Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
17 mai 2021
Rien qui puisse ressembler à un effet secondaire après la deuxième injection d’AstraZeneca. Je trouve néanmoins toujours une raison de m’inquiéter lorsque je m’examine. Impossible de vieillir sans dommages. Raison pour laquelle il y a urgence à vivre.
Comme l’an dernier, un seul désir : être ailleurs. Il est temps de faire ma valise.
Puis viendra le moment du départ, en croisant les doigts pour que le Rouen Paris arrive sans encombre à Saint-Lazare. Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, avait promis de régler le problème lors de son élection à la tête de la Région. Il s’est contenté d’acheter de nouveaux trains.
Cela ne l’empêchera pas d’être réélu fin juin.
*
Deux relectures d’avant départ : La vie érotique de Flaubert de Jacques-Louis Douchin (Pauvert/Carrère) et La vie érotique de Maupassant du même (Pauvert/Suger), le second étant le fils du premier qui ne l’aurait jamais su, selon la thèse hardie de l’auteur.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que si l’un et l’autre vivaient au vingt et unième siècle, ils auraient des ennuis.
Comme l’an dernier, un seul désir : être ailleurs. Il est temps de faire ma valise.
Puis viendra le moment du départ, en croisant les doigts pour que le Rouen Paris arrive sans encombre à Saint-Lazare. Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, avait promis de régler le problème lors de son élection à la tête de la Région. Il s’est contenté d’acheter de nouveaux trains.
Cela ne l’empêchera pas d’être réélu fin juin.
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Deux relectures d’avant départ : La vie érotique de Flaubert de Jacques-Louis Douchin (Pauvert/Carrère) et La vie érotique de Maupassant du même (Pauvert/Suger), le second étant le fils du premier qui ne l’aurait jamais su, selon la thèse hardie de l’auteur.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que si l’un et l’autre vivaient au vingt et unième siècle, ils auraient des ennuis.
15 mai 2021
Après le report d’une semaine, c’est ce vendredi à dix heures quarante-cinq que je dois recevoir ma deuxième dose d’AstraZeneca. Pour ce faire, muni du parapluie, je rejoins le quartier du Boulingrin. Mon médecin traitant étant absent, c’est l’un de ses confrères, dont le nom est une invitation à ne pas mollir, qui doit opérer.
Un jeune homme remplace l’habituelle secrétaire du cabinet médical. Il m’invite à m’installer dans la salle d’attente.
Le moment venu, un médecin qui semble bien plus âgé que moi me fait entrer dans un bureau où règne un beau désordre. « Il faut d’abord que je m’occupe des papiers », me dit-il. Les papiers en question sont sur l’écran de son ordinateur. Je ne peux pas lui reprocher d’aller trop vite. Je me demande même s’il va y arriver.
C’est bon. Il me dit de passer dans l’annexe qui est sa salle d’auscultation. La seringue est déjà prête. Comme la fois précédente, je suis piqué à gauche, et comme la fois précédente, je ne sens pas grand-chose.
De retour à son bureau le vieux médecin termine la paperasse pour l’Assurance Maladie qui le paiera directement puis m’imprime le beau certificat de vaccination avec Cul Air code du Ministère des Solidarités et de la Santé.
-Vous allez attendre un quart d’heure dans la salle près de l’entrée, me dit-il, je viendrai vous voir.
Avant de m’y rendre, je demande au secrétaire intérimaire s’il veut bien me faire deux photocopies de mon certificat.
Le quart d’heure écoulé, le vieux médecin vient m’autoriser à rentrer à la maison, me tenant la porte avec beaucoup de gentillesse lorsque je quitte les lieux. Qu’est-ce qui le conduit à travailler encore, son patronyme y est-il pour quelque chose ; c’est ce que je me demande en redescendant vers le jardin de l’Hôtel de Ville.
*
Quand même, les soixante-cinq soixante-quinze ans pressés de se faire vacciner auront été les lésés de la vaccination. Les autres auront pu bénéficier de Pfizer ou de Moderna.
*
Zeneca espérer que mon vaccin de seconde zone me protège au moins d’une forme grave.
Un jeune homme remplace l’habituelle secrétaire du cabinet médical. Il m’invite à m’installer dans la salle d’attente.
Le moment venu, un médecin qui semble bien plus âgé que moi me fait entrer dans un bureau où règne un beau désordre. « Il faut d’abord que je m’occupe des papiers », me dit-il. Les papiers en question sont sur l’écran de son ordinateur. Je ne peux pas lui reprocher d’aller trop vite. Je me demande même s’il va y arriver.
C’est bon. Il me dit de passer dans l’annexe qui est sa salle d’auscultation. La seringue est déjà prête. Comme la fois précédente, je suis piqué à gauche, et comme la fois précédente, je ne sens pas grand-chose.
De retour à son bureau le vieux médecin termine la paperasse pour l’Assurance Maladie qui le paiera directement puis m’imprime le beau certificat de vaccination avec Cul Air code du Ministère des Solidarités et de la Santé.
-Vous allez attendre un quart d’heure dans la salle près de l’entrée, me dit-il, je viendrai vous voir.
Avant de m’y rendre, je demande au secrétaire intérimaire s’il veut bien me faire deux photocopies de mon certificat.
Le quart d’heure écoulé, le vieux médecin vient m’autoriser à rentrer à la maison, me tenant la porte avec beaucoup de gentillesse lorsque je quitte les lieux. Qu’est-ce qui le conduit à travailler encore, son patronyme y est-il pour quelque chose ; c’est ce que je me demande en redescendant vers le jardin de l’Hôtel de Ville.
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Quand même, les soixante-cinq soixante-quinze ans pressés de se faire vacciner auront été les lésés de la vaccination. Les autres auront pu bénéficier de Pfizer ou de Moderna.
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Zeneca espérer que mon vaccin de seconde zone me protège au moins d’une forme grave.
14 mai 2021
Entre les deux son cœur balance. Tout juste fiancé à l'actrice Olga Scheinpflugová, Karel Čapek rencontre fin mil neuf cent vingt Věra Hrůzová, une étudiante belle et brillante, fille d'un éminent professeur de l'Université de Brno. Il épousera Olga mais n’en continuera pas moins d’écrire à Věra, même après le mariage de celle-ci. Le triangle amoureux aura duré presque trois ans.
Ce sont ces Lettres à Věra, publiées par Cambourakis, que j’ai lues il y a quelques semaines en bord de mer à Sainte-Adresse.
Quelques extraits, empreints de l’ironie amère coutumière à l’écrivain :
Vingt-sept décembre mil neuf cent vingt : Hier, chez madame Felicinka, il y avait une atmosphère un brin funèbre ; on parlait des morts, que l’on avalait avec des petits fours ; c’était une issue assez digne de cette overdose psychique que me fait toujours Noël. (…)
Etre insouciant que vous êtes, si vous m’aviez vu aujourd’hui, vous auriez plissé les lèvres avec dédain.
Vingt janvier mil neuf cent vingt et un : Je vous supplie de ne pas chercher à soigner mon image ; cela me ferait ressembler à un gentil petit garçon ce qui est une sensation un peu gênante.
Vingt juillet mil neuf cent vingt-deux : Il y a quelque chose de très dénudé dans votre écriture ; c’est comme si l’on effleurait un corps nu. La tentation.
Vingt-quatre août mil neuf cent vingt-deux : Cependant, j’ai beaucoup à faire, comme vous le comprenez sûrement vous-même si vous pratiquez cette activité superficielle qu’est la lecture des journaux.
Huit septembre mil neuf cent vingt-deux : Si vous voulez savoir quelque chose, alors aujourd’hui, j’ai engagé une assistante ; je vous avais proposé ce poste mais vous m’aviez préféré un quelconque bureau technique ; c’est votre affaire – d’ailleurs, la mienne aussi. Mon assistance maitrise six langues mais quand je pense à celle, unique au monde, de couleur rose, bien agile et chargée de volupté…
Dix-neuf février mil neuf cent vingt-trois : Je ne peux vraiment rien faire qui vaille dans pareil état ; je vais poser mon cadavre au lit et j’espère une seule chose : dormir sans rêves durant au moins une semaine pendant laquelle il y aura la fin du monde.
Vingt et un décembre mil neuf cent vingt-quatre : J’ai réfléchi au cadeau de Noël que j’aurais envie de vous acheter ; comme cela arrive souvent chez des intellectuels, à force de cogiter et de mourir d’impatience, j’ai oublié de passer à l’acte…
Seize juillet mil neuf cent vingt-cinq : Ayez confiance dans l’expérience d’un écrivain : les plus beaux textes sont ceux que l’on n'aura jamais écrits ; c’est valable aussi pour une lettre.
Trois novembre mil neuf cent vingt-cinq : Vous avez complètement oublié de me faire part des expériences mémorables que vous avez faites à Paris. Probablement aucune, vu que vous n’y étiez pas seule. Un explorateur doit être seul.
Dix-neuf décembre mil neuf cent vingt-cinq : Je n’ai pas lu ce Duhamel, je vous le jure ; sans prétendre de n’avoir jamais plagié, pour une fois, je dois reprocher à Duhamel d’avoir écrit sans mon accord des choses que j’aurais moi-même écrites sous peu (et par ailleurs, moi, moins bien que lui ; ça c’est le comble !).
Treize juin mil neuf cent vingt-six : Sachez que, dans ma rocaille, je suis en train de créer un bel assortiment de pierres ; cet endroit sera un jour un peu comme la chapelle Saint-Venceslas, sauf que recouverte de joubarbes, d’orpins, de saxifrages et de draves. Enfin, cette montée du fascisme m’énerve – ma pelle à la main, j’ai envie de courir jusqu’à Prague pour y arracher les tripes à quelqu'un.
*
Karel Čapek meurt le vingt-cinq décembre mil neuf cent trente-huit, à l’âge de quarante-huit ans, d’un œdème pulmonaire. Après la publication des Lettres à Olga en mil neuf cent soixante et un, Věra décide de rendre publiques les siennes. Elles ne paraîtront qu’en mil neuf cent quatre-vingt, un an après sa mort.
Ce sont ces Lettres à Věra, publiées par Cambourakis, que j’ai lues il y a quelques semaines en bord de mer à Sainte-Adresse.
Quelques extraits, empreints de l’ironie amère coutumière à l’écrivain :
Vingt-sept décembre mil neuf cent vingt : Hier, chez madame Felicinka, il y avait une atmosphère un brin funèbre ; on parlait des morts, que l’on avalait avec des petits fours ; c’était une issue assez digne de cette overdose psychique que me fait toujours Noël. (…)
Etre insouciant que vous êtes, si vous m’aviez vu aujourd’hui, vous auriez plissé les lèvres avec dédain.
Vingt janvier mil neuf cent vingt et un : Je vous supplie de ne pas chercher à soigner mon image ; cela me ferait ressembler à un gentil petit garçon ce qui est une sensation un peu gênante.
Vingt juillet mil neuf cent vingt-deux : Il y a quelque chose de très dénudé dans votre écriture ; c’est comme si l’on effleurait un corps nu. La tentation.
Vingt-quatre août mil neuf cent vingt-deux : Cependant, j’ai beaucoup à faire, comme vous le comprenez sûrement vous-même si vous pratiquez cette activité superficielle qu’est la lecture des journaux.
Huit septembre mil neuf cent vingt-deux : Si vous voulez savoir quelque chose, alors aujourd’hui, j’ai engagé une assistante ; je vous avais proposé ce poste mais vous m’aviez préféré un quelconque bureau technique ; c’est votre affaire – d’ailleurs, la mienne aussi. Mon assistance maitrise six langues mais quand je pense à celle, unique au monde, de couleur rose, bien agile et chargée de volupté…
Dix-neuf février mil neuf cent vingt-trois : Je ne peux vraiment rien faire qui vaille dans pareil état ; je vais poser mon cadavre au lit et j’espère une seule chose : dormir sans rêves durant au moins une semaine pendant laquelle il y aura la fin du monde.
Vingt et un décembre mil neuf cent vingt-quatre : J’ai réfléchi au cadeau de Noël que j’aurais envie de vous acheter ; comme cela arrive souvent chez des intellectuels, à force de cogiter et de mourir d’impatience, j’ai oublié de passer à l’acte…
Seize juillet mil neuf cent vingt-cinq : Ayez confiance dans l’expérience d’un écrivain : les plus beaux textes sont ceux que l’on n'aura jamais écrits ; c’est valable aussi pour une lettre.
Trois novembre mil neuf cent vingt-cinq : Vous avez complètement oublié de me faire part des expériences mémorables que vous avez faites à Paris. Probablement aucune, vu que vous n’y étiez pas seule. Un explorateur doit être seul.
Dix-neuf décembre mil neuf cent vingt-cinq : Je n’ai pas lu ce Duhamel, je vous le jure ; sans prétendre de n’avoir jamais plagié, pour une fois, je dois reprocher à Duhamel d’avoir écrit sans mon accord des choses que j’aurais moi-même écrites sous peu (et par ailleurs, moi, moins bien que lui ; ça c’est le comble !).
Treize juin mil neuf cent vingt-six : Sachez que, dans ma rocaille, je suis en train de créer un bel assortiment de pierres ; cet endroit sera un jour un peu comme la chapelle Saint-Venceslas, sauf que recouverte de joubarbes, d’orpins, de saxifrages et de draves. Enfin, cette montée du fascisme m’énerve – ma pelle à la main, j’ai envie de courir jusqu’à Prague pour y arracher les tripes à quelqu'un.
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Karel Čapek meurt le vingt-cinq décembre mil neuf cent trente-huit, à l’âge de quarante-huit ans, d’un œdème pulmonaire. Après la publication des Lettres à Olga en mil neuf cent soixante et un, Věra décide de rendre publiques les siennes. Elles ne paraîtront qu’en mil neuf cent quatre-vingt, un an après sa mort.
11 mai 2021
Qu’est-ce qui lui prend au Castex, Premier Ministre, Droitiste, d’annoncer que les terrasses des cafés et restaurants ne rouvriront qu’à cinquante pour cent de leur capacité d'accueil le dix-neuf mai ? Cela au moment où Nicolas le Mégalo, Maire de Rouen, Socialiste, relançait le fantasme de faire de sa ville la plus grande terrasse de France.
Si tout va bien, je ne serai pas là pour la reprise rouennaise. Là où j’ai prévu d’être, je crains de ne pas trouver facilement, solitaire que je suis, une place en terrasse pour déjeuner ou pour prendre un café. Et si oui, de ne pas pouvoir m’attarder à lire.
Bref, je crains de devoir encore poser mes fesses sur les bancs publics pour manger ou pour lire (en espérant qu’il ne pleuvra pas tous les jours).
*
Chez Hema, que je suis surpris de trouver ouvert, afin de me procurer des petits carnets noirs pour mes pérégrinations estivales. Quelques rayonnages sont entourés d’adhésifs défendant l’achat de certains produits, les jouets pour enfants notamment. Je demande au caissier pourquoi la boutique a été autorisée à rester ouverte. « Il semble que l’on vende suffisamment d’articles essentiels, me répond-il, mais ce n’est clair. La Mairie est venue contrôler mais personne n’y comprend rien. »
Si tout va bien, je ne serai pas là pour la reprise rouennaise. Là où j’ai prévu d’être, je crains de ne pas trouver facilement, solitaire que je suis, une place en terrasse pour déjeuner ou pour prendre un café. Et si oui, de ne pas pouvoir m’attarder à lire.
Bref, je crains de devoir encore poser mes fesses sur les bancs publics pour manger ou pour lire (en espérant qu’il ne pleuvra pas tous les jours).
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Chez Hema, que je suis surpris de trouver ouvert, afin de me procurer des petits carnets noirs pour mes pérégrinations estivales. Quelques rayonnages sont entourés d’adhésifs défendant l’achat de certains produits, les jouets pour enfants notamment. Je demande au caissier pourquoi la boutique a été autorisée à rester ouverte. « Il semble que l’on vende suffisamment d’articles essentiels, me répond-il, mais ce n’est clair. La Mairie est venue contrôler mais personne n’y comprend rien. »
10 mai 2021
L’orage menace ce dimanche quand je termine sur le banc du jardin la lecture de Lettres de la Maison de la Mort de Julius et Ethel Rosenberg dans l’édition faite en mil neuf cent cinquante-trois par Gallimard au profit des deux jeunes enfants dont les parents viennent d’être exécutés par chaise électrique à la prison de Sing Sing. On ne sait pas aujourd’hui si Julius et Ethel Rosenberg étaient aussi innocents qu’ils le proclamaient mais l’essentiel dans cette correspondance n’est pas là. Elle raconte une histoire d’amour entre un homme et une femme et leur inquiétude à l’idée de laisser orphelins deux garçons de dix et cinq ans.
Je me rends alors compte que j’ai laissé passer le deux mai sans avoir une pensée pour mon frère Jacques en ce vingt-sixième anniversaire de sa mort. C’est la première fois que cela m’arrive. Puis-je mettre ça sur la perturbation temporelle engendrée par la catastrophe sanitaire ?
Au moins n’ai-je pas oublié l’anniversaire de celle qui travaille à Paris près de la Bastille et qui, le jour dit, m’a appelé pour me remercier depuis le Tégévé qui la ramenait de Lyon après une visite de chantier.
*
Tous les parfums mènent arôme. (Jacques Perdrial, Tous les chats qui sont blancs et qui ont les yeux bleus sont sourds, Editions de l’Ecchymose, Caen, mil neuf cent quatre-vingt-six)
Je me rends alors compte que j’ai laissé passer le deux mai sans avoir une pensée pour mon frère Jacques en ce vingt-sixième anniversaire de sa mort. C’est la première fois que cela m’arrive. Puis-je mettre ça sur la perturbation temporelle engendrée par la catastrophe sanitaire ?
Au moins n’ai-je pas oublié l’anniversaire de celle qui travaille à Paris près de la Bastille et qui, le jour dit, m’a appelé pour me remercier depuis le Tégévé qui la ramenait de Lyon après une visite de chantier.
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Tous les parfums mènent arôme. (Jacques Perdrial, Tous les chats qui sont blancs et qui ont les yeux bleus sont sourds, Editions de l’Ecchymose, Caen, mil neuf cent quatre-vingt-six)
9 mai 2021
Toute sa vie Korneï Tchoukovski a fait preuve de courage, notamment en soutenant ouvertement les écrivains en proie aux persécutions du régime soviétique. Il est d’ailleurs étonnant qu’il n’ait pas eu droit à un séjour au Goulag. Le dernier à avoir trouver aide et assistance de sa part est Alexandre Soljenitsyne :
Treize avril mil neuf cent soixante-deux : Avant-hier Tvardovski m’a donné à lire le manuscrit d’Une journée d’Ivan Denissovitch, superbe description de la vie dans les camps de Staline. Ça m’a tellement enthousiasmé que j’en ai fait un petit compte-rendu. Tvardovski m’a dit que l’auteur était mathématicien, qu’il avait écrit encore un autre récit, et des poèmes, mais qui sont mauvais, etc.
Dimanche trois mars mil neuf cent soixante-trois : J’ai reçu une lettre de Soljenitsyne !
Six juin mil neuf cent soixante-trois : Aujourd’hui j’ai eu la visite de Soljenitsyne. Il a monté l’escalier aussi rapidement et facilement qu’un jeune homme. Il avait un costume d’été, le visage rose, les yeux jeunes, rieurs. Il parait moins malade qu’on ne l’a dit. « J’ai une tumeur qui était grosse comme deux poings, mais là elle a diminué, les médecins de Tachkent m’ont bien soigné. Ils sont très bons. » Il m’a beaucoup parlé de ses années de captivité. (…)
Quand nous sommes arrivés à la gare, le train était déjà là et commençait même à démarrer, Soljenitsyne a pris ses jambes à son cou et s’est lancé à la poursuite de la rame. Quelle jeunesse, quelle vigueur, quel souffle !
Dix septembre mil neuf cent soixante-quatre : Jeudi. A dix heures et demie j’ai vu arriver Soljenitsyne. Jeune. Il a refusé le café et a demandé du thé. Nous nous sommes embrassés. Il m’a parlé en grand secret de son nouveau roman.
Vingt et un septembre mil neuf cent soixante-cinq : Soljenitsyne se fait calomnier de toutes parts. Ses ennemis font courir le bruit qu’il honore la mémoire de Vlassov, qu’il est un traitre à la patrie, qu’il n’a pas participé aux combats parce qu’il était en captivité.
Mercredi vingt-neuf septembre mil neuf cent soixante-cinq : Soljenitsyne s’est installé chez moi. Nous avons beaucoup parlé, et je me suis rendu compte qu’il était trop absorbé par son sujet pour s’intéresser, disons, à Pouchkine, Léonide Andreïev, Kvitko. Je lui ai lus mes poèmes préférés. Il n’a pas du tout aimé. En revanche, sur sa vie en camp, il est intarissable.
Mardi dix-sept septembre mil neuf cent soixante-huit : On vient de me dire que j’allais recevoir la visite de Soljenitsyne, dont les autorités ont retrouvé la trace dans le village où il s’était réfugié pour écrire.
Vendredi dix-huit octobre mil neuf cent soixante-huit : Hier soir j’ai eu la visite de Soljenitsyne. J’espérais, l’héberger pour une quinzaine de jours, mais il ne restera que vingt-quatre heures. (…) Il m’a dit que sa femme Natacha, qui travaille dans un institut de recherche à Riazan, avait commencé à recevoir des signaux indiquant son prochain licenciement.
Seize juin mil neuf cent soixante-neuf : Hier j’ai eu la visite inopinée d’A. I. Soljenitsyne et de sa femme. Nous nous sommes chaleureusement embrassés. Nous avons mangé sur le balcon. Le temps est paradisiaque : le lilas est foisonnant, exubérant, les coucous nous appellent encore plus gaiement que d’habitude, et le feuillage des arbres est d’une générosité exceptionnelle.
*
Korneï Tchoukovski meurt le vingt-huit octobre mil neuf cent soixante-neuf à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
*
Ainsi s’achèvent mes notes prises lors de la lecture de son Journal publié en deux tomes chez Fayard.
Treize avril mil neuf cent soixante-deux : Avant-hier Tvardovski m’a donné à lire le manuscrit d’Une journée d’Ivan Denissovitch, superbe description de la vie dans les camps de Staline. Ça m’a tellement enthousiasmé que j’en ai fait un petit compte-rendu. Tvardovski m’a dit que l’auteur était mathématicien, qu’il avait écrit encore un autre récit, et des poèmes, mais qui sont mauvais, etc.
Dimanche trois mars mil neuf cent soixante-trois : J’ai reçu une lettre de Soljenitsyne !
Six juin mil neuf cent soixante-trois : Aujourd’hui j’ai eu la visite de Soljenitsyne. Il a monté l’escalier aussi rapidement et facilement qu’un jeune homme. Il avait un costume d’été, le visage rose, les yeux jeunes, rieurs. Il parait moins malade qu’on ne l’a dit. « J’ai une tumeur qui était grosse comme deux poings, mais là elle a diminué, les médecins de Tachkent m’ont bien soigné. Ils sont très bons. » Il m’a beaucoup parlé de ses années de captivité. (…)
Quand nous sommes arrivés à la gare, le train était déjà là et commençait même à démarrer, Soljenitsyne a pris ses jambes à son cou et s’est lancé à la poursuite de la rame. Quelle jeunesse, quelle vigueur, quel souffle !
Dix septembre mil neuf cent soixante-quatre : Jeudi. A dix heures et demie j’ai vu arriver Soljenitsyne. Jeune. Il a refusé le café et a demandé du thé. Nous nous sommes embrassés. Il m’a parlé en grand secret de son nouveau roman.
Vingt et un septembre mil neuf cent soixante-cinq : Soljenitsyne se fait calomnier de toutes parts. Ses ennemis font courir le bruit qu’il honore la mémoire de Vlassov, qu’il est un traitre à la patrie, qu’il n’a pas participé aux combats parce qu’il était en captivité.
Mercredi vingt-neuf septembre mil neuf cent soixante-cinq : Soljenitsyne s’est installé chez moi. Nous avons beaucoup parlé, et je me suis rendu compte qu’il était trop absorbé par son sujet pour s’intéresser, disons, à Pouchkine, Léonide Andreïev, Kvitko. Je lui ai lus mes poèmes préférés. Il n’a pas du tout aimé. En revanche, sur sa vie en camp, il est intarissable.
Mardi dix-sept septembre mil neuf cent soixante-huit : On vient de me dire que j’allais recevoir la visite de Soljenitsyne, dont les autorités ont retrouvé la trace dans le village où il s’était réfugié pour écrire.
Vendredi dix-huit octobre mil neuf cent soixante-huit : Hier soir j’ai eu la visite de Soljenitsyne. J’espérais, l’héberger pour une quinzaine de jours, mais il ne restera que vingt-quatre heures. (…) Il m’a dit que sa femme Natacha, qui travaille dans un institut de recherche à Riazan, avait commencé à recevoir des signaux indiquant son prochain licenciement.
Seize juin mil neuf cent soixante-neuf : Hier j’ai eu la visite inopinée d’A. I. Soljenitsyne et de sa femme. Nous nous sommes chaleureusement embrassés. Nous avons mangé sur le balcon. Le temps est paradisiaque : le lilas est foisonnant, exubérant, les coucous nous appellent encore plus gaiement que d’habitude, et le feuillage des arbres est d’une générosité exceptionnelle.
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Korneï Tchoukovski meurt le vingt-huit octobre mil neuf cent soixante-neuf à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
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Ainsi s’achèvent mes notes prises lors de la lecture de son Journal publié en deux tomes chez Fayard.
8 mai 2021
Toute sa vie Korneï Tchoukovski s’est démené au profit des écrivains persécutés par le pouvoir communiste. En témoignent ces extraits de son Journal publié chez Fayard :
Vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-deux : L’inquisition stalinienne s’est cassé les dents sur Akhmatova… Les dizaines de milliers de policiers de Staline, avec tous leurs moyens de torture, avec leurs pistolets et leurs canons, ne sont pas arrivés à faire plier une femme sans défense.
Quatorze mars mil neuf cent soixante-trois : Paoustovski m’a montré une photo (qu’il a tirée de sa poche) : c’était un bloc de marbre sur lequel il y avait gravé : « Marina Tsvétaïeva souhaitait être enterrée ici. » Le marbre a été jeté dans l’Oka. Les autorités ont spécialement réquisitionné un bac pour cette opération. « Mais je sais à quel endroit ils l’ont jeté, et cet été j’essaierai de le repêcher. J’entreprendrai des démarches pour sa réhabilitation. »
Dix-sept février mil neuf cent soixante-quatre : Lida et Frida Vigdorova essaient en ce moment de faire quelque chose pour Iossif Brodski, qui endure depuis quelque temps les persécutions des « russistes », un groupe léningradois de poètes sans talent. Il doit être jugé demain pour dépravation morale.
Six janvier mil neuf cent soixante-six : J’ai eu la visite de Iossif Brodski. Il a l’air solide et même satisfait de celui qui sait que ses poèmes sont confus, certes, mais non dénués de talent. Il n’a pas jugé utile de me remercier de ce que j’ai fait pour lui. Son amour de la poésie anglaise est feint, car il ne comprend presque pas la langue. Pour le reste, c’est un homme très agréable. Il parle d’Anna Akhmatova avec grand respect.
Cinq mars mil neuf cent soixante-six : Elle (Anna Akhmatova) est morte à Domodédovo d’un cinquième infarctus. Je n’ai encore rien dit à Lida. Elle vient d’avoir une sérieuse crise de bradycardie. Et j’ai peur qu’elle ne décide de se rendre aux obsèques à Leningrad. Je connais Akhmatova depuis 1912. Je la revois devant moi – jeune fille frêle, coquette, au nez busqué, et cette image a pour moi plus de réalité que la vieille femme fragile, malade et bouffie qu’elle était devenue. Nos débiles de gouvernants ont procédé à la levée du corps en grand secret, et pas un seul journal n’a soufflé mot de ses funérailles.
Mardi trois décembre mil neuf cent soixante-huit : « Evtouchenko est malade », m’a dit la dame qui m’a ouvert la porte. En fait, il avait passé trois jours à Moscou sans dessoûler. « Je voulais m’acheter un magnétophone, mais j’ai tout dépensé en vodka », dit-il navré. J’ai honte de me montrer devant ma femme. »
Vingt-quatre novembre mil neuf cent soixante-deux : L’inquisition stalinienne s’est cassé les dents sur Akhmatova… Les dizaines de milliers de policiers de Staline, avec tous leurs moyens de torture, avec leurs pistolets et leurs canons, ne sont pas arrivés à faire plier une femme sans défense.
Quatorze mars mil neuf cent soixante-trois : Paoustovski m’a montré une photo (qu’il a tirée de sa poche) : c’était un bloc de marbre sur lequel il y avait gravé : « Marina Tsvétaïeva souhaitait être enterrée ici. » Le marbre a été jeté dans l’Oka. Les autorités ont spécialement réquisitionné un bac pour cette opération. « Mais je sais à quel endroit ils l’ont jeté, et cet été j’essaierai de le repêcher. J’entreprendrai des démarches pour sa réhabilitation. »
Dix-sept février mil neuf cent soixante-quatre : Lida et Frida Vigdorova essaient en ce moment de faire quelque chose pour Iossif Brodski, qui endure depuis quelque temps les persécutions des « russistes », un groupe léningradois de poètes sans talent. Il doit être jugé demain pour dépravation morale.
Six janvier mil neuf cent soixante-six : J’ai eu la visite de Iossif Brodski. Il a l’air solide et même satisfait de celui qui sait que ses poèmes sont confus, certes, mais non dénués de talent. Il n’a pas jugé utile de me remercier de ce que j’ai fait pour lui. Son amour de la poésie anglaise est feint, car il ne comprend presque pas la langue. Pour le reste, c’est un homme très agréable. Il parle d’Anna Akhmatova avec grand respect.
Cinq mars mil neuf cent soixante-six : Elle (Anna Akhmatova) est morte à Domodédovo d’un cinquième infarctus. Je n’ai encore rien dit à Lida. Elle vient d’avoir une sérieuse crise de bradycardie. Et j’ai peur qu’elle ne décide de se rendre aux obsèques à Leningrad. Je connais Akhmatova depuis 1912. Je la revois devant moi – jeune fille frêle, coquette, au nez busqué, et cette image a pour moi plus de réalité que la vieille femme fragile, malade et bouffie qu’elle était devenue. Nos débiles de gouvernants ont procédé à la levée du corps en grand secret, et pas un seul journal n’a soufflé mot de ses funérailles.
Mardi trois décembre mil neuf cent soixante-huit : « Evtouchenko est malade », m’a dit la dame qui m’a ouvert la porte. En fait, il avait passé trois jours à Moscou sans dessoûler. « Je voulais m’acheter un magnétophone, mais j’ai tout dépensé en vodka », dit-il navré. J’ai honte de me montrer devant ma femme. »
7 mai 2021
Dans le Journal de Korneï Tchoukovski, tout ce qu’il convient de savoir sur la vie en Union Soviétique dans les années soixante :
Premier juillet mil neuf cent soixante-deux : D’où qu’elles viennent, les nouvelles sur la situation économique du pays sont on ne peut plus sombres. Quand je pense qu’on a passé quarante ans à crier que le pays allait vers le bonheur, vers la félicité ! Et finalement nous n’arrivons pas à nourrir correctement la population.
Vingt-sept octobre mil neuf cent soixante-trois : L’olympe bureaucratique local vit comme un troupeau de porcs. Ce sont avant tout des gens qui ne pensent pas. Marx, Engels et Lénine ont tout pensé à leur place, ils n’ont donc aucune curiosité, aucune exigence, aucun doute.
Dix-neuf juin mil neuf cent soixante-quatre : J’ai rencontré la sœur de Véra Vass, Smirnova (qui est sourde). Elle est charmante ; c’est une adepte fervente, pieuse de l’esthétique marxiste. Sans doute parce qu’elle est sourde.
Dix-sept mai mil neuf cent soixante-cinq : Nous avons parlé de l’hôpital où je me suis fait soigner – petit paradis réservé aux gens du Comité central et autres grands manitous. Bref : l’hôpital de la honte. Le peuple doit se contenter d’établissements minables, sales, où les lits ont miteux, la nourriture de dernière qualité, le personnel grossier. (…) Dans la chambre voisine de la mienne, il y avait l’épouse du ministre de la Construction, femme parfaitement médiocre, en pleine santé, entièrement occupée à combattre les cinquante ans de son âge.
Quinze août mil neuf cent soixante-cinq : De la même façon on pourrait dire : les journaux sont l’opium du peuple. Et le football aussi. Et nos chansonnettes pleines de cette gaieté factice qui essaie de faire oublier la grisaille générale. Et la fausse bonne humeur des gens qu’on entend à la radio ou à la télévision : « Allez, Ivan Pafnoutitch, racontez-nous comment vous avez obtenus des résultats aussi brillants dans votre kolkhoze… »
Dix-huit août mil neuf cent soixante-cinq : J’ai entendu Gagarine. On aurait dit un pope : « Toutes les voies vous sont ouvertes. » Mais si Lioucha veut aller en Hollande, ou si j’ai envie d’écrire que la Forêt russe de Leonov ne vaut rien, toutes les voies nous sont fermées.
Trente mai mil neuf cent soixante-sept : La « tata Doussia » vient de me faire la morale : « Et pourquoi vous travaillez encore ? Reposez-vous ! Vous croyez donc que vous en avez encore pour longtemps à vivre. Un ou deux ans, c’est tout. »
Tout cela le plus gentiment du monde.
Vendredi vingt-sept septembre mil neuf cent soixante-huit : Hier j’ai eu la visite d’une poétesse de vingt et un ans et de l’un de ses admirateurs (qui est physicien). Elle n’est pas dépourvue d’intelligence, mais ses vers sont creux, et elle les dit de façon maniérée et emphatique. Je lui ai demandé si elle avait des camarades à l’institut. Elle m’a répondu, comme s’il s’agissait d’une chose parfaitement ordinaire : « J’avais des camarades, des copains, mais ils ont tous été exclus. »
Sept mars mil neuf cent soixante-neuf (hospitalisé) : Horreur et damnation : j’ai un voisin qui adore la télévision. A travers le mur j’entends l’appareil aboyer sans discontinuer. Il s’arrête seulement à minuit. Si l’on m’avait dit que j’allais tomber sur un voisin aussi grossier, j’aurais préféré mourir chez moi.
Premier juillet mil neuf cent soixante-deux : D’où qu’elles viennent, les nouvelles sur la situation économique du pays sont on ne peut plus sombres. Quand je pense qu’on a passé quarante ans à crier que le pays allait vers le bonheur, vers la félicité ! Et finalement nous n’arrivons pas à nourrir correctement la population.
Vingt-sept octobre mil neuf cent soixante-trois : L’olympe bureaucratique local vit comme un troupeau de porcs. Ce sont avant tout des gens qui ne pensent pas. Marx, Engels et Lénine ont tout pensé à leur place, ils n’ont donc aucune curiosité, aucune exigence, aucun doute.
Dix-neuf juin mil neuf cent soixante-quatre : J’ai rencontré la sœur de Véra Vass, Smirnova (qui est sourde). Elle est charmante ; c’est une adepte fervente, pieuse de l’esthétique marxiste. Sans doute parce qu’elle est sourde.
Dix-sept mai mil neuf cent soixante-cinq : Nous avons parlé de l’hôpital où je me suis fait soigner – petit paradis réservé aux gens du Comité central et autres grands manitous. Bref : l’hôpital de la honte. Le peuple doit se contenter d’établissements minables, sales, où les lits ont miteux, la nourriture de dernière qualité, le personnel grossier. (…) Dans la chambre voisine de la mienne, il y avait l’épouse du ministre de la Construction, femme parfaitement médiocre, en pleine santé, entièrement occupée à combattre les cinquante ans de son âge.
Quinze août mil neuf cent soixante-cinq : De la même façon on pourrait dire : les journaux sont l’opium du peuple. Et le football aussi. Et nos chansonnettes pleines de cette gaieté factice qui essaie de faire oublier la grisaille générale. Et la fausse bonne humeur des gens qu’on entend à la radio ou à la télévision : « Allez, Ivan Pafnoutitch, racontez-nous comment vous avez obtenus des résultats aussi brillants dans votre kolkhoze… »
Dix-huit août mil neuf cent soixante-cinq : J’ai entendu Gagarine. On aurait dit un pope : « Toutes les voies vous sont ouvertes. » Mais si Lioucha veut aller en Hollande, ou si j’ai envie d’écrire que la Forêt russe de Leonov ne vaut rien, toutes les voies nous sont fermées.
Trente mai mil neuf cent soixante-sept : La « tata Doussia » vient de me faire la morale : « Et pourquoi vous travaillez encore ? Reposez-vous ! Vous croyez donc que vous en avez encore pour longtemps à vivre. Un ou deux ans, c’est tout. »
Tout cela le plus gentiment du monde.
Vendredi vingt-sept septembre mil neuf cent soixante-huit : Hier j’ai eu la visite d’une poétesse de vingt et un ans et de l’un de ses admirateurs (qui est physicien). Elle n’est pas dépourvue d’intelligence, mais ses vers sont creux, et elle les dit de façon maniérée et emphatique. Je lui ai demandé si elle avait des camarades à l’institut. Elle m’a répondu, comme s’il s’agissait d’une chose parfaitement ordinaire : « J’avais des camarades, des copains, mais ils ont tous été exclus. »
Sept mars mil neuf cent soixante-neuf (hospitalisé) : Horreur et damnation : j’ai un voisin qui adore la télévision. A travers le mur j’entends l’appareil aboyer sans discontinuer. Il s’arrête seulement à minuit. Si l’on m’avait dit que j’allais tomber sur un voisin aussi grossier, j’aurais préféré mourir chez moi.
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