Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
31 août 2018
J’ai une place numérotée dans le sept heures cinquante-neuf pour Paris, ce mercredi, mais je ne la cherche pas. Après un voyage sans histoire, hormis un arrêt de cinq minutes à quelques centaines de mètres du but, celui qui m’attendait me reconnaît au sac en plastique Pages Jaunes dans lequel sont les livres que je lui ai vendus. Il est plus vieux que me le laissait entendre sa voix au téléphone. Je suppose qu’il pense la même chose pour moi. Il me donne les codes de retrait. Je lui donne sa commande. C’est allégé que je rejoins en métro Ledru-Rollin. Un café vite bu au Faubourg et me voici devant le rideau de Book-Off au moment où il se lève.
Parmi les livres à un euro du rayon Littérature, je mets la main sur le Journal de la jeune Rywka Lipszyc édité en deux mille quinze par Calmann-Lévy et dont le manuscrit fut trouvé par une femme médecin de l’Armée Rouge dans les ruines du camp d’Auschwitz-Birkenau.
Il fait lourd, le ciel est gris tirant sur le noir, l’averse annoncée. Jamais je n’ai vu la place d’Aligre si peu fréquentée par les brocanteurs et vendeurs de livres. Je me réfugie chez Emmaüs, rue de Charonne, où le problème de la matinée est difficile à régler. Une femme est venue hier donner plusieurs cartons d’objets divers. Par erreur, elle y a laissé ses télécommandes. Elle les réclame. Oui mais les cartons sont partis à Montreuil.
J’achète trois poches pour un euro dont les Fables de La Fontaine dans l’édition Garnier Flammarion. J’ai envie d’enfin les lire toutes. Le train est le lieu pour cela.
Un peu plus loin dans cette rue se trouve l’un des cinq Chez Gladines, « bistro resto » dont le mobilier pourrait provenir de chez son voisin. Une jeune serveuse un peu survoltée m’installe à l’une des petites tables. Sans trop réfléchir, je commande la formule du jour : une bavette d’aloyau haricots verts sauce échalote et une tarte Tatin, pour boire un quart de saint-chinian.
Le jeune serveur porte un maillot de foute dont le devant est siglé d’un nom qui m’est familier : Rakuten. Je l’interroge.
-Rakuten, ils viennent de racheter Price Minister.
-Oui, je sais. Mais pourquoi ce nom sur ce maillot ?
-C’est le maillot du Barça. Ils le sponsorisent depuis deux ans.
Je ne sais si c’est rassurant.
-Tartatin !, claironne sa collègue quand elle m’apporte le dessert.
Si la bavette était décevante, cette tarte est excellente. Je règle la somme ronde de vingt euros puis, sans qu’il ait encore plu, me dirige vers La Maison Rouge afin d’y faire une ultime visite, celle de l’exposition L’Envol.
Parmi les livres à un euro du rayon Littérature, je mets la main sur le Journal de la jeune Rywka Lipszyc édité en deux mille quinze par Calmann-Lévy et dont le manuscrit fut trouvé par une femme médecin de l’Armée Rouge dans les ruines du camp d’Auschwitz-Birkenau.
Il fait lourd, le ciel est gris tirant sur le noir, l’averse annoncée. Jamais je n’ai vu la place d’Aligre si peu fréquentée par les brocanteurs et vendeurs de livres. Je me réfugie chez Emmaüs, rue de Charonne, où le problème de la matinée est difficile à régler. Une femme est venue hier donner plusieurs cartons d’objets divers. Par erreur, elle y a laissé ses télécommandes. Elle les réclame. Oui mais les cartons sont partis à Montreuil.
J’achète trois poches pour un euro dont les Fables de La Fontaine dans l’édition Garnier Flammarion. J’ai envie d’enfin les lire toutes. Le train est le lieu pour cela.
Un peu plus loin dans cette rue se trouve l’un des cinq Chez Gladines, « bistro resto » dont le mobilier pourrait provenir de chez son voisin. Une jeune serveuse un peu survoltée m’installe à l’une des petites tables. Sans trop réfléchir, je commande la formule du jour : une bavette d’aloyau haricots verts sauce échalote et une tarte Tatin, pour boire un quart de saint-chinian.
Le jeune serveur porte un maillot de foute dont le devant est siglé d’un nom qui m’est familier : Rakuten. Je l’interroge.
-Rakuten, ils viennent de racheter Price Minister.
-Oui, je sais. Mais pourquoi ce nom sur ce maillot ?
-C’est le maillot du Barça. Ils le sponsorisent depuis deux ans.
Je ne sais si c’est rassurant.
-Tartatin !, claironne sa collègue quand elle m’apporte le dessert.
Si la bavette était décevante, cette tarte est excellente. Je règle la somme ronde de vingt euros puis, sans qu’il ait encore plu, me dirige vers La Maison Rouge afin d’y faire une ultime visite, celle de l’exposition L’Envol.
30 août 2018
Le beau temps revenu, je m’installe à midi ce mardi à l’une des tables au soleil du Son du Cor. Le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y commence la lecture de Correspondance avec Ferny Besson d’Alexandre Vialatte. Pas loin de moi, côté droit, est une jolie fille à petite robe bleu ciel qui mange des cubes de fromage avec son sirop de violette tout en tournant les pages d’un livre de poche hélas de Paolo Coelho. Trois autres filles à longues jupes, style Lycée Jeanne d’Arc, s’assoient à ma gauche. Elles parlent bruyamment d’autres filles qui aiment plusieurs filles à la fois puis de la pratique du théâtre qui fait du bien à la timidité. Le téléphone d’une retentit.
-Je suis au Son du Cor, répond-elle, tu peux venir me faire un p’tit bisou.
-C’était Léon, annonce-t-elle aux deux autres. Il est super gentil mais qu’est-ce qu’il est chiant avec sa politique.
J’ai suffisamment d’indices pour savoir de qui elle parle.
-Salut, ça va bien ? me dit-il après avoir embrassé le trio.
-J’étais sûr que c’était toi qui allais arriver, lui dis-je mais je ne lui explique pas pourquoi.
La fille à la petite robe bleu ciel me sourit quand elle se lève. Je la regarde disparaître entre les maisons qui se rapprochent à l’entrée de la rue du Pont-Codrille, lisant tout en marchant, une chose que je n’ai jamais été capable de faire.
Quand le soleil me quitte, je vais payer mon euro quarante à l’intérieur. Au bout de la rue d’Amiens, un homme à petites lunettes bleu ciel s’avance pour me serrer la main
-Bonjour, vous allez bien ? me dit-il
-Je vous connais, lui dis-je, mais je ne sais plus d’où.
-Je suis l’ancien patron du Marégraphe.
Cela me ramène bien des années en arrière. Il m’apprend que désormais il travaille chez Axa et me demande si je vais toujours là-bas. Je réponds par la négative. Depuis son départ l’endroit a changé en mal. Adieu les jolies chaises et tables colorées de la terrasse où je lisais au bord de la Seine. Je lui demande si son nouveau travail lui va. Il me répond qu’il faut se sentir bien là où on est.
Après être repassé par chez moi, je ressors pour rejoindre la terrasse du Sacre, sûr d’y trouver plein soleil. A peine suis-je assis que le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y poursuis ma lecture des lettres de Vialatte jusqu’à ce qu’il soit seize heures. Je vais payer mon euro quarante à l’intérieur puis rentre installer dans le jardin à l’ombre une planche sur deux tréteaux afin d’y poser mon ordinateur et raconter mon dernier mardi d’août, bleu ciel.
-Je suis au Son du Cor, répond-elle, tu peux venir me faire un p’tit bisou.
-C’était Léon, annonce-t-elle aux deux autres. Il est super gentil mais qu’est-ce qu’il est chiant avec sa politique.
J’ai suffisamment d’indices pour savoir de qui elle parle.
-Salut, ça va bien ? me dit-il après avoir embrassé le trio.
-J’étais sûr que c’était toi qui allais arriver, lui dis-je mais je ne lui explique pas pourquoi.
La fille à la petite robe bleu ciel me sourit quand elle se lève. Je la regarde disparaître entre les maisons qui se rapprochent à l’entrée de la rue du Pont-Codrille, lisant tout en marchant, une chose que je n’ai jamais été capable de faire.
Quand le soleil me quitte, je vais payer mon euro quarante à l’intérieur. Au bout de la rue d’Amiens, un homme à petites lunettes bleu ciel s’avance pour me serrer la main
-Bonjour, vous allez bien ? me dit-il
-Je vous connais, lui dis-je, mais je ne sais plus d’où.
-Je suis l’ancien patron du Marégraphe.
Cela me ramène bien des années en arrière. Il m’apprend que désormais il travaille chez Axa et me demande si je vais toujours là-bas. Je réponds par la négative. Depuis son départ l’endroit a changé en mal. Adieu les jolies chaises et tables colorées de la terrasse où je lisais au bord de la Seine. Je lui demande si son nouveau travail lui va. Il me répond qu’il faut se sentir bien là où on est.
Après être repassé par chez moi, je ressors pour rejoindre la terrasse du Sacre, sûr d’y trouver plein soleil. A peine suis-je assis que le café verre d’eau m’arrive sans que j’aie besoin de le commander. J’y poursuis ma lecture des lettres de Vialatte jusqu’à ce qu’il soit seize heures. Je vais payer mon euro quarante à l’intérieur puis rentre installer dans le jardin à l’ombre une planche sur deux tréteaux afin d’y poser mon ordinateur et raconter mon dernier mardi d’août, bleu ciel.
29 août 2018
Lecture est faite, un peu dans le Nord, le reste au Son du Cor, de Correspondance (1873-1939) de Sigmund Freud publié dans la collection Connaissance de l’Inconscient chez Gallimard en mil neuf cent soixante-six, mon exemplaire provenant de chez Book-Off où je l’ai payé un euro. Cet ouvrage ne recueille que les missives d’ordre personnel, pas celles faisant état de ses travaux en psychanalyse, et c’est pourquoi je l’ai acheté.
Le temps gris et froid de ce lundi m’est l’occasion, au café Le Grand Saint Marc, égayé par le babillage de la petite serveuse qui narre un épisode de ses quinze ans, d’en taper quelques extraits choisis:
Bien des choses capables de plaire à d’autres ne trouvent pas grâce à mes yeux, parce que je ne suis ni ceci, ni cela, dans mon fond je ne suis rien. A Emil Fluss, Vienne, le seize juin mil huit cent soixante-treize, Freud a alors dix-sept ans
Je ne me sentirai pas fatigué, car je serai sous l’effet de la cocaïne que j’absorberai pour maîtriser ma terrible impatience. A Martha Bernays, sa fiancée, Vienne, le vingt-neuf juin mil huit cent quatre-vingt-quatre
Tout d’abord, si je t’autoriserai à patiner ? Sûrement non ; je suis trop jaloux. Je ne sais pas patiner et je n’aurais du reste pas le temps de t’accompagner et il faudrait cependant que tu sois accompagnée. Renonces-y donc. A Martha Bernays, Vienne, le mercredi vingt et un janvier mil huit cent quatre-vingt-cinq
Ne sais-tu pas d’ailleurs, que seuls les pauvres sont gênés de recevoir des cadeaux, les riches jamais ? A Martha Bernays, Vienne, le dix mars mil huit cent quatre-vingt-cinq
Et puis, cette façon d’enjôler, d’implorer, d’étreindre ; incroyables, les attitudes qu’elle prend, la manière dont elle se serre contre quelqu'un, sa façon de mouvoir ses membres et la moindre de ses articulations. Curieuse créature ! A Martha Bernays, Paris, le huit novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq (à propos de Sarah Bernhard qu’il est allé voir dans Théodora à la Porte Saint-Martin)
Gants blancs, cravate blanche et même une chemise neuve, une séance chez le coiffeur pour ce qui me reste de cheveux, etc. Un peu de cocaïne pour me délier la langue. A Martha Bernays, Paris, le lundi dix-huit janvier mil huit cent quatre-vingt-six (s’apprêtant pour une soirée chez Charcot)
Mlle Jeanne Charcot est toute différente, petite, elle aussi, un peu forte, d’une ressemblance comique avec son père génial, ce qui, tout en la rendant intéressante, fait qu’on ne se demande même pas si elle est jolie. A Martha Bernays, Paris, le vingt janvier mil huit cent quatre-vingt-six
Vers la fin de la soirée seulement, j’ai entamé une conversation politique avec Gilles de la Tourette dans laquelle il a, bien entendu, prophétisé la plus terrible des guerres avec l’Allemagne. Je lui ai fait savoir aussitôt que je n’étais ni Allemand ni Autrichien mais juif. A Martha Bernays, Paris, le mardi deux février mil huit cent quatre-vingt-six
Depuis une quinzaine d’années, je n’ai plus voulu poser devant un photographe parce que je suis trop vaniteux pour supporter la vue de ma déchéance physique. A Carl Gustav Jung, Rome, le dix-neuf septembre mil neuf cent sept (il a cinquante et un ans)
La morale sexuelle, telle qu’elle est définie par la société, surtout dans sa forme extrême qui est celle de l’Amérique, me paraît fort méprisable. Je suis partisan d’une vie sexuelle infiniment plus libre, bien que j’aie fort peu usé moi-même d’une telle liberté. A James J. Putnam, Vienne, le huit juillet mil neuf cent quinze
J’appartiens en effet à une race qui, au Moyen Age, fut tenue pour responsable de toutes les épidémies qui frappent les peuples et que l’on accuse présentement de la décadence de l’Empire en Autriche et de la perte de guerre en Allemagne. De telles expériences vous refroidissent et vous incitent peu à croire aux illusions. (…/…)
… si nous continuons à nous haïr les uns les autres à cause de différences minimes et à nous tuer pour d’insignifiants profits, si nous exploitons sans cesse pour notre anéantissement mutuel les grands progrès réalisés dans le contrôle des forces naturelles, à quelle sorte d’avenir pouvons-nous nous attendre ? A Romain Rolland, Vienne, le quatre mars mil neuf vingt-trois
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. A Stefan Zweig, Londres, le vingt juillet mil neuf cent trente-neuf (il s’agit de Salvador Dali, venu le visiter en son exil)
Je ne vais pas bien, mon mal et les suites du traitement en sont cause, mais dans quelle proportion l’un et l’autre, je l’ignore. On a tenté de me plonger dans une atmosphère d’optimisme en me disant que le carcinome est en régression, que les symptômes réactionnels ne sont que temporaires. Je n’en crois rien et n’aime pas être trompé. A Marie Bonaparte, Londres, le vingt-huit avril mil neuf cent trente-neuf (il mourra à trois heures du matin dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois septembre)
Le temps gris et froid de ce lundi m’est l’occasion, au café Le Grand Saint Marc, égayé par le babillage de la petite serveuse qui narre un épisode de ses quinze ans, d’en taper quelques extraits choisis:
Bien des choses capables de plaire à d’autres ne trouvent pas grâce à mes yeux, parce que je ne suis ni ceci, ni cela, dans mon fond je ne suis rien. A Emil Fluss, Vienne, le seize juin mil huit cent soixante-treize, Freud a alors dix-sept ans
Je ne me sentirai pas fatigué, car je serai sous l’effet de la cocaïne que j’absorberai pour maîtriser ma terrible impatience. A Martha Bernays, sa fiancée, Vienne, le vingt-neuf juin mil huit cent quatre-vingt-quatre
Tout d’abord, si je t’autoriserai à patiner ? Sûrement non ; je suis trop jaloux. Je ne sais pas patiner et je n’aurais du reste pas le temps de t’accompagner et il faudrait cependant que tu sois accompagnée. Renonces-y donc. A Martha Bernays, Vienne, le mercredi vingt et un janvier mil huit cent quatre-vingt-cinq
Ne sais-tu pas d’ailleurs, que seuls les pauvres sont gênés de recevoir des cadeaux, les riches jamais ? A Martha Bernays, Vienne, le dix mars mil huit cent quatre-vingt-cinq
Et puis, cette façon d’enjôler, d’implorer, d’étreindre ; incroyables, les attitudes qu’elle prend, la manière dont elle se serre contre quelqu'un, sa façon de mouvoir ses membres et la moindre de ses articulations. Curieuse créature ! A Martha Bernays, Paris, le huit novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq (à propos de Sarah Bernhard qu’il est allé voir dans Théodora à la Porte Saint-Martin)
Gants blancs, cravate blanche et même une chemise neuve, une séance chez le coiffeur pour ce qui me reste de cheveux, etc. Un peu de cocaïne pour me délier la langue. A Martha Bernays, Paris, le lundi dix-huit janvier mil huit cent quatre-vingt-six (s’apprêtant pour une soirée chez Charcot)
Mlle Jeanne Charcot est toute différente, petite, elle aussi, un peu forte, d’une ressemblance comique avec son père génial, ce qui, tout en la rendant intéressante, fait qu’on ne se demande même pas si elle est jolie. A Martha Bernays, Paris, le vingt janvier mil huit cent quatre-vingt-six
Vers la fin de la soirée seulement, j’ai entamé une conversation politique avec Gilles de la Tourette dans laquelle il a, bien entendu, prophétisé la plus terrible des guerres avec l’Allemagne. Je lui ai fait savoir aussitôt que je n’étais ni Allemand ni Autrichien mais juif. A Martha Bernays, Paris, le mardi deux février mil huit cent quatre-vingt-six
Depuis une quinzaine d’années, je n’ai plus voulu poser devant un photographe parce que je suis trop vaniteux pour supporter la vue de ma déchéance physique. A Carl Gustav Jung, Rome, le dix-neuf septembre mil neuf cent sept (il a cinquante et un ans)
La morale sexuelle, telle qu’elle est définie par la société, surtout dans sa forme extrême qui est celle de l’Amérique, me paraît fort méprisable. Je suis partisan d’une vie sexuelle infiniment plus libre, bien que j’aie fort peu usé moi-même d’une telle liberté. A James J. Putnam, Vienne, le huit juillet mil neuf cent quinze
J’appartiens en effet à une race qui, au Moyen Age, fut tenue pour responsable de toutes les épidémies qui frappent les peuples et que l’on accuse présentement de la décadence de l’Empire en Autriche et de la perte de guerre en Allemagne. De telles expériences vous refroidissent et vous incitent peu à croire aux illusions. (…/…)
… si nous continuons à nous haïr les uns les autres à cause de différences minimes et à nous tuer pour d’insignifiants profits, si nous exploitons sans cesse pour notre anéantissement mutuel les grands progrès réalisés dans le contrôle des forces naturelles, à quelle sorte d’avenir pouvons-nous nous attendre ? A Romain Rolland, Vienne, le quatre mars mil neuf vingt-trois
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme l’alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion. A Stefan Zweig, Londres, le vingt juillet mil neuf cent trente-neuf (il s’agit de Salvador Dali, venu le visiter en son exil)
Je ne vais pas bien, mon mal et les suites du traitement en sont cause, mais dans quelle proportion l’un et l’autre, je l’ignore. On a tenté de me plonger dans une atmosphère d’optimisme en me disant que le carcinome est en régression, que les symptômes réactionnels ne sont que temporaires. Je n’en crois rien et n’aime pas être trompé. A Marie Bonaparte, Londres, le vingt-huit avril mil neuf cent trente-neuf (il mourra à trois heures du matin dans la nuit du vingt-deux au vingt-trois septembre)
28 août 2018
Alors que je passe quasiment tous les jours devant, ce n’est qu’en cette fin d’août que je pousse pour la première fois la porte de la librairie d’occasion Rollon ouverte depuis avril dernier rue de la Croix-de-Fer. L’intérieur en est plus intéressant que la vitrine. On y voit un mur de bédés quasiment neuves, passion d’un des deux bouquinistes associés, et selon l’intérêt de son binôme, qui tient la boutique, des ouvrages consacrés aux sciences humaines, à la littérature et à l’histoire (dont un rayonnage sur les Vikings).
Je n’y trouve rien à acheter mais j’y repasse ce lundi après-midi afin d’y vendre un lot de classiques en poche qui me sont achetés cinquante centimes pièce.
-Il faut que je prenne ma calculette, me dit le libraire quand il s’agit de faire le total.
Je le lui donne avant qu’il la mette en marche. « Il suffit de diviser le nombre de livres par deux », lui dis-je. Il me répond qu’il est un littéraire.
Je repasserai par cette boutique dont je déplore cependant le nom (Rollon, ce pillard incendiaire assassin violeur). Il aurait été préférable de l’appeler Librairie de la Croix de Fer. Cela aurait permis de la situer et lui aurait donc donné davantage de chance de durer.
*
Autre librairie d’occasion ouverte il y a quelque temps à Rouen : la bizarrement nommée Bourse aux Livres, rue Grand-Pont. Sur sa vitrine : « Location et achat de livres d’occasion ». Cette tentative de remettre en vogue la location de livres a échoué. La bouquinerie n’aura pas duré suffisamment de temps pour que j’y entre. Sur sa vitrine : « A louer ».
*
Autre échec commercial, dans un autre domaine : L’Echoppe Normande, rue Saint-Romain, épicerie spécialisée dans les produits régionaux, dont le Meuh Cola. Son gérant avait dû tabler sur le passage des touristes mais comme ceux-ci sont essentiellement inclus dans les troupeaux cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme et qu’ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter pour acheter quoi que ce soit, l’espoir a été déçu. Cette épicerie faisait aussi Point Relais pour les colis, ce qui n’est jamais bon signe.
*
A propos du tourisme de troupeau, deux extraits de l’article publié le vingt et un août par 76actu et titré « Combien rapporte le juteux business des croisiéristes » :
« Ce qui est rassurant avec les touristes en croisière, c’est qu’on sait qu’ils sont là. « On les repère facilement en ville », reconnaît Matthieu de Montchalin, président des Vitrines de Rouen (Seine-Maritime). »
« Il va falloir s’habituer à ces groupes plus ou moins conséquents, parce que les responsables du tourisme en Normandie n’ont pas l’intention de lâcher le filon. « Nous faisons énormément de promotion depuis trois ans, avec un cabinet conseil », confie l’Office de Tourisme de Rouen. »
Matthieu de Montchalin est par ailleurs le directeur de la librairie rouennaise L’Armitière et l’ancien président du Syndicat de la Librairie Française, ce qui n’est pas forcément rassurant.
Je n’y trouve rien à acheter mais j’y repasse ce lundi après-midi afin d’y vendre un lot de classiques en poche qui me sont achetés cinquante centimes pièce.
-Il faut que je prenne ma calculette, me dit le libraire quand il s’agit de faire le total.
Je le lui donne avant qu’il la mette en marche. « Il suffit de diviser le nombre de livres par deux », lui dis-je. Il me répond qu’il est un littéraire.
Je repasserai par cette boutique dont je déplore cependant le nom (Rollon, ce pillard incendiaire assassin violeur). Il aurait été préférable de l’appeler Librairie de la Croix de Fer. Cela aurait permis de la situer et lui aurait donc donné davantage de chance de durer.
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Autre librairie d’occasion ouverte il y a quelque temps à Rouen : la bizarrement nommée Bourse aux Livres, rue Grand-Pont. Sur sa vitrine : « Location et achat de livres d’occasion ». Cette tentative de remettre en vogue la location de livres a échoué. La bouquinerie n’aura pas duré suffisamment de temps pour que j’y entre. Sur sa vitrine : « A louer ».
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Autre échec commercial, dans un autre domaine : L’Echoppe Normande, rue Saint-Romain, épicerie spécialisée dans les produits régionaux, dont le Meuh Cola. Son gérant avait dû tabler sur le passage des touristes mais comme ceux-ci sont essentiellement inclus dans les troupeaux cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme et qu’ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter pour acheter quoi que ce soit, l’espoir a été déçu. Cette épicerie faisait aussi Point Relais pour les colis, ce qui n’est jamais bon signe.
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A propos du tourisme de troupeau, deux extraits de l’article publié le vingt et un août par 76actu et titré « Combien rapporte le juteux business des croisiéristes » :
« Ce qui est rassurant avec les touristes en croisière, c’est qu’on sait qu’ils sont là. « On les repère facilement en ville », reconnaît Matthieu de Montchalin, président des Vitrines de Rouen (Seine-Maritime). »
« Il va falloir s’habituer à ces groupes plus ou moins conséquents, parce que les responsables du tourisme en Normandie n’ont pas l’intention de lâcher le filon. « Nous faisons énormément de promotion depuis trois ans, avec un cabinet conseil », confie l’Office de Tourisme de Rouen. »
Matthieu de Montchalin est par ailleurs le directeur de la librairie rouennaise L’Armitière et l’ancien président du Syndicat de la Librairie Française, ce qui n’est pas forcément rassurant.
27 août 2018
Organisé par le Comité Grand Pont se déroule ce dernier dimanche d’août un vide grenier sur les quais hauts de la rive droite de Rouen et dans les rues voisines. Je m’y rends dans la fraîcheur grise de sept heures et demie pour la raison qu’il est proche de chez moi. J’y vois comme prévu beaucoup de professionnels et parmi les particuliers pas mal de vendeurs de quasi déchets. Certains ont leur nom devant leur stand, écrit en gros à la peinture blanche sur la chaussée ou le trottoir (de l’art de saloper la voie publique).
-Je pensais que tu irais aux Bouquinistes de l’Iton, me dit mon vieux copain d’école qui a déballé sa marchandise à la même place que l’an dernier.
L’absence d’un bus matinal m’en a empêché. Après avoir fait tout le circuit, je reviens voir un brocanteur qui parmi quelques livres propose Le Paris secret des années 30 de Brassaï. De six euros je réussis à le faire baisser à cinq. Ce livre m’évite d’être bredouille. Ayant déposé l’ouvrage à la maison j’y retourne et cette fois, c’est à un musicien de l’Opéra que j’achète un sac de livres. Pas sûr que j’aurais trouvé davantage à Evreux.
*
Je me réjouissais, suite à mes achats au vide grenier du Vaudreuil, des bonnes lectures d’un commerçant décédé de Louviers. Je dois mettre un bémol. Les pages de son exemplaire de Scènes de la vie rustique de Tourgueniev n’ont pas été coupées.
*
C’est la rentrée de France Culture ce lundi. Je me réjouis de retrouver Tewfik Hakem puis Guillaume Erner au réveil. Tout l’été, ce ne furent que rediffusions, de la radio en conserve. Au point que j’ai réussi à passer l’essentiel de la journée sans radio allumée. Il y eut aussi les prêches de Michel Onfray, Décadence, un autoportrait peut-être. Je n’en ai pas entendu un mot.
-Je pensais que tu irais aux Bouquinistes de l’Iton, me dit mon vieux copain d’école qui a déballé sa marchandise à la même place que l’an dernier.
L’absence d’un bus matinal m’en a empêché. Après avoir fait tout le circuit, je reviens voir un brocanteur qui parmi quelques livres propose Le Paris secret des années 30 de Brassaï. De six euros je réussis à le faire baisser à cinq. Ce livre m’évite d’être bredouille. Ayant déposé l’ouvrage à la maison j’y retourne et cette fois, c’est à un musicien de l’Opéra que j’achète un sac de livres. Pas sûr que j’aurais trouvé davantage à Evreux.
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Je me réjouissais, suite à mes achats au vide grenier du Vaudreuil, des bonnes lectures d’un commerçant décédé de Louviers. Je dois mettre un bémol. Les pages de son exemplaire de Scènes de la vie rustique de Tourgueniev n’ont pas été coupées.
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C’est la rentrée de France Culture ce lundi. Je me réjouis de retrouver Tewfik Hakem puis Guillaume Erner au réveil. Tout l’été, ce ne furent que rediffusions, de la radio en conserve. Au point que j’ai réussi à passer l’essentiel de la journée sans radio allumée. Il y eut aussi les prêches de Michel Onfray, Décadence, un autoportrait peut-être. Je n’en ai pas entendu un mot.
24 août 2018
C’est la bétaillère qui arrive du Havre à sept heures vingt-huit pour me permettre de retourner à Paris ce mercredi. Des travailleurs non encore revenus, plus guère de vacanciers sur le départ, je n’ai aucune difficulté à m’y asseoir. Elle arrive à l’heure. J’ai plus de temps qu’il n’en faut pour rejoindre Quatre Septembre à pied avec mon gros sac de livres à vendre chez Book-Off.
Après avoir bu un café au comptoir du Bistrot d’Edmond en prenant gare au guêpes qui tètent la bière aux embouts de la tireuse, je m’assois en attendant dix heures sur l’un des bancs de la petite place et regarde sortir du métro des filles vêtues d’élégantes minirobes se hâtant vers leur travail.
Tous mes livres sont validés. J’en tire onze euros cinquante et n’en dépense que deux sur place. Le métro Huit pris à Opéra m’emmène à Ledru-Rollin d’où je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi août se fait sentir, des brocanteurs sont ailleurs. Les deux gros vendeurs de livres sont là mais rien, pareil chez Emmaüs.
Un peu avant midi, j’entre au Péhemmu chinois Le Rallye. J’y déjeune de mon habituel menu. A l’intérieur c’est calme, moins en terrasse. Des buveurs s’y battent à grands gestes contre les guêpes.
Je me dirige ensuite vers le bar tabac chinois le Week-End à la Bastille où j’ai rendez-vous en terrasse à treize heures avec celle qui travaille à proximité. Elle arrive aussi ponctuellement que le train du matin. Je lui raconte un peu mes vacances à Dunkerque, notamment Excentric City. Elle me raconte ses derniers ouiquennedes, passés en Normandie. A ma demande, elle me parle de l’expo du Centre Pompidou pour laquelle elle est chargée de l’éclairage. « Il y aura ton nom sur le catalogue et le dépliant, j’espère », lui dis-je. Elle me dit que oui sans doute, mais s’en fiche un peu.
Quand elle retourne à son labeur, je vais explorer le second Book-Off et y dépense quatre euros. Revenu place de la Bastille, j’attends le premier bus pour Saint-Lazare. Un touriste anglophone m’aborde. Il cherche où est la Bastille. Je l’invite à se retourner et lui montre la colonne de Juillet et son génie doré brillant sous le soleil. Sa déception est grande. Il pensait trouver là un bâtiment, la prison peut-être.
C’est un Vingt-Neuf qui se présente le premier, lequel passe par les rues étroites du Marais. Après un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, je franchis pour la première fois les barrières à Morin mises en marche de façon audacieuse pour deux trains en même temps, celui de Caen et celui de Rouen.
Le dix-sept heures quarante-huit est encore la bétaillère. Il y fait une chaleur épouvantable. « N’hésitez pas à ouvrir les fenêtres pour faire de l’air », conseille le chef de bord. Encore faudrait-il pouvoir. A chaque fois qu’une vitre qui se baisse est hors service, les ateliers de maintenance la remplace par une vitre fixe. Dans la demi voiture de seconde où je suis, seules deux peuvent encore être descendues. Chacun(e) sue stoïquement, dont à ma droite, assise sur un strapontin, une demoiselle qui rentre de vacances en tenue idoine avec sa grosse valise rouge. Certaines femmes ne seront jamais plus aussi jolies qu’à dix huit ans.
*
Il semble que les trottinettes électriques en libre service aient trouvé leur public. Des petits malins les planquent même au fond d’une cour ou dans un café pour en avoir l’usage exclusif, ai-je lu dans Le Parisien.
Ce mercredi, j’en vois passer une montée par un couple (fille devant, garçon derrière avec gros sac à dos) puis deux chargées de cartons de déménagement (deux entre les jambes pour la fille, un sous le pied pour le garçon).
*
Guêpes à Dunkerque (je me suis fait piquer au bras à l’arrêt de bus La Poste de Bray-Dunes). Guêpes à Paris (c’est une année à guêpes, dit le bon peuple). Bizarrement, pas vu le dard d’une à Rouen.
Après avoir bu un café au comptoir du Bistrot d’Edmond en prenant gare au guêpes qui tètent la bière aux embouts de la tireuse, je m’assois en attendant dix heures sur l’un des bancs de la petite place et regarde sortir du métro des filles vêtues d’élégantes minirobes se hâtant vers leur travail.
Tous mes livres sont validés. J’en tire onze euros cinquante et n’en dépense que deux sur place. Le métro Huit pris à Opéra m’emmène à Ledru-Rollin d’où je rejoins le marché d’Aligre. Là aussi août se fait sentir, des brocanteurs sont ailleurs. Les deux gros vendeurs de livres sont là mais rien, pareil chez Emmaüs.
Un peu avant midi, j’entre au Péhemmu chinois Le Rallye. J’y déjeune de mon habituel menu. A l’intérieur c’est calme, moins en terrasse. Des buveurs s’y battent à grands gestes contre les guêpes.
Je me dirige ensuite vers le bar tabac chinois le Week-End à la Bastille où j’ai rendez-vous en terrasse à treize heures avec celle qui travaille à proximité. Elle arrive aussi ponctuellement que le train du matin. Je lui raconte un peu mes vacances à Dunkerque, notamment Excentric City. Elle me raconte ses derniers ouiquennedes, passés en Normandie. A ma demande, elle me parle de l’expo du Centre Pompidou pour laquelle elle est chargée de l’éclairage. « Il y aura ton nom sur le catalogue et le dépliant, j’espère », lui dis-je. Elle me dit que oui sans doute, mais s’en fiche un peu.
Quand elle retourne à son labeur, je vais explorer le second Book-Off et y dépense quatre euros. Revenu place de la Bastille, j’attends le premier bus pour Saint-Lazare. Un touriste anglophone m’aborde. Il cherche où est la Bastille. Je l’invite à se retourner et lui montre la colonne de Juillet et son génie doré brillant sous le soleil. Sa déception est grande. Il pensait trouver là un bâtiment, la prison peut-être.
C’est un Vingt-Neuf qui se présente le premier, lequel passe par les rues étroites du Marais. Après un café verre d’eau à La Ville d’Argentan, je franchis pour la première fois les barrières à Morin mises en marche de façon audacieuse pour deux trains en même temps, celui de Caen et celui de Rouen.
Le dix-sept heures quarante-huit est encore la bétaillère. Il y fait une chaleur épouvantable. « N’hésitez pas à ouvrir les fenêtres pour faire de l’air », conseille le chef de bord. Encore faudrait-il pouvoir. A chaque fois qu’une vitre qui se baisse est hors service, les ateliers de maintenance la remplace par une vitre fixe. Dans la demi voiture de seconde où je suis, seules deux peuvent encore être descendues. Chacun(e) sue stoïquement, dont à ma droite, assise sur un strapontin, une demoiselle qui rentre de vacances en tenue idoine avec sa grosse valise rouge. Certaines femmes ne seront jamais plus aussi jolies qu’à dix huit ans.
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Il semble que les trottinettes électriques en libre service aient trouvé leur public. Des petits malins les planquent même au fond d’une cour ou dans un café pour en avoir l’usage exclusif, ai-je lu dans Le Parisien.
Ce mercredi, j’en vois passer une montée par un couple (fille devant, garçon derrière avec gros sac à dos) puis deux chargées de cartons de déménagement (deux entre les jambes pour la fille, un sous le pied pour le garçon).
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Guêpes à Dunkerque (je me suis fait piquer au bras à l’arrêt de bus La Poste de Bray-Dunes). Guêpes à Paris (c’est une année à guêpes, dit le bon peuple). Bizarrement, pas vu le dard d’une à Rouen.
23 août 2018
Souvenir récent : une vieille à chariot monte au dernier moment dans le DK’Bus et s’adresse à un groupe de jeunes des deux sexes :
-J’ai bien cru que j’allais le rater mon bus, ç’aurait été embêtant parce que je vais au marché, le marché c’est important.
Une fille et un garçon compatissent, lui confirment l’importance du marché puis lui souhaitent une bonne journée quand elle descend.
La même situation dans le Teor rouennais. Au mieux, la jeunesse l’ignore. Plus vraisemblablement, elle se fiche de sa tronche.
Je sais que je suis de retour à Rouen. Au Nord, quiconque, sans distinction d’âge ou de sexe, me croisait dans une rue peu fréquentée, dans un train ou dans un bus presque vide, me disait bonjour. Ici, seul qui me connaît me salue.
Autre constatation qui permet de ne pas confondre Dunkerque et Rouen, l’une des deux villes est propre et l’autre affreusement sale.
Depuis mon retour, mes nuits sont moins tranquilles, perturbées par des angoisses diverses, dont l’une est pourtant sans objet depuis douze ans. Elle surgit la nuit dernière sous forme de rêve. Je suis à la montagne dans un tramouais déglingué qui grimpe les pentes aussi bien qu’un téléphérique. En tête, deux grosses questions : qu’est-ce que j’ai fait de mon sac à dos et est-ce que l’inspecteur est vraiment au courant que je suis à la retraite.
*
A l’Intermarché de la rue Ecuyère où je suis un client irrégulier, personne d’autre que moi à la caisse.
-C’est calme, dis-je à la jeune personne qui la tient.
-Ça fait un moment que c’est calme, me répond-elle, j’espère que ça vite reprendre.
Et non pas :
-Oui, j’espère que les gens ne vont pas revenir trop vite de vacances, ça me permet de respirer et de réfléchir à ma vie.
*
La rue du Père-Adam. D’un côté, des restaurants à spécialité, crêpes, pizzas, etc. De l’autre, des boutiques éphémères mais qui ne le savent pas quand elles ouvrent. La dernière installée est du genre mystico pantoufle. Sur sa vitrine, parmi d’autres propositions : « Nettoyage karmique ».
*
Commerces qui ouvrent, commerces qui ferment. Adieu Flunch qui s’est fait dévorer la clientèle par son voisin Garden Resto. Plus triste, la disparition de l’Hôtel des Carmes, le plus charmant des hôtels de Rouen. Le bâtiment a été racheté par FPPM International (sigle derrière lequel se cache la maroquinerie Paul Marius). Il sera transformé en commerce et en bureaux.
*
-Tu viens avec nous cet après-midi ?
-Non, je peux pas, je vais me faire nettoyer le karma.
-J’ai bien cru que j’allais le rater mon bus, ç’aurait été embêtant parce que je vais au marché, le marché c’est important.
Une fille et un garçon compatissent, lui confirment l’importance du marché puis lui souhaitent une bonne journée quand elle descend.
La même situation dans le Teor rouennais. Au mieux, la jeunesse l’ignore. Plus vraisemblablement, elle se fiche de sa tronche.
Je sais que je suis de retour à Rouen. Au Nord, quiconque, sans distinction d’âge ou de sexe, me croisait dans une rue peu fréquentée, dans un train ou dans un bus presque vide, me disait bonjour. Ici, seul qui me connaît me salue.
Autre constatation qui permet de ne pas confondre Dunkerque et Rouen, l’une des deux villes est propre et l’autre affreusement sale.
Depuis mon retour, mes nuits sont moins tranquilles, perturbées par des angoisses diverses, dont l’une est pourtant sans objet depuis douze ans. Elle surgit la nuit dernière sous forme de rêve. Je suis à la montagne dans un tramouais déglingué qui grimpe les pentes aussi bien qu’un téléphérique. En tête, deux grosses questions : qu’est-ce que j’ai fait de mon sac à dos et est-ce que l’inspecteur est vraiment au courant que je suis à la retraite.
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A l’Intermarché de la rue Ecuyère où je suis un client irrégulier, personne d’autre que moi à la caisse.
-C’est calme, dis-je à la jeune personne qui la tient.
-Ça fait un moment que c’est calme, me répond-elle, j’espère que ça vite reprendre.
Et non pas :
-Oui, j’espère que les gens ne vont pas revenir trop vite de vacances, ça me permet de respirer et de réfléchir à ma vie.
*
La rue du Père-Adam. D’un côté, des restaurants à spécialité, crêpes, pizzas, etc. De l’autre, des boutiques éphémères mais qui ne le savent pas quand elles ouvrent. La dernière installée est du genre mystico pantoufle. Sur sa vitrine, parmi d’autres propositions : « Nettoyage karmique ».
*
Commerces qui ouvrent, commerces qui ferment. Adieu Flunch qui s’est fait dévorer la clientèle par son voisin Garden Resto. Plus triste, la disparition de l’Hôtel des Carmes, le plus charmant des hôtels de Rouen. Le bâtiment a été racheté par FPPM International (sigle derrière lequel se cache la maroquinerie Paul Marius). Il sera transformé en commerce et en bureaux.
*
-Tu viens avec nous cet après-midi ?
-Non, je peux pas, je vais me faire nettoyer le karma.
21 août 2018
Deux femmes et leurs trois jeunes garçons arrivent au Son du Cor ce samedi. L’une est copieusement enceinte. Elle se met à hauteur du trio pour expliquer qu’ici on n’est pas dans une cour, il y a des gens qui ont envie de boire un verre tranquillement, donc ne pas crier. Les moutards promettent. Ils commencent un jeu de ballon sur le boulodrome. Au bout de quelques minutes, ils font autant de bruit que sur un terrain de foute. On a vu pire, me dis-je.
Je reconnais alors cette future accouchée, déjà mère du plus âgé des garçons, lequel doit avoir cinq ans. Elle aussi me reconnaît et me dit bonjour de loin. Elle doit me trouver affreusement vieilli.
On se disait bonjour régulièrement, il y a fort longtemps, sans se parler autrement que d’un « Ça va ? » A cette époque lointaine, je fréquentais Le Saint Amand, sympathique troquet de la place du même nom, hélas remplacé par L’Espiguette. Elle aussi y lisait, pendant sa pause. Elle était étudiante et travaillait dans un restaurant. Un jour, je ne l’ai plus vue, sans doute partie dans une autre ville, et la voici en pèlerinage à Rouen avec une amie
Le nombre de filles que j’ai connues jeunes et qui sont maintenant mères ou en voie de l’être est affolant. Ainsi deux de celles qui faisaient le ménage chez moi quand elles étaient lycéennes et avec qui je suis toujours en contact. Elles se sont posé bien des questions et puis ont décidé que oui. L’une a déjà son bébé. L’autre l’aura dans quelques mois.
Il y a eu la Génération X, la Génération Y, la Génération Z, voici la Génération Cinquante. « On pourrait craindre des températures s'élevant à cinquante degrés sur l'Est de la France d'ici deux mille cinquante. » (Jean Jouzel, climatologue)
*
Ce dimanche au Son du Cor arrive une autre femme de ma connaissance, dans le début de la quarantaine, ayant un jeune enfant qui n’est pas là. Elle vient retrouver l’homme qui est son nouveau. J’ai parlé une première fois avec elle, il y a deux ou trois ans, lors d’une présentation de programme à l’Opéra de Rouen. Je me suis dit qu’elle avait dû être très jolie quand elle était jeune.
Depuis notre rencontre on se disait bonjour quand on se croisait et pas davantage. J’emploie l’imparfait car depuis qu’elle est avec cet homme, elle fait comme si je n’existais plus. J’ai été surpris la première fois.
De quoi parle-t-elle avec son nouveau chéri ? D’herbes culinaires. Puis il lui passe la revue qu’il lisait en l’attendant pour qu’elle la lise aussi et qu’ils en parlent ensemble. Pas très rock’n’roll.
*
Rouen, jardin de l’Hôtel de Ville, une femme avec sa bambine sur les épaules : « Maman, elle est à la bourre, elle a rendez-vous avec le docteur des dents. »
Ne pourrait-elle pas dire le dentiste et faut-il quand on est mère parler de soi à la troisième personne du singulier en se donnant pour nom ce qui n’est qu’un de ses rôles sociaux ?
Je reconnais alors cette future accouchée, déjà mère du plus âgé des garçons, lequel doit avoir cinq ans. Elle aussi me reconnaît et me dit bonjour de loin. Elle doit me trouver affreusement vieilli.
On se disait bonjour régulièrement, il y a fort longtemps, sans se parler autrement que d’un « Ça va ? » A cette époque lointaine, je fréquentais Le Saint Amand, sympathique troquet de la place du même nom, hélas remplacé par L’Espiguette. Elle aussi y lisait, pendant sa pause. Elle était étudiante et travaillait dans un restaurant. Un jour, je ne l’ai plus vue, sans doute partie dans une autre ville, et la voici en pèlerinage à Rouen avec une amie
Le nombre de filles que j’ai connues jeunes et qui sont maintenant mères ou en voie de l’être est affolant. Ainsi deux de celles qui faisaient le ménage chez moi quand elles étaient lycéennes et avec qui je suis toujours en contact. Elles se sont posé bien des questions et puis ont décidé que oui. L’une a déjà son bébé. L’autre l’aura dans quelques mois.
Il y a eu la Génération X, la Génération Y, la Génération Z, voici la Génération Cinquante. « On pourrait craindre des températures s'élevant à cinquante degrés sur l'Est de la France d'ici deux mille cinquante. » (Jean Jouzel, climatologue)
*
Ce dimanche au Son du Cor arrive une autre femme de ma connaissance, dans le début de la quarantaine, ayant un jeune enfant qui n’est pas là. Elle vient retrouver l’homme qui est son nouveau. J’ai parlé une première fois avec elle, il y a deux ou trois ans, lors d’une présentation de programme à l’Opéra de Rouen. Je me suis dit qu’elle avait dû être très jolie quand elle était jeune.
Depuis notre rencontre on se disait bonjour quand on se croisait et pas davantage. J’emploie l’imparfait car depuis qu’elle est avec cet homme, elle fait comme si je n’existais plus. J’ai été surpris la première fois.
De quoi parle-t-elle avec son nouveau chéri ? D’herbes culinaires. Puis il lui passe la revue qu’il lisait en l’attendant pour qu’elle la lise aussi et qu’ils en parlent ensemble. Pas très rock’n’roll.
*
Rouen, jardin de l’Hôtel de Ville, une femme avec sa bambine sur les épaules : « Maman, elle est à la bourre, elle a rendez-vous avec le docteur des dents. »
Ne pourrait-elle pas dire le dentiste et faut-il quand on est mère parler de soi à la troisième personne du singulier en se donnant pour nom ce qui n’est qu’un de ses rôles sociaux ?
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