Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 mai 2024


Il y a de la viande saoule en ville, comme un samedi matin en Bretagne, mais les plus pénibles ce sont les moineaux qui en veulent à mon pain au chocolat à la terrasse du Parisien, le seul café ouvert ce jour à huit heures au centre de Lorient, et demain dimanche il n’y en aura aucun, m’apprend le patron.
L’arrêt de bus Faouëdic est à côté où je prends le Onze de huit heures quarante-quatre, terminus Port de Pêche.
Déconcerté, je suis à l’arrivée. Ça ressemble à la zone, double zone, celle industrielle et celle des lieux abandonnés. Un humain de la première m’explique qu’il faut prendre le chemin qui va sur la gauche.
Effectivement, les chalutiers sont là, de taille imposante. En face l’île Saint-Michel et au loin un village que je ne sais pas encore identifier. Je marche le long des quais sans croiser un quidam, une succession de hangars fermés et de bateaux endormis. Quand ça tourne à angle droit je vois de l’autre côté des bâtiments fortifiés et des portes colorées dont j’ignore la fonction. Arrivé à une forteresse effrayante, je ne sais comment faire pour poursuivre. Je fais donc demi-tour, n’ayant vu qu’une partie de ce grand port de pêche. Le soleil apparaît timidement quand j’attends, sur un banc en béton où il est écrit que Punk is not dead, le bus Onze de dix heures trois pour rentrer.
Je retourne au Parisien, à une table où j’espère le soleil, mais il est peu là maintenant. Deux jeunes serveuses sont en action. L’une m’apporte un café verre d’eau et je sors Strindberg. « On a eu une Ascension estivale et depuis c’est l’automne ! » Ma voisine bretonne déprime. Elle n’est pas la seule. Derrière moi, une mère parle d’elle à la troisième personne du singulier. « Ecoute Maman ! » Maman, elle boit son café et après on ira aux jeux ». Cette jeune femme s’auto-objective comme génitrice. Elle n’est pas la seule.
A midi, le soleil ayant disparu, je prends place sous l’auvent de la Crêperie du Port « Chez Tonton Georges » au bout de la rue du Port, où le serveur, m’apprend ledit Tonton, est de Rouen et étudie à Lorient « l’édition du livre ». En face, c’est le Bar d’En Face, il est fermé. Je commande une galette Gwen Sarrasin (saucisse confit d’oignon pommes de terre pommes cuites œuf fromage et gwen sarrasin) et l’accompagne d’un demi de cidre à la pression des Trois Frères. A un moment, Tonton Georges gicle hors de sa crêperie et file sur sa planche à roulettes. Il revient en annonçant la pluie dans une demi-heure. Avec ma crêpe caramel beurre salé maison, j’en ai pour vingt-quatre euros soixante-cinq et comme toujours je me dis que ça a beau être bon, c’est cher payé pour peu de nourriture et guère de cuisine.
Comme prévu, à treize heures précises, il se met à pleuvoir sur l’auvent du Relax où je bois mon café.
                                                                              *
A Bologne, on peut payer son trajet de bus en sans contact avec sa carte bancaire, m’a raconté  l’ami d’Orléans quand je l’ai vu à Rouen. « Il devrait y avoir ça aussi en France », lui ai-je dit. Eh bien, c’est possible depuis mars dernier dans les bus IziLo de Lorient Agglomération. Dans d’autres villes aussi, apprends-je une fois rentré.
 

25 mai 2024


Ce vendredi matin, à la Gare d’Echanges, je donne deux euros cinquante au chauffeur du car BrezhGo pour Etel, ancien port thonier. Ce car est empli de collégien(ne)s tranquilles, une jeunesse qui descend à Kervignac. Suivent d’autres villages aux noms tout aussi bretons, Merlevenez, Plouhinec, Kergouric, Belz où descend un simplet qui ressemble à Popeye (il s’était assis dans les marches du car des kilomètres avant, de peur de rater son arrêt) et c’est le terminus à Etel, arrêt Gare Routière.
Je descends pédestrement la rue principale pour rejoindre le port sur la ria. « La ria d’Etel, la plus secrète des mers bretonnes », c’est le slogan. Le ciel est bleu. En face, on voit Plouhinec et ses jolies maisons, son cimetière de bateaux dont il ne reste plus grand-chose et au bout de la dune une chapelle. Aucun bar n’est encore ouvert, hormis Le Carré où faute de terrasse, c’est dedans que je bois un allongé à un euro soixante. Cet intérieur est sombre et la clientèle locale. On vient ici pour lire gratis Le Télégramme et Ouest France. La télé d’information continue est allumée avec le son. Ce n’est pas un endroit où s’attarder.
Je marche sur un petit bout du Géherre Trente-Quatre tout plat, le long de la ria en direction de la fameuse « barre d’Etel ». Un monument signale la catastrophe du trois octobre mil neuf cent cinquante-huit. Les noms des péris en mer y sont inscrits mais pas celui du responsable.
Au retour, comme il est onze heures, le Che Luz a ouvert sa grande terrasse face à la mer. Je marche seul dans Buenos Aires y chante Lavilliers dans l’imposante sono. « August Strindberg, tome trois, une grosse saga ? », me demande le patron en m’apportant un café verre d’eau à un euro quatre-vingts. « Sa correspondance », lui dis-je.
Huit euros cinquante avec une bouteille d’eau, c’est le prix du fish and chips à emporter que je me procure au Lamparo. Je le mange face au large. Pendant ce temps le ciel devient plus ou moins gris. Un jeune couple passe main dans la main, elle pleurant à chaudes larmes (comme on dit).
Mon car BreizhGo de retour est celui de treize heures vingt-cinq (le suivant dans trois heures et demie). Je suis né dans une famille modeste, c’est ce qu’écoutent et chantent des garçons à l’arrêt Gare Routière. Ils connaissent tous les paroles par cœur. Des apprentis sans doute, avec des bagages, qui retournent dans leurs familles le vendredi. Bientôt, l’un d’eux grimpe sur le toit de l’abribus. Les autres se lancent des vannes sur la façon dont ils sont habillés.
Dans le car ils se calment, jusqu’à ce que plusieurs lancent des boulettes de papier. Le chauffeur fait un arrêt d’urgence, quitte son siège et annonce qu’il ne repartira que les boulettes ramassées et mises dans la poubelle. L’un, comme un péteux, s’exécute.
                                                                        *
J’ai logé autrefois dans des petits hôtels à Belz et à Etel quand je suis allé au Festival Interceltique de Lorient qui à ses débuts se tenait à Pâques. Deux fois je pense. Je me souviens particulièrement bien des curés en soutane qui dirigeaient des chorales et des sœurs Goadec.
Tout près est Erdeven où j’étais en mil neuf cent soixante-quatorze au rassemblement contre le projet de centrale nucléaire dont l’invité surprise fut Alan Stivell. Je revois le chapiteau dans les dunes.
                                                                        *
Etel fut le lieu des premiers exploits d’Alain Bombard. Le trois octobre mil neuf cent cinquante-huit, avec six volontaires, à bord d’un canot de survie de sa conception, il tente de franchir la barre d'Étel, grande lame à l'embouchure de la ria, formée par la rencontre de la marée montante et des eaux qui s'écoulent de la rivière. Le canot se retourne, de même que le bateau de sauvetage chargé d'assurer la sécurité. Bilan : neuf morts, quatre parmi les occupants du canot et cinq parmi les marins sauveteurs de la station d'Etel.
 

24 mai 2024


Après une nuit un peu moyenne dans le canapé-lit (le seul point faible de cet Air Bibi), je sors à huit heures ce jeudi. Une boulangerie artisanale est presque en face. J’y achète un croissant et un pain au chocolat pour deux euros trente-cinq. L’aimable et souriante boulangère m’indique Le Parisien comme café possiblement ouvert à cette heure, place de la Fnac.
Il l’est. Je m’installe à sa terrasse au-dessus de laquelle le soleil joue avec des nuages blancs. J’ai vue sur la voie réservée aux bus (content d’en voir passer un qui va à Lomener) et aux bicyclettes (certaines chargées d’enfants allant à l’école). Je bois là un allongé à un euro soixante-dix près d’un groupe d’entrepreneurs. « Il y a trente ans, j’étais venu voir Jean-Yves Le Drian », raconte l’un puis leur conversation dérive sur une fille qui s’est cassé trois côtes sur un bateau mais ne pouvait être secourue par hélicoptère car « la mer était formée ».
Je m’occupe ensuite à m’organiser, passant d’abord à la Maison des Mobilités, cours de Chazelles. Une aimable et souriante jeune femme m’établit une carte de bus et bateau-bus en illimité pour le mois de juin au tarif plus de soixante-cinq ans, trente euros soixante. Je lui achète en plus une carte dix voyages à treize euros. Elle me donne les horaires en papier des principales lignes mais je ne peux avoir un plan du réseau. Il n’y en a plus, la faute à l’imprimeur. C’est embêtant.
À proximité se trouve l’Office de Tourisme où une aimable et souriante jeune femme me donne cinq cartes touristiques : La Rade, Rive Gauche, Littoral, Vallée du Scorff et Le Blavet, puis les horaires des quelques cars BreizhGo partant de la ville et enfin une documentation sur Lorient et ses alentours ainsi que sur l’île de Groix où je ne retournerai sans doute pas.
Après cela, je reviens place de la Fnac (officiellement place Aristide-Briand) pour mon premier café lecture de cette nouvelle escapade. Je m’installe à la terrasse du Lodge où le café est à un euro soixante-dix et ouvre August Strindberg, le troisième volume de sa Correspondance.
Pour déjeuner, je trouve le Café du Port, pas du tout sur le port mais rue du Port, une table au soleil entre deux nuages pour un rôti de porc avec écrasé de pommes de terre à douze euros et une crème brûlée à quatre euros cinquante. Quelques gouttes me tombent sur la tête. C’est passager.
Le café, je le prends à l’abri de l’auvent du Relax, le bar tabac qui fait face aux trois fenêtres de mon Air Bibi et qui ferme tôt le soir, un euro soixante. Quatre commerçantes sont mes voisines dont la marchande de bonbons d’à côté qui doit se lever sans cesse pour rouvrir sa boutique afin de nourrir les lycéen(ne)s qui s’y présentent. Une des autres est allée hier soir au spectacle de Blanche Gardin au Palais des Congrès « Elle est pas bien haute, elle doit pas dépasser un mètre soixante mais elle est pétillante. Vous regarderez le sketch sur la sodomie. »  Pendant ce temps, le ciel se couvre et il fait de plus en plus frais à cause du vent du nord. « On va encore avoir de la flotte, mais ras-le-bol, ras-le-bol ! », se désespèrent-elles en chœur.
                                                                          *
Aimable et souriante, je peux le dire de toutes les personnes femmes et hommes à qui j’ai affaire à Lorient depuis mon arrivée, ça change de Rouen. La ville, ni belle ni laide, est agréable, son centre presque débarrassé des automobiles.
 

23 mai 2024


Un habituel trajet du mercredi Rouen Paris avec le sept heures vingt-trois mais muni de ma valise à roulettes car un second train suivra. Je voyage en première ce qui me permet de disposer d’un porte-bagages personnel. Ma tenue tranche avec celle des autres passagers : une vieille veste dont je ne peux me séparer en raison de ses deux grandes poches intérieures et un pantalon usé. De plus, ma ceinture qui m'a lâché juste avant que je quitter mon logis est remplacée par une corde rouge du plus bel effet. Au moins, cette fois mes chaussures ne sont pas trouées.
Arrivé dans la capitale à l’heure, d’un coup de métro Treize, je rejoins la Gare Montparnasse et trouve refuge à L’Atlantique pour un café verre d’eau à trois euros vingt.
Mon Tégévé est celui de dix heures cinquante terminus Quimper. J’y voyage en première à une place isolée. Il part pile à l’heure et file jusqu’à Rennes puis prend un peu son temps. Nous passons à Vannes juste après l’averse puis à Auray où monte une fille de treize ans sans billet à qui le contrôleur dit de le suivre et c’est Lorient où je descends.
Grâce au plan que m’a envoyé l’Office de Tourisme et avec l’aide d’un serviable autochtone, j’arrive rapidement rue de la Patrie où se trouve mon logis Air Bibi, un beau et grand studio, mieux que sur les photos. Le temps est également meilleur qu’annoncé. Aussi je ressors aussitôt pour marcher le long du Port de Plaisance jusqu’à l’endroit où le Scorff et le Blavet s’accouplent en se jetant dans l’Atlantique.
Sur le chemin du retour, je m’arrête pour un café verre d’eau (un euro soixante) à la terrasse de l’Admiral Benbow, place Jules-Ferry, un vaste espace vert. A côté est le Centre Commercial Nayel dans lequel on trouve un Hache et Aime où j’achète une ceinture.
                                                                *
A Paris, une pousseuse de poussette avec un souite « Génération Pro Vie ».
                                                                *
Une sexagénaire entrant dans le Tégévé : « Je suis au rez-de-chaussée. »
                                                                *
Des lycéens à l’Admiral Benbow : « Ah merde, faut encore aller chercher les bulletins. »
                                                                *
Quand on va en Bretagne au printemps arrive le moment dès avant Rennes où les talus jaunissent (ajoncs genêts).
                                                                *
Lorient ne manque pas de bancs.
 

22 mai 2024


Au diable Pauvert de Brigitte Lozerec’h, que j’ai lu juste avant mon départ pour Toulon, s’achève sur la mort de Jean-Jacques Pauvert dans cette ville, comme je l’ai déjà raconté. Seconde coïncidence, le codicille évoque ma prochaine destination, déjà choisie au moment où je lisais ce livre au lit. L’auteure imagine qu’y repose l’éditeur sous la forme d’une épave de bateau :
M’est revenu quelques jours plus tard et avec une précision inouïe le rêve que j’avais fait alors que je m’étais exilé dans le golfe du Morbihan après notre séparation. Dans ce rêve, je m’étais vue, sur une rive du Blavet, fleuve côtier qui mêle ses eaux à l’océan au sortir du port de Lorient. A peu de kilomètres en amont de ce port, dans un méandre du Blavet, il y a un cimetière de bateaux. (…) Sur la coque de bois rongée de sel, je venais de lire nettement les trois lettres, JPP, suivie d’un numéro comme il se doit pour toute immatriculation de bateaux. Sans être capable d’en donner les raisons, j’avais la certitude d’avoir lu la date de sa mort. (…) 
Désormais je la sais, cette date : JPP, 27 09 14, deux cents ans après la mort de Sade.
 

21 mai 2024


Ce dimanche matin, un peu avant dix heures, m’appelle celle avec qui j’ai fêté l’anniversaire mardi sept mai à Paris au Paris. Elle m’apprend que le triste évènement contre lequel il n’y avait rien à faire s’est produit la nuit dernière. Les mots sont vains en cette circonstance.
                                                                  *
C’est un ouiquennede d’emménagements. Un homme arrive de l’autre côté de la ruelle dans le seul appartement qui ne soit pas à une location Air Bibi. En est partie une bêcheuse qui ne disait jamais bonjour, aidée en cela par le gros casque blanc avec lequel elle écoutait de la musique en permanence. Et s’installe la nouvelle occupante de l’appartement derrière ma chambre, connue de moi autrefois, dans ma vie professionnelle, comme mère d’élève, puis côtoyée depuis deux ans sans que nous ne nous disions bonjour au Son du Cor où souvent elle et moi visons la même table à la même heure. Une personne calme qui ne fait pas de bruit.
                                                                 *
Lundi, c’est vide greniers place Saint-Marc, organisé par je ne sais qui, un de ces déballages qui ne correspond à aucun comité de quartier, où les vendeurs viennent d'on ne sait où, mélange de professionnels et de particuliers plus ou moins fortunés, l’éventualité d’y trouver un livre m’intéressant étant mince.
Confirmation m’en est donnée lorsque je parcours ses allées bien droites.
                                                                 *
A midi au Son du Cor j’ai comme voisins un quatuor d’activistes qui planchent sur comment médiatiser au mieux le futur procès de celles et ceux qui ont été mis en examen après l’action contre la cimenterie Lafarge de Val-de-Reuil. Je n’en dis pas plus. Elles et eux ne semblent pas penser que je puisse travailler pour les services. Je lis La Victoire à l'ombre des ailes de Stanislas Rodanski, acheté mercredi dernier au Marché d’Aligre, et j’y trouve ceci : Si Jim laissait un peu moins traîner ses phrases il n’aurait pas si souvent les flics sur le dos.
 

18 mai 2024


Ce vendredi matin, juste avant de rejoindre le Crédit à Bricoles où ma conseillère (comme on dit dans la banque) veut me voir, j’apprends qu’un homme armé d’une barre de fer et d’un couteau a été descendu par la Police après qu’il a mis le feu à la Synagogue de Rouen.
La rue des Bons-Enfants où cela s’est passé est perpendiculaire à la rue de la Jeanne où j’ai rendez-vous mais à mon arrivée, personne ne semble être informé de l’évènement. Ce qu’a à me proposer mon aimable conseillère ne peut me convenir car il faudrait bloquer des fonds pendant dix ans et il y a peu de chance que je sois encore vivant dans une décennie. Elle veut me faire croire que je ne suis pas encore un vieux, aucune chance que ça marche avec moi. Notre rencontre n’est cependant pas inutile car elle m’apprend que je peux faire transférer sans frais mon Livret A de la Caisse des Pargnes au Crédit à Bricoles si un jour je le veux.
En sortant, j’assiste au défilé chantant de la Section Norvégienne du Lycée Pierre Corneille, une majorité de filles, certaines en tenue traditionnelle, d’autres en tenue sexy, le tout se dirigeant benoîtement vers le lieu de l’acte antisémite.
Les rues d’accès à la Synagogue sont toujours barrées lorsque, vers quatorze heures, je rejoins Le Sacre pour mon café lecture. Quelques curieux stagnent devant les barrières. Darmanin est sur place. L’acte antisémite, dont on sait maintenant que l’auteur est un Algérien en situation irrégulière, ne perturbe en rien l’emploi du temps de la plupart des Rouennais(e)s. C’est la Braderie de Printemps. Les commerçants ont sorti les portants. La société de consolation se donne à fond.
Il y a quand même plusieurs centaines de personnes au « Rassemblement Républicain » appelé par Nicolas Mayer-Rossignol, Maire de Rouen, Socialiste, à dix-huit heures devant l’Hôtel de Ville. Derrière moi, un homme dit qu’il a peur pour ses petits-enfants et ses petits-neveux. Je reconnais là un que je n’aime pas croiser, ancien élu F-Haine au conseil municipal, porteur d’une écharpe normande (me semble-t-il) et une, bien plus sympathique, porteuse d’un discret foulard, Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier militaire assassiné par le terroriste de Toulouse. Nicolas Mayer-Rossignol prend la parole et parle bien, de même que le Préfet, puis une minute de silence, La Marseillaise et chacun rentre chez soi.
                                                                      *
La veille, la ville de Rouen avait déjà fait parler d’elle en matière d’antisémitisme, l’influenceuse locale à un million d’abonné(e)s se vantant de ne travailler avec aucun Juif, une certaine Poupette Kenza.
 

17 mai 2024


Le train de sept heures vingt-trois qui se présente en Gare de Rouen ce mercredi d’entre deux jours de pluie est à numérotation inversée, apprend-on au dernier moment. Cette innovation crée un joli désordre et quelques énervements avant que chacun trouve sa place. Je poursuis là ma lecture de Ma mère à boire de Régine Vandamme tandis que ma voisine se partage entre Marie-Claire et Pierre Lemaître ce qui a pour effet de l’endormir.
Sous un ciel bleu à nuages blancs, je rejoins, avec le bus Vingt-Neuf, le Marché d’Aligre. Les petites mains d’Émile n’ont pas encore terminé de disposer les livres sur les deux longues tables mais j’ai la bonne surprise d’y trouver dans l’édition Christian Bourgois La Victoire à l’ombre des ailes de Stanislas Rodanski dont la vie mouvementée et tragique m’a été racontée un jour par Sarane Alexandrian. Les livres sont affichés à trois euros. Sans que je le demande, Emile me le fait à deux. Chez Amin, plus d’ouvrages de psychanalyse, des romans qui ont l’air neuf ont pris le relais. Ils n’intéressent pas les présents.
Après le café au Camélia, j’explore le Book-Off de Ledru-Rollin. Il y en a tant qui prévoient de dépenser des milliers d’euros pour leur mariage (« Ce sera le plus beau jour de ma vie »), qu’à un euro ne trouve pas preneur Organiser mon mariage pour les nuls. A ce prix, j’achète Correspondance avec la Mouette d’Anton Tchekhov et Lydia Mizinova (Arléa) et Petit traité invitant à la découverte de l’art subtil du go de Pierre Lusson, Georges Perec et Jacques Roubaud (Christian Bourgois).
Direction Sainte-Opportune avec les métros Huit et Un. Je déjeune au Diable des Lombards d’un gravlax de saumon et d’un faux-filet sauce au bleu.
Quasiment personne au sous-sol du Book-Off de Saint-Martin où je trouve à un euro un autre Georges Perec inconnu de moi Vœux publié au Seuil, ainsi que Théâtre et cinéma, la correspondance de Roger Martin du Gard sur ces thèmes (Gallimard), Mes vérités, entretiens de Colette avec André Parinaud (Ecriture), Cent poèmes d’amour de la Chine ancienne traduits et présentés par André Lévy (Philippe Picquier) et des livres à offrir à l’étudiant qui révise dur pour ses partiels, quand il sera disponible pour un café en ville.
Le café du Bistrot d’Edmond est celui que j’ai le plus de mal à boire sans sucre mais je m’y astreins. La terrasse n’est toujours pas revenue mais on en a aussi une en face, me dit le serveur du comptoir en me montrant les tables installées derrière la sortie du métro Quatre Septembre devant laquelle prospère toujours le vendeur de fruits à la sauvette.
Encore une fois, le troisième Book-Off me déçoit. Je n’y dépense qu’un euro pour Contre le bourrage de crâne d’Albert Londres (Arléa) et encore c’est afin de ne pas repartir bredouille. Ne lisant pas davantage de nouvelles que de romans, ce n’est pas moi qui achèterai un euro le jour de l’annonce de sa mort le recueil de nouvelles d’Alice Munro Trop de bonheur (il y est question de mariage). La mort ne fait pas remonter la cote d’un auteur, les livres de Bernard Pivot sont toujours à un euro.
Dans le train du retour, je termine Ma mère à boire. Régine Vandamme, écrivaine belge, y trace un portrait sans complaisance de sa daronne mais je regrette des facilités d’écriture et une fin un peu trop rose. Ce texte datant de deux mille un est composé de courts chapitres, dont voici une sélection de premières phrases :
Ma mère n’a pas d’amis. Ma mère a des bagues. Ma mère est superstitieuse. Ma mère a 58 ans demain. Ma mère, je ne l’appelle plus. Ma mère, ses fourneaux, c’est son royaume. Ma mère ne travaille plus. Ma mère a les cheveux en bataille. Ma mère subit des contrôles médicaux tous les trois mois à Bruxelles. Ma mère n’a pas d’aspirateur. Ma mère n’a pas de garde-robes. Ma mère a les pieds déformés. Ma mère a la télé, mais pas le câble. Ma mère aime le soleil. Ma mère boit. Ma mère n’a pas de télé chez elle. Ma mère me donne son linge à laver. Ma mère garde mon chien. Ma mère fume. Ma mère ne fait rien de ses jours. Ma mère remplit l’air. Ma mère comble le vide de sa vie avec des flots de paroles creuses.
 

1 ... « 14 15 16 17 18 19 20 » ... 362