Suite et fin de ma lecture au lit de la Correspondance entre Ferdinando Galiani (abbé) et Louise d’Epinay (marquise) publiée chez Desjonquères. Les lettres de ce cinquième volume mènent les deux amis, jamais consolés d’avoir été séparés, vers la mort, par le truchement de la maladie (pour elle) et de la dépression (pour lui). Leurs missives, hebdomadaires au début, sont de plus en plus espacées vers la fin. Parfois la marquise, trop atteinte, est remplacée par sa fille, Mme de Belsunce.
Mes échantillons :
A ce propos je vous dirai, que je suis accablé d’affaires au non plus ultra dans ce moment, puisque je suis à régler les contrats du mariage de ma troisième et dernière nièce. Elle a été bien coriace à écorcher puisqu’elle est laide, et bossue. Cependant je la marie enfin, et m’en débarrasse. Convenez que je suis un terrible épouseur. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le dix mai mil sept cent soixante-dix-sept
Pourquoi vous inquiétez-vous si fort qu’elle fasse toujours usage de l’opium ? Qu’en craignez-vous ? Ignorez-vous (non vous n’ignorez pas) que l’Orient tout entier, c’est-à-dire la moitié du genre humain, vit avec l’opium, ou pour mieux dire dans l’opium jusqu’à la décrépitude ? L’Occident se sert de vin au lieu d’opium et en tire le même parti. Ne connaissez-vous pas de vieilles ivrognesses ? Eh bien ! Maman sera une vieille ivrognesse d’opium. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le vingt-deux novembre mil sept cent soixante-dix-sept
Voltaire a acheté une maison assez proche de moi. Il l’habitera au mois de septembre. Sa nièce est assez sérieusement malade ; cette circonstance lui a fait renoncer au projet d’aller passer deux mois à Ferney. (…) Il partage toujours avec Franklin les applaudissements et les acclamations du public. Dès qu’ils paraissent soit aux spectacles, aux promenades, aux académies, les cris, les battements de mains ne finissent pas… (…)
Parlons de l’opium, je commence à m’en passer d’un jour l’un, pour ne pas m’user sur ce charmant remède. Louise d’Epinay à Ferdinando Galiani, Paris, le trois mai mil sept cent soixante-dix-huit.
Je commence à sentir que les malheurs des hommes viennent de leur prévoyance, malgré qu’on en dise le contraire. La prévoyance est la cause des guerres actuelles de l’Europe. Parce qu’on prévoit que la maison d’Autriche s’agrandira, que les Américains dans quelques siècles d’ici, que les Anglais les Français, les Espagnols, dans cent ans feront ou ne feront pas certaines choses, on commence par s’égorger à l’instant. Si on voulait se donner la peine de ne rien prévoir, tout le monde serait tranquille… Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le premier août mil sept cent soixante-dix-huit
… je vous assure qu’il ne peut y avoir que la peste qui puisse me rendre la gaieté et la belle humeur : car je suis dans un accablement, un vide de sentiment mortel. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le douze septembre mil sept cent soixante-dix-huit
Vous attribuez la perte de la gaité à la corruption des mœurs ; j’aimerais mieux l’attribuer à l’augmentation prodigieuse de nos connaissances ; à force de nous éclairer, nous avons trouvé plus de vide que de plein… Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le sept novembre mil sept cent soixante-dix-huit
Nous venons de promulguer une sage loi par laquelle le crime de viol de séduction stuprum est aboli à jamais. Quatorze cents personnes dans le royaume de Naples sont sorties de prison par effet de cette loi salutaire. Voyez quelle rage de stuprer nous avions, ou pour mieux dire quelle rage de forcer les hommes au mariage en laissant prostituer les filles avaient les parents, et les prêtres consulteurs. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le vingt-sept février mil sept cent soixante-dix-neuf
Des persécutions à la cour, la canaille des gens de lettres révoltée contre trois ou quatre vrais savants dont on me met à la tête ; une infinité de chagrins domestiques ; ma maîtresse malade pendant deux mois, un cheval mort, un voyage fait pour voir une sœur abbesse de la Visitation S. George. Voilà une esquisse de mon incroyable état. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trois juin mil sept cent quatre-vingt
Je suis bien en peine du tourment que vous donnent vos dents, mais si elles vous tombent soyez-en bien contente. Il n'y a pas de plus grande commodité que de n’en pas avoir, et je l’éprouve. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trente octobre mil sept cent quatre-vingt
*
La marquise Louise d’Epinay est morte le dix-sept avril mil sept cent quatre-vingt-trois. Elle avait cinquante-sept ans.
L’abbé Ferdinando Galiani est mort le trente octobre mil sept cent quatre-vingt-sept. Il avait cinquante-huit ans.
Mes échantillons :
A ce propos je vous dirai, que je suis accablé d’affaires au non plus ultra dans ce moment, puisque je suis à régler les contrats du mariage de ma troisième et dernière nièce. Elle a été bien coriace à écorcher puisqu’elle est laide, et bossue. Cependant je la marie enfin, et m’en débarrasse. Convenez que je suis un terrible épouseur. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le dix mai mil sept cent soixante-dix-sept
Pourquoi vous inquiétez-vous si fort qu’elle fasse toujours usage de l’opium ? Qu’en craignez-vous ? Ignorez-vous (non vous n’ignorez pas) que l’Orient tout entier, c’est-à-dire la moitié du genre humain, vit avec l’opium, ou pour mieux dire dans l’opium jusqu’à la décrépitude ? L’Occident se sert de vin au lieu d’opium et en tire le même parti. Ne connaissez-vous pas de vieilles ivrognesses ? Eh bien ! Maman sera une vieille ivrognesse d’opium. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le vingt-deux novembre mil sept cent soixante-dix-sept
Voltaire a acheté une maison assez proche de moi. Il l’habitera au mois de septembre. Sa nièce est assez sérieusement malade ; cette circonstance lui a fait renoncer au projet d’aller passer deux mois à Ferney. (…) Il partage toujours avec Franklin les applaudissements et les acclamations du public. Dès qu’ils paraissent soit aux spectacles, aux promenades, aux académies, les cris, les battements de mains ne finissent pas… (…)
Parlons de l’opium, je commence à m’en passer d’un jour l’un, pour ne pas m’user sur ce charmant remède. Louise d’Epinay à Ferdinando Galiani, Paris, le trois mai mil sept cent soixante-dix-huit.
Je commence à sentir que les malheurs des hommes viennent de leur prévoyance, malgré qu’on en dise le contraire. La prévoyance est la cause des guerres actuelles de l’Europe. Parce qu’on prévoit que la maison d’Autriche s’agrandira, que les Américains dans quelques siècles d’ici, que les Anglais les Français, les Espagnols, dans cent ans feront ou ne feront pas certaines choses, on commence par s’égorger à l’instant. Si on voulait se donner la peine de ne rien prévoir, tout le monde serait tranquille… Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le premier août mil sept cent soixante-dix-huit
… je vous assure qu’il ne peut y avoir que la peste qui puisse me rendre la gaieté et la belle humeur : car je suis dans un accablement, un vide de sentiment mortel. Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le douze septembre mil sept cent soixante-dix-huit
Vous attribuez la perte de la gaité à la corruption des mœurs ; j’aimerais mieux l’attribuer à l’augmentation prodigieuse de nos connaissances ; à force de nous éclairer, nous avons trouvé plus de vide que de plein… Ferdinando Galiani à Mme de Belsunce, Naples, le sept novembre mil sept cent soixante-dix-huit
Nous venons de promulguer une sage loi par laquelle le crime de viol de séduction stuprum est aboli à jamais. Quatorze cents personnes dans le royaume de Naples sont sorties de prison par effet de cette loi salutaire. Voyez quelle rage de stuprer nous avions, ou pour mieux dire quelle rage de forcer les hommes au mariage en laissant prostituer les filles avaient les parents, et les prêtres consulteurs. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le vingt-sept février mil sept cent soixante-dix-neuf
Des persécutions à la cour, la canaille des gens de lettres révoltée contre trois ou quatre vrais savants dont on me met à la tête ; une infinité de chagrins domestiques ; ma maîtresse malade pendant deux mois, un cheval mort, un voyage fait pour voir une sœur abbesse de la Visitation S. George. Voilà une esquisse de mon incroyable état. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trois juin mil sept cent quatre-vingt
Je suis bien en peine du tourment que vous donnent vos dents, mais si elles vous tombent soyez-en bien contente. Il n'y a pas de plus grande commodité que de n’en pas avoir, et je l’éprouve. Ferdinando Galiani à Louise d’Epinay, Naples, le trente octobre mil sept cent quatre-vingt
*
La marquise Louise d’Epinay est morte le dix-sept avril mil sept cent quatre-vingt-trois. Elle avait cinquante-sept ans.
L’abbé Ferdinando Galiani est mort le trente octobre mil sept cent quatre-vingt-sept. Il avait cinquante-huit ans.