Samedi, avant que ne commence à quatorze heures la vente de livres d’occasion annuelle d’Amnesty International à Val-de-Reuil, j’ai l’idée de faire le détour par le Champ de Foire d’Elbeuf où il y a vide grenier. C’en est une mauvaise ; sur place, c’est poussière et misère. Je m’extrais de cette ville au réseau routier compliqué et arrive en avance devant le lycée Marc-Bloch de Védéherre.
A ce moment en sort Marc-Antoine Jamet, Maire, Socialiste, accompagné de ses amis. Ils portent sous le bras des livres qu’ils ont pu choisir avant tout le monde. Chaque année c’est ainsi.
Je suis rejoint par quelques autres pressés dans mon genre devant la porte coulissante qu’il est interdit de franchir avant l’heure officielle. Monsieur le Maire revient. Il a oublié son manteau. Quand il ressort, il nous déclare avec un grand sourire :
-Vous remarquerez que je n’emporte pas de livres.
Je raconte aux autres qu’il en avait deux sous le bras, il y a cinq minutes.
-Quand on est Socialiste, on peut se servir avant les autres, leur dis-je.
D’autres sont d’ailleurs en train de le faire. La dame d’Amnesty est offusquée par mon propos.
-Ce sont des gens qui nous aident, les élus, le directeur du lycée, les copains, c’est normal qu’on les remercie.
Nous sommes bientôt nombreux à attendre. Au feu vert, chacun se précipite vers son intérêt particulier, au rayon littérature pour moi où me rattrape la souriante bouquiniste rouennaise des Mondes Magiques, puis je continue par les livres d’art et les éditions de poche, cependant que ça ne cesse d’arriver sous l’œil d’une caméra de télévision.
Cette année, la politique des prix est à l’avantage des acheteurs, beaucoup de livres sont à un euro et les poches toujours à cinquante centimes. Je passe par tous les rayons, même ceux du sport et de la cuisine où peut m’attendre un ouvrage mal rangé.
Je recroise la jeune femme des Mondes Magiques. Elle peine à porter l’un de ses sacs.
-Vous allez pouvoir emporter tout ça ? lui dis-je.
-Pas en une seule fois.
Je suis moi-même lourdement chargé lorsque, saturant, je choisis d’en rester là en me promettant de revenir le lendemain. Dans mon butin : Les Soleils révolus (Journal 1979-1982) de Gabriel Matzneff (L’Infini/Gallimard) et le catalogue de la mythique exposition Paris Moscou 1900/1930 organisée en mil neuf cent soixante-dix-neuf au Centre Georges Pompidou.
De retour à Rouen, j’attends qu’un bus Teor passe pour traverser la rue du Général-Leclerc quand celui-ci, d’un coup de rétroviseur, pulvérise le feu qui commande sa circulation. Par chance aucune partie n’en est projetée. Mourir sur la voie publique un sac de livres au bout de chaque bras aurait pu m’arriver ce samedi après-midi.
*
Ces élus du Parti Socialiste qui se servent avant les électeurs ne sont pas une concurrence bien dangereuse. Ce qui est époustouflant, c’est qu’ils ne voient pas ce qu’il y a de choquant à faire ce qu’ils font, l’effet déplorable produit chez celles et ceux qui les regardent.
A ce moment en sort Marc-Antoine Jamet, Maire, Socialiste, accompagné de ses amis. Ils portent sous le bras des livres qu’ils ont pu choisir avant tout le monde. Chaque année c’est ainsi.
Je suis rejoint par quelques autres pressés dans mon genre devant la porte coulissante qu’il est interdit de franchir avant l’heure officielle. Monsieur le Maire revient. Il a oublié son manteau. Quand il ressort, il nous déclare avec un grand sourire :
-Vous remarquerez que je n’emporte pas de livres.
Je raconte aux autres qu’il en avait deux sous le bras, il y a cinq minutes.
-Quand on est Socialiste, on peut se servir avant les autres, leur dis-je.
D’autres sont d’ailleurs en train de le faire. La dame d’Amnesty est offusquée par mon propos.
-Ce sont des gens qui nous aident, les élus, le directeur du lycée, les copains, c’est normal qu’on les remercie.
Nous sommes bientôt nombreux à attendre. Au feu vert, chacun se précipite vers son intérêt particulier, au rayon littérature pour moi où me rattrape la souriante bouquiniste rouennaise des Mondes Magiques, puis je continue par les livres d’art et les éditions de poche, cependant que ça ne cesse d’arriver sous l’œil d’une caméra de télévision.
Cette année, la politique des prix est à l’avantage des acheteurs, beaucoup de livres sont à un euro et les poches toujours à cinquante centimes. Je passe par tous les rayons, même ceux du sport et de la cuisine où peut m’attendre un ouvrage mal rangé.
Je recroise la jeune femme des Mondes Magiques. Elle peine à porter l’un de ses sacs.
-Vous allez pouvoir emporter tout ça ? lui dis-je.
-Pas en une seule fois.
Je suis moi-même lourdement chargé lorsque, saturant, je choisis d’en rester là en me promettant de revenir le lendemain. Dans mon butin : Les Soleils révolus (Journal 1979-1982) de Gabriel Matzneff (L’Infini/Gallimard) et le catalogue de la mythique exposition Paris Moscou 1900/1930 organisée en mil neuf cent soixante-dix-neuf au Centre Georges Pompidou.
De retour à Rouen, j’attends qu’un bus Teor passe pour traverser la rue du Général-Leclerc quand celui-ci, d’un coup de rétroviseur, pulvérise le feu qui commande sa circulation. Par chance aucune partie n’en est projetée. Mourir sur la voie publique un sac de livres au bout de chaque bras aurait pu m’arriver ce samedi après-midi.
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Ces élus du Parti Socialiste qui se servent avant les électeurs ne sont pas une concurrence bien dangereuse. Ce qui est époustouflant, c’est qu’ils ne voient pas ce qu’il y a de choquant à faire ce qu’ils font, l’effet déplorable produit chez celles et ceux qui les regardent.