Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
7 juin 2018
Faut-il qu’il fasse beau pour que j’aille quand même, avec la quasi-certitude de n’y rien trouver, pédestrement, jusqu’au lointain quartier Saint-Julien, rive gauche de Rouen. A cette heure matutinale ne sont dans les rues que les alcoolisés du ouiquennede. Certains bousculent les grillages protégeant les travaux sur le pont Boïeldieu.
La rue Saint-Sever est elle aussi en travaux, près de l’église du même nom. Les arbres ont morflé dans ce quartier où je ne vais plus. Il faut ensuite remonter la longue rue Saint-Julien jusqu’au rond-point. Au-delà de celui-ci les déballeurs sont déjà plus ou moins installés. J’ai confirmation de mon intuition, point de livres à mon goût. A en juger par ceux montrés, les habitants du quartier semblent avoir des soucis familiaux, liés notamment à l’anorexie et à l’autisme.
Je m’acharne à parcourir deux fois l’ensemble du déballage puis renonce. Prêt à rentrer en métro, je découvre sans réelle surprise que le prochain est dans vingt minutes. J’y renonce et fais bien car place Clemenceau je rencontre un chasseur de vinyles avec qui c’est toujours agréable de parler.
Il rentre du même lieu que moi, près duquel il habite, quasiment bredouille. Craignant de ne pouvoir se garer au retour, il n’a pas pris sa voiture pour aller au marché dominical du Clos Saint-Marc. Nous traversons la Seine de concert puis remontons la rue de la République en devisant. Il est question de Jean-Jacques Lebel et du Living Theatre, puis de Cami qu’il vient de découvrir.
*
L’emmerdeur. Il demande à quelle heure ça ouvre le Son du Cor alors que c’est écrit midi sur la porte. Je le snobe. Un autre lui dit midi. Il n’a pas l’heure alors il se penche vers ma montre pour regarder. Pas de chance, elle n’a pas de chiffres mais les vingt-six lettres de l’alphabet. Il n’y comprend rien. Bon bah je vais ailleurs, qu’il dit.
*
Mes élèves de maternelle aimaient bien ma montre alphabet. Je me souviens d’une prénommée Wendy à Igoville qui, à la récréation, surveillait l’avance de la grande aiguille vers l’initiale de son nom.
-Quelle heure il est ?
-Wendy moins le quart.
*
Cette montre Akteo, je l’ai achetée pour mes cinquante ans. Elle a donc dix-sept ans, n’est tombée en panne qu’une fois.
La rue Saint-Sever est elle aussi en travaux, près de l’église du même nom. Les arbres ont morflé dans ce quartier où je ne vais plus. Il faut ensuite remonter la longue rue Saint-Julien jusqu’au rond-point. Au-delà de celui-ci les déballeurs sont déjà plus ou moins installés. J’ai confirmation de mon intuition, point de livres à mon goût. A en juger par ceux montrés, les habitants du quartier semblent avoir des soucis familiaux, liés notamment à l’anorexie et à l’autisme.
Je m’acharne à parcourir deux fois l’ensemble du déballage puis renonce. Prêt à rentrer en métro, je découvre sans réelle surprise que le prochain est dans vingt minutes. J’y renonce et fais bien car place Clemenceau je rencontre un chasseur de vinyles avec qui c’est toujours agréable de parler.
Il rentre du même lieu que moi, près duquel il habite, quasiment bredouille. Craignant de ne pouvoir se garer au retour, il n’a pas pris sa voiture pour aller au marché dominical du Clos Saint-Marc. Nous traversons la Seine de concert puis remontons la rue de la République en devisant. Il est question de Jean-Jacques Lebel et du Living Theatre, puis de Cami qu’il vient de découvrir.
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L’emmerdeur. Il demande à quelle heure ça ouvre le Son du Cor alors que c’est écrit midi sur la porte. Je le snobe. Un autre lui dit midi. Il n’a pas l’heure alors il se penche vers ma montre pour regarder. Pas de chance, elle n’a pas de chiffres mais les vingt-six lettres de l’alphabet. Il n’y comprend rien. Bon bah je vais ailleurs, qu’il dit.
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Mes élèves de maternelle aimaient bien ma montre alphabet. Je me souviens d’une prénommée Wendy à Igoville qui, à la récréation, surveillait l’avance de la grande aiguille vers l’initiale de son nom.
-Quelle heure il est ?
-Wendy moins le quart.
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Cette montre Akteo, je l’ai achetée pour mes cinquante ans. Elle a donc dix-sept ans, n’est tombée en panne qu’une fois.
6 juin 2018
Sorti repu du Ferry-Boat, je longe la mer pour arriver au Musée Malraux, MuMa de son petit nom. Ses portes sont grandes ouvertes et nulle somme n’est à débourser au guichet pour cause de premier samedi du mois. Mon sac déposé dans un casier translucide, je franchis la porte qui mène à l’exposition thématique Né(e)s de l’écume et des rêves. On y est accueilli par trois représentations de Vénus de l’époque des pompiers où elle est néanmoins agréable à regarder. Viennent ensuite des sirènes, divers animaux marins, des plantes aquatiques et quelques naïades. Cela sous forme de tableaux, photographies, dessins, sculptures, installations et vidéos. C’est une exposition intéressante dont j’élis quelques œuvres : Nautinus de Sandra Vasquez de la Horra montrant l’étreinte entre un poulpe et un humain de sexe indéterminé, l’étonnante Reine Victoria en coquillages de Pascal Désir Maisonneuve, Vers nulle part une vidéo de Simon Faithfull dans laquelle un homme vu de dos marche au fond de la mer la chemise gonflée par les eaux, les trois photos noir et blanc de Rogi André Jacqueline Lamba (la nymphe) où l’on voit celle-ci nageant nue, et la Femme poisson de Rodin à la bouche si évocatrice.
-Non on y va, dit une mère à sa fille dans les dix ans allongée sur le sol pour dessiner le Capitaine Nemo de Pierre et Gilles, on ne va pas passer l’après-midi ici.
A travers les rideaux qui permettent de distinguer les immeubles Perret sont visibles deux jeunes femmes sur un balcon. Elles prouvent qu’il n’est pas nécessaire d’être sur la plage pour ne porter qu’un bikini. Je les photographie à leur insu. Une sexagénaire me lance un regard courroucé. S’il y avait un signal d’alarme, elle le tirerait.
Après être repassé par la collection permanente qui s’ouvre sur des petits Boudin, je récupère mon sac à dos et vais musarder sur le quai puis sur la digue. Le port de plaisance est fort animé en mouvements de bateaux.
-Elle est contente hein ? dit un homme
-Bah, ça la change, répond sa femme
Ils parlent de leur chienne qui trotte devant eux.
Le chemin jusqu’à la gare me semble bien long. Près du but, je bois un diabolo menthe à l’une des rares tables à l’ombre de l’Hôtel Restaurant La Baraka. A la table voisine, malgré la présence de sa fille de cinq ans, une jeune divorcée drague un beau mec qui ne veut pas les accompagner à la plage.
-Il faut que je passe l’aspirateur et la serpillière, c’est crado chez moi.
-Si tu veux, moi je le fais ton ménage.
-Ok, je te donne les clés et je vais faire un tour, lui propose-t-il.
Elle veut bien faire son ménage mais en sa présence. Finalement, il les emmène elle et sa fille avec sa voiture. Elle passera l’aspirateur et lui la serpillière. Certaines femmes sont douées pour faire leur malheur.
En ce jour de grève de cheminots, le train de seize heures cinquante-quatre pour Rouen, qui doit aller jusqu’à Paris, est en panne. Un deuxième le remplace. Quand tout le monde y est installé, la Senecefe s’aperçoit qu’il n’y aura pas assez de place pour les voyageurs qui monteront à Vernon et à Mantes-la-Jolie. Tout le monde doit descendre et s’installer dans un troisième. Cela ne fait qu’un quart d’heure de retard au départ et à l’arrivée.
Le collectif « Rouen dans la rue » a bien réussi son coup avec la Grande Braderie. Me frayer un chemin jusqu’à chez moi dans la foule avide de se fringuer à moindre prix est une épreuve dont je sors indemne et énervé.
*
Sur les cartels du MuMa, on nomme les artistes par leur vrai nom : Rudolf Gustav Maria Ernst Ubach dit Raoul Ubac, Emmanuel Radnitsky dit Man Ray.
-Non on y va, dit une mère à sa fille dans les dix ans allongée sur le sol pour dessiner le Capitaine Nemo de Pierre et Gilles, on ne va pas passer l’après-midi ici.
A travers les rideaux qui permettent de distinguer les immeubles Perret sont visibles deux jeunes femmes sur un balcon. Elles prouvent qu’il n’est pas nécessaire d’être sur la plage pour ne porter qu’un bikini. Je les photographie à leur insu. Une sexagénaire me lance un regard courroucé. S’il y avait un signal d’alarme, elle le tirerait.
Après être repassé par la collection permanente qui s’ouvre sur des petits Boudin, je récupère mon sac à dos et vais musarder sur le quai puis sur la digue. Le port de plaisance est fort animé en mouvements de bateaux.
-Elle est contente hein ? dit un homme
-Bah, ça la change, répond sa femme
Ils parlent de leur chienne qui trotte devant eux.
Le chemin jusqu’à la gare me semble bien long. Près du but, je bois un diabolo menthe à l’une des rares tables à l’ombre de l’Hôtel Restaurant La Baraka. A la table voisine, malgré la présence de sa fille de cinq ans, une jeune divorcée drague un beau mec qui ne veut pas les accompagner à la plage.
-Il faut que je passe l’aspirateur et la serpillière, c’est crado chez moi.
-Si tu veux, moi je le fais ton ménage.
-Ok, je te donne les clés et je vais faire un tour, lui propose-t-il.
Elle veut bien faire son ménage mais en sa présence. Finalement, il les emmène elle et sa fille avec sa voiture. Elle passera l’aspirateur et lui la serpillière. Certaines femmes sont douées pour faire leur malheur.
En ce jour de grève de cheminots, le train de seize heures cinquante-quatre pour Rouen, qui doit aller jusqu’à Paris, est en panne. Un deuxième le remplace. Quand tout le monde y est installé, la Senecefe s’aperçoit qu’il n’y aura pas assez de place pour les voyageurs qui monteront à Vernon et à Mantes-la-Jolie. Tout le monde doit descendre et s’installer dans un troisième. Cela ne fait qu’un quart d’heure de retard au départ et à l’arrivée.
Le collectif « Rouen dans la rue » a bien réussi son coup avec la Grande Braderie. Me frayer un chemin jusqu’à chez moi dans la foule avide de se fringuer à moindre prix est une épreuve dont je sors indemne et énervé.
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Sur les cartels du MuMa, on nomme les artistes par leur vrai nom : Rudolf Gustav Maria Ernst Ubach dit Raoul Ubac, Emmanuel Radnitsky dit Man Ray.
5 juin 2018
Direction Le Havre ce premier samedi de juin, dans un double petit Téheuherre parti de Rouen à sept heures précises et qui s’arrête partout, y compris à Foucart-Alvimare où la gare est murée. J’y ai un compartiment pour moi seul et suis heureusement en règle, car je découvre que dans ce genre de train, même un jour de grève, les billets peuvent être contrôlés.
A huit heures sept environ, je sors de la gare. Comme chaque fois, je suis les rails du tramouais jusqu’à l’Hôtel de Ville puis prends à gauche vers la mer, avec pour point de mire l’installation du double arceau de conteneurs colorés. Je m’arrête aux volcans grand et petit afin de repérer l’entrée de la bibliothèque Oscar Niemeyer. On y désherbe ce ouiquennede. L’endroit est photogénique, je sors mon appareil puis cherche où boire un café.
Trouver un bar ouvert au Havre le samedi à neuf heures, c’est difficultueux. Quartier Saint-François, Le Bon Coin est à demi ouvert. J’y vais au petit coin puis m’installe à la petite table ronde pour terminer la lecture d’Elise de Marcel Jouhandeau. Au comptoir, deux habitués sont rejoints par beaucoup d’autres plutôt jeunes. Quand il entre, chaque nouveau venu serre la main de tous les présents, y compris la mienne « bonjour, ça va ? ». On est comme ça au Havre, du moins ici. Tous carburent à la bière ou au vin blanc mais ce ne sont pas pour autant des pochards.
La vente des livres retirés de l’inventaire a pour nom Grande Braderie des Bibliothèques du Havre et doit commencer à onze heures. Ce pourquoi je quitte le Bon Coin vers dix heures et quart. Quand j’arrive au petit volcan, une file d’attente déjà imposante est visible derrière les barrières métalliques toutes neuves chargées de la canaliser, une file assise sur le petit muret blanc. Je pose mes fesses à la suite des autres. Plus qu’à attendre en profitant du soleil et en écoutant la conversation des deux jeunes femmes me précédant. L’une raconte que son bébé est obsédé par son zizi en ce moment. L’autre lui répond de ne pas s’en faire, cela lui passera. Derrière, la file s’allonge considérablement.
A l’heure dite, la porte s’ouvre. Tout le monde se lève et avance en suivant à l’intérieur un chemin balisé par du ruban rouge et blanc. Au bout, un pompier compte les entrants. Quand un certain nombre est atteint, il bloque la file. Je me félicite d’être arrivé sévèrement en avance.
Les bibliothécaires havrais ont désherbé avec parcimonie. Ce n’est pas ici que je vais trouver merveille. D’autres qui n’ont pas la même recherche remplissent des sacs à ne plus pouvoir les porter. Au bout d’un moment, une voix féminine demande aux présents de faire vite avant de laisser place aux suivants. Quand le pompier laisse entrer la deuxième vague, je juge inutile de persister et me place dans la file de sortie. Il faut faire enregistrer ses achats, on reçoit un bordereau, on va payer plus loin puis on suit des flèches jusqu’à la sortie. On est bigrement organisé ici. Devant l’entrée, la file d’attente ne semble pas avoir diminué.
Trouver un restaurant pas trop cher au Havre le samedi midi, c’est difficultueux. Après une vaine tentative à l’Hôtel Restaurant des Gens de Mer où manifestement on est encore à l’heure soviétique, j’échoue en bord de mer au Ferry-Boat. L’aimable patron me donne une table à l’ombre en terrasse. La vue est imprenable sur l’immeuble flottant Costa Pacifica, paquebot de croisière où l’on n’est pas superstitieux car il dispose de treize canots de sauvetage de chaque côté. A sa gauche, le ferry pour l’Angleterre. A sa droite, le double arceau de conteneurs colorés.
Je prends la formule plat dessert café à quatorze euros et commande des tripes à la mode de Caen, le genre de plat qu’il vaut mieux manger seul, cela évite d’entendre « comment peux-tu aimer un truc pareil ? » J’accompagne ce mets raffiné d’un quart de vin rouge corse à six euros. Le dessert est une tarte au citron meringuée que je ne jurerais pas de la maison.
*
Un buveur de bière du Bon Coin :
-Tu sais que c’est rétroactif, qu’a m’a dit. Ouah l’autre, elle a été à l’école plus que moi.
Il parle de son ex femme qui lui a permis de récupérer pas mal d’argent. Du coup, il lui a versé une bonne somme. La banque s’en est étonnée. « Bah quoi, c’est mon argent, j’en fais ce que je veux. »
A huit heures sept environ, je sors de la gare. Comme chaque fois, je suis les rails du tramouais jusqu’à l’Hôtel de Ville puis prends à gauche vers la mer, avec pour point de mire l’installation du double arceau de conteneurs colorés. Je m’arrête aux volcans grand et petit afin de repérer l’entrée de la bibliothèque Oscar Niemeyer. On y désherbe ce ouiquennede. L’endroit est photogénique, je sors mon appareil puis cherche où boire un café.
Trouver un bar ouvert au Havre le samedi à neuf heures, c’est difficultueux. Quartier Saint-François, Le Bon Coin est à demi ouvert. J’y vais au petit coin puis m’installe à la petite table ronde pour terminer la lecture d’Elise de Marcel Jouhandeau. Au comptoir, deux habitués sont rejoints par beaucoup d’autres plutôt jeunes. Quand il entre, chaque nouveau venu serre la main de tous les présents, y compris la mienne « bonjour, ça va ? ». On est comme ça au Havre, du moins ici. Tous carburent à la bière ou au vin blanc mais ce ne sont pas pour autant des pochards.
La vente des livres retirés de l’inventaire a pour nom Grande Braderie des Bibliothèques du Havre et doit commencer à onze heures. Ce pourquoi je quitte le Bon Coin vers dix heures et quart. Quand j’arrive au petit volcan, une file d’attente déjà imposante est visible derrière les barrières métalliques toutes neuves chargées de la canaliser, une file assise sur le petit muret blanc. Je pose mes fesses à la suite des autres. Plus qu’à attendre en profitant du soleil et en écoutant la conversation des deux jeunes femmes me précédant. L’une raconte que son bébé est obsédé par son zizi en ce moment. L’autre lui répond de ne pas s’en faire, cela lui passera. Derrière, la file s’allonge considérablement.
A l’heure dite, la porte s’ouvre. Tout le monde se lève et avance en suivant à l’intérieur un chemin balisé par du ruban rouge et blanc. Au bout, un pompier compte les entrants. Quand un certain nombre est atteint, il bloque la file. Je me félicite d’être arrivé sévèrement en avance.
Les bibliothécaires havrais ont désherbé avec parcimonie. Ce n’est pas ici que je vais trouver merveille. D’autres qui n’ont pas la même recherche remplissent des sacs à ne plus pouvoir les porter. Au bout d’un moment, une voix féminine demande aux présents de faire vite avant de laisser place aux suivants. Quand le pompier laisse entrer la deuxième vague, je juge inutile de persister et me place dans la file de sortie. Il faut faire enregistrer ses achats, on reçoit un bordereau, on va payer plus loin puis on suit des flèches jusqu’à la sortie. On est bigrement organisé ici. Devant l’entrée, la file d’attente ne semble pas avoir diminué.
Trouver un restaurant pas trop cher au Havre le samedi midi, c’est difficultueux. Après une vaine tentative à l’Hôtel Restaurant des Gens de Mer où manifestement on est encore à l’heure soviétique, j’échoue en bord de mer au Ferry-Boat. L’aimable patron me donne une table à l’ombre en terrasse. La vue est imprenable sur l’immeuble flottant Costa Pacifica, paquebot de croisière où l’on n’est pas superstitieux car il dispose de treize canots de sauvetage de chaque côté. A sa gauche, le ferry pour l’Angleterre. A sa droite, le double arceau de conteneurs colorés.
Je prends la formule plat dessert café à quatorze euros et commande des tripes à la mode de Caen, le genre de plat qu’il vaut mieux manger seul, cela évite d’entendre « comment peux-tu aimer un truc pareil ? » J’accompagne ce mets raffiné d’un quart de vin rouge corse à six euros. Le dessert est une tarte au citron meringuée que je ne jurerais pas de la maison.
*
Un buveur de bière du Bon Coin :
-Tu sais que c’est rétroactif, qu’a m’a dit. Ouah l’autre, elle a été à l’école plus que moi.
Il parle de son ex femme qui lui a permis de récupérer pas mal d’argent. Du coup, il lui a versé une bonne somme. La banque s’en est étonnée. « Bah quoi, c’est mon argent, j’en fais ce que je veux. »
4 juin 2018
Les places sont non numérotées cette année pour la soirée de présentation de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf à l’Opéra de Rouen. En conséquence, ça s’agglutine devant les portes de la salle dans l’attente de l’ouverture. J’observe comment le plus grand des abonnés de première catégorie se faufile entre ceux qui étaient là avant lui, suivi de sa femme et des amis de même acabit. Au feu vert, il est en tête de la bousculade.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. » Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
*
« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
*
Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.
Ce beau monde trouve à s’asseoir sans déchoir, c’est-à-dire au premier rang de la corbeille, même si ce n’est pas sur les sièges qui au fil des années ont pris la forme de leur fessier.
Je me contente d’une place en loge, au plus près de la sortie. Deux femmes m’y tiennent compagnie puis arrivent deux autres, dont l’une en fauteuil. Nous nous serrons : deux à gauche, deux à droite, moi au milieu. Cela devient intime.
A vingt heures, depuis le fond de la scène marchent vers nous quatre hommes que personne n’applaudit. Il faut que les techniciens dans la loge à notre droite tapent fort dans leurs mains pour qu’une partie du public les suive.
Le premier est Loïc Lachenal, nouveau Directeur, qui dit bonjour merci. Il passe le relais au deuxième, Hervé Morin, Duc de Normandie, Président de l’Opéra, qui parle cinq minutes pour se flatter du label Théâtre Lyrique d’Intérêt National puis passe le relais au troisième, Frédéric Sanchez, Chef de La Métropole, qui parle cinq minutes pour annoncer que désormais l’Opéra de Rouen est localement de son ressort puis passe le relais au quatrième, Jean-Paul Ollivier, Drac de Normandie, qui excuse l’absence de la Préfète. Je n’en applaudis aucun et je ne suis pas le seul. Les trois derniers s’éclipsent.
Loïc Lachenal se place devant un prompteur et énumère les spectacles de la saison prochaine tandis que derrière lui sont diffusées des images arrêtées ou mouvantes illustrant ses propos.
-Vous comprenez ce qu’il dit, me demande ma voisine de droite, ou c’est moi qui entends mal.
-Il a des problèmes d’élocution, lui dis-je.
-Et il ne parle jamais de musique, constate la voisine en fauteuil.
Pas de thème pour cette année mais une couleur d’affiche : le rose fluo. La même en couverture des programmes. Moins de spectacles au Théâtre des Arts. Davantage à la Chapelle Corneille, cette salle trop dorée que je ne supporte pas. Des habitués (accentus, Pécou, Poème Harmonique et autres). Des déjà venus (Fabre, Preljocaj et autres). Beaucoup de divertissement (concerts goûter, opéras participatifs et au tournant du changement d’année, c’est les fêtes, soyons bêtes : Mam’selle Nitouche, Les Parapluies de Cherbourg et Music of Abba). L’Opéra récupérant L’Etincelle, l’un des débris du Hangar Vingt-Trois, il y aura aussi de la musique du monde. « Plus de jazz », déplore ma voisine de gauche.
Arrivé au bout de sa liste, Loïc Lachenal passe vite sur les nouvelles formules d’abonnement, dont la plus favorable propose le moitié prix pour vingt spectacles ou plus. Un dépliant compliqué permet de réserver sur papier. Je plains les employé(e)s de la billetterie.
Comme final, on assiste à un grand moment de démagogie à double détente.
Acte un : surjouant l’émotion, Loïc Lachenal évoque un gars de la technique qui part à la retraite ce soir même et dont la photo apparaît sur l’écran géant.
Acte deux : il invite sur scène des représentants des différents corps de métier qui œuvrent en commun pour la réussite de ce magnifique établissement, parmi eux des musiciens qui se font instrumentaliser et le retraité réjoui que le nouveau Directeur prend dans ses bras pour un câlin à l’américaine.
A aucun moment Loïc Lachenal n’a cité le nom de son prédécesseur : Frédéric Roels, ni même ne l’a évoqué indirectement.
-Tout ça ne donne pas vraiment envie d’assister à des spectacles, me dit la voisine en fauteuil.
-Non, mais les images ça peut donner envie d’aller au cinéma, lui réponds-je.
Ces voisines, bien que navrées, sont néanmoins prêtes à accepter la nouvelle règle du jeu et à cocher les petites cases du bulletin d’abonnement. Pas moi.
Des flûtes emplies de liquide rose fluo nous attendent sur le bar. Je demande à l’une des serveuses ce que c’est. Une sorte de kir amélioré. « Moins cher que le champagne », lui dis-je. Elle ne se hasarde pas à commenter.
Sur les tables sont présentées des purées de légumes et du pain pour les étaler. « C’est furieusement écologique, dis-je à l’un des serveurs, dommage que ce ne soit plus les cochonneries des années précédentes. » Il ne se hasarde pas à commenter.
Je m’aide de quelques cubes de fromage pour boire jusqu’au bout la mixture rose fluo bien trop sucrée puis je vais reposer mon verre. Il est neuf heures vingt. Je quitte les festivités. Devant moi, un sac en plastique à la main, marche Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action, vite parti lui aussi.
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« Et, avec David Bobée, metteur en scène dont je me sens très proche, nous ferons à la Chapelle Corneille un pastiche d’œuvres de Haendel interprétées par des acrobates. Un spectacle à tendance féministe qui sera assez sympa, je pense. » (Loïc Lachenal, interrogé par forumopera com)
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Quand on craint de n’être pas applaudi pour soi-même, on se fait applaudir au milieu d’autres qui le méritent.
2 juin 2018
Alerté par je ne sais quel signal mental, je fais une recherche ce mardi pour trouver la date de la vente de livres d’occasion de l’association La Bibliothèque à l’Hôpital qui se tient chaque année au Céhachu de Rouen et découvre que c’est ce jeudi à dix heures (je l’ai manquée l’an dernier faute d’information). Il s’agit pour l’association de vendre des livres un euro pour en acheter d’autres au bénéfice des malades.
Dès neuf heures et quart je suis en chemin. J’entre par la porte Germont d’où l’on rejoint facilement l’anneau central où a lieu le déballage. Arrivé sur place, je constate que je ne suis pas assez en avance. La vente est déjà en cours. Beaucoup de blouses blanches se pressent autour des tables, ainsi qu’un hospitalisé qui promène une perfusion à l’aide d’une potence à roulettes et un plus ou moins bouquiniste de ma connaissance.
Il y a deux ans, parmi les livres vendus, certains étaient quasiment neufs et le choix était grand. Ce n’est pas le cas cette fois. La plupart des ouvrages proposés sont des romans peu récents de qualité variable. Le semi professionnel rafle ce qu’il peut dans les ouvrages d’histoire.
Pour ma part, je suis quand même satisfait de trouver Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), auteur qui m’intéresse pour l’avoir entendu sur France Culture. Dire notamment que si d’autres sont sur les réseaux sociaux, lui est sur les réseaux asociaux. J’espère ne pas être déçu par la lecture du récit de son voyage pédestre en diagonale dans la France.
Il n’est pas encore l’heure officielle d’ouverture de la vente au public lorsque je quitte le Centre Hospitalier Universitaire Charles-Nicolle.
*
Autre auteur m’ayant séduit par ses propos sur France Culture : Aurélien Bellanger. Grosse déception avec son roman La théorie de l’information (Gallimard), acheté un euro chez Book-Off, et lu en diagonale dans mon lit. C’est lourd, démonstratif, ennuyeux.
Dès neuf heures et quart je suis en chemin. J’entre par la porte Germont d’où l’on rejoint facilement l’anneau central où a lieu le déballage. Arrivé sur place, je constate que je ne suis pas assez en avance. La vente est déjà en cours. Beaucoup de blouses blanches se pressent autour des tables, ainsi qu’un hospitalisé qui promène une perfusion à l’aide d’une potence à roulettes et un plus ou moins bouquiniste de ma connaissance.
Il y a deux ans, parmi les livres vendus, certains étaient quasiment neufs et le choix était grand. Ce n’est pas le cas cette fois. La plupart des ouvrages proposés sont des romans peu récents de qualité variable. Le semi professionnel rafle ce qu’il peut dans les ouvrages d’histoire.
Pour ma part, je suis quand même satisfait de trouver Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson (Gallimard), auteur qui m’intéresse pour l’avoir entendu sur France Culture. Dire notamment que si d’autres sont sur les réseaux sociaux, lui est sur les réseaux asociaux. J’espère ne pas être déçu par la lecture du récit de son voyage pédestre en diagonale dans la France.
Il n’est pas encore l’heure officielle d’ouverture de la vente au public lorsque je quitte le Centre Hospitalier Universitaire Charles-Nicolle.
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Autre auteur m’ayant séduit par ses propos sur France Culture : Aurélien Bellanger. Grosse déception avec son roman La théorie de l’information (Gallimard), acheté un euro chez Book-Off, et lu en diagonale dans mon lit. C’est lourd, démonstratif, ennuyeux.
1er juin 2018
C’est la bonne vieille bétaillère que se présente en gare de Rouen ce mercredi à sept heures vingt-quatre, l’assurance d’avoir place assise pour tout le monde. La mienne est à l’étage, pas loin d’un homme qui, à peine assis, sort son instrument. Il est tout rouge et a pour nom accordéon. Il y branche une paire d’écouteurs et ouvre la Méthode d’accordéon chromatique de Médard Ferrero. A l’arrivée dans la capitale, ce musicien silencieux ouvre une trappe de l’accordéon, enlève l’une des piles qui ne s’usent pas que si l’on s’en sert puis remet l’instrument dans sa boîte.
Le bus Vingt m’emmène à Bastille. Le monument est enfin débarrassé de ses échafaudages et de la toile publicitaire géante qui les cachait. Le voilà refait à neuf mais déjà graffité : « Marée populaire / Ecume amère », lucide constat du nouvel échec de Mélenchon.
Je slalome entre les nombreuses flaques d’eau qui témoignent de l’importance de l’orage de la veille au soir, le deuxième en une semaine, et bois un café au Faubourg. Chez Book-Off, j’ai la chance de trouver à sept euros le Journal d’Helen suivi de Lettres à Henri-Pierre Roché d’Helen Hessel (André Dimanche Editeur) que je cherchais depuis longtemps, ayant eu la bêtise de ne pas l’acheter il y a des années à la bouquinerie rouennaise Maneki Neko aujourd’hui disparue. Au même prix, je prends également La Jeune Moabite (Journal 2013-2016) de Gabriel Matzneff (Gallimard) et dans les livres à un euro L’Esprit des lieux, recueil de lettres et d’articles de Lawrence Durrell (Gallimard) et Dodascalies (Ma chronique du XXe siècle) de Doda Conrad (Actes Sud). Voilà une journée qui commence bien.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où il y a foule d’employées et de travailleurs manuels mangeant trop rapidement. Tandis que je savoure mon habituel confit de canard pommes sautées salade, les conversations se mêlent : « On est à une époque où tout le monde vole, alors…. » « Moi, il m’a écrit, un soir vers vingt-deux heures : Alors ça va ?, j’ai pas répondu ». Un homme à bedaine tache son vêtement et verse du sel dessus : « Je suis vraiment pas doué moi quand je mange, mon père était comme ça ».
L’après-midi, je ne trouve heureusement que deux livres à un euro au second Book-Off. L’un est Le bréviaire des vaincus de Cioran (Arcades/Gallimard).
A Saint-Lazare, j’ai la surprise de voir les barrières à Morin (Duc de Normandie) en service sous la surveillance de cheminots pédagogues. C’est pour le train de dix-sept heures vingt-quatre. Quatre minutes avant son départ, elles sont neutralisées, ce qui permet aux resquilleurs d’embarquer. Ils voyageront debout.
Le sept heures quarante-huit est en accès libre. C’est un Corail. J’y ai l’une des huit places assises d’un compartiment en forme de diligence. Quatre d’un côté faisant face à quatre de l’autre côté. Sept regards posés sur un écran et le mien posé sur le texte de Cioran :
En principe, nous nous croyons tous pleins de vie et nous nous vantons de nos efforts et de leur moisson. En fait, nous portons une besace vide dans laquelle nous jetons de temps en temps des miettes de réalité.
*
Au marché d’Aligre, des distribueurs de calendriers de coupe du monde de foute en forme de ballon. Je ne leur réponds même pas, souhaitant in petto que l’équipe de France soit éliminée le plus tôt possible afin d’échapper le plus vite possible aux gueulements de rue.
*
Boulevard Beaumarchais, la plus petite manif que j’aie jamais vue, pas plus de trente participants avec des drapeaux d’un pays africain dont il s’agit sûrement de dénoncer le dictateur. La Police encadre le cortège qui avance tranquillement vers on ne sait où en perturbant sévèrement la circulation.
*
Publicité du métro : Escape Game à l’Opéra Garnier sur le thème du Fantôme de l’Opéra. On dira qu’il s’agit de renouveler le public.
Le bus Vingt m’emmène à Bastille. Le monument est enfin débarrassé de ses échafaudages et de la toile publicitaire géante qui les cachait. Le voilà refait à neuf mais déjà graffité : « Marée populaire / Ecume amère », lucide constat du nouvel échec de Mélenchon.
Je slalome entre les nombreuses flaques d’eau qui témoignent de l’importance de l’orage de la veille au soir, le deuxième en une semaine, et bois un café au Faubourg. Chez Book-Off, j’ai la chance de trouver à sept euros le Journal d’Helen suivi de Lettres à Henri-Pierre Roché d’Helen Hessel (André Dimanche Editeur) que je cherchais depuis longtemps, ayant eu la bêtise de ne pas l’acheter il y a des années à la bouquinerie rouennaise Maneki Neko aujourd’hui disparue. Au même prix, je prends également La Jeune Moabite (Journal 2013-2016) de Gabriel Matzneff (Gallimard) et dans les livres à un euro L’Esprit des lieux, recueil de lettres et d’articles de Lawrence Durrell (Gallimard) et Dodascalies (Ma chronique du XXe siècle) de Doda Conrad (Actes Sud). Voilà une journée qui commence bien.
A midi, je déjeune au Péhemmu chinois où il y a foule d’employées et de travailleurs manuels mangeant trop rapidement. Tandis que je savoure mon habituel confit de canard pommes sautées salade, les conversations se mêlent : « On est à une époque où tout le monde vole, alors…. » « Moi, il m’a écrit, un soir vers vingt-deux heures : Alors ça va ?, j’ai pas répondu ». Un homme à bedaine tache son vêtement et verse du sel dessus : « Je suis vraiment pas doué moi quand je mange, mon père était comme ça ».
L’après-midi, je ne trouve heureusement que deux livres à un euro au second Book-Off. L’un est Le bréviaire des vaincus de Cioran (Arcades/Gallimard).
A Saint-Lazare, j’ai la surprise de voir les barrières à Morin (Duc de Normandie) en service sous la surveillance de cheminots pédagogues. C’est pour le train de dix-sept heures vingt-quatre. Quatre minutes avant son départ, elles sont neutralisées, ce qui permet aux resquilleurs d’embarquer. Ils voyageront debout.
Le sept heures quarante-huit est en accès libre. C’est un Corail. J’y ai l’une des huit places assises d’un compartiment en forme de diligence. Quatre d’un côté faisant face à quatre de l’autre côté. Sept regards posés sur un écran et le mien posé sur le texte de Cioran :
En principe, nous nous croyons tous pleins de vie et nous nous vantons de nos efforts et de leur moisson. En fait, nous portons une besace vide dans laquelle nous jetons de temps en temps des miettes de réalité.
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Au marché d’Aligre, des distribueurs de calendriers de coupe du monde de foute en forme de ballon. Je ne leur réponds même pas, souhaitant in petto que l’équipe de France soit éliminée le plus tôt possible afin d’échapper le plus vite possible aux gueulements de rue.
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Boulevard Beaumarchais, la plus petite manif que j’aie jamais vue, pas plus de trente participants avec des drapeaux d’un pays africain dont il s’agit sûrement de dénoncer le dictateur. La Police encadre le cortège qui avance tranquillement vers on ne sait où en perturbant sévèrement la circulation.
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Publicité du métro : Escape Game à l’Opéra Garnier sur le thème du Fantôme de l’Opéra. On dira qu’il s’agit de renouveler le public.
31 mai 2018
« Vous êtes en embuscade ? », demandé-je aux deux abonnés de ma connaissance que je trouve derrière les vigiles à l’entrée de l’Opéra ce mardi soir. « Pas du tout, nous sortons », me répond l’un tandis que l’autre me dit que j’aurais dû venir à la présentation des nouvelles formules d’abonnement organisée par Loïc Lachenal à dix-huit heures. J’y aurais vu quelques beaux spécimens de la bourgeoisie bourgeoisante en action, du genre « Tout le monde me connaît à Rouen ». Je me suis abstenu. Je verrai ce qu’il en est jeudi soir lors de la présentation officielle de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf.
Chacun attend l’ouverture des portes de la salle pour le concert du jour, cent pour cent baroque. Beaucoup regrettent la disparition des formules actuelles d’abonnement. Certains possesseurs de fauteuils nominatifs (formule Pass’Opéra à quatre cent quatre-vingt-dix euros par an) pensaient que c’était une concession perpétuelle. Du côté des Entrée Plus (tout voir pour vingt-sept euros par mois), certains prévoient des bides futurs, par exemple lors « des soirées Pécou ». Une spectatrice inconnue me félicite pour mon bronzage montpelliérain.
Ce concert de musique de chambre débute avec le Concerto pour basson en la mineur d’Antonio Vivaldi qui permet d’apprécier le jeu de la bassoniste Elfie Bonnardel, puis c’est encore Vivaldi avec le Concerto pour cordes en sol mineur. Suit le Concerto pour hautbois d’amour de Georg Philipp Telemann, mené par l’hautboïste Fabrice Rousson. Des lumières rallumées dans la salle créent un moment de flottement. Quelques-un(e)s croient à l’entracte et sortent, dont mon voisin gratteur de gorge (il ne reviendra plus). Les musicien(ne)s réapparaissent pour la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris de Marin Marais, avec au violon le talentueux Hervé Walczak-Le Sauder.
Après l’entracte la violoniste Elena Chesneau prend le micro afin de présenter le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Georg Matthias Monn et dédier son interprétation à la mémoire de Jacqueline du Pré qui l’enregistra plusieurs fois et dont c’est le trentième anniversaire de la « disparition ». Au violoncelle ce soir, c’est Anaël Rousseau. Tel un virtuose invité, il nous gratifie en bonus d’une pièce de Haendel. Pour finir, c’est le Concerto pour hautbois basson cordes en si bémol majeur d’Antonin Reichenauer qui permet d’apprécier le duo Elfie Bonnardel Fabrice Rousson.
Il fait jour à la sortie et il est vingt-deux heures.
*
Se prénommer Elfie est déjà une performance.
Chacun attend l’ouverture des portes de la salle pour le concert du jour, cent pour cent baroque. Beaucoup regrettent la disparition des formules actuelles d’abonnement. Certains possesseurs de fauteuils nominatifs (formule Pass’Opéra à quatre cent quatre-vingt-dix euros par an) pensaient que c’était une concession perpétuelle. Du côté des Entrée Plus (tout voir pour vingt-sept euros par mois), certains prévoient des bides futurs, par exemple lors « des soirées Pécou ». Une spectatrice inconnue me félicite pour mon bronzage montpelliérain.
Ce concert de musique de chambre débute avec le Concerto pour basson en la mineur d’Antonio Vivaldi qui permet d’apprécier le jeu de la bassoniste Elfie Bonnardel, puis c’est encore Vivaldi avec le Concerto pour cordes en sol mineur. Suit le Concerto pour hautbois d’amour de Georg Philipp Telemann, mené par l’hautboïste Fabrice Rousson. Des lumières rallumées dans la salle créent un moment de flottement. Quelques-un(e)s croient à l’entracte et sortent, dont mon voisin gratteur de gorge (il ne reviendra plus). Les musicien(ne)s réapparaissent pour la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Paris de Marin Marais, avec au violon le talentueux Hervé Walczak-Le Sauder.
Après l’entracte la violoniste Elena Chesneau prend le micro afin de présenter le Concerto pour violoncelle en sol mineur de Georg Matthias Monn et dédier son interprétation à la mémoire de Jacqueline du Pré qui l’enregistra plusieurs fois et dont c’est le trentième anniversaire de la « disparition ». Au violoncelle ce soir, c’est Anaël Rousseau. Tel un virtuose invité, il nous gratifie en bonus d’une pièce de Haendel. Pour finir, c’est le Concerto pour hautbois basson cordes en si bémol majeur d’Antonin Reichenauer qui permet d’apprécier le duo Elfie Bonnardel Fabrice Rousson.
Il fait jour à la sortie et il est vingt-deux heures.
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Se prénommer Elfie est déjà une performance.
30 mai 2018
Parmi mes lectures de deux mille dix-huit : La Filiale de l’enfer (Ecrits de l’émigration) de Joseph Roth, publié au Seuil, le recueil de vingt-six textes parus entre juillet mil neuf cent trente-trois et mai mil neuf cent mai trente-neuf dans des journaux destinés aux émigrés germanophones vivant en France.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
*
L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.
Joseph Roth, particulièrement lucide, s’exila à Paris dès que Hitler fut nommé chancelier du Reich. Déjà en juin mil neuf cent trente-deux, il déclarait à un ami : « Il est temps de partir. Ils brûleront nos livres et c’est nous qui serons visés. Quiconque répond au nom de Wassermann, Döblin ou Roth ne doit plus tarder. Il nous faut partir afin que seuls nos livres soient la proie des flammes. »
De cette lecture, je retiens ceci :
Le plus grand ennemi de la littérature, c’est la vie officielle : les pays, comme le Mexique, où l’on ne vit que sur les places publiques n’ont guère d’artistes ou de penseurs.
En Allemagne, quand les aveugles de pure souche se sont mis à affirmer qu’ils ne supportaient plus la vue des Juifs, leurs compagnons d’infortune, il ne manquait plus qu’un mouvement de protestation des bergers allemands, décidés à ne plus servir de guides aux aveugles juifs – à part cela, on ne pouvait plus s’attendre à rien.
Un roi qui embrasse un voleur de grand chemin sur les deux joues satisfait toujours aux lois du climat de son époque, où le bandit illustre la grandeur de la nation. Les électeurs ont toujours exactement la même grandeur et la même petitesse, la même noblesse et la même bassesse que leurs élus. Quand on assassine un officier à Vladivostok, on lynche des Noirs à Cincinnati, et des chemises noires, bleues, vertes ou grises surgissent dans tous les pays, avec ce que l’on pourrait appeler un synchronisme international…
Il faudrait être un fou perdu dans les nuages pour ne pas voir que Luther, en trahissant les paysans, les princes et les Juifs, aura préfiguré le sous-lieutenant prussien et protestant dont la politique a trahi l’Eglise et le monde entier. Sans Luther et le protestantisme, il faut croire que Hegel et Marx n’auraient pu voir le jour en Allemagne. Et le protestant se retrouve même, déguisé en païen, dans les refus « dionysiaques » de Nietzsche.
Les hommes de notre temps ont d’ailleurs un moyen, parmi tant d’autres, de se soustraire à la vérité : quand un homme ivre dit vrai, ceux qui sont aussi saouls que lui espèrent qu’il est simplement en train de délirer.
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L’exil forcé fut difficile à vivre pour Joseph Roth. Alcoolique, il mourut à Paris le vingt-sept mai mil neuf cent trente-neuf à l’âge de quarante-quatre ans.
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