Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
28 mai 2020
Se procurer un coupon pour prendre les trains de la Normandie ou obtenir un rendez-vous auprès de l’ophtalmologue de la Clinique Mathilde, quel est le plus difficile ?
Ce mercredi matin, je téléphone à la Senecefe pour savoir s’il y a moyen de prendre les trains normands, donc avec coupon destiné à les faire circuler à moitié vides en perdant un peu plus d’argent à chaque voyage (comme l’a décidé Hervé Morin, le Duc de Normandie), quand on n’a ni smartphone ni imprimante pour créer ledit coupon. La jeune femme qui me répond me laisse en plan pour aller poser la question à son supérieur. J’attends un moment en écoutant la musiquette.
Quand elle revient, c’est pour me dire qu’elle n’a pas la réponse. Elle me donne un numéro gratuit qui permet de joindre Téheuherre Normandie. J’appelle. Un message enregistré me menace d’une très longue attente. Je raccroche et trouve une adresse mail où poser ma question. La réponse arrive dans la journée. Il est possible d’obtenir un coupon aux guichets. Plus question de prendre un billet rapidement aux automates, il faudra faire la file à la gare de Rouen.
Ce même mercredi, j’envoie un mail à l’ophtalmologue de la Clinique Mathilde qui pendant le confinement a annulé mon rendez-vous sans même m’en avertir. Je lui en demande un autre aux dates où je pense être présent à Rouen.
En réponse, le secrétariat m’enjoint de passer par le site Internet dévolu à cette fin. Je m’inscris sur ce foutu site, sollicite un rendez-vous et obtiens comme réponse qu’aucun n’est disponible, qu’on me met sur une liste d’attente. Je renvoie un mail où je me plains d’être abandonné avec un glaucome qui peut me rendrez aveugle. Je crains que ça n’arrange pas mes affaires.
*
Le plus difficile, dans ce monde devenu fou, c’est de garder intacte sa santé mentale.
*
Un dont la santé mentale ne m’a jamais inquiété, c’est Dominique A. « Jouer dans des salles à demi vides devant des publics masqués, personne n'est prêt à ça », a-t-il déclaré sur France Culture.
Il aurait dû dire « je ne suis pas près à ça ». Beaucoup chez les artistes semblent s’accommoder de futurs spectacles en mode dégradé.
Ce mercredi matin, je téléphone à la Senecefe pour savoir s’il y a moyen de prendre les trains normands, donc avec coupon destiné à les faire circuler à moitié vides en perdant un peu plus d’argent à chaque voyage (comme l’a décidé Hervé Morin, le Duc de Normandie), quand on n’a ni smartphone ni imprimante pour créer ledit coupon. La jeune femme qui me répond me laisse en plan pour aller poser la question à son supérieur. J’attends un moment en écoutant la musiquette.
Quand elle revient, c’est pour me dire qu’elle n’a pas la réponse. Elle me donne un numéro gratuit qui permet de joindre Téheuherre Normandie. J’appelle. Un message enregistré me menace d’une très longue attente. Je raccroche et trouve une adresse mail où poser ma question. La réponse arrive dans la journée. Il est possible d’obtenir un coupon aux guichets. Plus question de prendre un billet rapidement aux automates, il faudra faire la file à la gare de Rouen.
Ce même mercredi, j’envoie un mail à l’ophtalmologue de la Clinique Mathilde qui pendant le confinement a annulé mon rendez-vous sans même m’en avertir. Je lui en demande un autre aux dates où je pense être présent à Rouen.
En réponse, le secrétariat m’enjoint de passer par le site Internet dévolu à cette fin. Je m’inscris sur ce foutu site, sollicite un rendez-vous et obtiens comme réponse qu’aucun n’est disponible, qu’on me met sur une liste d’attente. Je renvoie un mail où je me plains d’être abandonné avec un glaucome qui peut me rendrez aveugle. Je crains que ça n’arrange pas mes affaires.
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Le plus difficile, dans ce monde devenu fou, c’est de garder intacte sa santé mentale.
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Un dont la santé mentale ne m’a jamais inquiété, c’est Dominique A. « Jouer dans des salles à demi vides devant des publics masqués, personne n'est prêt à ça », a-t-il déclaré sur France Culture.
Il aurait dû dire « je ne suis pas près à ça ». Beaucoup chez les artistes semblent s’accommoder de futurs spectacles en mode dégradé.
27 mai 2020
Juvénile est le nouveau visage de ma ruelle autrefois envahie en permanence par des groupes de retraités réjouis cornaqués par un guide leur racontant un Moyen Age de fantaisie.
Depuis quelques jours, aussi soudainement que les nuées de pigeons se posent sur le parvis de la Cathédrale, y déboulent et s’y assoient des grumeaux de branlotins survoltés.
Deux raisons à cela : il n’y a plus d’école et les cafés sont fermés.
Cette jeunesse jacassante use en permanence de ces appareils mobiles capables de diffuser de la musique et permettant de se photographier en train de l’écouter tout en bavardant de façon animée.
Les filles ne sont pas les moins excitées.
-Arrêtez de mater mon cul, crie l’une désirant le contraire.
J’imagine qu’elle s’est levée pour aller au-devant d’autres qui arrivent.
Les hormones les travaillent. La reproduction de l’espèce ne sera pas remise en cause par la catastrophe sanitaire et le dérèglement climatique.
Cela se termine toujours de la même façon. Sans que je sache pourquoi, aussi rapidement qu’elle s’était abattue devant la porte cochère, la troupe se lève et le calme revient.
*
Fin de ma lecture du troisième et dernier tome de Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert, une correspondance publiée par La Part Commune, éditeur à coquilles sis à Rennes. L’ultime missive de Gustave, datée du six mars mil huit cent cinquante-cinq :
Madame,
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois chez moi. Je n’y étais pas ; et, dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.
J’ai l’honneur de vous saluer.
Ce que Louise Colet commenta sur le papier d’un « lâche, couard et canaille ».
Depuis quelques jours, aussi soudainement que les nuées de pigeons se posent sur le parvis de la Cathédrale, y déboulent et s’y assoient des grumeaux de branlotins survoltés.
Deux raisons à cela : il n’y a plus d’école et les cafés sont fermés.
Cette jeunesse jacassante use en permanence de ces appareils mobiles capables de diffuser de la musique et permettant de se photographier en train de l’écouter tout en bavardant de façon animée.
Les filles ne sont pas les moins excitées.
-Arrêtez de mater mon cul, crie l’une désirant le contraire.
J’imagine qu’elle s’est levée pour aller au-devant d’autres qui arrivent.
Les hormones les travaillent. La reproduction de l’espèce ne sera pas remise en cause par la catastrophe sanitaire et le dérèglement climatique.
Cela se termine toujours de la même façon. Sans que je sache pourquoi, aussi rapidement qu’elle s’était abattue devant la porte cochère, la troupe se lève et le calme revient.
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Fin de ma lecture du troisième et dernier tome de Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert, une correspondance publiée par La Part Commune, éditeur à coquilles sis à Rennes. L’ultime missive de Gustave, datée du six mars mil huit cent cinquante-cinq :
Madame,
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois chez moi. Je n’y étais pas ; et, dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.
J’ai l’honneur de vous saluer.
Ce que Louise Colet commenta sur le papier d’un « lâche, couard et canaille ».
26 mai 2020
Un avion s’écrase dans lequel meurent une centaine d’êtres humains. Les journalistes parlent de catastrophe aérienne.
Un virus échappé d’un marché clandestin cause la mort de plus de trois cent mille personnes, en rend malade, parfois gravement, plusieurs millions, et pourrit la vie de plusieurs milliards. Les journalistes parlent de crise sanitaire.
C’est une catastrophe sanitaire. Elle a un responsable. Il vit à Wuhan. Il est à l’origine du rapprochement d’animaux sauvages qui a permis au coronavirus de se transmettre à l’homme. La Police chinoise ne le recherche pas. La Justice chinoise, pourtant prompte à condamner à mort, ne s’occupe pas de lui.
Je l’imagine cet individu, qui n’a sûrement pas été malade, continuant à vivre tranquillement sa petite vie de traficoteur. Il est tranquille. Son crime de masse restera impuni.
S’il était en mon pouvoir de le dénicher, un petit coup d’épaule et hop dans la fosse à purin.
*
Sur la vitrine d’une boutique de la rue Saint-Romain « Prière de se désinfecter les mains ». Ce commerçant pense que ses potentiels clients arrivent chez lui infectés.
*
Pour tuer le virus, les masques en tissu doivent être lavés à soixante degrés pendant trente minutes, expliquent d’autres qui pensent que leur masque est un piège à virus et que le mettre, c’est en ramener à la maison.
*
Deux femmes, rue Saint-Romain :
-Ah, ça y est, j’ai enfin acheté kekchose !
-Ah la la, ça fait du bien !
*
Une constatation : la jeunesse étudiante de la copropriété n’a pas arrêté les embrassades.
Un virus échappé d’un marché clandestin cause la mort de plus de trois cent mille personnes, en rend malade, parfois gravement, plusieurs millions, et pourrit la vie de plusieurs milliards. Les journalistes parlent de crise sanitaire.
C’est une catastrophe sanitaire. Elle a un responsable. Il vit à Wuhan. Il est à l’origine du rapprochement d’animaux sauvages qui a permis au coronavirus de se transmettre à l’homme. La Police chinoise ne le recherche pas. La Justice chinoise, pourtant prompte à condamner à mort, ne s’occupe pas de lui.
Je l’imagine cet individu, qui n’a sûrement pas été malade, continuant à vivre tranquillement sa petite vie de traficoteur. Il est tranquille. Son crime de masse restera impuni.
S’il était en mon pouvoir de le dénicher, un petit coup d’épaule et hop dans la fosse à purin.
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Sur la vitrine d’une boutique de la rue Saint-Romain « Prière de se désinfecter les mains ». Ce commerçant pense que ses potentiels clients arrivent chez lui infectés.
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Pour tuer le virus, les masques en tissu doivent être lavés à soixante degrés pendant trente minutes, expliquent d’autres qui pensent que leur masque est un piège à virus et que le mettre, c’est en ramener à la maison.
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Deux femmes, rue Saint-Romain :
-Ah, ça y est, j’ai enfin acheté kekchose !
-Ah la la, ça fait du bien !
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Une constatation : la jeunesse étudiante de la copropriété n’a pas arrêté les embrassades.
25 mai 2020
Alors que ça dort encore, je marche dans la ville ce dimanche matin jusqu’à la place Cauchoise (refaite comme toutes les places de Rouen) puis emprunte la rue Saint-Gervais où se fait voir le Pensionnat Jean-Baptiste-de-la-Salle, Jibé pour les intimes, école collège lycée catholique. Le Canuet et Hollande y furent élèves, ainsi que Dominique Laboubée (Dogs) et Tony Parker (National Basketball Association).
Je fais une photo de son imposante chapelle puis rejoins un peu plus haut l’église Saint-Gervais sur laquelle une plaque indique qu’ici se tenait le prieuré Saint-Gervais où mourut Guillaume le Conquérant. Je m’intéresse autant aux décatis commerces désaffectés « Vidéothèque St Gervais » et « Bar Saint Gervais », ainsi qu’aux maisons rupines dont la rue Chasselièvre (par laquelle je poursuis) ne manque pas. Sur le mur d’enceinte de l’une d’elles, une touffe de chèvrefeuille me permet de vérifier que je n’ai pas perdu l’odorat.
Hormis le bus Cinq, nul véhicule ne circule à cette heure. Je suis le seul piéton jusqu’à ce que je rejoigne, à l’arrêt Fond-du-Val, la voie du bus Teor Un qui mène à Mont-Saint-Aignan. Je la longe un instant pour redescendre par la rue du Renard puis par la rue Cauchoise et arriver place du Vieux, ce qui me fait songer à Gustave Flaubert dont je lisais hier soir dans le tome trois de Lettres à sa maîtresse (La Part Commune), au sein d’une missive à Louise Colet écrite dans la nuit du trente avril au premier mai mil huit cent cinquante-trois, ceci :
Hier, en allant me faire arracher ma dent, j’ai passé sur la place du Vieux-Marché, où l’on exécutait autrefois, et en analysant l’émotion caponne que j’avais au fond de moi, je me disais que d’autres à la même place en avaient eu de pire, et de même nature pourtant : l’attente d’un évènement qui vous fait peur ! Cela m’a rappelé que, tout enfant, à 6 ou 7 ans, en revenant de l’école, j’avais vu là une fois la guillotine qui venait de servir. Il y avait du sang frais sur les pavés, et on défaisait le panier…
Je me demande s’il ne fabule pas un peu avec son sang frais sur le pavé.
*
De la rue Saint-Gervais, j’ai comme souvenir l’appartement en colocation où je rendis visite à une mienne nièce quand elle était étudiante. C’était bien avant que j’habite la ville. La douche était dans la cuisine, ce qui nécessitait une certaine organisation, surtout le matin.
De la rue du Renard, j’ai comme souvenirs un foyer dans lequel je vins soutenir des travailleurs africains en grève, au début des années soixante-dix, quand je vivais en pseudo communauté aux Grands-Baux (commune des Baux-Sainte-Croix), puis plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, quand je vivais à Val-de-Reuil, une imprimerie où je venais photocopier des tapuscrits que j’envoyais ensuite à des éditeurs qui me répondaient négativement d’une lettre standardisée.
*
Depuis que j’habite à Rouen, je ne vais jamais dans ce coin-là. Non que je sois devenu capon, mais je n’ai rien à y faire.
Je fais une photo de son imposante chapelle puis rejoins un peu plus haut l’église Saint-Gervais sur laquelle une plaque indique qu’ici se tenait le prieuré Saint-Gervais où mourut Guillaume le Conquérant. Je m’intéresse autant aux décatis commerces désaffectés « Vidéothèque St Gervais » et « Bar Saint Gervais », ainsi qu’aux maisons rupines dont la rue Chasselièvre (par laquelle je poursuis) ne manque pas. Sur le mur d’enceinte de l’une d’elles, une touffe de chèvrefeuille me permet de vérifier que je n’ai pas perdu l’odorat.
Hormis le bus Cinq, nul véhicule ne circule à cette heure. Je suis le seul piéton jusqu’à ce que je rejoigne, à l’arrêt Fond-du-Val, la voie du bus Teor Un qui mène à Mont-Saint-Aignan. Je la longe un instant pour redescendre par la rue du Renard puis par la rue Cauchoise et arriver place du Vieux, ce qui me fait songer à Gustave Flaubert dont je lisais hier soir dans le tome trois de Lettres à sa maîtresse (La Part Commune), au sein d’une missive à Louise Colet écrite dans la nuit du trente avril au premier mai mil huit cent cinquante-trois, ceci :
Hier, en allant me faire arracher ma dent, j’ai passé sur la place du Vieux-Marché, où l’on exécutait autrefois, et en analysant l’émotion caponne que j’avais au fond de moi, je me disais que d’autres à la même place en avaient eu de pire, et de même nature pourtant : l’attente d’un évènement qui vous fait peur ! Cela m’a rappelé que, tout enfant, à 6 ou 7 ans, en revenant de l’école, j’avais vu là une fois la guillotine qui venait de servir. Il y avait du sang frais sur les pavés, et on défaisait le panier…
Je me demande s’il ne fabule pas un peu avec son sang frais sur le pavé.
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De la rue Saint-Gervais, j’ai comme souvenir l’appartement en colocation où je rendis visite à une mienne nièce quand elle était étudiante. C’était bien avant que j’habite la ville. La douche était dans la cuisine, ce qui nécessitait une certaine organisation, surtout le matin.
De la rue du Renard, j’ai comme souvenirs un foyer dans lequel je vins soutenir des travailleurs africains en grève, au début des années soixante-dix, quand je vivais en pseudo communauté aux Grands-Baux (commune des Baux-Sainte-Croix), puis plus tard, dans les années quatre-vingt-dix, quand je vivais à Val-de-Reuil, une imprimerie où je venais photocopier des tapuscrits que j’envoyais ensuite à des éditeurs qui me répondaient négativement d’une lettre standardisée.
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Depuis que j’habite à Rouen, je ne vais jamais dans ce coin-là. Non que je sois devenu capon, mais je n’ai rien à y faire.
23 mai 2020
Etre le premier, c’est ce que je fais quand je peux. Ainsi ce vendredi : sept heures trente à la boulangerie de la rue Saint-Nicolas, huit heures trente chez U Express où certains rayons sont vides (ce n’est pas la pénurie mais une grosse panne d’informatique qui empêche les commandes depuis deux jours), neuf heures trente chez mon habituelle coiffeuse pour hommes pas vue depuis longtemps.
Son salon où nous nous tenons masqués est totalement transformé. Une construction forteresse bois et plexiglas, située à droite en entrant, remplace l’ancien comptoir de fond de salon.
Elle s’y tient un moment, occupée à régler un problème d’Internet. Sa boxe ne fonctionne plus. Il faut qu’elle fasse renvoyer ses appels sur son téléphone portatif. Son interlocuteur s’en occupe puis résout rapidement la panne. Elle peut demander à Alexa de mettre la radio, Nostalgie bien sûr, puis s’occupe de moi qui attendais sur l’unique fauteuil à champouin
-Il n’y a pas de manches, me signale-t-elle en me passant ce qui sert maintenant de blouse, une protection en tissu synthétique bleu qui fait penser à un vêtement d’hôpital.
Cette blouse est lavable et réutilisable, m’explique-t-elle. Tout son matériel d’hygiène provient d’une boutique sise à Isneauville.
Ce salon depuis toujours ne permet d’accueillir qu’un client à la fois, ce que je trouve rassurant. Ça n’empêche pas Raoul de passer la tête à la porte parce que ne sait plus à quelle heure il a rendez-vous l’après-midi, trois heures ou trois heures et demie.
La situation nouvelle n’a pas diminué la propension au bavardage de celle qui me champouine. Son masque ne la gêne en rien, alors que de mon côté, il a plutôt tendance à agir comme un bâillon. Elle me parle du protocole mis en place par le syndicat de la coiffure, qu’elle suit à la lettre. « Je suis un peu paranoïaque », me dit-elle, ajoutant que chez elle tous les membres de la famille changent de vêtements avant de pénétrer dans la maison.
Quand je passe sur l’unique fauteuil de coupe, on se met d’accord pour deux centimètres au lieu d’un, mais pas plus. En général, elle demande à ses clients de détacher le masque pour faire le tour d’oreille, « mais avec vous, ce n’est pas la peine ». « En plus on m’a volé ma chaise. » « Oui, une chaise que j’avais mise dehors près de la porte ».
-Vingt et un euros, me dit-elle l’affaire faite.
Je les glisse sous le plexiglas. Avant-guerre, c’était dix-neuf. L’augmentation n’est pas due qu’au coronavirus mais aussi à l'accroissement du loyer. Un petit coup de tampon sur ma carte de fidélité et je lui souhaite une bonne journée.
Son salon où nous nous tenons masqués est totalement transformé. Une construction forteresse bois et plexiglas, située à droite en entrant, remplace l’ancien comptoir de fond de salon.
Elle s’y tient un moment, occupée à régler un problème d’Internet. Sa boxe ne fonctionne plus. Il faut qu’elle fasse renvoyer ses appels sur son téléphone portatif. Son interlocuteur s’en occupe puis résout rapidement la panne. Elle peut demander à Alexa de mettre la radio, Nostalgie bien sûr, puis s’occupe de moi qui attendais sur l’unique fauteuil à champouin
-Il n’y a pas de manches, me signale-t-elle en me passant ce qui sert maintenant de blouse, une protection en tissu synthétique bleu qui fait penser à un vêtement d’hôpital.
Cette blouse est lavable et réutilisable, m’explique-t-elle. Tout son matériel d’hygiène provient d’une boutique sise à Isneauville.
Ce salon depuis toujours ne permet d’accueillir qu’un client à la fois, ce que je trouve rassurant. Ça n’empêche pas Raoul de passer la tête à la porte parce que ne sait plus à quelle heure il a rendez-vous l’après-midi, trois heures ou trois heures et demie.
La situation nouvelle n’a pas diminué la propension au bavardage de celle qui me champouine. Son masque ne la gêne en rien, alors que de mon côté, il a plutôt tendance à agir comme un bâillon. Elle me parle du protocole mis en place par le syndicat de la coiffure, qu’elle suit à la lettre. « Je suis un peu paranoïaque », me dit-elle, ajoutant que chez elle tous les membres de la famille changent de vêtements avant de pénétrer dans la maison.
Quand je passe sur l’unique fauteuil de coupe, on se met d’accord pour deux centimètres au lieu d’un, mais pas plus. En général, elle demande à ses clients de détacher le masque pour faire le tour d’oreille, « mais avec vous, ce n’est pas la peine ». « En plus on m’a volé ma chaise. » « Oui, une chaise que j’avais mise dehors près de la porte ».
-Vingt et un euros, me dit-elle l’affaire faite.
Je les glisse sous le plexiglas. Avant-guerre, c’était dix-neuf. L’augmentation n’est pas due qu’au coronavirus mais aussi à l'accroissement du loyer. Un petit coup de tampon sur ma carte de fidélité et je lui souhaite une bonne journée.
22 mai 2020
Quoi de plus approprié en ce jeudi d’Ascension que de faire celle de la Côte Sainte-Catherine. Ce pourquoi, vers sept heures du matin, je me dirige vers le faubourg Martainville.
Passé sous la voie rapide, je prends le sentier de grande randonnée qui démarre à proximité du cimetière du Mont-Gargan et, ne disposant pas des moyens du nommé Jésus, grimpe marche après marche l’escalier bucolique qui m’éloigne de la ville, m’arrêtant à chaque virage pour le photographier, ainsi que les animaux domestiques rencontrés à mi-hauteur broutant les herbes hautes.
Je suis fort étonné d’atteindre le sommet en à peine plus d’une demi-heure. Du belvédère où l’on peut aussi arriver par la route, les poubelles débordantes en témoignant, je contemple la ville et ses banlieues. Au centre, la Seine, son île Lacroix et ses ponts. A gauche, la rive ouvrière à usines Seveso où se font remarquer les immeubles à l’architecture plus élaborée du Grand-Quevilly. A droite, la rive bourgeoise avec pour monument emblématique la Cathédrale au gros pansement blanc. En fond sonore, le ronronnement de la circulation routière et ferroviaire mâtiné de zoizotements multiples.
Nul autre que moi ici, je redescends un peu pour aller m’asseoir sur l’unique banc de pierre où, par le passé, je fus près d’une sans la moindre distanciation physique.
Lorsque je me décide à rentrer, je fais un détour pour me rapprocher des moutons et des chèvres à clochette, songeant à la montagne avec un peu de mélancolie. Un bélier essaie de grimper une brebis mais celle-ci lui rappelle que lorsque c’est non, c’est non.
Un peu plus bas, j’aperçois qui monte une jolie fille à lunettes vêtue de noir à qui le chorte va particulièrement bien. Arrivé à sa hauteur, elle me montre son dos, occupée qu’elle est à faire une photo. Quand elle se retourne, s’apercevoir de ma présence ne l’effraie nullement. Nous nous saluons avec un sourire puis nous nous croisons en respectant les gestes barrières.
*
Cette vie au rabais ne présente pas d’intérêt, à part le fait d’être encore vivant. Quel film pourra-t-on faire qui se passera en deux mille vingt hormis une histoire d’amour entre une infirmière et un malade du Covid Dix-Neuf, tous deux porteurs d’un préservatif bucco-nasal ?
*
Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
J’ai depuis ce matin un pincement à l’occiput et la tête lourde comme si je portais dedans un quintal de plomb. Gustave Flaubert à Louise Colet, le samedi vingt-six juin mil huit cent cinquante-deux.
Passé sous la voie rapide, je prends le sentier de grande randonnée qui démarre à proximité du cimetière du Mont-Gargan et, ne disposant pas des moyens du nommé Jésus, grimpe marche après marche l’escalier bucolique qui m’éloigne de la ville, m’arrêtant à chaque virage pour le photographier, ainsi que les animaux domestiques rencontrés à mi-hauteur broutant les herbes hautes.
Je suis fort étonné d’atteindre le sommet en à peine plus d’une demi-heure. Du belvédère où l’on peut aussi arriver par la route, les poubelles débordantes en témoignant, je contemple la ville et ses banlieues. Au centre, la Seine, son île Lacroix et ses ponts. A gauche, la rive ouvrière à usines Seveso où se font remarquer les immeubles à l’architecture plus élaborée du Grand-Quevilly. A droite, la rive bourgeoise avec pour monument emblématique la Cathédrale au gros pansement blanc. En fond sonore, le ronronnement de la circulation routière et ferroviaire mâtiné de zoizotements multiples.
Nul autre que moi ici, je redescends un peu pour aller m’asseoir sur l’unique banc de pierre où, par le passé, je fus près d’une sans la moindre distanciation physique.
Lorsque je me décide à rentrer, je fais un détour pour me rapprocher des moutons et des chèvres à clochette, songeant à la montagne avec un peu de mélancolie. Un bélier essaie de grimper une brebis mais celle-ci lui rappelle que lorsque c’est non, c’est non.
Un peu plus bas, j’aperçois qui monte une jolie fille à lunettes vêtue de noir à qui le chorte va particulièrement bien. Arrivé à sa hauteur, elle me montre son dos, occupée qu’elle est à faire une photo. Quand elle se retourne, s’apercevoir de ma présence ne l’effraie nullement. Nous nous saluons avec un sourire puis nous nous croisons en respectant les gestes barrières.
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Cette vie au rabais ne présente pas d’intérêt, à part le fait d’être encore vivant. Quel film pourra-t-on faire qui se passera en deux mille vingt hormis une histoire d’amour entre une infirmière et un malade du Covid Dix-Neuf, tous deux porteurs d’un préservatif bucco-nasal ?
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Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
J’ai depuis ce matin un pincement à l’occiput et la tête lourde comme si je portais dedans un quintal de plomb. Gustave Flaubert à Louise Colet, le samedi vingt-six juin mil huit cent cinquante-deux.
21 mai 2020
Plus question de lire au soleil sur le banc, la chaleur est désormais estivale. C’est à l’ombre, sur une chaise de campigne achetée l’an dernier et pratiquement pas utilisée, que j’entame le tome deux des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert.
Dans la foulée (si je puis dire), je remplace plateau et tréteaux par ma vieille table de campigne fabriquée en Europe de l’Est au temps du communisme et qui en a vu beaucoup. Son avantage est d’être moins lourde. Cela me permet de ménager ma hernie débutante, laquelle je ne sens plus depuis plusieurs jours. De même, je ne sens plus la gêne dans mon oreille droite. Là, c’est peut-être dû au bain de bouche. On ne peut exclure qu’un médicament soit efficace.
Pas question que je mette le pied en ville l’après-midi en ce début de ouiquennede prolongé, vu la foule que j’y ai croisée ce matin. Que faisaient là toutes ces personnes, je me le demande car les magasins restent peu fréquentés. Le commerce en mode dégradé ne passionne par les foules, même lorsqu’il est favorisé par le réchauffement climatique.
La réouverture possible, si ce n’est probable, des cafés et restaurants, dont s’entretient par haut-parleur, au moment où j’écris ceci dans le jardin, avec un de ses anciens copains d’école hôtelière, un voisin qui travaille dans l’un, n’est même pas pour me réjouir. Ce sera avec contraintes, et toute contrainte me fait fuir
Tout à coup, la porte donnant sur la ruelle s’ouvre brutalement et le trentenaire qui apparaît la place en position de rester ouverte. Voyant mon air interrogateur, il me déclare « Je suis le syndic » sur le ton de « Je suis le maître ici ». Il ajoute qu’il attend un artisan.
-Je n’ai pas pris mon masque, annonce ce dernier quand il arrive.
-Moi non plus, lui dit l’autre, on va rester à distance.
Le problème est le suivant. Le tout-à-l’égout d’une partie de la copropriété passe sous la cour de nos voisins mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et suite à une rupture de canalisation sur quatre mètres, cette cour s’est affaissée. De plus, une cave a été inondée.
L’artisan explique qu’il ne peut rien envisager tant qu’il n’a pas le plan du réseau. Il donne le nom d’une personne pouvant le faire, coût estimé entre mille et mille deux cents euros.
Les deux hommes s’en vont sans me dire au revoir. J’entends déjà le bruit du marteau-piqueur.
*
Nouveau message gouvernemental sur France Culture à six heures du matin : « Le virus est toujours là et neuf personnes sur dix mourant d’une infection à coronavirus ont plus de soixante-cinq ans. Alors soyez prudents. » Au cas où je n’y penserais pas dès mon lever.
*
Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
Lever ; Dieu soit loué ! je me sens assez bien à présent, mais ne puis toujours pas aller à la selle normalement ; et alors que j’allais jouir de ma femme ce matin, je sentis une très vive douleur à l’extrémité de ma verge, quand elle se fit raide, comme si j’avais froissé quelque nerf ou une veine, et cela me fit très mal. Samuel Pepys, Journal, quinze octobre mil six cent soixante-trois.
Dans la foulée (si je puis dire), je remplace plateau et tréteaux par ma vieille table de campigne fabriquée en Europe de l’Est au temps du communisme et qui en a vu beaucoup. Son avantage est d’être moins lourde. Cela me permet de ménager ma hernie débutante, laquelle je ne sens plus depuis plusieurs jours. De même, je ne sens plus la gêne dans mon oreille droite. Là, c’est peut-être dû au bain de bouche. On ne peut exclure qu’un médicament soit efficace.
Pas question que je mette le pied en ville l’après-midi en ce début de ouiquennede prolongé, vu la foule que j’y ai croisée ce matin. Que faisaient là toutes ces personnes, je me le demande car les magasins restent peu fréquentés. Le commerce en mode dégradé ne passionne par les foules, même lorsqu’il est favorisé par le réchauffement climatique.
La réouverture possible, si ce n’est probable, des cafés et restaurants, dont s’entretient par haut-parleur, au moment où j’écris ceci dans le jardin, avec un de ses anciens copains d’école hôtelière, un voisin qui travaille dans l’un, n’est même pas pour me réjouir. Ce sera avec contraintes, et toute contrainte me fait fuir
Tout à coup, la porte donnant sur la ruelle s’ouvre brutalement et le trentenaire qui apparaît la place en position de rester ouverte. Voyant mon air interrogateur, il me déclare « Je suis le syndic » sur le ton de « Je suis le maître ici ». Il ajoute qu’il attend un artisan.
-Je n’ai pas pris mon masque, annonce ce dernier quand il arrive.
-Moi non plus, lui dit l’autre, on va rester à distance.
Le problème est le suivant. Le tout-à-l’égout d’une partie de la copropriété passe sous la cour de nos voisins mormons de l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et suite à une rupture de canalisation sur quatre mètres, cette cour s’est affaissée. De plus, une cave a été inondée.
L’artisan explique qu’il ne peut rien envisager tant qu’il n’a pas le plan du réseau. Il donne le nom d’une personne pouvant le faire, coût estimé entre mille et mille deux cents euros.
Les deux hommes s’en vont sans me dire au revoir. J’entends déjà le bruit du marteau-piqueur.
*
Nouveau message gouvernemental sur France Culture à six heures du matin : « Le virus est toujours là et neuf personnes sur dix mourant d’une infection à coronavirus ont plus de soixante-cinq ans. Alors soyez prudents. » Au cas où je n’y penserais pas dès mon lever.
*
Qui n’a pas ses petits soucis de santé :
Lever ; Dieu soit loué ! je me sens assez bien à présent, mais ne puis toujours pas aller à la selle normalement ; et alors que j’allais jouir de ma femme ce matin, je sentis une très vive douleur à l’extrémité de ma verge, quand elle se fit raide, comme si j’avais froissé quelque nerf ou une veine, et cela me fit très mal. Samuel Pepys, Journal, quinze octobre mil six cent soixante-trois.
20 mai 2020
La côte du Cimetière Monumental n’usurpe pas son nom, ça monte et le vieux piéton que je suis doit s’asseoir par deux fois sur le muret afin de reprendre souffle. Les nuages n’ont pas encore tous disparu en ce début d’après-midi de mardi, ce qui me permet de ne pas trop suer. Je ne suis pas gêné par autrui, qui à part moi aurait l’idée d’aller du centre de Rouen à son principal cimetière à pied.
A l’entrée, je repère vaguement sur le plan les tombes des deux que je suis venu visiter : Flaubert et Duchamp. Dans l’allée, une vieille flèche guide vers le premier. Elle n’est pas assez précise pour que je le trouve. Heureusement, je ne suis pas complètement seul dans ce cimetière ; un jeune homme vêtu de noir y erre, à qui je m’adresse et qui m’y conduit.
-J’y suis déjà venu plusieurs fois, lui dis-je, mais je ne la retrouve jamais du premier coup malgré le plan et la flèche.
-On ne peut pas s’y fier, me répond-il, moi je me repère à la chapelle puis au menhir.
Effectivement, à gauche du bâtiment majestueux mais lugubre recevant des urnes de défunts, puis à droite de la tombe prétentieuse à menhir d’un peintre oublié, se trouve le caveau des Flaubert. Je remercie l’aimable jeune homme et photographie l’enclos barriéré.
Au centre, couchés l’un à côté de l’autre comme dans leur lit conjugal, le père et la mère, à droite la sœur, Gustave est dans le lit d’enfant à gauche. Sur sa pierre tombale, une ancienne couronne mortuaire s’est transformée en bouée de sauvetage. Personne ne vient là poser une fleur. « Amour Respect Regrets éternels », est-il gravé dans la pierre, c’est pour Achille Cléophas. « Ci-gît » la mère de Flaubert. « Ici repose » le père de Flaubert. « Ici repose » la sœur de Flaubert. « Ici repose le corps de Gustave Flaubert. ». Nuance.
J’aurais dû demander à l’autre visiteur de cimetière, l’emplacement de la tombe de Duchamp, me dis-je quand je me mets à sa recherche. Je me souviens qu’elle est en contrebas de celle de Flaubert et proche du mur d’enceinte. Coup de chance, en descendant à droite, je vois apparaître, devant le monument de l’érotique famille Trousse Pelletier, la vieille pancarte « Sépultures de la famille Duchamp ». Un petit chemin bucolique de trois mètres de longueur y mène.
Pas moins de dix-neuf personnes, confinées en famille pour toujours, se serrent en trois caveaux parallèles. Marcel se trouve avec frères et sœur dans celui de droite, sur lequel gagne la végétation et au pied duquel ont été posées des « œuvres d’art » que je me retiens d’aller mettre à la poubelle. Ce n’est pas lui qui prend le plus de place, ayant été incinéré avec ses clés oubliées dans sa poche. Le bien connu « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » est gravé dans la pierre au-dessus de son nom. Certains membres de la famille reposent ici « en attendant la résurrection ». En bordure d’allée, un peu au-dessus des sépultures des Duchamp se trouve celle de Joseph-Désiré Court dont le buste est couronné par la statue de la gloire, témoignage de la vanité des artistes de cette époque.
Globalement, ce Cimentière Monumental manque de charme, rien à voir avec le Père Lachaise. Pour ne rien arranger, par absence de bancs, on ne peut s’y asseoir. Mon intention d’y poursuivre la lecture des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert est rendue à néant. Après avoir uriné contre le mur d’enceinte, je redescends la côte, visant une Cathédrale encore embrumée.
*
En fait de cimetières, j’aime ceux qui sont dégradés, ravagés, en ruines, plein de ronces, avec des herbes hautes, et quelque vache échappée du clos voisin qui vient brouter là tranquillement. écrivait Gustave Flaubert, en voyage à Londres, à Louise Colet le dimanche vingt-huit septembre mil huit cent cinquante et un.
On n’en est pas encore là à Rouen malgré l’abandon du traitement au glyphosate.
*
Michel Piccoli est mort lui aussi, à quatre-vingt-quatorze ans, en son Château de la Cour à Saint-Philbert-sur-Risle, un acteur qui eut le mérite de mettre sa notoriété au service de films que la moralité du vingt et unième siècle ne permettrait plus.
Il habitait déjà son château quand je vivais pas très loin au Bec-Hellouin début des années quatre-vingt. A cette époque, un projet d’autoroute devait la faire passer à proximité de sa propriété. Il téléphona à son ami Président, le Mythe Errant, et la nuisance fut déplacée de quelques kilomètres. Les nouveaux concernés manifestèrent avec des pancartes « Non au tracé Piccoli », en vain.
Je ne raconte pas ça pour le condamner. A sa place, j’aurais fait la même chose.
A l’entrée, je repère vaguement sur le plan les tombes des deux que je suis venu visiter : Flaubert et Duchamp. Dans l’allée, une vieille flèche guide vers le premier. Elle n’est pas assez précise pour que je le trouve. Heureusement, je ne suis pas complètement seul dans ce cimetière ; un jeune homme vêtu de noir y erre, à qui je m’adresse et qui m’y conduit.
-J’y suis déjà venu plusieurs fois, lui dis-je, mais je ne la retrouve jamais du premier coup malgré le plan et la flèche.
-On ne peut pas s’y fier, me répond-il, moi je me repère à la chapelle puis au menhir.
Effectivement, à gauche du bâtiment majestueux mais lugubre recevant des urnes de défunts, puis à droite de la tombe prétentieuse à menhir d’un peintre oublié, se trouve le caveau des Flaubert. Je remercie l’aimable jeune homme et photographie l’enclos barriéré.
Au centre, couchés l’un à côté de l’autre comme dans leur lit conjugal, le père et la mère, à droite la sœur, Gustave est dans le lit d’enfant à gauche. Sur sa pierre tombale, une ancienne couronne mortuaire s’est transformée en bouée de sauvetage. Personne ne vient là poser une fleur. « Amour Respect Regrets éternels », est-il gravé dans la pierre, c’est pour Achille Cléophas. « Ci-gît » la mère de Flaubert. « Ici repose » le père de Flaubert. « Ici repose » la sœur de Flaubert. « Ici repose le corps de Gustave Flaubert. ». Nuance.
J’aurais dû demander à l’autre visiteur de cimetière, l’emplacement de la tombe de Duchamp, me dis-je quand je me mets à sa recherche. Je me souviens qu’elle est en contrebas de celle de Flaubert et proche du mur d’enceinte. Coup de chance, en descendant à droite, je vois apparaître, devant le monument de l’érotique famille Trousse Pelletier, la vieille pancarte « Sépultures de la famille Duchamp ». Un petit chemin bucolique de trois mètres de longueur y mène.
Pas moins de dix-neuf personnes, confinées en famille pour toujours, se serrent en trois caveaux parallèles. Marcel se trouve avec frères et sœur dans celui de droite, sur lequel gagne la végétation et au pied duquel ont été posées des « œuvres d’art » que je me retiens d’aller mettre à la poubelle. Ce n’est pas lui qui prend le plus de place, ayant été incinéré avec ses clés oubliées dans sa poche. Le bien connu « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » est gravé dans la pierre au-dessus de son nom. Certains membres de la famille reposent ici « en attendant la résurrection ». En bordure d’allée, un peu au-dessus des sépultures des Duchamp se trouve celle de Joseph-Désiré Court dont le buste est couronné par la statue de la gloire, témoignage de la vanité des artistes de cette époque.
Globalement, ce Cimentière Monumental manque de charme, rien à voir avec le Père Lachaise. Pour ne rien arranger, par absence de bancs, on ne peut s’y asseoir. Mon intention d’y poursuivre la lecture des Lettres à sa maîtresse de Gustave Flaubert est rendue à néant. Après avoir uriné contre le mur d’enceinte, je redescends la côte, visant une Cathédrale encore embrumée.
*
En fait de cimetières, j’aime ceux qui sont dégradés, ravagés, en ruines, plein de ronces, avec des herbes hautes, et quelque vache échappée du clos voisin qui vient brouter là tranquillement. écrivait Gustave Flaubert, en voyage à Londres, à Louise Colet le dimanche vingt-huit septembre mil huit cent cinquante et un.
On n’en est pas encore là à Rouen malgré l’abandon du traitement au glyphosate.
*
Michel Piccoli est mort lui aussi, à quatre-vingt-quatorze ans, en son Château de la Cour à Saint-Philbert-sur-Risle, un acteur qui eut le mérite de mettre sa notoriété au service de films que la moralité du vingt et unième siècle ne permettrait plus.
Il habitait déjà son château quand je vivais pas très loin au Bec-Hellouin début des années quatre-vingt. A cette époque, un projet d’autoroute devait la faire passer à proximité de sa propriété. Il téléphona à son ami Président, le Mythe Errant, et la nuisance fut déplacée de quelques kilomètres. Les nouveaux concernés manifestèrent avec des pancartes « Non au tracé Piccoli », en vain.
Je ne raconte pas ça pour le condamner. A sa place, j’aurais fait la même chose.
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