Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
30 septembre 2019
La ventilation tourne à fond avec un bruit d’enfer à la station Palais de Justice où j’attends le métro ce samedi vers neuf heures afin d’aller une deuxième fois au désherbage de la Bibliothèque Municipale de Sotteville-lès-Rouen.
Quand il arrive, je voyage avec l’un des présentateurs du Journal de France Trois Normandie dont les locaux ont été évacués hier suite aux malaises de plusieurs employé(e)s de la station, cela plus de vingt-quatre heures après le début de la lubrizolisation de la ville et de ses alentours. Ce journaliste ne va pas plus loin que Saint-Sever.
Un homme m’a précédé cette fois. Il est assis sur le rebord de la bibliothèque et utilise un ordinateur dont il prend grand soin, ce qui ne l’empêche pas de se moucher dans ses doigts et de les essuyer sur son pantalon. L’arrivant suivant n’est pas plus reluisant, un type en ticheurte malgré la fraîcheur et la pluie menaçante, qui rote et qui pète. Ces deux rustres ne sont pas là pour les livres mais pour les cédés et les dévédés.
Se présente ensuite un allumé que je croise souvent à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier qu’il fréquente pour les dévédés. Ce déjanté connaît le péteur sur qui il déverse son inépuisable monologue avec comme rengaine est-ce que les foires à tout (ainsi appelle-t-on les vide-greniers en Haute-Normandie) prévues à Rouen ce dimanche auront bien lieu « au regard de l’actualité ».
Je me concentre sur mes pieds afin qu’aucun des trois ne me parle, ne relevant les yeux qu'à l'arrivée de l’homme au vélo (le premier à m’avoir prévenu du désherbage).
Il va boire un café et je le retrouve une fois les portes ouvertes, lui conseillant l’achat des Pensées de Lichtenberg. Les cartons ont été réapprovisionnés. Je trouve une nouvelle fois de quoi me satisfaire. Je paie seize euros pour mes seize livres, suivi de l’homme au vélo qui a été moins gourmand que moi. Comme il pleut, je protège le contenu de mes sacs à l’aide d’autres sacs en plastique. « Contre la pluie, contre la suie », lui dis-je. « Vous êtes un poète », me dit une des bibliothécaires.
Mon informateur me propose d’aller boire un café là où il a ses habitudes, c’est-à-dire à la terrasse abritée du Rocher de Cancale (aucun espoir d’y déguster des huîtres). La patronne me serre la main et quand elle revient avec les cafés elle me dit qu’elle me connaît car elle est l’ancienne patronne du Sacre qu’elle a vendu il y a six ans. Evidemment, je n’ai aucun souvenir d’elle.
Le bicycliste qui m’offre ce café est sottevillais. Il me parle de sa ville et de ses différents quartiers dont celui des bobos un peu plus haut. « Un prof un musicien un prof un musicien », me dit-il. Notre conversation vire ensuite sur la fin de la vie, sujet des plus joyeux.
Avant de rentrer, je vais aux toilettes et y croise une femme qui dit me connaître. « Je vous vois souvent en foire à tout. Vous n’êtes pas l’ancien mari de Mina ? » J’ai le plaisir de lui répondre négativement.
Cette fois encore, en sortant du métro à Théâtre des Arts, et plus violemment qu’hier, je suis saisi par l’odeur d’hydrocarbure.
*
L’avantage d’être déjà vieux, c’est que lorsqu'on évoque un risque de cancer pour dans vingt ou trente ans, on ne se sent pas concerné. Pour ce qui est du présent, je tousse encore mais moins.
*
Donc on nettoie les cours d’école, mais pas les trottoirs, cours d’immeuble, parcs et jardins où l’on trouve aussi des enfants. De même à Paris seules les cours d’école ont été refaites suite à la pollution au plomb due à l’incendie de Notre-Dame.
*
Ce samedi, Zineb El Rhazoui, qui a échappé à l’attentat de Charlie Hebdo parce qu’elle était en vacances au Maroc, se démène pour obtenir des explications des élus de Rouen sur la séance de prédication donnée le jour même par un islamiste radical à la Mairie Annexe de Saint-Sever (avec entrée payante : cinq euros par personne, dix euros pour les familles).
Aucun des élus municipaux rouennais en cause (Socialistes, Communistes et Ecologistes) ne lui répond.
Quand il arrive, je voyage avec l’un des présentateurs du Journal de France Trois Normandie dont les locaux ont été évacués hier suite aux malaises de plusieurs employé(e)s de la station, cela plus de vingt-quatre heures après le début de la lubrizolisation de la ville et de ses alentours. Ce journaliste ne va pas plus loin que Saint-Sever.
Un homme m’a précédé cette fois. Il est assis sur le rebord de la bibliothèque et utilise un ordinateur dont il prend grand soin, ce qui ne l’empêche pas de se moucher dans ses doigts et de les essuyer sur son pantalon. L’arrivant suivant n’est pas plus reluisant, un type en ticheurte malgré la fraîcheur et la pluie menaçante, qui rote et qui pète. Ces deux rustres ne sont pas là pour les livres mais pour les cédés et les dévédés.
Se présente ensuite un allumé que je croise souvent à la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier qu’il fréquente pour les dévédés. Ce déjanté connaît le péteur sur qui il déverse son inépuisable monologue avec comme rengaine est-ce que les foires à tout (ainsi appelle-t-on les vide-greniers en Haute-Normandie) prévues à Rouen ce dimanche auront bien lieu « au regard de l’actualité ».
Je me concentre sur mes pieds afin qu’aucun des trois ne me parle, ne relevant les yeux qu'à l'arrivée de l’homme au vélo (le premier à m’avoir prévenu du désherbage).
Il va boire un café et je le retrouve une fois les portes ouvertes, lui conseillant l’achat des Pensées de Lichtenberg. Les cartons ont été réapprovisionnés. Je trouve une nouvelle fois de quoi me satisfaire. Je paie seize euros pour mes seize livres, suivi de l’homme au vélo qui a été moins gourmand que moi. Comme il pleut, je protège le contenu de mes sacs à l’aide d’autres sacs en plastique. « Contre la pluie, contre la suie », lui dis-je. « Vous êtes un poète », me dit une des bibliothécaires.
Mon informateur me propose d’aller boire un café là où il a ses habitudes, c’est-à-dire à la terrasse abritée du Rocher de Cancale (aucun espoir d’y déguster des huîtres). La patronne me serre la main et quand elle revient avec les cafés elle me dit qu’elle me connaît car elle est l’ancienne patronne du Sacre qu’elle a vendu il y a six ans. Evidemment, je n’ai aucun souvenir d’elle.
Le bicycliste qui m’offre ce café est sottevillais. Il me parle de sa ville et de ses différents quartiers dont celui des bobos un peu plus haut. « Un prof un musicien un prof un musicien », me dit-il. Notre conversation vire ensuite sur la fin de la vie, sujet des plus joyeux.
Avant de rentrer, je vais aux toilettes et y croise une femme qui dit me connaître. « Je vous vois souvent en foire à tout. Vous n’êtes pas l’ancien mari de Mina ? » J’ai le plaisir de lui répondre négativement.
Cette fois encore, en sortant du métro à Théâtre des Arts, et plus violemment qu’hier, je suis saisi par l’odeur d’hydrocarbure.
*
L’avantage d’être déjà vieux, c’est que lorsqu'on évoque un risque de cancer pour dans vingt ou trente ans, on ne se sent pas concerné. Pour ce qui est du présent, je tousse encore mais moins.
*
Donc on nettoie les cours d’école, mais pas les trottoirs, cours d’immeuble, parcs et jardins où l’on trouve aussi des enfants. De même à Paris seules les cours d’école ont été refaites suite à la pollution au plomb due à l’incendie de Notre-Dame.
*
Ce samedi, Zineb El Rhazoui, qui a échappé à l’attentat de Charlie Hebdo parce qu’elle était en vacances au Maroc, se démène pour obtenir des explications des élus de Rouen sur la séance de prédication donnée le jour même par un islamiste radical à la Mairie Annexe de Saint-Sever (avec entrée payante : cinq euros par personne, dix euros pour les familles).
Aucun des élus municipaux rouennais en cause (Socialistes, Communistes et Ecologistes) ne lui répond.
29 septembre 2019
Ce vendredi, je me réveille un peu toussant, ne sachant si je dois en accuser Lubrizol, une toux bien grasse. « Il existe des risques d’odeur », annonce le Préfet qui pourrait en dire autant en parlant de ses toilettes.
Je ne sens rien quand je sors dans la ruelle pour rejoindre pédestrement la station Palais de Justice du métro. Vers neuf heures, je grimpe dans celui qui a pour terminus Technopôle et en descends à la station Hôtel de Ville de Sotteville.
Je traverse la place récemment refaite à la façon Métropole, étanchéisation des sols avec un peu de verdure pour la décoration, et suis le premier arrivé devant la porte, qui ne s’ouvrira qu’à dix heures, de la Bibliothèque Municipale dont c’est le premier jour du désherbage. J’en ai d’abord été averti par deux aimables connaissances, puis par l’établissement culturel.
Deux vieux me rejoignent dont un à appareil auditif et à canne qui refuse de s’asseoir sur le rebord pour ne pas se faire prendre sa place, ayant été traumatisé la dernière fois par des femmes qui lui sont passées devant bien qu’arrivées après lui. « Maintenant, celui qui veut quelque chose, il le prend, commente l’autre, qui fume, on va vers une nouvelle barbarie. » Je regarde mes pieds pour qu’aucun ne me parle.
Il est ensuite question de l’incendie et des écoles de Sotteville fermées bien qu’on ne risque rien ici. Le vieux à canne prétend que Seveso, ça se trouve au Havre. Le fumeur de cigarette tente de lui faire comprendre que c’est en Italie puis renonce. Arrive un sérieux concurrent dont je déteste la casquette et la voix.
Il y a du monde à presque dix heures mais moins que la dernière fois. A l’ouverture, je file vers les cartons Littérature et Philosophie où j’ai sérieusement affaire à la casquette. Néanmoins, je trouve de quoi emplir mes deux sacs. Tous ces livres sont à un euro, ça aide à ne pas trop réfléchir.
Vers onze heures la foule est là, avec en son sein une femme accompagnée de son braillard, et la file d’attente est conséquente pour payer. « C’est comme à la boulangerie », commente un homme. Heureusement que ce n’est pas la mienne. Déjà que je peste quand il y a une seule personne devant moi rue Saint-Nicolas et qu’elle traîne un peu pour choisir.
Le métro me ramène à Rouen. J’en descends à Théâtre des Arts. Remonté à la surface, je suis saisi par une odeur, celle d’hydrocarbure.
*
Le slogan du moment : « Je suie Rouen ». Les blagounettes du patron du Faute de Mieux : « Tu n’as pas d’école, c’est la faute à Lubrizol » « Avec Lubrizol, la fête est plus folle ».
Je ne sens rien quand je sors dans la ruelle pour rejoindre pédestrement la station Palais de Justice du métro. Vers neuf heures, je grimpe dans celui qui a pour terminus Technopôle et en descends à la station Hôtel de Ville de Sotteville.
Je traverse la place récemment refaite à la façon Métropole, étanchéisation des sols avec un peu de verdure pour la décoration, et suis le premier arrivé devant la porte, qui ne s’ouvrira qu’à dix heures, de la Bibliothèque Municipale dont c’est le premier jour du désherbage. J’en ai d’abord été averti par deux aimables connaissances, puis par l’établissement culturel.
Deux vieux me rejoignent dont un à appareil auditif et à canne qui refuse de s’asseoir sur le rebord pour ne pas se faire prendre sa place, ayant été traumatisé la dernière fois par des femmes qui lui sont passées devant bien qu’arrivées après lui. « Maintenant, celui qui veut quelque chose, il le prend, commente l’autre, qui fume, on va vers une nouvelle barbarie. » Je regarde mes pieds pour qu’aucun ne me parle.
Il est ensuite question de l’incendie et des écoles de Sotteville fermées bien qu’on ne risque rien ici. Le vieux à canne prétend que Seveso, ça se trouve au Havre. Le fumeur de cigarette tente de lui faire comprendre que c’est en Italie puis renonce. Arrive un sérieux concurrent dont je déteste la casquette et la voix.
Il y a du monde à presque dix heures mais moins que la dernière fois. A l’ouverture, je file vers les cartons Littérature et Philosophie où j’ai sérieusement affaire à la casquette. Néanmoins, je trouve de quoi emplir mes deux sacs. Tous ces livres sont à un euro, ça aide à ne pas trop réfléchir.
Vers onze heures la foule est là, avec en son sein une femme accompagnée de son braillard, et la file d’attente est conséquente pour payer. « C’est comme à la boulangerie », commente un homme. Heureusement que ce n’est pas la mienne. Déjà que je peste quand il y a une seule personne devant moi rue Saint-Nicolas et qu’elle traîne un peu pour choisir.
Le métro me ramène à Rouen. J’en descends à Théâtre des Arts. Remonté à la surface, je suis saisi par une odeur, celle d’hydrocarbure.
*
Le slogan du moment : « Je suie Rouen ». Les blagounettes du patron du Faute de Mieux : « Tu n’as pas d’école, c’est la faute à Lubrizol » « Avec Lubrizol, la fête est plus folle ».
28 septembre 2019
Ce jeudi, c’est par les premières infos de France Culture à six heures que j’apprends que l’usine Lubrizol de Rouen, classée Seveso haut, est en feu. Les images des explosions et de l’immense panache de fumée noire que je vois sur Internet montrent l’ampleur de la catastrophe. Je préviens l’homme au chapeau qui travaille près de cette sympathique entreprise américaine. L’idée d’aller passer la journée à Dieppe me traverse l’esprit mais je ne donne pas suite.
La Préfecture annonce le déclenchement de la sirène d’alerte à huit heures alors que ça brûle depuis deux heures quarante. Bien que j’habite on ne peut plus au centre de la ville, je ne l’entends pas. On décide de la fermeture des établissements scolaires et on conseille aux habitants d’éviter de sortir. Pour que je sois plus en sécurité à l’intérieur, il faudrait que mon logement ne laisse pas entrer l’air extérieur.
Je comprends vite que je ne fais pas partie de ceux qui vont subir le pire car le vent fait passer la fumée de la rive gauche, celle des pauvres où sont implantées les usines dangereuses, à la rive droite, visant particulièrement les hauteurs bourgeoises de Bois-Guillaume et Mont-Saint-Aignan puis elle continue vers les campagnes aisées d’Isneauville et de Quincampoix. Leurs habitants vont sévèrement morfler, me dis-je lorsque je sors dans le jardin le jour levé, voyant de mes propres yeux la noirceur du ciel.
Muni de mon appareil photo, je vais faire un p’tit tour, croisant encore moins de monde dans les rues qu’un dimanche après-midi. Certains des rares passants se protègent avec des masques chirurgicaux, des foulards ou des écharpes, ce qui doit être peu efficace et contribue à l’ambiance de fin de monde qui règne sur la ville.
« Dernière lecture avant l’asphyxie ? », dis-je à une dame que je trouve devant la boîte à livres du square Saint-Pierre-du-Châtel, on y propose Pour qui sonne le glas. Elle me regarde de l’air d’une qui pense « Qu’est-ce qui me veut çui-là ? ». Près du Palais de Justice, je croise une femme à masque et à chien. « Vous ne mettez pas de masque à votre chien ? », lui dis-je. « J’en ai pas pour elle malheureusement sinon je le ferai », se plaint-elle.
De retour à la maison, je partage mes photos sur le réseau social Effe Bé puis regarde ce qu’on raconte sur la chaîne d’info continue. Rien d’informatif, uniquement du bavardage sur fond de fumée noire. Et tout à coup Chirac meurt et Rouen disparaît totalement des télés et des sites des quotidiens nationaux. Depuis le temps que sa nécrologie était sur le feu (si je puis dire), il n’y a eu qu’à appuyer sur le bouton pour occuper des heures d’antenne et les pages de journaux. Notre maison brûle, me dis-je, et tous les téléspectateurs regardent Chirac.
Avant de ressortir, vers quatorze heures trente, je sais quand même que le feu est sous contrôle et que le nuage de vingt-deux kilomètres sur six se dissout dans l’arrière-pays jusqu’en Picardie. Les averses s’en mêlant, des habitants de Buchy ont récupéré de l’eau de pluie noircie par la suie.
C’est désert au Faute de Mieux où l’on envisage de fermer avant l’heure. « Les gens ont peur », me dit la serveuse. Le patron explique à une de ses connaissances que les flics avaient le masque à gaz ce matin sur le plateau, du côté d’Isneauville.
-Qu’est-ce que tu fous-là, t’es pas confiné, toi ? demande-t-il a un habitué qui entre.
*
L’entreprise Lubrizol appartient au milliardaire Warren Buffett qui l’a achetée pour faire le maximum de pognon, comme l’explique un article de mars deux mille onze du Wall Street Journal. En deux mille treize, tant de mercaptan s’est échappé de l’usine actuellement en feu qu’on l’a senti jusqu’à Paris et dans le sud de l’Angleterre (quatre mille euros d’amende). C’est à sa proximité que se prépare l’éco-quartier Flaubert. On doit cette audacieuse réalisation à la Métropole, dont le Chef, Sanchez, Socialiste, vient de se tirer au Canada, loin des fumées délétères.
La Préfecture annonce le déclenchement de la sirène d’alerte à huit heures alors que ça brûle depuis deux heures quarante. Bien que j’habite on ne peut plus au centre de la ville, je ne l’entends pas. On décide de la fermeture des établissements scolaires et on conseille aux habitants d’éviter de sortir. Pour que je sois plus en sécurité à l’intérieur, il faudrait que mon logement ne laisse pas entrer l’air extérieur.
Je comprends vite que je ne fais pas partie de ceux qui vont subir le pire car le vent fait passer la fumée de la rive gauche, celle des pauvres où sont implantées les usines dangereuses, à la rive droite, visant particulièrement les hauteurs bourgeoises de Bois-Guillaume et Mont-Saint-Aignan puis elle continue vers les campagnes aisées d’Isneauville et de Quincampoix. Leurs habitants vont sévèrement morfler, me dis-je lorsque je sors dans le jardin le jour levé, voyant de mes propres yeux la noirceur du ciel.
Muni de mon appareil photo, je vais faire un p’tit tour, croisant encore moins de monde dans les rues qu’un dimanche après-midi. Certains des rares passants se protègent avec des masques chirurgicaux, des foulards ou des écharpes, ce qui doit être peu efficace et contribue à l’ambiance de fin de monde qui règne sur la ville.
« Dernière lecture avant l’asphyxie ? », dis-je à une dame que je trouve devant la boîte à livres du square Saint-Pierre-du-Châtel, on y propose Pour qui sonne le glas. Elle me regarde de l’air d’une qui pense « Qu’est-ce qui me veut çui-là ? ». Près du Palais de Justice, je croise une femme à masque et à chien. « Vous ne mettez pas de masque à votre chien ? », lui dis-je. « J’en ai pas pour elle malheureusement sinon je le ferai », se plaint-elle.
De retour à la maison, je partage mes photos sur le réseau social Effe Bé puis regarde ce qu’on raconte sur la chaîne d’info continue. Rien d’informatif, uniquement du bavardage sur fond de fumée noire. Et tout à coup Chirac meurt et Rouen disparaît totalement des télés et des sites des quotidiens nationaux. Depuis le temps que sa nécrologie était sur le feu (si je puis dire), il n’y a eu qu’à appuyer sur le bouton pour occuper des heures d’antenne et les pages de journaux. Notre maison brûle, me dis-je, et tous les téléspectateurs regardent Chirac.
Avant de ressortir, vers quatorze heures trente, je sais quand même que le feu est sous contrôle et que le nuage de vingt-deux kilomètres sur six se dissout dans l’arrière-pays jusqu’en Picardie. Les averses s’en mêlant, des habitants de Buchy ont récupéré de l’eau de pluie noircie par la suie.
C’est désert au Faute de Mieux où l’on envisage de fermer avant l’heure. « Les gens ont peur », me dit la serveuse. Le patron explique à une de ses connaissances que les flics avaient le masque à gaz ce matin sur le plateau, du côté d’Isneauville.
-Qu’est-ce que tu fous-là, t’es pas confiné, toi ? demande-t-il a un habitué qui entre.
*
L’entreprise Lubrizol appartient au milliardaire Warren Buffett qui l’a achetée pour faire le maximum de pognon, comme l’explique un article de mars deux mille onze du Wall Street Journal. En deux mille treize, tant de mercaptan s’est échappé de l’usine actuellement en feu qu’on l’a senti jusqu’à Paris et dans le sud de l’Angleterre (quatre mille euros d’amende). C’est à sa proximité que se prépare l’éco-quartier Flaubert. On doit cette audacieuse réalisation à la Métropole, dont le Chef, Sanchez, Socialiste, vient de se tirer au Canada, loin des fumées délétères.
27 septembre 2019
Ce mercredi, le sept heures cinquante-trois n’est par le Corail attendu mais la bétaillère, laquelle a vingt-cinq minutes de retard pour une raison inexpliquée. J’y commence la lecture de Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson à côté de deux trentenaires qui parlent des clients (les clients sont une variété des autres, avec une carte bancaire). Ce livre ne m’a rien coûté, il m’attendait samedi dernier à Dieppe dans la boîte à livres du Pollet.
A l’arrivée dans la capitale, chargé de mon sac à dos contenant les deux tomes des Misérables que je dois remettre à celle avec qui j’ai rendez-vous à treize heures sous Beaumarchais, je rejoins par métro le Book-Off de Ledru-Rollin où j’emplis mon panier de douze livres à un euro : Plomb polonais de Nathalie Quintane (Confluences), Red Sofia Song de Marie L. (Cartouche), Les rêveries du toxicomane solitaire d’un anonyme (Allia), Mémoires du capitán Alonso de Contreras (Viviane Hamy), Le Journal du séducteur de Kierkegaard (Folio), Le Boulevard du crime de Pierre Gascar (Atelier Hachette/Massin), Nus, féroces et anthropophages d’Hans Staden (Métaillé), Nous autres d’Evgueni Zamiatine (édition bilingue russo-française L’Accolade), L’inondation du même (Actes Sud/Solin), Lettres de Venise du Baron Corvo (Le Rocher), Lettres d’Orient de Gustave Flaubert (L’Horizon chimérique) et Le Saut oblique de la truite de Jérôme Magnier-Moreno (Phébus) acheté pour sa première phrase Je m’attendais à des chiottes à la turque mais en fait pas du tout.
Une femme occupe ma table habituelle au Péhemmu chinois. La gentille serveuse m’installe au coin et de ce fait m’oublie comme un puni. Mon confit de canard pommes sautées salade mangé, je rejoins le lieu de rendez-vous et ne vois pas arriver celle que j’attends. Plus qu’à patienter, ne pouvant emprunter un téléphone pour l’appeler, vu que mon carnet Muji où est inscrit son numéro est au Bistrot d’Edmond. Je suppose une obligation professionnelle, reste assis sur le banc derrière la statue, près de laquelle stationne une ambulance Cupidon, jusqu’à treize heures trente puis vais prendre un café au comptoir du Week-End avant de renoncer.
Chargé comme le baudet, je rejoins l’autre Book-Off, n’y trouve que dalle puis retrouve au bout de la rue mon carnet et mon stylo pour la garde desquels je remercie fort le personnel.
Le seize heures quarante-huit est à l’heure mais n’est pas le Corail attendu. Un train à sièges colorés le remplace, dont les toilettes embaument toute la voiture. Comme une illustration olfactive de celles de Tesson qui sont situées à trente mètres de sa cabane sibérienne.
*
Une femme d’assurances à l’un de ses collègues parlant d’un troisième au Péhemmu chinois
-Bon c’est sûr, je lui ai remonté les bretelles mais après je l’ai trouvé aux toilettes en train de pleurer. Je me suis excusée.
*
Propos de rue d’une femme à d’autres qui ont aussi la tête de l’emploi : « Bah tu sais, quand tu bosses dans les boutiques, après t’as des copines qui bossent dans les boutiques. »
*
Une réunion de travail qui s’est prolongée, m’apprend-elle au retour. Le plus rageant est qu’elle arrivait au moment où je suis parti.
A l’arrivée dans la capitale, chargé de mon sac à dos contenant les deux tomes des Misérables que je dois remettre à celle avec qui j’ai rendez-vous à treize heures sous Beaumarchais, je rejoins par métro le Book-Off de Ledru-Rollin où j’emplis mon panier de douze livres à un euro : Plomb polonais de Nathalie Quintane (Confluences), Red Sofia Song de Marie L. (Cartouche), Les rêveries du toxicomane solitaire d’un anonyme (Allia), Mémoires du capitán Alonso de Contreras (Viviane Hamy), Le Journal du séducteur de Kierkegaard (Folio), Le Boulevard du crime de Pierre Gascar (Atelier Hachette/Massin), Nus, féroces et anthropophages d’Hans Staden (Métaillé), Nous autres d’Evgueni Zamiatine (édition bilingue russo-française L’Accolade), L’inondation du même (Actes Sud/Solin), Lettres de Venise du Baron Corvo (Le Rocher), Lettres d’Orient de Gustave Flaubert (L’Horizon chimérique) et Le Saut oblique de la truite de Jérôme Magnier-Moreno (Phébus) acheté pour sa première phrase Je m’attendais à des chiottes à la turque mais en fait pas du tout.
Une femme occupe ma table habituelle au Péhemmu chinois. La gentille serveuse m’installe au coin et de ce fait m’oublie comme un puni. Mon confit de canard pommes sautées salade mangé, je rejoins le lieu de rendez-vous et ne vois pas arriver celle que j’attends. Plus qu’à patienter, ne pouvant emprunter un téléphone pour l’appeler, vu que mon carnet Muji où est inscrit son numéro est au Bistrot d’Edmond. Je suppose une obligation professionnelle, reste assis sur le banc derrière la statue, près de laquelle stationne une ambulance Cupidon, jusqu’à treize heures trente puis vais prendre un café au comptoir du Week-End avant de renoncer.
Chargé comme le baudet, je rejoins l’autre Book-Off, n’y trouve que dalle puis retrouve au bout de la rue mon carnet et mon stylo pour la garde desquels je remercie fort le personnel.
Le seize heures quarante-huit est à l’heure mais n’est pas le Corail attendu. Un train à sièges colorés le remplace, dont les toilettes embaument toute la voiture. Comme une illustration olfactive de celles de Tesson qui sont situées à trente mètres de sa cabane sibérienne.
*
Une femme d’assurances à l’un de ses collègues parlant d’un troisième au Péhemmu chinois
-Bon c’est sûr, je lui ai remonté les bretelles mais après je l’ai trouvé aux toilettes en train de pleurer. Je me suis excusée.
*
Propos de rue d’une femme à d’autres qui ont aussi la tête de l’emploi : « Bah tu sais, quand tu bosses dans les boutiques, après t’as des copines qui bossent dans les boutiques. »
*
Une réunion de travail qui s’est prolongée, m’apprend-elle au retour. Le plus rageant est qu’elle arrivait au moment où je suis parti.
24 septembre 2019
Sachant que depuis le début des années soixante-dix on sait que la planète est malade et que cela ne fera qu’empirer : pollutions, risques liés au nucléaire, surpopulation (dont le correctement politique d’aujourd’hui interdit de parler) épuisement des ressources et, déjà repéré par quelques-uns à cette époque et devenu depuis le risque majeur, réchauffement climatique.
Sachant que les Etats et leurs gouvernements quels qu’ils soient et les populations gouvernées où que ce soit ne seront jamais d’accord pour mettre en œuvre le changement radical de mode de vie qui permettrait de faire face.
Sachant que cette inaction risque de mener à une Troisième Guerre Mondiale ou bien à une sorte de guerre civile généralisée.
Comment se fait-il que ce ne soit qu’à la marge que l’on s’inquiète et que le plus grand nombre continue à vivre comme si le pire n’était pas probable ?
Mon hypothèse est que beaucoup se sont construit une ligne Maginot mentale.
*
Sachant qu’en France la pilule est autorisée depuis mil neuf cent soixante-sept et que l’avortement est légalisé depuis mil neuf cent soixante-quinze et donc que tout enfant né après ces dates a été voulu au moins par sa mère et souvent aussi par son père, quand donc l’un d’eux, ne se contentant pas de s’en prendre aux gouvernants inactifs, portera plainte contre ses parents pour l’avoir fait naître dans un monde qu’ils savaient devenir invivable ?
*
Ne pas confondre un cortège de tête et un cortège de têtes. Le premier est dénué de cerveaux. L’un d’eux, ne pouvant plus se nicher chez les Jaunes devenus peu nombreux, a fait le coucou dans la manif parisienne pour le climat samedi dernier
« Très rapidement, à l'avant du cortège se forme une masse hétérogène et déterminée, à l'image du cortège de tête du printemps 2016, cette fois agrémentée d'une présence gilet-jaunesque notable. Les slogans anti-capitalistes résonnent. Les tags fleurissent et les premières vitrines tombent (agences bancaires, immobilières ou cabinets d'assurance) comme une volonté pour certains de porter la conflictualité écologiste vers un nouveau seuil. », raconte Rouen dans la rue en son ébouriffant jargon.
De ce chaos naîtra un monde idyllique, disent ces invisibles, où tous seront aux fourneaux pour le bonheur de tous (gare à qui n’aime pas le travail). Tous les précédents ont pourtant montré qu’aux désordres succède le totalitarisme. En attendant, ces naïfs font le jeu du pouvoir en place.
Sachant que les Etats et leurs gouvernements quels qu’ils soient et les populations gouvernées où que ce soit ne seront jamais d’accord pour mettre en œuvre le changement radical de mode de vie qui permettrait de faire face.
Sachant que cette inaction risque de mener à une Troisième Guerre Mondiale ou bien à une sorte de guerre civile généralisée.
Comment se fait-il que ce ne soit qu’à la marge que l’on s’inquiète et que le plus grand nombre continue à vivre comme si le pire n’était pas probable ?
Mon hypothèse est que beaucoup se sont construit une ligne Maginot mentale.
*
Sachant qu’en France la pilule est autorisée depuis mil neuf cent soixante-sept et que l’avortement est légalisé depuis mil neuf cent soixante-quinze et donc que tout enfant né après ces dates a été voulu au moins par sa mère et souvent aussi par son père, quand donc l’un d’eux, ne se contentant pas de s’en prendre aux gouvernants inactifs, portera plainte contre ses parents pour l’avoir fait naître dans un monde qu’ils savaient devenir invivable ?
*
Ne pas confondre un cortège de tête et un cortège de têtes. Le premier est dénué de cerveaux. L’un d’eux, ne pouvant plus se nicher chez les Jaunes devenus peu nombreux, a fait le coucou dans la manif parisienne pour le climat samedi dernier
« Très rapidement, à l'avant du cortège se forme une masse hétérogène et déterminée, à l'image du cortège de tête du printemps 2016, cette fois agrémentée d'une présence gilet-jaunesque notable. Les slogans anti-capitalistes résonnent. Les tags fleurissent et les premières vitrines tombent (agences bancaires, immobilières ou cabinets d'assurance) comme une volonté pour certains de porter la conflictualité écologiste vers un nouveau seuil. », raconte Rouen dans la rue en son ébouriffant jargon.
De ce chaos naîtra un monde idyllique, disent ces invisibles, où tous seront aux fourneaux pour le bonheur de tous (gare à qui n’aime pas le travail). Tous les précédents ont pourtant montré qu’aux désordres succède le totalitarisme. En attendant, ces naïfs font le jeu du pouvoir en place.
23 septembre 2019
Dernier jour de beau temps assuré ce samedi, je prends une nouvelle fois le neuf heures douze pour Dieppe dans lequel je voisine avec une sexagénaire à valises qui est au téléphone. « Je pense qu’il est dangereux pour ton cœur de gueuler comme ça », dit-elle à son interlocuteur.
Arrivé à dix heures, je réserve une table à L’Espérance, puis file au bord de la mer où un vent frais contrecarre l’effet du soleil. Je suis encore une fois le premier à m’installer à la terrasse de plage de l’O 2 Mer et dois garder ma veste pour lire la suite d’Avant et après de Paul Gauguin car, comme dirait Madame Michu, « Y a rien de trop ». « Venez courir ce soir à la corrida de Dieppe », me suggère une voiture sonorisée. En cette Journée du Patrimoine, une guide touristique n’a pour clientèle qu’un vieux couple. Ce qui ne l’empêche pas de s’adresser à eux avec le même volume sonore que s’ils étaient plusieurs dizaines.
Surprise quand un peu avant midi moins le quart je retourne sur le port, deux fourgons d’incendie stationnent devant L’Espérance. C’est pour un mégot jeté dans la cave de la boutique d’à côté, trottoir barré, gros tuyaux déroulés, au rez-de-chaussée murs noircis par la fumée. L’intervention se termine pour midi. J’ai place dos à la vitrine face au comptoir et à l’entrée de la cuisine. La patronne a un petit sourire fatigué qui lui va bien. Les deux serveuses sont aux p’tits soins. Cette fois pour moi c’est foie de veau. A ma droite sont deux couples affligeants à maris muets. « Enfin il vaut mieux être comme ça qu’autrement », comme dit l’une. « Tu sais, on dit les jeunes, mais dans ceux comme nous, y en a qui sont pas bien non plus », philosophe la deuxième. L’ambiance musicale est assurée par Mylène Farmer à ses débuts.
Les commerçants ambulants rangent le marché lorsque je traverse le centre-ville vers treize heures afin de profiter de la Journée du Patrimoine pour revoir gratuitement le Château Musée où je suis passé autrefois quand j’étais bien accompagné. Pour l’occasion le personnel a revêtu des tenues mille neuf cent. Des animations festives sont organisées auxquelles en ce début d’après-midi j’échappe. Dans les premières salles sont accrochées à l’ancienne les richesses picturales de la ville, deux Pissarro, deux Renoir, et des moindres dont des peintres de marine. Le seul tableau qui me retienne est signé Van Dongen. Malheureusement, L’Ecuyère est installé dans un escalier. Je descends celui-ci en me remémorant la chanson de Philippe Chatel. Au débouché sont des salles où sont exposés les objets en ivoire et les animaux naturalisés. Cela ne m’intéresse pas. La vie de château, ce n’est pas rigolo, me dis-je, plaignant la jeune fille déguisée enfermée avec les empaillés alors que dehors il fait si beau. Sous un soleil devenu chaud, je fais le tour du bâtiment fortifié d’où l’on a belle vue sur la ville et la mer. Au loin se profile le ferry venant d’Angleterre.
C’est à la terrasse de La Potinière que je prends un café. J’y termine Gauguin à proximité de deux femmes qui se font des confidences. Il est question de trouver la bonne personne. Car pour l’instant, ce n’est pas ça : « Si je veux bouger y bouge pas, y regarde la télé. »
Je rentre par le seize heures neuf dans lequel une bande de jeunes couillus enterre la vie de garçon d’un. Il doit demander aux voyageurs « comment faire pour garder la femme ». Pendant ce temps, une fille blonde en interroge d’autres sur leurs habitudes de voyage. Dans son questionnaire, il est avant tout question des fraudeurs. L’octogénaire derrière moi, qui voyage gratuitement avec sa femme car c’est un ancien de Senecefe, trouve normal que les autres paient mais il n’est pas content des barrières à Morin car son billet gratuit ne passe pas, il est obligé d’aller chercher quelqu’un. Il met trois sur dix à cette initiative.
-Je vais interroger aussi votre femme, déclare l’enquêtrice.
-Elle a les mêmes réponses que moi, l’informe le mari, je la connais bien, ça fait soixante ans qu’on est marié.
-Oh comme c’est merveilleux, s’extasie la jeune fille, c’est tout à fait mon rêve.
Au moment où le train entre en gare de Rouen, à l’étonnement de son conjoint, l’épouse donne sept sur dix aux barrières à Morin.
*
Paroles de Dieppois :
-J’ai appris qu’il était mort.
-Oui oui on ne le voit plus.
*
Les Informations dieppoises annonce à la population locale, coincée entre les centrales nucléaires vieillissantes de Paluel et de Penly, la prochaine distribution de pastilles d’iode. Pour les résidents temporaires, touristes ou professionnels, en cas d’émission radioactive une seule solution, la fuite.
Arrivé à dix heures, je réserve une table à L’Espérance, puis file au bord de la mer où un vent frais contrecarre l’effet du soleil. Je suis encore une fois le premier à m’installer à la terrasse de plage de l’O 2 Mer et dois garder ma veste pour lire la suite d’Avant et après de Paul Gauguin car, comme dirait Madame Michu, « Y a rien de trop ». « Venez courir ce soir à la corrida de Dieppe », me suggère une voiture sonorisée. En cette Journée du Patrimoine, une guide touristique n’a pour clientèle qu’un vieux couple. Ce qui ne l’empêche pas de s’adresser à eux avec le même volume sonore que s’ils étaient plusieurs dizaines.
Surprise quand un peu avant midi moins le quart je retourne sur le port, deux fourgons d’incendie stationnent devant L’Espérance. C’est pour un mégot jeté dans la cave de la boutique d’à côté, trottoir barré, gros tuyaux déroulés, au rez-de-chaussée murs noircis par la fumée. L’intervention se termine pour midi. J’ai place dos à la vitrine face au comptoir et à l’entrée de la cuisine. La patronne a un petit sourire fatigué qui lui va bien. Les deux serveuses sont aux p’tits soins. Cette fois pour moi c’est foie de veau. A ma droite sont deux couples affligeants à maris muets. « Enfin il vaut mieux être comme ça qu’autrement », comme dit l’une. « Tu sais, on dit les jeunes, mais dans ceux comme nous, y en a qui sont pas bien non plus », philosophe la deuxième. L’ambiance musicale est assurée par Mylène Farmer à ses débuts.
Les commerçants ambulants rangent le marché lorsque je traverse le centre-ville vers treize heures afin de profiter de la Journée du Patrimoine pour revoir gratuitement le Château Musée où je suis passé autrefois quand j’étais bien accompagné. Pour l’occasion le personnel a revêtu des tenues mille neuf cent. Des animations festives sont organisées auxquelles en ce début d’après-midi j’échappe. Dans les premières salles sont accrochées à l’ancienne les richesses picturales de la ville, deux Pissarro, deux Renoir, et des moindres dont des peintres de marine. Le seul tableau qui me retienne est signé Van Dongen. Malheureusement, L’Ecuyère est installé dans un escalier. Je descends celui-ci en me remémorant la chanson de Philippe Chatel. Au débouché sont des salles où sont exposés les objets en ivoire et les animaux naturalisés. Cela ne m’intéresse pas. La vie de château, ce n’est pas rigolo, me dis-je, plaignant la jeune fille déguisée enfermée avec les empaillés alors que dehors il fait si beau. Sous un soleil devenu chaud, je fais le tour du bâtiment fortifié d’où l’on a belle vue sur la ville et la mer. Au loin se profile le ferry venant d’Angleterre.
C’est à la terrasse de La Potinière que je prends un café. J’y termine Gauguin à proximité de deux femmes qui se font des confidences. Il est question de trouver la bonne personne. Car pour l’instant, ce n’est pas ça : « Si je veux bouger y bouge pas, y regarde la télé. »
Je rentre par le seize heures neuf dans lequel une bande de jeunes couillus enterre la vie de garçon d’un. Il doit demander aux voyageurs « comment faire pour garder la femme ». Pendant ce temps, une fille blonde en interroge d’autres sur leurs habitudes de voyage. Dans son questionnaire, il est avant tout question des fraudeurs. L’octogénaire derrière moi, qui voyage gratuitement avec sa femme car c’est un ancien de Senecefe, trouve normal que les autres paient mais il n’est pas content des barrières à Morin car son billet gratuit ne passe pas, il est obligé d’aller chercher quelqu’un. Il met trois sur dix à cette initiative.
-Je vais interroger aussi votre femme, déclare l’enquêtrice.
-Elle a les mêmes réponses que moi, l’informe le mari, je la connais bien, ça fait soixante ans qu’on est marié.
-Oh comme c’est merveilleux, s’extasie la jeune fille, c’est tout à fait mon rêve.
Au moment où le train entre en gare de Rouen, à l’étonnement de son conjoint, l’épouse donne sept sur dix aux barrières à Morin.
*
Paroles de Dieppois :
-J’ai appris qu’il était mort.
-Oui oui on ne le voit plus.
*
Les Informations dieppoises annonce à la population locale, coincée entre les centrales nucléaires vieillissantes de Paluel et de Penly, la prochaine distribution de pastilles d’iode. Pour les résidents temporaires, touristes ou professionnels, en cas d’émission radioactive une seule solution, la fuite.
21 septembre 2019
En cette fin septembre le soleil est là tous les jours mais si bas qu’il n’y a plus moyen de prendre un café à la terrasse du Son du Cor en s’en faisant chauffer, du moins à une table sans danger. Celles sous les arbres sont trop risquées survolées qu’elles sont par des moineaux incontinents. Les oiseaux sont le pire ennemi des lecteurs.
Autrefois, à cette époque, je m’asseyais à l’une des tables situées contre les vitres, côté terrain de pétanque, ensoleillées et non survolées. Maintenant qu’elles sont remplacées par les perchoirs offerts par une marque de bière, c’est terminé. La Mairie de Rouen qui interdit les parasols publicitaires pour les cafés serait bien inspirée de faire de même pour les tables.
Je me rattrape avec la terrasse du Sacre qui n’est pas jouxtée par de la végétation. Si l’on y sert plus de bière qu’au Son du Cor, on ne juge pas utile d’en faire la publicité ailleurs que sur la façade
*
Pas un jour cette semaine sans que je voie des Policiers contrôler les zonards qui squattent les bancs du jardin d’Albane près de la Cathédrale. Peut-être est-ce la conséquence du meurtre du jardin de l’Hôtel de Ville. Le corps d’un homme y a été retrouvé sous le panneau de basquette, nu et massacré. Une bande de mineurs a semé la terreur cette nuit-là à Rouen.
Ils l’avaient déjà fait le soir de la Fête de la Musique. La Police les avait arrêtés en flagrant délit après qu’un couple eut subi leur violence. L’homme avait eu trente jours d’arrêt de travail. Un juge rouennais avait ordonné la remise en liberté des agresseurs puis lui-même ou un autre avait prononcé un non-lieu.
*
Ce pauvre Mélenchon et ses hommes de main crient au procès politique devant le Tribunal de Bobigny. Parmi leurs soutiens, le porteur de pancartes faites à la main avec des feutres de couleur, un parasiteur de manifestation toujours habillé en bleu et les bras en vé. Son unique objectif est de se placer face aux caméras de télévision.
On peut le voir avec les Jaunes, avec les jeunes de la manif pour le climat, avec les infirmières, avec la Cégété, avec les femmes battues, avec les retraités, avec les ratons-laveurs, la pancarte toujours à bout de bras, A croire qu’il est né comme ça, les bras en vé, sa mère a dû souffrir.
J’ai lu quelque part que ce m’as-tu-vu avait été instit remplaçant et qu’il a un nom de guerre, dans le genre de ceux que se donnent ceux qui écrivent ou dessinent sur les murs, mais je préfère l’appeler le Grand Bleu.
Autrefois, à cette époque, je m’asseyais à l’une des tables situées contre les vitres, côté terrain de pétanque, ensoleillées et non survolées. Maintenant qu’elles sont remplacées par les perchoirs offerts par une marque de bière, c’est terminé. La Mairie de Rouen qui interdit les parasols publicitaires pour les cafés serait bien inspirée de faire de même pour les tables.
Je me rattrape avec la terrasse du Sacre qui n’est pas jouxtée par de la végétation. Si l’on y sert plus de bière qu’au Son du Cor, on ne juge pas utile d’en faire la publicité ailleurs que sur la façade
*
Pas un jour cette semaine sans que je voie des Policiers contrôler les zonards qui squattent les bancs du jardin d’Albane près de la Cathédrale. Peut-être est-ce la conséquence du meurtre du jardin de l’Hôtel de Ville. Le corps d’un homme y a été retrouvé sous le panneau de basquette, nu et massacré. Une bande de mineurs a semé la terreur cette nuit-là à Rouen.
Ils l’avaient déjà fait le soir de la Fête de la Musique. La Police les avait arrêtés en flagrant délit après qu’un couple eut subi leur violence. L’homme avait eu trente jours d’arrêt de travail. Un juge rouennais avait ordonné la remise en liberté des agresseurs puis lui-même ou un autre avait prononcé un non-lieu.
*
Ce pauvre Mélenchon et ses hommes de main crient au procès politique devant le Tribunal de Bobigny. Parmi leurs soutiens, le porteur de pancartes faites à la main avec des feutres de couleur, un parasiteur de manifestation toujours habillé en bleu et les bras en vé. Son unique objectif est de se placer face aux caméras de télévision.
On peut le voir avec les Jaunes, avec les jeunes de la manif pour le climat, avec les infirmières, avec la Cégété, avec les femmes battues, avec les retraités, avec les ratons-laveurs, la pancarte toujours à bout de bras, A croire qu’il est né comme ça, les bras en vé, sa mère a dû souffrir.
J’ai lu quelque part que ce m’as-tu-vu avait été instit remplaçant et qu’il a un nom de guerre, dans le genre de ceux que se donnent ceux qui écrivent ou dessinent sur les murs, mais je préfère l’appeler le Grand Bleu.
20 septembre 2019
C’est avec cinq minutes d’avance que se présente ce mercredi en gare de Rouen le sept heures cinquante-trois venant du Havre et allant à Paris. Je trouve place comme à mon habitude dans la voiture Six et me plonge dans Avant et après de Paul Gauguin.
A la suite des ralentissements habituels, tout à coup le train s’arrête. Au bout d’une ou deux minutes, il repart. Cela se reproduit deux fois sans que le chef de bord juge bon de nous dire ce qui se passe. Un quatrième arrêt se produit mais cette fois on ne repart pas.
Nous sommes dans la banlieue parisienne mais en pleine pampa. L’éclairage cesse de fonctionner ainsi que le chauffage. Au bout de dix minutes apparaît le chef de bord. Il passe de voiture en voiture n’ayant plus possibilité d’utiliser la sono, nous dit-il. Soit c’est une panne d’alimentation générale, soit un problème sur la machine, le chauffeur est parti voir.
Un peu plus tard, un voyageur annonce que l’application de la Senecefe donne une estimation de cent quatre-vingts minutes de retard pour notre train. Plusieurs « Putain » et un « Nom de Dieu » se font entendre. « C’est une estimation, commente le jeune homme derrière moi, ça peut être plus ». Il achève de saper le moral de tout le monde en racontant qu’un soir il devait rentrer à dix-neuf heures et qu’il est arrivé à trois heures du matin. « Je suis dépitée, dit une jeune femme qui doit revenir par le quatorze heures dix-neuf, si ça se trouve mon train de retour sera parti avant que celui de l’aller soit arrivé. »
Il s’avère que c’est le moteur de la motrice qui a commencé à prendre feu et qu’il va falloir faire venir une machine de secours pour nous pousser jusqu’à la prochaine gare et que ça va prendre un bon moment. « Je reviendrai vers vous quand elle sera là », annonce le chef de bord. Celles et ceux qui vont chaque jour travailler dans la capitale transforment la voiture en espace de travail partagé, qui en visioconférence, qui au téléphone. Cette ambiance de ruche laborieuse est épuisante pour l’oisif que je suis. Le livre de Gauguin, très inégal, m’aide peu à m’en abstraire.
Il est prêt de midi quand on nous annonce l’arrivée de la machine de dépannage. Il faut encore l’arrimer au convoi. Le chef de bord et des gilets orange montés à bord nous promettent un départ sans cesse reporté jusqu’à ce que tout à coup un cri unanime se fasse entendre « Ça y est, on bouge ».
Chacun range ses affaires et, un quart d’heure plus tard, nous sommes en gare de Maisons-Laffitte attendant un train de banlieue pour terminer le voyage, munis d’une petite bouteille d’eau Saint-Benoît distribuée par des gilets orange et assommés de messages sans cesse répétés par haut-parleur, informations pratiques, conseil de prudence et excuses pour la gêne occasionnée. Pendant ce temps un gilet orange à casquette de chef de gare s’en prend à ceux qui ont allumé une cigarette sur le quai. Ceux-ci se rebiffent et le ton monte.
Arrive alors le train de banlieue. Je me trouve, avec le sac de livres que je comptais vendre chez Book-Off à dix heures, au niveau de la dernière voiture. Elle est vide car ses portes sont bloquées. Je me rabats sur l’avant-dernière. Tout le monde réussit à s’asseoir tandis qu’à l’arrière un cri de victoire des gilets orange se fait entendre « On a réussi à ouvrir les portes de la dernière voiture, vous pouvez vous y installer. »
Ce train de banlieue s’arrête à Houille-Carrières puis file sur Paris. A l’arrivée, il faut encore s’extraire du piège que constituent les barrières à Pécresse, lesquelles fonctionnent dans les deux sens contrairement à celles de Morin. Il est exactement treize heures lorsque je traverse le parvis de la gare sous un beau soleil dont j’aurais aimé profiter plus tôt.
Je marche avec mon lourd sac jusqu’au Royal Bourse Opéra afin d’y déjeuner d’un des deux plats du jour mais la serveuse m’annonce qu’il n’y en a plus. Elle me propose des plats basiques et plus chers. « Dans ce cas, je vais ailleurs », lui dis-je. Le patron me dit au revoir. Je ne lui réponds pas car je ne reviendrai pas. Je me rabats sur Les Ducs où l’unique plat du jour est encore disponible, tranches de rosbif purée, mais je dois attendre à une table sale que la patronne ait terminé de distribuer des cafés. Elle n’apprécie pas que je le lui fasse remarquer. Peu m’importe, elle ne me reverra pas non plus.
Quand j’entre chez Book-Off j’ai la chance qu’il n’y ait pas d’attente pour vendre. J’obtiens treize euros quatre-vingts de mes livres, que je cherche en vain à dépenser, me disant qu’il est certain qu’à l’autre boutique j’aurais trouvé de quoi me combler si cette maudite Senecefe avec ses trains hors d’âge ne m’avait pas pourri la journée.
Le train de retour ne me joue pas de mauvais tour. J’y poursuis sans grande envie ma lecture du matin et découvre en remettant le livre dans ma poche que j’ai oublié mon carnet Muji dans un café. Heureusement, on me l’a mis de côté, apprends-je arrivé chez moi.
*
Cent quatre-vingts minutes de retard, ça moins peur que trois heures.
*
Un train dont le moteur de la motrice prend feu, un autre dont les portes sont bloquées et entre les deux un employé zélé qui s’efforce de faire respecter l’interdiction de fumer. A la Senecefe, tout part en vrille côté matériel, mais on tient bon sur le règlement.
*
Technique de gargotier : afficher un menu du jour attrayant et en prévoir insuffisamment afin d’imposer des plats plus rentables à une partie de la clientèle.
A la suite des ralentissements habituels, tout à coup le train s’arrête. Au bout d’une ou deux minutes, il repart. Cela se reproduit deux fois sans que le chef de bord juge bon de nous dire ce qui se passe. Un quatrième arrêt se produit mais cette fois on ne repart pas.
Nous sommes dans la banlieue parisienne mais en pleine pampa. L’éclairage cesse de fonctionner ainsi que le chauffage. Au bout de dix minutes apparaît le chef de bord. Il passe de voiture en voiture n’ayant plus possibilité d’utiliser la sono, nous dit-il. Soit c’est une panne d’alimentation générale, soit un problème sur la machine, le chauffeur est parti voir.
Un peu plus tard, un voyageur annonce que l’application de la Senecefe donne une estimation de cent quatre-vingts minutes de retard pour notre train. Plusieurs « Putain » et un « Nom de Dieu » se font entendre. « C’est une estimation, commente le jeune homme derrière moi, ça peut être plus ». Il achève de saper le moral de tout le monde en racontant qu’un soir il devait rentrer à dix-neuf heures et qu’il est arrivé à trois heures du matin. « Je suis dépitée, dit une jeune femme qui doit revenir par le quatorze heures dix-neuf, si ça se trouve mon train de retour sera parti avant que celui de l’aller soit arrivé. »
Il s’avère que c’est le moteur de la motrice qui a commencé à prendre feu et qu’il va falloir faire venir une machine de secours pour nous pousser jusqu’à la prochaine gare et que ça va prendre un bon moment. « Je reviendrai vers vous quand elle sera là », annonce le chef de bord. Celles et ceux qui vont chaque jour travailler dans la capitale transforment la voiture en espace de travail partagé, qui en visioconférence, qui au téléphone. Cette ambiance de ruche laborieuse est épuisante pour l’oisif que je suis. Le livre de Gauguin, très inégal, m’aide peu à m’en abstraire.
Il est prêt de midi quand on nous annonce l’arrivée de la machine de dépannage. Il faut encore l’arrimer au convoi. Le chef de bord et des gilets orange montés à bord nous promettent un départ sans cesse reporté jusqu’à ce que tout à coup un cri unanime se fasse entendre « Ça y est, on bouge ».
Chacun range ses affaires et, un quart d’heure plus tard, nous sommes en gare de Maisons-Laffitte attendant un train de banlieue pour terminer le voyage, munis d’une petite bouteille d’eau Saint-Benoît distribuée par des gilets orange et assommés de messages sans cesse répétés par haut-parleur, informations pratiques, conseil de prudence et excuses pour la gêne occasionnée. Pendant ce temps un gilet orange à casquette de chef de gare s’en prend à ceux qui ont allumé une cigarette sur le quai. Ceux-ci se rebiffent et le ton monte.
Arrive alors le train de banlieue. Je me trouve, avec le sac de livres que je comptais vendre chez Book-Off à dix heures, au niveau de la dernière voiture. Elle est vide car ses portes sont bloquées. Je me rabats sur l’avant-dernière. Tout le monde réussit à s’asseoir tandis qu’à l’arrière un cri de victoire des gilets orange se fait entendre « On a réussi à ouvrir les portes de la dernière voiture, vous pouvez vous y installer. »
Ce train de banlieue s’arrête à Houille-Carrières puis file sur Paris. A l’arrivée, il faut encore s’extraire du piège que constituent les barrières à Pécresse, lesquelles fonctionnent dans les deux sens contrairement à celles de Morin. Il est exactement treize heures lorsque je traverse le parvis de la gare sous un beau soleil dont j’aurais aimé profiter plus tôt.
Je marche avec mon lourd sac jusqu’au Royal Bourse Opéra afin d’y déjeuner d’un des deux plats du jour mais la serveuse m’annonce qu’il n’y en a plus. Elle me propose des plats basiques et plus chers. « Dans ce cas, je vais ailleurs », lui dis-je. Le patron me dit au revoir. Je ne lui réponds pas car je ne reviendrai pas. Je me rabats sur Les Ducs où l’unique plat du jour est encore disponible, tranches de rosbif purée, mais je dois attendre à une table sale que la patronne ait terminé de distribuer des cafés. Elle n’apprécie pas que je le lui fasse remarquer. Peu m’importe, elle ne me reverra pas non plus.
Quand j’entre chez Book-Off j’ai la chance qu’il n’y ait pas d’attente pour vendre. J’obtiens treize euros quatre-vingts de mes livres, que je cherche en vain à dépenser, me disant qu’il est certain qu’à l’autre boutique j’aurais trouvé de quoi me combler si cette maudite Senecefe avec ses trains hors d’âge ne m’avait pas pourri la journée.
Le train de retour ne me joue pas de mauvais tour. J’y poursuis sans grande envie ma lecture du matin et découvre en remettant le livre dans ma poche que j’ai oublié mon carnet Muji dans un café. Heureusement, on me l’a mis de côté, apprends-je arrivé chez moi.
*
Cent quatre-vingts minutes de retard, ça moins peur que trois heures.
*
Un train dont le moteur de la motrice prend feu, un autre dont les portes sont bloquées et entre les deux un employé zélé qui s’efforce de faire respecter l’interdiction de fumer. A la Senecefe, tout part en vrille côté matériel, mais on tient bon sur le règlement.
*
Technique de gargotier : afficher un menu du jour attrayant et en prévoir insuffisamment afin d’imposer des plats plus rentables à une partie de la clientèle.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante