Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

29 mars 2018


Après le changement d’heure, je suis dehors dimanche en fin de nuit car si l’on veut être au lycée de Val-de-Reuil avant dix heures, il faut quitter Rouen par le train à sept heures neuf. Sur le chemin de la gare je ne croise que des paumés plus ou moins ivres. L’un me demande où on peut manger à cette heure-ci.
Un maître-chien arpente la salle des pas perdus en surveillant du coin de l’œil la poignée de paisibles voyageurs attendant le premier train de la journée. Je prends les billets aller et retour à la machine, deux euros quatre-vingt-dix chacun.
Val-de-Reuil est dans la nuit noire quand j’y arrive à sept heures vingt-huit. Je préfère longer la ville que la traverser. Place des Quatre-Saisons, le Tatoo, que j’ai connu bar lounge et qui est maintenant Péhemmu chinois, est ouvert. Sa clientèle est donc mixte, parmi laquelle les commerçants du mini marché installé en face : une marchande d’œufs et un marchand de pommes de terre avec sa jolie fille. On y écoute Haine Erre Gît. Je commande un premier café.
Ce pourrait être une attente ennuyeuse, mais non, grâce au livre que j’ai emporté : Et devant moi, le monde de Joyce Mainard, dans lequel, bien après, l’auteure raconte sans complaisance son histoire avec Salinger, quand elle avait dix-huit ans et lui cinquante-trois.
Le jour levé arrivent les croissants et d’autres clients. La marchande d’œufs gagne son premier argent et en fait don à la Française des Jeux. Un Turc de haute taille est requis par la patronne pour remettre la pendule à l’heure. Je commande un deuxième café puis rejoins le lycée vers dix heures moins le quart.
Je suis seul devant la barrière. A moins cinq arrive un responsable d’Amnesty. Il enlève l’alarme puis m’invite à le suivre à l’intérieur. Je donne à nouveau un alibi à Julien Coupat en inscrivant son nom à la place du mien sur le cahier des entrants exigé par la Préfecture.
Cette fois, je ne suis pas gêné par de trop nombreux autres et j’ai le temps. J’explore tous les bacs de livres, sauf celui habituellement nommé Romance mais ici qualifié de Fleur Bleue, et fais quelques bonnes trouvailles, parmi lesquelles Mémoires inutiles de Carlo Gozzi (Phébus/libretto).
Un peu moins chargé que la veille, je rejoins la gare à pied et y prends le train de onze heures quarante-sept. Alors que celui-ci entre en gare de Rouen surgissent les contrôleurs à qui je montre que je suis en règle. Ce n’est pas le cas d’une étudiante. Se faire choper une minute avant arrivée, il y a de quoi rager.
 

28 mars 2018


L’ayant manqué l’an dernier par ignorance de la date, pas question que je sois absent cette année de la vente de livres d’occasion d’Amnesty International au Lycée Marc Bloch à Val-de-Reuil. Elle commence à quatorze heures ce samedi, Aussi suis-je à la gare de Rouen dès onze heures trente et y prends un billet à trois euros dix pour un train de douze heures neuf qui n’ira pas plus loin que Mantes-la-Jolie. Ce ouiquennede, pour cause de travaux, aucun train ne va jusqu’à Paris. Il faut terminer le trajet en Transilien comme un vulgaire banlieusard, ce qui désoriente certains. Davantage l’est un homme qui ne sait pas lire et veut aller à Dieppe. A sa demande, je m’en fais le secouriste.
A l’arrivée, je sors par l’escalier extérieur et traverse la ville en ne croisant pas plus de cinq personnes. « L’architecture est un jeu savant, correct et magnifique de volumes assemblés sous la lumière », déclare Le Corbusier sur la vitre de la Médiathèque qui porte son nom. Un peu plus loin est le pignon d’immeuble occupé par Cinétisme de Luis Tomasello, une œuvre qui peut faire penser à un mur d’escalade. Elle était déjà sale au vingtième siècle quand j’habitais rue du Pas des Heures. « J’ai vite compris que l’art était symétrique », déclarait Tomasello. Je lui laisse la responsabilité de cette assertion.
J’entre au café kebabier Le Centre dont la clientèle est masculine. Le patron me serre la main quand il m’apporte le café verre d’eau commandé. Un couple de sexagénaires gaulois à l’air perdu vient y déjeuner. L’homme demande du vin mais on ne sert pas d’alcool ici lui apprend-on. Il y en eut autrefois comme le montrent les pompes à bière et les carafons. Bien des choses ont changé dans la cité contemporaine depuis mon départ et pas en mieux.
Le Lycée Marc Bloch me fait songer à l’une que j’espère bientôt retrouver en terrasse à Rouen. Devant sa porte un homme de mon âge m’a précédé, ancien directeur de l’école d’un bourg voisin, que je connais sans connaître.
-On va encore nous demander d’inscrire notre nom sur un cahier, me dit-il, alors que ça ne sert à rien.
-D’autant plus qu’on peut inscrire n’importe quel nom, lui dis-je.
-Oui, Bernard Cazeneuve par exemple, me répond-il.
Je m’aperçois ainsi qu’il en sait plus sur moi que je ne croyais.
-Je ne peux tout de même pas mettre Gérard Collomb cette fois-ci, lui dis-je, il faut varier un peu.
Nous réfléchissons. Un deuxième homme que je sais être le frère du premier propose Paul Bismuth et j’ai une illumination : Julien Coupat. Derrière nous une file s’est constituée, Les élus locaux invités par Amnesty sortent les uns après les autres, moins nombreux qu’autrefois pour cause de déconfiture socialiste, des femmes inconnues qui ont pris des livres de chez France Loisirs et Marc-Antoine Jamet, Maire de luxe de Val-de-Reuil, toujours Socialiste, les mains vides et le bonjour professionnel.
A deux heures moins une, nous poussons la barrière et allons jusqu’à la porte coulissante. J’inscris mon nom d’emprunt sur l’un des cahiers et file dans la salle du fond. Le prix des livres est indiqué par des gommettes de couleur. Il est modeste, un, deux ou trois euros, rarement quatre. J’emplis mon sac et ne m’attarde pas, pour deux raisons : beaucoup trop de monde et surtout un seul train pour rentrer avant la fin de l’après-midi.
Je retourne à la gare à pied, lourdement chargé, et la découvre fermée pour la journée. Impossible de prendre un billet de retour car l’écran du seul automate placé à l’extérieur est illisible pour cause de soleil ardent. Monté dans le train de quinze heures trente, je me fais connaître du contrôleur, lequel ne m’applique pas de surtaxe mais ne peut me faire une remise supérieure à vingt-cinq pour cent. Cela fait cinq euros.
                                                            *
Parmi mes trouvailles : La France frénétique de 1830 choix de textes de Jean-Luc Steinmetz (Phébus), Correspondance de Jack Kerouac et Allen Ginsberg (Gallimard) et l’énorme numéro de la Revue d’esthétique consacrée à Roland Dubillard ( Jean-Michel Place).
 

27 mars 2018


J’arrive un quart d’heure en avance à la Halle aux Toiles où se tient ce ouiquennede la vente de livres d’occasion du groupe rouennais d’Amnesty International. Je n’en attends pas merveille, le stock n’est pas suffisamment renouvelé d’un an sur l’autre. Ce sera mieux à quatorze heures à Val-de-Reuil. Je trouve devant la porte certains que je m’attendais à y trouver mais pas tous. Il y a aussi quelques femmes. Ce qu’elles lisent n’est pas susceptible d’en faire des concurrentes.
A neuf heures, chacun(e) se précipite vers la table de son choix. Une majorité d’hommes visent les livres d’histoire. Pour moi, c’est d’abord la littérature.. Contrairement à ma prévision pessimiste, j’y trouve du bon et de l’inattendu. Ainsi : Sand Barbès, correspondance d’une amitié républicaine (Le Capucin), Contre la barbarie de Klaus Mann (Points Essais), Tuer un enfant de Stig Dagerman (Agone), Proust de Samuel Beckett (Editions de Minuit), A la rencontre de Maupassant au « Séminaire d’Yvetot » de Robert Tougard (autoédition), Tout sur votre auteur préféré Maurice Sendak (L’Ecole des Loisirs) et Bréviaire des petits plaisirs honteux de Charles Haquet et Bernard Lalanne (JBz & Cie).
La note réglée, peu élevée car pas mal de livres sont à un euro, je me prépare à déjeuner tôt afin de prendre le douze heures neuf pour Védéherre quand je casse le deuxième bras de mon tire-bouchon en voulant ouvrir le vin dont un verre est indispensable avec mon fromage. Plus qu’à filer au marché du Clos Saint-Marc où je me procure un limonadier à deux euros en attendant de trouver mieux dans un vide grenier ou une brocante.
                                                              *
Dans les conversations, il est question du courageux et altruiste gendarme tué la veille à Trèbes en prenant la place de la femme otage lors de l’attaque du Super U par un terroriste islamiste. Ce qu’a fait Arnaud Beltrame est admirable. Peut-être même l’aurait-il fait s’il n’avait pas été militaire.
 

26 mars 2018


« Ici, c’est priorité à la fourrière », constatent ceux qui comme moi sont présents ce samedi vers sept heures et demie dans le quartier délimité par les rues Molière et des Augustins (dont deux chercheurs de vinyles de ma connaissance aussi dépités que je le suis). Le vide grenier rouennais le plus proche de mon domicile était autrefois organisé par un comité de quartier, il l’est maintenant par un privé. Celui-ci fait bloquer les voitures des exposants jusqu’à ce que la fourrière ait débarrassé les rues des voitures des malheureux qui se sont fait avoir. Aucun panneau réglementaire ne signale l’interdiction temporaire de stationner. Seules les affichettes roses de l’organisation l’indiquent, apposées ici et là sur des portes ou des vitrines. Encore faut-il les remarquer (et comprendre le français).
Quand les déballeurs peuvent enfin s’installer, nouveau constat : la banlieue est descendue sur la ville. Quelques habitants du quartier sont encore là et les éternels professionnels. Je fais le tour des premiers placés sans voir le moindre livre susceptible de m’intéresser puis quitte les lieux car ce samedi m’offre deux opportunités autrement prometteuses : les ventes de livres d’occasion des groupes de Rouen et de Val-de-Reuil d’Amnesty International.
                                                            *
Au volant de sa voiture sportive utilitaire agressive ce vendredi dans la rue piétonnière de la Champmeslé, claque-sonnant deux femmes qui le gênent, c’est le Directeur de l’Office de Tourisme de Rouen.
                                                            *
La vue est bien dégagée devant cet Office de Tourisme depuis que les arbres jouxtant la Cathédrale ont été taillés à ras du sol. Nul ne peut ignorer les moches immeubles de la reconstruction qu’ils cachaient plus ou moins. Un rassemblement en hommage aux arbres et aux oiseaux a lieu sur place ce samedi à quatorze heures auquel je ne peux être.
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Un père et son neuf/dix ans devant le Palais de Justice de Rouen (ancien Parlement de Normandie).
Le moutard :
-C’est qui celui qu’a construit ça encore ?
Le géniteur :
-Bah, c’est le même mec qu’a construit la cathédrale.
                                                           *
Deux hommes à cravate rue Martainville, l’un à l’autre :
-J’ai mandaté un p’tit bureau d’études pour faire une p’tite étude d’impact.
Je suppose qu’il veut monter une p’tite affaire.
 

23 mars 2018


Ce mercredi à sept heures cinquante-six, ce n’est pas le train Corail attendu qui se présente en gare de Rouen mais la bonne vieille bétaillère. Elle me permet néanmoins d’être à dix heures moins dix au Café du Faubourg où la volcanique serveuse est de retour mais éteinte. A l’ouverture, j’entre chez Book-Off et en ressors au bout d’une heure ayant peu alourdi mon sac. Cela tombe bien (comme on dit) car j’ai déjà avec moi les trois volumes des Chemins de la liberté de Jean-Paul Sartre dont les deux premiers dotés d’un envoi à Suzanne et Raymond Aron de la part de leur petit camarade, cette trilogie achetée cinq euros il y a quelques mois au marché d’Aligre.
Tapant « Sartre petit camarade » dans la barre Gougueule, je suis arrivé sur le site de l’Ecole Normale Supérieure et y ai vu un autre livre de Sartre, L’Imagination, avec un envoi de l’auteur à son « cher petit camarade Aron ». Il a été offert à la Bibliothèque des Lettres par Dominique Schnapper. Cela a répondu à ma question : quoi faire de mes trois livres, étant exclu que je me fasse de l’argent sur le dos de Sartre qui fut le plus désintéressé des hommes.
J’ai donc rendez-vous ce jour entre douze et treize heures avec Gilles Sosnowski, Conservateur en chef de la Bibliothèque des Lettres de l’Heuhennesse. Ce pourquoi je prends le bus Quatre-Vingt-Six et en descends à Collège de France. De là je remonte à pied jusqu’au Panthéon, le contourne, passe devant l’Hôtel des Grands Hommes dans une chambre duquel, au temps où il était moins luxueux, André Breton et Philippe Soupault ont inventé l’écriture automatique. Je tourne à droite, rue d’Ulm.
Presque au bout j’entre au numéro quarante-cinq. Une pompière m’invite à noter mes coordonnées et le motif de ma venue sur un cahier, à l’encre rouge, puis dans le bâtiment principal un gardien m’indique le chemin. Il faut traverser le jardin carré au jet d’eau où des étudiants profitent du soleil. Je connais ces lieux. J’y suis déjà entré une fois discrètement par la porte des livreurs avec celle qui est revenue lundi d’une semaine de vacances en Sicile.
Une aimable dame qui me dit être l’adjointe de Gilles Sosnowski le prévient de mon arrivée par téléphone. Elle me mène à l’étage. Il apparaît. Je le suis par un parcours labyrinthique jusqu’à son bureau et lui donne les trois ouvrages. Il me remercie.
-Est-ce que vous voulez une lettre de remerciement officielle signée de la Directrice.
-Non, ce n’est pas nécessaire.
Il me propose de me faire visiter la bibliothèque.
-Vous êtes déjà venu ici ?
-Oui une fois, clandestinement.
Il m’emmène d’abord dans la partie la plus ancienne où se trouve le buste du germaniste Lucien Herr, premier bibliothécaire de l’Heuhennesse, ami de Léon Blum, très impliqué lors de l’affaire Dreyfus, puis nous passons dans l’extension moderne. Six cent mille livres en accès direct, me dit-il, tous dotés d’une cotation spécifique à la maison, et jusqu’à présent aucun désherbage. Ici et là travaillent des élèves en silence. Je me souviens du moment passé ici avec celle qui me tenait la main mais plus des livres que nous avons ouverts.
Après un dernier merci, je redescends l’escalier et me voici dehors. La rue Mouffetard n’est pas loin, plus touristique que jamais, et le Verre à Pied fermé pour vacances. C’est près de la sortie de métro Censier Daubenton que je déjeune, rue de Grenelle, au Comptoir des Arts. La formule tartelette de légumes et rôti de porc au curry riz pilaf est à treize euros cinquante, le quart de vin du Gard à sept euros quatre-vingt-dix, le mobilier moderne, la musique electro, la clientèle un peu friquée.
Par la ligne Sept je rejoins Opéra, prends le café aux Ducs et quelques livres au second Book-Off. Gare Saint-Lazare, ce n’est pas la bétaillère attendue qui est à quai voie Dix-Neuf mais un bon vieux train Corail. Il part à l’heure puis tout se gâte, nous voici détournés sans explication par Conflans-Sainte-Honorine, d’où une arrivée à Rouen avec trente-cinq minutes de retard. J’apprendrai plus tard que ce crochet a eu pour cause des jets de pierres du côté d’Achères.
                                                       *
Au Comptoir des Arts, le starteupeur qui a rendez-vous avec une semblable :
-Tu peux me rappeler ton prénom ?
-Marylin.
Qu’on ne s’empresse pas de fantasmer.
                                                     *
Dans ce restaurant, comme dans beaucoup d’autres, on nourrit désormais la marmaille avec des mini-burgueurs et on lui apporte un pot de feutres et du papier comme traitement préventif de l’agitation.
                                                     *
Un mail de remerciement m’attendait au retour à Rouen, signé d’Emmanuelle Sordet, Directrice des Bibliothèques de l’Ecole Normale Supérieure. Notre point commun est d’avoir publié l’un et l’autre des textes dans la revue Décharge.
 

22 mars 2018


Danse ce mardi soir à l’Opéra de Rouen avec inaudible de Thomas Hauert, j’ai place au premier rang de corbeille, un peu décentré au-dessus d’une quinzaine d’élèves de l’option danse de je ne sais quel lycée. Que des filles, dont l’une est venue avec un sac en plastique orange dans lequel elle envisage de vomir.
Thomas Hauert est un chorégraphe suisse basé à Bruxelles. Son inaudible n’a pas de majuscule, il doit savoir pourquoi. Il fait partie du groupe de cinq danseurs qui, avec une danseuse, font d’abord magma bougeant au ralenti. Suit une période qui pourrait s’intituler « A chaque fois que je commence à danser, la musique s’arrête, c’est trop bête ». Enfin cela démarre vraiment, les six interprètes connaissent le boulot et l’exercent sur la musique de George Gershwin et de Mauro Lanza. Je vois cette chorégraphie comme une série d’exercices que feraient des danseurs et une danseuse avant de commencer le spectacle et trouve ça bien long. Quand à la fin se font entendre de forts applaudissements et des bravos, je constate que je dois avoir été le seul à m’ennuyer.
Il faut dire qu’il y a un certain nombre de scolaires (comme on dit) dans la salle. A cet âge, on s’enthousiasme facilement. De plus, Thomas Hauert sait que, comme l’écrivait Francis Scott Fitzgerald à sa fille Scottie, si l’on veut déclencher des applaudissements triomphaux, il faut jouer ou faire jouer de la musique forte, rapide et aigue, ce par quoi s’achève inaudible.
Au moins, la lycéenne malade n’a pas utilisé son sac.
                                                           *
En rentrant je passe par la Cathédrale dont le parvis vient d’être débarrassé des arbres qui, selon ceux qui commandent, gênaient sa vue. Le voisinage leur reprochait aussi de servir de refuge aux étourneaux bruyants à l’automne. Allez hop, débités à la tronçonneuse.
                                                           *
L’après-midi de ce mardi, au café Le Grand Saint Marc, la sexagénaire voisine m’interpelle pendant que son mari est parti aux toilettes :
-Qu’est-ce que vous lisez, monsieur ?
-C’est la correspondance de Dashiell Hammett.
-Aaah, je peux voir ?
Je lui montre la couverture.
-Aaaaah, qui c’était lui ?
 

21 mars 2018


J’ai la même place en corbeille que vendredi ce dimanche à l’Opéra de Rouen où le jazz remplace la musique religieuse. Deux groupes sont au programme, le Christian Scott Ensemble et le Donny McCaslin Quartet, jazz noir et jazz blanc.
A dix-huit heures, Michel Jules de Rouen Jazz Action fait sa présentation coutumière puis entrent en scène quatre musiciens suivis de Christian Scott, originaire de La Nouvelle Orléans, chaînes en or autour du cou. C’est de la musique dans laquelle chacun fait souvent son numéro, m’as-tu vu m’as-tu ouï. Un guitariste les rejoint, invité du coin. Christian Scott a un gros défaut : il parle trop. Cela commence avec la présentation extrêmement longue de ses musiciens, en anglais bien sûr, sans se soucier du fait que les neuf dixièmes de la salle ne le comprennent pas. Il remet ça pour évoquer son identité de Black Indian. Son père et son grand-père étaient chefs de tribu. On a droit au couplet sur le respect du droit à la différence. Il est même question du salaire des femmes inférieur à celui des hommes. Après ce prêche interminable, la musique reprend enfin.
Pendant l’entracte, certains spectateurs font le choix de s’en aller. A la reprise, Donny McCaslin, originaire de Santa Cruz, dont le titre de gloire est d’avoir participé au dernier album de David Bowie, entre en scène avec ses trois compagnons. Eux jouent davantage ensemble, même si des solos de bravoure font de chacun le héros du moment. Leur musique n’est pas du goût de tout le monde. A chaque fin de morceau, une poignée de spectateurs s’enfuit. Je n’avais plus vu ça depuis certains spectacles de danse à la grande époque de Laurent Langlois, Directeur. Bientôt je n’ai plus aucun voisin. J’imagine qu’au milieu des rangs certains ont aussi envie de partir mais n’osent pas déranger. Avec ce concert, Michel Jules a réussi à dégoûter du jazz pas mal des abonnés de l’Opéra. Donny McCaslin parle peu. En anglais bien sûr, mais il s’efforce de dire quelques mots en français en s’aidant d’un papier sorti de sa poche. On apprend qu’il regrette Obama. Vu l’obscurité dans la salle, je ne pense pas qu’il se rende compte que sa musique a fait fuir une partie du public. Je reste jusqu’au bout parce que je suis partagé. Ça ne me plaît guère mais ça ne me déplaît pas. A la fin, les applaudissements tournent court. Point de rappel, tout le monde file, chacun un peu assourdi par le volume sonore subi.
Si j’avais apprécié les précédents concerts de Rouen Jazz Action, c’est que ce n’était pas du jazz pur sucre. Le prochain (et dernier de mon abonnement), ce sera Henri Texier suivi de Michel Portal, du jazz français. Je me ferai porter pâle.
Il neigeote à la sortie mais ça ne tient que sur les voitures et les poubelles. Vingt et une heures sonnent quand j’arrive chez moi. Sur France Culture commence un hommage à Serge Rezvani enregistré à la Maison de la Poésie dont je me réjouis avant de déchanter. Les reprises de ses chansons par Delerm, Dani et autres sont fades et la présentation qu’en fait Helena Noguerra niaise. On se croirait au spectacle de fin d’année de l’association culturelle du quartier.
                                                                   *
Comme chaque année, France Culture est à Livre Paris (ex Salon du Livre) et cette fois sans brouhaha parasite, c’est-à-dire audible.
Audible, c’est aussi le nom de l’application de livres audio pour laquelle cette radio fait de la publicité chaque matin à neuf heures, une nouveauté fâcheuse.
                                                                  *
« Cette année, Rush devient payant pour maîtriser le flux de public et pouvoir rester sur le beau site de la presqu’île Rollet. », communique le Cent Six (Scène de Musiques Zactuelles de Rouen).
Rush c’était parfait quand les spectacles avaient lieu en divers endroits du centre ville dans un léger parfum de subversion. Derrière les grilles du lointain parc arboré gardé par des vigiles, cela n’avait déjà plus le même intérêt. Je l’ai constaté il y a deux ans (l’an dernier j’étais absent). Maintenant que c’est devenu payant, on ne me verra pas me hâter vers la presqu’île Rollet. Payer, c’est adhérer à la programmation et puis, comme dans un vulgaire festival, il y aura bracelet autour du poignet ou tamponnage de la main, ce à quoi je suis rétif.
Le parrain de Rush cette année est Rodolphe Burger. J’aime bien sa musique et l’ai vu autrefois au Hangar Vingt-Trois. La salle était à moitié vide. Un grand rideau noir installé à mi-hauteur tentait de cacher cet insuccès.
 

20 mars 2018


Le parapluie est indispensable pour aller jusqu’à l’Opéra de Rouen ce vendredi soir, où Laurence Equilbey doit diriger l’Orchestre et le chœur accentus pour un concert Liszt et Gounod, deux pieux.
J’ai une bonne place en corbeille, côté impair. Des étudiants en audiovisuel du lycée Suger, situé dans le quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis, ont placé des caméras ici et là afin de réaliser un reportage sur la soirée. Il fallait se faire connaître à l’accueil si on ne voulait pas être sur les images. Je n’ai pas été jusque là mais espère de pas apparaître.
« Une fois n’est pas coutume », Laurence Equilbey prend le micro posé sur son pupitre et présente la première partie du programme constituée de Von der Wiege biz zum Grabe (Du berceau à la tombe), œuvre de la fin de Franz Liszt, Die heilige Cäcilia (Légende de Sainte Cécile) du même et Hymne à Sainte Cécile de Charles Gounod. La légende est chantée par la mezzo-soprano Julie Boulianne et l’hymne a pour violon solo la talentueuse Elisabeth Glab.
Après l’entracte, Laurence Equilbey revient sur scène accompagnée de Pascal Escande, fondateur et directeur du Festival d’Auvers-sur-Oise. Cet ancien professeur de l’Institution Notre-Dame de la Compassion à Pontoise nous explique comment le manuscrit oublié du Saint François d’Assise de Charles Gounod lui a été transmis par la supérieure de la congrégation des Sœurs de la Charité de Saint-Louis avec qui il était resté en contact et à qui il écrivait « pour les cinq fêtes ». Laurence Equilbey et son chœur accentus l’ont enregistré à la Philharmonie de Paris en deux mille seize et on nous fait l’honneur de nous le redonner avec pour solistes le ténor Abdellah Lasri et la basse Virgile Ancely.
Cette soirée m’est agréable bien que j’aie l’impression d’être constamment aspergé d’eau bénite. En remerciement des applaudissements, la cheffe nous offre en bis un extrait de l’œuvre oubliée auquel elle donne pour nom « l’extase mystique de Saint François ».
                                                             *
Ce même vendredi à la bibliothèque Simone-de-Beauvoir était donnée une lecture/spectacle de Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes de Charb suivie d’une rencontre avec Marika Bret, la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo, lecture/spectacle et rencontre auxquelles j’ai renoncé pour la musique religieuse de l’Opéra.
                                                             *
Quatre mille six cents demandes pour soixante places au Bétéhesse Audiovisuel du Lycée Suger, m’apprend Ouiquipédia. En mars deux mille dix-sept, une émeute eut lieu dans cet établissement, pour une autre raison, qui mena cinquante-cinq lycéen(ne)s dont quarante-quatre mineur(e)s en garde à vue.
 

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