Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 juin 2017


«La panne d’un train Fret sous le tunnel de Bonnières empêche la circulation des trains à destination de Paris Saint-Lazare», lis-je sur le tableau d’affichage en arrivant ce mercredi à la gare de Rouen dans l’intention d’y prendre le sept heures cinquante-neuf pour la capitale. Le train précédent n’est pas parti.
N’ayant pas envie de passer la matinée entière dans un train le plus souvent arrêté, je me rends à la billetterie et demande au guichetier si je peux échanger mon voyage contre un au même prix le lendemain. C’est impossible, me répond-il. Je fais donc annuler mes billets. La somme dépensée est automatiquement recréditée sur mon compte bancaire.
-Ça peut durer longtemps effectivement, me dit cet employé de la Senecefe, d’abord il est dans un tunnel et en plus les mécanos ne savent plus réparer les trains.
Quand je rejoins la salle des pas perdus, la voix annonce le départ du train retenu en gare depuis bien longtemps. Des voyageurs s’y précipitent, soulagés. Les malheureux, ils n’ont pas compris qu’il s’agit de désencombrer la gare pour que puisse y entrer celui que je devais prendre et qui arrive du Havre. Ce train qui part n’ira pas plus loin que la gare de Val-de-Reuil ou celle de Vernon. Il y stationnera en plein soleil jusqu’à ce que le tunnel soit dégagé.
Rouen le mercredi, ce n’est pas plus palpitant que les autres jours de la semaine, les moutards en plus. A onze heures et demie, je bénéficie néanmoins du concert de carillon hebdomadaire. Des airs de Brassens sont au programme A l’ombre du cœur de ma mie et Ballade des dames du temps jadis.
En début d’après-midi, je suis à la terrasse du Son du Cor où il faut à nouveau payer sa consommation dès qu’elle est posée sur la table. Cette fois, c’est une décision de la patronne et ça ne se discute pas. J’y lis le Journal intime de Sophie Tolstoï (Albin Michel). Près de moi sont deux lycéennes et un lycéen qui préparent l’épreuve de philo du bac en jouant au Mao, un jeu de cartes auquel je ne comprends rien.
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On me reproche de m’abstenir à l’élection. Certains sont morts pour que l’on obtienne le droit de vote. Rien que pour ça, il faut aller voter. Comme je l’ai déjà écrit, d’autres sont morts pour obtenir le droit de pratiquer une religion, cela ne m’oblige pas à en faire autant.
On me rappelle aussi qu’il y a le vote blanc et même le nul, mais quand il n’y a pas de candidat pour qui m'amène à voter (pour ou contre), je ne veux pas que ma signature figure sur le registre électoral.
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Vertu de l’abstention : grâce à celle, élevée, du premier tour des Législatives, tous les candidats (à part les deux premiers) devant faire douze et demi pour cent des inscrits pour se maintenir au deuxième tour, nombre de candidats du F-Haine en ont été privés.
                                                             *
En ce qui concerne dimanche prochain, j’habiterais Rouen Sud, de l’autre côté de l’eau (comme disent certains), dans la deuxième circonscription, je ne serais pas abstentionniste, j’irais voter pour Hubert Wulfranc, Maire de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui est un homme bien (il est communiste, qu’importe).
 

14 juin 2017


Donc ces Législatives nous promettent une masse de Macronnistes élus au deuxième tour, sélectionnés au premier par peu, la majorité des inscrits n’ayant pas pris part au vote (dont moi-même). Une bonne claque pour les Droitistes, une grosse baffe pour les Insoumis et les Patriotes, une sévère branlée pour les Socialistes, les autres je n’en parle même pas.
Dans la première circonscription de Seine-Maritime (Rouen rive droite, Déville-lès- Rouen, Mont-Saint-Aignan), qui est la mienne, la sortante Valérie Fourneyron, ancienne Ministre des Sports de François Hollande puis députée vallsiste, arrive loin derrière le néophyte Damien Adam (La République En Marche).
« Un député, ce n’est pas un godillot et moi j’ai très peur qu’il y ait beaucoup de députés godillots. », déclare-t-elle à Paris Normandie comme argument ultime contre son adversaire du deuxième tour. C’est encore une fois l’histoire de la paille et de la poutre. Redevenue Députée après son remplacement au Ministère des Sports, Valérie Fourneyron a toujours marché au pas derrière Manuel Valls (qui lui va sauver son siège grâce à son ralliement à Emmanuel Macron). Les non godillots Benoît Hamon, Aurélie Filippetti et autres frondeurs socialistes sont injustement rétamés, ils n’iront pas au deuxième tour.
Pendant ce temps, à Dieppe, la battue Marie Le Vern (Socialiste godillot elle aussi) appelle à voter pour Philippe Dufour (La République En Marche) contre Sébastien Jumel (Communiste).
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Le seul Socialiste qui s’en sort dans le coin, c’est dans la cinquième circonscription Christophe Bouillon pour la raison qu’il n’a pas eu de candidat En Marche contre lui. Pourquoi ce privilège ? J’ai dû manquer un épisode. Ce Bouillon a obtenu plus de quarante et un pour cent des voix lors de ce premier tour. Va-t-il se retrouver bientôt à un poste de responsabilité nationale ?
                                                             *
Adam ayant toutes les chances de l’emporter au deuxième tour, je n’aurai pas besoin d’aller aider de mon bulletin de vote à la défaite de Fourneyron (à qui je reproche aussi d’avoir voté la loi transformant les clients de prostituées en délinquants, laquelle n’était pas au programme de Hollande, contrairement à celle donnant le droit de mourir dans la dignité, jamais votée, pas même mise à l’ordre du jour).
 

13 juin 2017


L’avantage du vide grenier organisé à Oissel ce samedi, c’est qu’il débute à la sortie de la gare. J’y arrive avant sept heures et demie, l’un des rares à descendre en cet endroit du train de sept heures douze pour Paris. Ensuite, il n’y a plus qu’à remonter la rue principale du bourg jusqu’à l’église et revenir puis recommencer une deuxième fois, et une troisième, avant qu’il soit l’heure de reprendre un train dans l’autre sens, bredouille comme trop souvent.
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Que de vêtements à vendre dans ce vide grenier, que de mobilier dont on veut se débarrasser. Combien savent que faire l’acquisition de fringues et de meubles d’occasion (surtout ceux comportant du tissu) est la plus sure façon de faire entrer chez soi les punaises de lit.
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Un Oisselien considérant des employés municipaux inoccupés :
-Y mangent des croissants et pendant ce temps-là, c’est nous qui les paye.
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Rouen, rue Ecuyère, une femme à une autre :
-Comme on est en ville, on croit qu’il est déjà midi mais en fait il est onze heures.
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Un garçon au Son du Cor, tout content parce qu’il va faire une coleuque avec un peute de squaite.
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Des décennies que je n’avais pas entendu : « T’as zouillé ? » Question que posait l’autre jour un lycéen à un autre à la terrasse du Sacre. L’expression était omniprésente quand je fréquentais moi-même le lycée. A chaque interrogation écrite annoncée à l’avance, il s’agissait de « préparer sa zouille ». J’y ai recouru, peu souvent.
Ouiquipédia qualifie zouiller d’argot scolaire normand du vingtième siècle.
 

12 juin 2017


Arrivé un peu avant dix-huit heures, ce jeudi, au Centre Photographique du Pôle Image, rue de la Chaîne, je peux à mon aise voir les images de festivités aérées normandes commandées par cette institution au photographe anglais Simon Roberts, connu pour son livre We English. Elles sont réunies sous le titre Normandy (Nos jours de fêtes) et c’est le vernissage.
Ce quadragénaire a parcouru les cinq départements de la Normandie à la recherche de fêtes populaires d’extérieur qu’il a photographiées en couleur, pour ce faire grimpé sur une échelle ou sur le toit de son van, d’où un effet de contre-plongée : tournoi de pétanque, danse folklorique, baignade en mer ou en lac, passage du Tour de France, pique-nique de Quatorze Juillet, etc.
Je ne suis pas fou des travaux de commande sur la vie de par chez nous, mais là cela me plait, comme je l’indique à l’une de mes connaissances, lui-même photographe, bien moins emballé que moi. Il trouve cela trop bien cadré et trop bien encadré, manquant de spontanéité et d’imperfection. Il a raison, mais ça ne m’empêche pas d’aimer.
Ces fêtes de plein air, j’en ai subi plus d’une pendant mon enfance et mon adolescence et je reconnais sur les images de Simon Roberts l’ennui qui affleure. Il y a comme une fissure. La falaise tombe par pans entiers à proximité des baigneurs.
Ma photo préférée est celle de moutards en action dans une partie de foute à Barentin sur un stade écrasé par le viaduc de briques rouges sur lequel passe dans l’indifférence des présents un train de citernes sans doute explosives.
Simon Roberts est là depuis l’ouverture de la porte. A dix-neuf heures, lassé d’attendre qu’il soit invité à prendre la parole, je rentre à la maison.
                                                                  *
C’est ce vendredi après-midi qu’ont lieu les obsèques de François Lasgi, ancien Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen,
«Même s'il était bizarre, il était sympa (en tout cas il l'a toujours été avec moi quand j'étais élève)», m’écrit, attristée, celle avec qui je buvais un café mercredi à Paris
Je n’avais guère de sympathie pour François Lasgi, qui, lorsque j’ai écrit sur l’exposition que lui consacra la Mam Galerie (il m’avait demandé d’aller la voir) m’a envoyé une série de mails méprisants dans lesquels il me qualifiait d’instituteur adepte de vide greniers incapable d’avoir un avis pertinent sur sa démarche artistique, mais je trouve choquant (si je peux employer ce mot) que l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen (devenue l’École Supérieure d’Art et Design Le Havre-Rouen) n’ait pas jugé bon (ou utile) d’annoncer la mort de son ancien Directeur, lequel y était toujours professeur.
M’étonnant de cela le matin même au marché auprès d’une qui travaille dans cette maison, je n’en ai obtenu aucun éclaircissement. Après avoir réagi comme si je l’accusais d’être personnellement responsable de cette indifférence, elle m’a dit qu’elle ne se sentait pas concernée par ce qui se passe sur son lieu de travail.
                                                                    *
Vendredi soir, l’Opéra de Rouen se retrouve à l’affiche de certains médias nationaux pour un évènement s’y étant produit la veille lors de la représentation de La Bohême.
Des membres d’un commando s’auto-désignant «Sauvages, comme Jacqueline» (du nom de cette femme qui a tué son mari persécuteur), porteurs de masques de chat, ont jeté du premier balcon des tracts accusant Laurent Laffargue, le metteur en scène, du viol d’une de leurs amies et de l’agression de plusieurs autres. Un autre a filmé la scène depuis l’orchestre. Les alarmes incendie ont ensuite été déclenchées, ce qui a entraîné l’évacuation des mille trois cents spectateurs et permis audit commando de disparaître.
Frédéric Roels, Directeur, absent ce jeudi, a indiqué aux journalistes que le soir de la première il a dû intervenir pour éloigner Laurent Laffargue, « en état d’ébriété », d’une jeune femme de la production et qu’il l’avait invité à ne pas revenir lors de la présentation suivante de l’opéra.
Ça en pose des questions. Sur la réalité des faits. Sur la pratique de la dénonciation publique. Sur l’attitude mi-chèvre mi-chou du staff de l’Opéra.
                                                                    *
Et soudain le J’aime les filles donné en intermède dans La Bohème de Laurent Laffargue résonne bizarrement.
 

10 juin 2017


Dans ma boîte à lettres, l’enveloppe marron contenant les professions de foi (comme on dit) des candidat(e)s à l’Election Législative dans la première circonscription de Seine-Maritime.
Qui y a-t-il au menu ? Un adepte du frexiteur Asselineau dont le nom n’apparaît pas sur sa propagande (« le seul vote vraiment utile »), un De Boue la France (« votez pour les valeurs gaullistes »), une F-Haine (« plus que jamais défendre la France »), une Hello (« faire entendre le camp des travailleurs »), un Macronniste bénéficiant d’un montage photo avec le Président (« En Marche !»), un Droitiste Aie L’Air Udéhi (« protéger, libérer, réinventer »), un Mélenchonniste (« la force du peuple »), un duo écolo-communiste (« la force du rassemblement ») et la sortante socialiste (« réussir ensemble pour la France »). Il manque le tract du candidat du Parti Animaliste, je ne sais si c’est un bœuf ou un étalon.
Bref, personne pour qui je puisse voter. Dimanche, je m’abstiendrai.
La dernière fois, j’avais mis dans l’urne un bulletin du Parti Pirate, mais ce dernier a disparu de la circonscription.
                                                             *
Le candidat droitiste n’a pas manqué de faire passer ses supporteurs par ma ruelle, lesquels ont distribué ses dépliants dans toutes les boîtes à lettres, leur tenue vestimentaire et chevelure ondulée indiquant une possible résidence dans le quartier Jouvenet ou à Mont-Saint-Aignan Village. Avec ce dépliant, une carte postale veut faire croire à l’électeur absent que c’est le candidat lui-même qui est passé : « Je suis venu me présenter à vous. N’hésitez pas à me contacter. Bien chaleureusement, Jean-François Bures. » Un mensonge véniel.
                                                            *
Valérie Fourneyron, la sortante du Péhesse, a pour suppléant en tout petit sur son tract Nicolas Mayer-Rossignol, ancien Président de la Région Haute-Normandie et qui le serait encore si Hollande n’avait pas eu la fâcheuse idée de réunifier la Normandie. C’est une façon pour elle d’établir la hiérarchie en prévision du jour où Yvon Robert sera jugé trop vieux pour le poste de Maire de Rouen. Cette maligne se présente « pour une majorité présidentielle plurielle », un peu de socialisme, un peu de macronnisme. Elle espère ainsi sauver son siège. Rien ne me fera davantage plaisir que de la voir battue, cette saccageuse de Médiathèque.
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La grosse farce de cette élection locale, c’est le tandem Véronique Bérégovoy, Ecologiste, et Manuel Labbé, Communiste, l’antinucléaire et le pronucléaire sur le même vélo à deux guidons opposés. Ils veulent remplacer les énergies fossiles par des renouvelables. Et le nucléaire ? Chut, on n’en parle pas, tu ne voudrais quand même pas qu’on divorce à peine mariés? « Vivons des jours heureux », écrivent en conclusion ces deux tourtereaux en pleine lune de miel.
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Autre comique : Mélenchon. C’est lui qui se présente à Rouen comme dans toute la France, son représentant local a sa photo moche et minuscule à la fin du tract et n’a pas son mot à dire. L’Insoumis en chef dans son adresse au citoyen indique qu’il obtiendra la majorité à l’Assemblée Nationale et qu’il imposera la cohabitation à Macron : « Alors tout changera dans la vie des gens ! Les jours heureux seront de retour. »
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Je viens te chanter la ballade, la ballade des gens heureux.
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Vous savez que j’ai la politique en horreur, parce que je crois, ou plutôt je vois, que par la faute de la nature, qui a voué les hommes au malheur, il n’est aucune forme de gouvernement qui ne rende malheureux les individus ; quant au bonheur des masses, il me fait rire, car mon petit cerveau ne peut concevoir une masse heureuse composée d’individus qui ne le sont pas. Giacomo Leopardi, lettre à Fanny Targioni Tozzetti, cinq décembre mil huit cent trente et un
 

9 juin 2017


Un train de sept heures vingt-neuf affiché avec trente minutes de retard, c’est ce qui m’échoit ce mercredi pour aller à Paris. Plus qu’à m’asseoir et l’attendre. Jusqu’à ce que la voix féminine de la Senecefe l’annonce supprimé « en raison des intempéries et des problèmes matériels d’hier ». Mardi soir, tous les trains de l’ex Haute-Normandie ont eu deux heures de retard ou ont été supprimés ou bien arrêtés en chemin et remplacés par des autocars pour la fin du trajet.
Les voyageurs sont invités à se reporter sur le huit heures douze, un omnibus que je sais partir de la voie trois. Je m’y rends sans attendre qu’il soit annoncé. Il arrive de Paris, se vide de ses voyageurs, j’y grimpe. La voix l’annonce partir avec quinze minutes de retard, pourquoi ? on ne le saura pas. « Putain, ils font trop chier », commente un voyageur, disant à voix haute ce que chacun pense. Ce train est vite complet, celles et ceux qui l’attendent dans les gares intermédiaires voyageront assis dans les marches ou debout dans les allées.
Le carrefour Ledru-Rollin Faubourg-Saint-Antoine est tenu par des pompiers porteurs de billets de tombola. Je pousse la porte du Café du Faubourg à dix heures vingt au lieu de dix heures moins dix, une demi-heure de moins pour faire le circuit Book-Off, Emmaüs, marché d’Aligre. Ce dernier est tenu par des Macronnistes porteurs de tracts. « Excusez-moi, dis-je à l’une qui m’empêche de passer, je voudrais pouvoir être en marche » (suis-je drôle).
A midi je rejoins la Bastille. Sur la bâche des travaux de la Colonne de Juillet, la Senecefe affiche pour début juillet le Tégévé Paris Bordeaux en deux heures huit et le Paris Rennes en une heure vingt-six. La Normandie donne l’image d’une région sous-développée. Que fait Morin, son Duc, Centriste de Droite, qui devait tout arranger sur les voies ferrées ? Ce n’est pas Philippe, Premier Ministre, Droitiste Macronniste, ancien Maire du Havre, qui va s’en soucier. Il préférait la voiture pour aller à Paris. Une fois, il s’est fait gauler pour excès de vitesse sur l’autoroute à Tourville-la-Rivière (cent cinquante kilomètres heure au lieu de cent dix).
Je déjeune rue Saint-Antoine au Rempart d’un poulet à la basquaise avec son écrasé de pommes de terre et d’un tiramisu aux spéculos avec un verre de merlot (seize euros cinquante le tout) puis rejoins le Rivolux où j’ai rendez-vous à treize heures quinze avec celle qui travaille dans le quartier. Un écran géant y montre du tennis tandis que tonitrue une musique qui doit plaire au néo barbu à casquette à l’envers qui officie derrière le bar.
-C’est nouveau cet écran ? lui demandé-je
-Non, mais il est jamais allumé.
-C’est bien quand il est jamais allumé.
-Oui mais là c’est Roland Garros, alors j’en profite.
-Ah oui, le sport, cet opium du peuple.
-Qu’est-ce que je vous sers ? me demande-t-il
-Un café, sans sport.
Ce garçon doit se croire dans son salon, il met la télé comme chez-lui et la daube musicale qui correspond à son allure d’adolescent attardé. Côté limonade, il n’est pas capable de faire un café qui soit chaud.
Je bois cette tisane en lisant Libération et quand arrive celle que j’attendais, je lui indique mon envie d’aller ailleurs. Elle m’emmène au Petit Saint Paul où nous trouvons place en terrasse. La rue Saint-Paul est bruyante mais le patron très sympathique et le café bien chaud.
Quand elle retourne au labeur, je prends le bus Vingt-Neuf, en descends à Bibliothèque Nationale et vais lire dans le jardin du Palais Royal. Un peu avant seize heures, par le passage de Choiseul, je rejoins la station de métro Quatre-Septembre où j’ai rendez-vous avec Agathe. Cette étudiante timide est à l’heure. En échange du code secret, je lui remets l’intégrale des douze numéros de l’Internationale Situationniste dans la réédition des éditions Champ Libre, qu’elle m’a achetée via Internet, puis elle disparaît en sous-sol. Pour un observateur extérieur, cela doit être le type même de la transaction suspecte.
Je n’ai plus qu’à entrer dans le deuxième Book-Off. Une fois n’est pas coutume (comme on dit), j’y achète un livre à cinq euros : Journal intime de Sophie Tolstoï en un volume chez Albin Michel.
                                                                     *
Rentré avec un train à l’heure, j’apprends la mort de François Lasgi, ancien Directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, artiste également, qui fut très fâché de ce que j’avais écrit de son exposition à la Mam Galerie en deux mille quinze. Décédé pendant son sommeil, il avait exactement mon âge.
 

8 juin 2017


Il est des livres que j’achète et ne lis pas. Ainsi le Journal d’adolescence (1897-1909) de Virginia Woolf publié au Nouveau Cabinet Cosmopolite chez Stock qu’après avoir parcouru j’ai trouvé sans grand intérêt et mis en vente. Avant de l’expédier, je le feuillette encore une fois et tombe sur ceci, qui m’était passé inaperçu, écrit le premier avril mil neuf cent cinq:
Avons pris le petit-déjeuner juste avant 7 heures & attrapé le train pour Rouen. Sont venus avec nous –ou plutôt nous avec eux– les Lloyd & Mr. Booth, & nous sommes arrivés à Rouen à 9 heures, je crois. Avons visité 3  grandes églises, vu un enterrement & un cimetière. La chose sans doute la plus émouvante, sentimentalement, de cette ville, c’est ce petit coin –du marché à la viande ! – où Jeanne d’Arc a été brûlée. Tous les endroits témoins de ses souffrances sont signalés & évoqués ; mais les statues la figurant sont parfaitement inintéressantes & insignifiantes. Avons déjeuné là & sommes rentrés à 5 heures  & demie. Beaucoup de gens nouveaux ont embarqué ; nous repartons demain matin, ce dont je me réjouis. Voyager me rend impatiente. J’ai envie de voir ce qui va suivre.
Virginia a vingt-trois ans. Cette grande adolescente voyage à bord de l’Anselm, parti de Liverpool: C’est un bateau de luxe très propre & tout blanc ; chacun dispose d’une cabine personnelle où je suis en train d’écrire sur mes genoux, tandis que la mer commence à s’agiter.
Après l’escale du Havre et son escapade rouennaise, elle vogua jusqu’à Porto, prit le train pour Lisbonne puis Séville et Grenade, retourna à Lisbonne et rentra directement à Liverpool, lis-je en diagonale avant de faire de ce livre un petit colis.
 

7 juin 2017


Ce dimanche après-midi, j’ai place un peu décentrée en corbeille à l’Opéra de Rouen pour La Bohème de Giacomo Puccini, ce dont je me réjouis jusqu’à ce qu’arrive ma voisine de droite. Le problème ne vient pas d’elle mais de celui qui l’accompagne : son trois ans. Que vient faire un enfant de cet âge en cet endroit pour un tel programme ? Il ne tarde pas à se manifester : « Pourquoi ils chantent tout le temps ? » Cette question montre à quel point sa mère l’a préparé à ce qu’il allait voir et entendre.
La mise en scène est de Laurent Laffargue qui vient du théâtre. Il a cru utile de déplacer l’action du dix-neuvième siècle au vingtième, précisément un an avant Mai Soixante-Huit.
Ça n’apporte rien mais cela fonctionne, du moins pour les deux premiers actes. Après l’entracte, c’est autre chose. Comment croire qu’on puisse en soixante-sept mourir de tuberculose. Et que la contestataire Musetta fasse une prière à la Sainte Vierge pour lui demander de sauver son amie Mimi. Que cette dernière annonce qu’elle enverra le concierge pour qu’il récupère son Missel. Que chez ces jeunes artistes désargentés on utilise un seau de nuit.
Cette tentative de modernisation ne peut rien contre le sentimentalisme larmoyant du dernier acte, qui reste celui du livret, inspiré de Murger. Heureusement, il y a la musique de Puccini interprétée par l’Orchestre (sous la direction de Leo Hussain), dont les éléments masculins, cachés qu’ils sont dans la fosse, se passent de cravate, et quatre interprètes principaux à la hauteur de leur rôle, Anna Patalong (Mimi), Alessandro Liberatore (Rodolfo), Olivia Doray (Musetta) et William Berger (Marcello), et le chœur accentus et celui de la Maîtrise du Conservatoire, des moutards  et pré-branlotins qui s’ils savent chanter devront apprendre à bouger.
Bouger, le trois ans d’à côté sait le faire mais sa mère en garde néanmoins le contrôle. Elle l’exfiltre avant même la fin des applaudissements qui sont copieux. Une spectatrice se risque au lancer de bouquet en direction d’Anna Patalong.
Avant de quitter les lieux, je prends le programme de l’an prochain qui, à peu de chose près, est celui des années passées. Il est dommage que je n’aie pu cette année assister à sa présentation. Cela m’aurait plu, avant de jouer des coudes contre des centaines d’affamé(e)s lors du coquetèle, de m’ennuyer encore une fois pendant l’énumération des différents spectacles par Frédéric Roels, Directeur, dont c’était la dernière.
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En intermède avant les deux derniers actes, l’un des interprètes joue un installateur d’antenne de télé à l’avant-scène, un petit boulot qu’il effectue en chantonnant sa propre version du J’aime les filles de Dutronc : « J’aime les filles… du public/ Si vous êtes comme ça/ Ma loge est au numéro cent six ». Cela fait rire.
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Innovation fâcheuse d’avant spectacle : un message sonore à haut volume, envoyé deux fois, vantant le programme de la saison prochaine, la voix est féminine bien sûr, on se croirait dans une gare.
 

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