâchant la vue à un autre couple qui n’ose protester.
Alexandre Tharaud apparaît, quarante-sept ans mais toujours jeune homme. Il s’assoit, se concentre et se lance dans l’aria. Les variations s’enchaînent, certaines lui donnant envie de chantonner silencieusement, d’autres le faisant sourire ou fermer les yeux, certaines attaquées rapidement, d’autres précédées d’un longue pause hélas troublée par des toux. Les doigts galopent ou se freinent, les mains se croisent parfois. Au bout d’une heure, c’est l’apaisement de la lente aria finale
Le triomphe est à l’issue. Alexandre Tharaud offre deux bonus que les connaisseurs auront reconnu, le second étant l’occasion de quelques prouesses techniques.
                                                            *
S’il est prouvé que le silence après Mozart est encore du Mozart, on ne peut dire ce soir que les silences entre deux variations soient de Bach car s’y engouffrent les nombreux catharreux (encore un concert participatif).
L’assurance avec laquelle s’expriment ces fâcheux me rappelle celle des obèses occupant deux sièges dans les bus américains.
                                                            *
Alexandre Tharaud aura pris une année sabbatique afin de s’approprier l’œuvre de Johann Sebastian Bach. « Je ne voulais pas l’enregistrer trop tôt. La maturité apporte un relief plus profond et me permet de mieux assumer qui je suis au piano, mes zones brumeuses, nuageuses, mes faiblesses aussi. Ce sont souvent les choses qui ne vont pas qui sont intéressantes, et que l’on a tendance à gommer lorsque l’on est jeune : les zones d’ombres, les tunnels, les petits trous, les fausses notes, qu’on n’entend pas forcément, mais qui permettent au disque d’être fluide et vivant, à défaut de chercher la perfection. » déclare-t-il dans le livret programme (entretien avec Vinciane Laumonier).
                                                           *
Contrairement à ce que je croyais, les travaux de la chapelle Corneille devenue auditorium sont terminés avant les concerts d’inauguration. Ils auront lieu cette fin de semaine. Je n’y serai pas, ce lieu à dorures exagérées et à grosse boule de trois tonnes pour améliorer l’acoustique ne me dit rien.
On y verra souvent le Poème Harmonique qui pour ses Saisons baroques appelle à la rescousse le cinéma, le cirque et la gastronomie, la musique ne se suffisant désormais plus à elle-même.
 

3 janvier 2016


Fin des notes prises lors de ma lecture de la première partie des Carnets (Les années Jules et Jim, 1920-1921) d’Henri-Pierre Roché parue chez André Dimanche soixante-dix ans après les faits, dans lesquels l’auteur relate sa vie dissolue, cette liberté sexuelle suscitant parfois des ennuis lorsqu’elle s’épanouit dans la campagne allemande où une femme ne saurait être en pantalon :
Hohenschäftlarn, mardi vingt-trois août mil neuf cent vingt et un :
Thé tous ensemble et promenade à travers le village, Luk en homme, pantalon toile blanche, ce qui amène des interpellations et (demain) la visite du garde-champêtre qui lui annonce une amende pour outrage aux mœurs.
Hohenschäftlarn, vendredi vingt-six août mil neuf cent vingt et un :
Le soir je ne sais pas ce qu’elle invente avec sa gorge, mais le God y pénètre en totalité, y est à l’aise, sent encore de l’espace devant lui, y sp. comme un fou.
Hohenschäftlarn, mardi six septembre mil neuf cent vingt et un :
Un gendarme arrive, demande à parler à Hln. seule : c’est au sujet de son amende de vingt marks pour avoir promené dans le village en costume d’homme. –Elle redescend : le gendarme demande à me parler aussi. Franz m’accompagne : la petite servante qui était là il y a huit jours, a quitté la maison, sans explication. Elle a déclaré m’avoir vu nu dans le jardin, en allant soigner les poules.
Hohenschäftlarn, mardi vingt septembre mil neuf cent vingt et un :
Hln. me dit : « Franz s’ennuie. Je devrais le caresser ? » –Je lui dis : « Doucement, pas trop ». –Ils sont sur le balcon. Je suis dans la chambre. Hln. est assise sur Franz, son derrière sur son sexe à lui. Je la vois bouger. (…)
Promenade nous trois avant dîner, vers Irschenhausen –la femme qui nous insulte soudain terriblement, au bout du village, en patois. Nous ne comprenons presque rien à ce qu’elle dit. J’imagine que cela s’adresse à Hln. dont le maillot vert de football révèle la poitrine. Mais non. Le mot « étrangers » et « boîte à lait » revient dans ses paroles. Elle nous reproche de faire monter le prix du lait.
Berlin, dimanche seize octobre mil neuf cent vingt et un :
Einstein, rond, ressemblant beaucoup à Franz, au point que Franz a reçu une fois à Paris d’une petite cocotte une gifle destinée à Einstein. (…)
Retour par un train bondé, dans un wagon sans lumière. Cinq couples jeunes qui s’embrassent sans trêve, doucement, joliment. (…) Je remarque soudain qu’un des couples les plus enlacés est composé de deux jeunes filles blondes, qui jouent avec leurs cheveux, leurs lèvres, follement, ivrement, et avec une grande innocence.
Berlin, mercredi dix-neuf octobre mil neuf cent vingt et un (toujours obsédé par l’idée de faire un fils à Helen) :
Pourquoi Dieu m’aurait-il donné un sexe puissant et qui est la seule partie de mon corps que je trouve belle ?
Weimar, mercredi deux novembre mil neuf cent vingt et un :
Notre situation à trois, avec Franz, est déjà prévue et réglée par le code de mariage russe. Elle est naturelle, fréquente, pas compliquée.
Henri-Pierre Roché n’aura jamais d’enfant avec Helen Hessel, leur histoire prendra bientôt fin mais la seconde partie des Carnets (Les années Jules et Jim) n’a malheureusement pas été publiée à ce jour.
                                                         *
Henri-Pierre Roché a également inspiré L’homme qui aimait les femmes à François Truffaut, son rôle étant tenu par Charles Denner.
 

2 février 2016


Poursuite de la narration, via mes notes prises lors de la lecture des Carnets d’Henri-Pierre Roché, de ses amours avec Helen Hessel. Cela ne va pas sans crises, plus ou moins violentes :
Munich, mardi dix mai mil neuf cent vingt et un :
Pour la réveiller au matin je dois la culbuter avec l’édredon sur le tapis –elle aime ça.
Berlin, jeudi douze mai mil neuf cent vingt et un :
Hier soir amour dans le noir : danger pour nous deux. Chacun peut imaginer que l’autre pense à un autre, s’amuse à comparer : en fait ce fut vrai, et nous en parlons doucement.
Saarow, mercredi dix-huit mai mil neuf cent vingt et un :
Hln. n’a pas voulu du grand lit à deux pour nous parce qu’elle y a couché avec Koch : coup et horreur renaissante pour moi –mais j’en ai fait bien autant. « C’était pour ta liberté », dit-elle.
Berlin, vendredi dix juin mil neuf cent vingt et un :
Hln. me dit : « J’ai couché avec Hule et aussi avec un étranger en mars dernier ». Je la jette brusquement en bas du lit. Elle y remonte, riant encore. (…) Mon immense désir de la frapper se déclenche. Je me dégage d’elle, à genoux sur le lit. Elle se dresse –je lui donne deux gifles, à pleine force, qui l’abattent, j’y sens son visage doux, et encore deux coups de poing sur les reins. –Elle appelle Fr. au secours. Il vient. Nous sommes immobiles maintenant, sans parler. Il repart. –Est-ce irréparable ? C’est ce que nous nous demandons. –Son visage gonflé, ses yeux qui pleurent ; - J’ai mal, sans pouvoir pleurer. –Nous nous blottissons, sans baisers, effrayés pour notre amour.
Paris, jeudi vingt-trois juin mil neuf cent vingt et un :
Elle dit : « Je ne voulais plus te voir, mais il n’y a que toi qui peux me consoler de la peine que tu me fais. »
Paris, mardi vingt-six juillet mil neuf cent vingt et un :
Je trouve lettres d’elle : elle est contente que j’aie rugi l’autre jour en revoyant l’écriture de Hulle, avec qui elle a couché –de même que je suis content qu’elle ait envie de déchirer mon Journal parce qu’il contient des caresses faites à sa sœur.
Paris, samedi trente juillet mil neuf cent vingt et un :
Brancusi qui voulait grimper aux arbres disperse une migraine à coups d’aspirine.
 

1er février 2016


Faux départ à l’Opéra de Rouen ce samedi soir pour l’OPUS 14 de Kader Attou que doit danser la Compagnie Accrorap, à peine la musique a-t-elle démarré dans le noir qu’elle cesse et la lumière revient. Cela provoque quelque agitation dans un public où l’on trouve toujours  des niais(e)s pour applaudir quand il y a un problème. De mémoire de ma voisine, ce spectacle qui ne veut pas démarrer est une première dans cette salle. Je confirme. Quand cela repart, c’est pour s’arrêter de même. Frédéric Roels, maître des lieux, quitte son fauteuil et des coulisses envoie un message de patience.
La troisième est la bonne. Pendant une heure dix, les quatorze hip-hopeurs et les deux hip-hopeuses à dominante ocre donnent à voir une danse urbaine ardente, évoluant en groupe entier ou partiel, ainsi qu’en duo ou solo, dans un décor végétal peint par Ludmila Volf. La musique originale à craquements de disque noir est de Régis Baillet. Electronique avec ajout de cordes, elle inclut une chanson traditionnelle arménienne et bénéficie pour la séquence finale de la voix de Caruso.
S’ensuivent de vigoureux applaudissements et des bravos. Des vieilles et vieux abonnés aux familles de spectacle tout public, tout le monde est conquis, semble-t-il, et moi itou. Kader Attou se joint à ses interprètes et les photographie sur fond de public rouennais.
En rentrant, je trouve au bout de la ruelle une demi-douzaine de branlotin(e)s écoutant de la musique d’aujourd’hui sortant d’un gros sac noir. On ne les verra jamais à l’Opéra de Rouen bien que le tarif de dernière minute à cinq euros le leur permettrait.
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Kader Attou, à propos du peu de danseuses dans sa quatorzième chorégraphie : « j’aurais aimé en avoir plus, mais je ne fais pas d’auditions, toutes mes collaborations sont le fruit de rencontres. »
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On est content au Théâtre de la Foudre (Centre Dramatique National de Haute Normandie) de la nouvelle porte des toilettes illustrée des pictogrammes « Homme » « Femme » « Transgenre » et « Handicapé ».
Nul ne semble s’apercevoir que ce correctement politique conforte la hiérarchie traditionnelle.
Cet endroit étant celui de tout le monde, il suffisait d’écrire « Toilettes » sur la porte pour que l’on sache que c’est ici.
 

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