Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 juin 2021


« Vous pouvez remonter votre masque sur votre nez ? », demande la boulangère de Citron Basilic à celui qui me précède ce samedi matin. Cela alors qu’elle-même n’en porte pas du tout. Pas davantage n’en porte le patron du Jockey où en terrasse je petit-déjeune.
Ce samedi matin, le temps est pire qu’annoncé. Je fais une nouvelle fois un tour de Ville Close avant que la pluie et la foule n’arrivent puis je prends un nouveau café sous l’auvent du Cabestan. Un peu avant dix heures, je suis sous l’abribus de la place Jean-Jaurès et à dix heures quatre arrive Coralie numéro Deux. C’est le seul jour où un seul bus de cette ligne va jusqu’à Pont-Aven. Le voyage coûte un euro et prend trente-cinq minutes. Nous sommes trois à le faire.
La pluie a provisoirement cessé quand Coralie s’arrête au centre de la « Cité des Peintres ». J’en profite pour faire quelques photos du cours de l’Aven (dont deux des magnifiques toilettes publiques en brique qui le surplombent) mais je suis rattrapé par les gouttes alors que je me trouve sur la promenade Xavier Grall. Je me refugie sous les grands parapluies noirs du Café Noir où le café n’est qu’à un euro cinquante.
L’éclaircie arrivée, j’ai encore le temps de marcher avant midi jusqu’au port, où les bateaux sont posés sur la vase car c’est marée basse.
Face au Café Noir est la boulangerie crêperie Kéraval à petite terrasse et vue sur la Pension Gloanec devenue « librairie exposition ». Les crêpes qu’on y fabrique doivent être bonnes, me dis-je, comme celles que je voyais faire dans les cafés par la vieille mère du patron lors de mes premiers voyages en Bretagne il y a presque cinquante ans. J’y trouve une table bien abritée sous l’auvent et commande une complète andouille œuf fromage puis une beurre sucre puis un petit kouign amann. Avec deux bolées de cidre, j’en ai pour dix-sept euros trente et comme il pleut toujours, je trouve que l’heure imposée par Coralie pour rentrer à Concarneau (treize heures trente-huit) n’est pas trop précoce.
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Pont-Aven l’été est un enfer touristique. Déjà je trouve là trop de familles et de couples assommants. Et que dire des ateliers d’artistes qui abondent. « Y a une galerie là-bas sur le côté, c’était très coloré, c’était très beau », entends-je d’une femme à son mari.
Paul Gauguin serait bien surpris des constater les conséquences de son passage ici. « Quelle bête vie que l’européenne vie » disait-il avant de partir aux Marquises en vivre une autre que dénonce maintenant le vertueux vingtième et une siècle.
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Autre vilipendé par le siècle de la vertu, le film de Joël Séria tourné ici en avril mil neuf cent soixante-quinze Les Galettes de Pont-Aven avec l’excellent Jean-Pierre Marielle et l’excitante Jeanne Goupil.
L’une des scènes les montrent chantant en costume breton au Théâtre de Pont-Aven Kenavo de Théodore Botrel.
L’auteur de La Paimpolaise est précisément enterré au cimetière de Pont-Aven où il vécut une partie de vie.
Quant à Xavier Grall, s’il vivait à deux kilomètres du centre de Pont-Aven dans le village annexé de Nizon au lieu-dit Bossulan, c’est à Landivisiau qu’il repose (comme on dit), moins renommé mort que vivant.
 

26 juin 2021


Le bleu n’aura duré qu’une journée. Le ciel est gris quand je descends vers le port de Concarneau ce vendredi matin mais il ne pleut pas encore. Après mon habituel petit-déjeuner, je fais un tour dans la ville pour y voir ce qui échappe à la plupart des touristes : la Maison Norvégienne qui jouxte le Café de l’Atlantic, le clocher de l’église Saint-Cœur de Marie dont le reste a été démoli après une tempête, la nouvelle église Saint-Guénolé ornée d’une mosaïque de Bazaine, l’ancienne cheminée de briques de l’usine Bouvais-Flon à l’arrière de la salle de spectacles Le Cac. Je m’installe ensuite sur un banc pour lire face à la mer, square des Oubliés de Saint-Paul, jusqu’à ce que les premières gouttes me chassent.
De retour à mon logis provisoire, j’organise ma journée de demain puis vers onze heures et demie rejoins la place Jean-Jaurès où se tient un marché plus important que celui du lundi.
Ne voulant pas me compliquer la vie, c’est pour la deuxième fois au Comptoir que je trouve une table d’intérieur pour déjeuner. J’aime l’ambiance qui règne ici, le personnel efficace et de bonne humeur. Présentement, il est en émoi car en terrasse à la table quatre-vingt-trois est un acteur vachement connu en kaouais bleu. Personne ne sait son nom, ni dans quel film on l’a vu.
Après une recherche fébrile sur Internet, un nom est lancé : Lionel Abelanski. Il a joué dans un film intitulé Barbecue avec Franck Dubosc et Lambert Wilson. Jamais entendu parler de lui, mais je sais qui est Franck Dubosc (je l’ai même croisé un jour à Rouen, rue Martainville) et qui est Lambert Wilson (quelle dégringolade).
Cette célébrité mal connue partie, l’énergie du personnel ne retombe pas. La formule entrée plat café à quatorze euros quatre-vingts sera encore la mienne, avec cette fois une salade du pêcheur (thon, haddock fumé, pommes de terre) et un pavé de porc mariné sauce à l’orange pommes de terre grenaille.
Des familles à collégien(ne)s et lycéen(ne)s constituent mon voisinage, à croire que c’est déjà les vacances. Il n’est question que de fêtes à venir. Comme si le Covid n’existait plus. Alors qu’il court, il court, le variant Delta. Suivi du Delta Plus.
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« Plancha, la suite de Barbecue sera tournée en juin à Concarneau », annonçait Le Télégramme en avril dernier.
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Pourquoi moins d’ennui hors de chez nous ? (…) Vivre sur la branche, est-ce la sagesse ? Vivre à l’hôtel, sera-ce l’avenir ? constatent les deux Goncourt en villégiature à Trouville le dix juillet mil huit cent soixante-quatre.
Ce séjour au bord de mer leur est l’occasion, le vingt-trois juillet suivant, d’une observation bien à leur manière :
Ici cela regorge de familles. La maternité s’y étale, une sorte de maternité animale et poussinière. On sent que les bains de mer sont je ne sais quel lieu honnête et dégoûtant de reproductivité, un endroit où on mène sa femme pulluler. La mer, c’est un peu le seau d’eau au cul des juments.
 

25 juin 2021


Ce jeudi matin, jour de soleil, je suis le premier, et même le seul, à attendre le premier bac annoncé pour huit heures à l’embarcadère qui se trouve Porte du Passage à l’autre bout de la Ville Close. Ce bac, moyennant un euro, permet de prendre le port par le travers pour rejoindre le quartier du Passage, dit aussi des Vachics.
A l’heure dite, je vois arriver la navette électrique avec à son bord sa capitaine et une usagère qui l’emprunte chaque jour pour venir travailler. En moins de deux, je suis de l’autre côté, d’où l’on peut voir la Ville Close sous un angle moins habituel et observer le mouvement des navires qui entrent ou sortent du port.
A partir de là le Géherre Trente-Quatre peut vous emmener loin. Pour ma part, je vise seulement l’anse de Kersaux. Bientôt j’atteins l’imposante statue d’Abraham Du Quesne, né à Dieppe en mil six cent dix, créateur de l’Arsenal de Brest, grand pourfendeur de Biscayens, de Maures et de Flessingois. Un peu plus loin est un rose Abri du Marin. Il est jouxté du vaste et triste Centre Européen de Formation Continue Maritime puis c’est une statue de Sainte Anne sur une casemate de la Deuxième Guerre Mondiale. Elle ne voit rien venir. Ensuite le chemin longe de près la mer et ses rochers. J’y serais parfaitement tranquille s’il n’y avait la plaie des femmes et hommes (bien moins nombreux) à chien. Certain(e)s s’attendent à ce que je m’intéresse à leur bestiole alors que vraiment je n’en ai rien à foutre. Soudain, mon appareil photo m’annonce que sa mémoire est saturée. Fichtre, j’ai oublié de retirer la carte Esse Dé de mon ordinateur. Je n’ai plus qu’à le remiser dans ma poche.
Après la plage du Porzou, j’entre dans le bois du même nom puis c’est l’anse de Kersaux où l’on trouve un petit port à sports nautiques. J’aurais l’énergie pour continuer jusqu’à la pointe du Cabellou mais pour cette partie le Géherre est sur route à cause des maisons qui s’accaparent le bord de mer. Aussi l’envie me manque et je fais demi-tour.
Je trouve un banc près de Du Quesne statufié. Je lis là le Journal des Goncourt un bon moment tout en observant le passage des bateaux le long de la Ville Close. Celui de la Gendarmerie Maritime fait deux allers-retours. Ça a l’air tranquille comme travail.
Près du l’embarcadère du bac est un restaurant nommé Pourquoi Pas, une sorte de Mieux Ici Qu’En Face à la vue directe sur la Ville Close alors que les restaurants de la place Jean-Jaurès ont un grand parquigne entre eux et les fortifications.
La patronne m’a réservé une excellente table au soleil d’où je peux surveiller les allées et venues du bac. Elle m’envoie une giclée de gel hydroalcoolique sur une main avant de me donner la carte. Un menu du jour propose des oreillons de pêche au thon, un faux-filet sauce au bleu frites maison et une mousse aux fruits exotiques. Avec un verre de bordeaux, cela me fera vingt euros dix. Derrière moi mangent de jeunes techniciens habitués du lieu. Je ne peux rien tirer de leur conversation. Il n’est question que de leur boulot.
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Des oreillons de pêche au thon, rien à voir avec la pêche en mer, sauf le thon. La pêche est le fruit et les oreillons ses deux moitiés, m’apprend la patronne. Pourquoi pas ?
 

24 juin 2021


Le ciel est bleu et pas de vent ce mercredi matin, de quoi me donner envie de marcher sur la côte face à Beg Meil et au Cap Coz. Le chemin débute place des Oubliés de Saint-Paul (six hommes et une femme enceinte qui furent abandonnés en mil neuf cent trente sur l'île Saint-Paul dans l'Océan Indien alors qu'ils étaient chargés par la société La Langouste Française de garder l'île et ses installations), puis je passe près de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, du phare de La Croix et d’une sculpture d'oiseau à long cou. Se succèdent alors des plages, désertes à cette heure, qui ont nom Rodel, des Dames, du Miné, de Cornouaille et enfin, après un passage désagréable par la route, des Sables Blancs.
Nul troquet de ce côté, c’est après être revenu sur mes pas que je prends un café au Cabestan où je lis Jules et Edmond. Assez vite le ciel se couvre, le vent revient et la température baisse.
A midi, je choisis de déjeuner à l’intérieur de l’Hôtel des Grands Voyageurs qui fut fréquenté autrefois par Gustave Flaubert quand il s’appelait l’Hôtel de Madame Sergent. Il vint y soigner auprès de son ami Georges Pouchet, médecin zoologue, la dépression consécutive à sa ruine entraînée par la faillite du mari de sa nièce Caroline. C’était en mil huit cent soixante-quinze.
Le samedi vingt-cinq septembre, il écrivait à cette nièce : Mes fenêtres donnent sur une place au-delà de laquelle se trouve le bassin. Les fortifications du vieux Concarneau (un mur crénelé avec deux tours et un pont-levis) s’étendent par derrière. Je vois tout le quai en enfilade, et les petits bateaux qui pêchent la sardine. Tantôt, j’ai passé une heure à les regarder rentrer, puis j’ai fait un somme sur mon lit.
Puis le samedi deux octobre, à la même : Après quoi, j’ai fait un somme de deux heures sur mon lit, car je m’étais fort empiffré avec un tourteau, et monsieur était complètement abruti. L’ordinaire de l’auberge Sergent est surabondant : il y a à tous les repas sept ou huit plats, parmi lesquels figurent toujours de la salicoque et du homard.
Le lendemain, il se confiait à la Princesse Mathilde : Ici cependant, je vais mieux qu’à Croisset, je suis plus calme. La vie que je mène est celle d’une brute. Je dors, je mange, je me promène au bord de la mer, j’écoute les discours idiots de mes compagnons de table d’hôte.
Toutefois Concarneau et ses plaisirs ne suffiront pas à le guérir tout à fait, comme le montre cette lettre du jeudi vingt et un octobre à Caroline : La pluie tombe à seaux ! Décidément, Concarneau n’est pas l’Égypte. Voilà quinze jours que je suis très souvent obligé de garder le logis, à cause du mauvais temps. Nous n’avons pu faire qu’une promenade cette semaine. Hier, nous en avons essayé une en mer et nous avons été trempés. Cette mouillade, jointe à un mal de ventre, m’avait assombri et je suis resté pendant tout le reste de la journée couché sur mon lit et dans un piètre état nervoso-moral.
La mouillade est encore d’actualité. Quant à l’ordinaire surabondant de l’auberge Sergent, il ne faut pas y compter à l’Hôtel des Grands Voyageurs. Je n’ai droit ce mercredi pour dix-sept euros quatre-vingt-quinze qu’à un menu crêpes des plus basiques avec un kir breton, une « spéciale » jambon fumé chèvre fromage salade, une caramel beurre salé, une bolée de cidre et un café. Si l’extérieur de l’établissement est resté agréable à regarder, l’intérieur est décevant : une salle au fond à grandes tables rondes, une salle étroite près du bar à tables carrées. C’est dans cette dernière que je mange sans voisins proches. La clientèle n’est pas nombreuse. Pourtant le service est nerveux.
Un responsable : « Du pain en urgence, du pain en urgence ! »
Le clampin : « Elle est où la boulangerie ? »
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Le patron du Cabestan me voyant écrire sur mon petit carnet noir Hema :
-Ne notez pas tout ce que je fais, s’il vous plait !
-Non non.
En revanche, ce qu’il dit…
 

23 juin 2021


Un temps tourmenté est au programme ce mardi matin. Le Jockey étant en jour de fermeture, j’opte pour une table au bord de l’intérieur du Café Crème et ne tarde pas à le regretter. Si l’allongé n’est qu’à un euro trente, le patron, sans masque, pue de la tête. Il a un ami à Nice qui lui a dit des trucs pas possibles sur ce qui se passe là-bas, si dans trente ans c’est la même chose ici, qu’il y en a partout, ce sera la guerre civile, prêche-t-il de derrière son comptoir.
Je fuis et me dirige vers l’entrée de la Ville Close. A cette heure, hormis la présence de deux ou trois livreurs, elle est déserte. Je pourrais même penser qu’un confinement y a encore cours, dont je serais exempté. J’en fais le tour à mon aise, documentant cette redécouverte de trente photos.
A la sortie, quelques gouttes m’incitent à rentrer « chez moi ». Je ne ressors qu’un peu avant onze heures. Il ne pleut plus mais le vent s’en donne à cœur-joie. Les terrasses le long de la place Jean-Jaurès en font les frais. Je réussis néanmoins à prendre un café à celle du Cabestan où j’étais hier.
Me disant que l’endroit où être protégé du vent lors du déjeuner, c’est l’intérieur de la Ville Close, j’y retourne. Oui mais maintenant elle est aussi fréquentée que le Mont-Saint-Michel à la même heure. Je me résous à revenir place Jean-Jaurès où je sollicite une table au Comptoir. « On ne servira pas en terrasse aujourd’hui », me dit celle qui m’accueille. Je choisis donc une table d’intérieur.
L’endroit n’est pas désagréable. Le personnel est jeune et dévoué, la musique du genre électro. Un jeune couple s’installe un peu plus loin avec Génération Cinquante. « Bobo », crie ce dernier à peine assis. Sa mère lui enfonce une tétine dans la bouche. Il la jette au sol. Son père lui met un film sur son téléphone. Il cesse de brailler.
J’ai près de moi un vieux couple qui demande un renseignement sur la carte à leur autre voisin. L’échange s’avère compliqué car celui-ci est bègue, Ce jeune homme ne cesse ensuite de se mêler de la conversation de ce couple. Quand il s’en va, la femme déclare que ça fait du bien : « Il voulait parler mais comme on ne comprend rien ».
« C’est toujours la même musique » croit-elle entendre un peu plus tard. Lui fait toujours la même musique, une sorte de tic nerveux avec sa bouche.
Pour ma part, content d’être à une solide table en bois qui ne risque pas de me tomber sur les genoux en cours de repas, j’ai choisi la formule entrée plat café à quatorze euros quatre-vingts. L’entrée, c’est du brie pané avec une tranche de lard, le plat du sauté de porc moutarde à l’ancienne avec des tagliatelles. Deux verres de bordeaux montent l’addition à vingt euros quatre-vingts. « C’était très bien », dis-je à celle à qui je paie et c’est ce que je pense.
Durant cette parenthèse, le temps ne s’est pas amélioré. Le vent souffle toujours autant. Il peut pleuvoir à tout moment. Je mets le cap sur mon studio et y étudie des projets d’excursion alentour avec Coralie. Je suis rapidement déçu. Trévignon, Kerascoët, Port Manech, endroits m’ayant laissé de bons souvenirs, ne sont atteignables qu’à des heures incongrues ou en transport à la demande que m’interdit ma non possession de téléphone.
 

22 juin 2021


Ce lundi matin, premier jour de l’été, je sors de l’impasse, quittant Douarnenez non sans regrets, ma valise derrière moi. « Ah, c’est la fin des vacances ! Il faut bien rentrer. » Je ne rentre pas, je fais semblant.
Après un dernier regard pour le port de plaisance à demi caché par le brouillard, je me dirige vers l’abribus où je veux prendre le car BreizhGo Cinquante et Un de sept heures trente. Comme toujours en avance, j’en trouve un prêt à partir à sept heures, que je n’avais pas repéré sur l’horaire. J’y grimpe donc et arrive plus tôt que prévu à Quimper.
Cela me permet de monter avec le même ticket quinze minutes plus tard dans le car BreizhGo Quarante-Trois de huit heures pour Concarneau. Comme dans presque tous ces cars, le chauffeur roule avec la radio. Quelle n’est pas ma surprise de constater que cette fois, il s’agit de France Culture. J’écoute donc les analyses post-électorales de Guillaume Erner, Jérôme Fourquet et Frédéric Says comme si j’étais dans mon logis rouennais.
Ce deuxième car me laisse à son terminus Le Port. Trois aimables femmes me mettent dans la direction de mon nouveau studio Air Bibi que sa propriétaire me permet d’occuper dès le matin. Il va falloir monter, me disent-elle. Je commence à en avoir l’habitude et ce n’est rien par rapport à avant. Je suis bientôt installé à mi-chemin entre la Ville Close et la plage du Mine au premier étage d’un petit immeuble résidentiel d’où j’ai vue sur des jardins pavillonnaires.
Ma valise posée, le code ouifi enregistré, je redescends sur le port, trouve une boulangerie (ouverte sept jours sur sept) et un bar tabac nommé Le Jockey où l’allongé est à un euro cinquante. Puis je me dirige vers la Ville Close.
Dès son entrée, je constate qu’à dix heures on y trouve déjà trop de monde. Je me replie donc et je vais lire un peu du Journal des Goncourt dans un bar tabac qui donne sur la place  où ce lundi est installé le marché près duquel des employés municipaux détruisent les affiches des panneaux électoraux à l’aide d’un carcheur.
Quand arrive midi je renonce à m’asseoir à la terrasse d’un des restaurant traditionnels qui longent cette place, optant pour celle du Taj Mahal. Son menu est à dix euros cinquante, entrée et plat présentés sur le même plateau puis deux boules de glace mangue nougat. Le quart de sauvignon à cinq euros cinquante, le nan fromage sans fromage à trois cinquante. Le serveur est si gentil que je ne me plains pas, même lorsque la table soudain me tombe sur les genoux en renversant mon reste de vin.
Parti dans le brouillard de Douarnenez, je suis maintenant dans le presque cagnard à Concarneau. Il fait lourd, l’orage menace. C’est l’été. Rien ne signale une éventuelle Fête de la Musique. Je lis sur un banc du port à hauteur de la Ville Close.
                                                                   *
Couple n’ayant rien à se dire au Taj Mahal. Elle photographie son plat et l’envoie à je ne sais qui.
Lui, un peu plus tard : « Il a répondu ? »
Elle : « Oui, il a dit : Ah purée, ça a l’air bon. »
                                                                   *
A Concarneau, les bus de ville s’appellent Coralie.
 

21 juin 2021


La légère pluie que je découvre au matin de mon dernier jour à Douarnenez m’oblige à laisser Jules et Edmond à la maison. C’est d’autant plus dommage que ce dimanche marque le cent cinquante et unième anniversaire de la mort du premier, à l’âge de trente-neuf ans, des suites d’une syphilis attrapée au Havre.
Une dernière fois je fais le parcours qui va du port de plaisance de Tréboul au port du Rosmeur en passant par le Port-Rhu. Pas loin du Vintage, à la Maison des Jeunes et de la Culture, ou plutôt autour d’elle, sous des barnums qui protègent bien ou mal de la pluie, a lieu une grande vente de vinyles d’occasion. A l’heure où je passe devant, point de jeunesse dans le public exclusivement masculin, que des vieux à la recherche de la leur.
Arrivé au but, je m’empresse d’aller réserver une table à L’Océanide et suis fort déçu quand le patron me dit que c’est complet depuis jeudi. Il met ça sur le compte de la Fête des Pères. Au restaurant voisin, on propose à cette occasion un menu spécial et néanmoins banal à trente-quatre euros.
Après un dernier café bu aux Filets Bleus, je décide de revenir au Port-Rhu et trouve cette fois une table au Ty Port-Rhu, place de l’Enfer. « Je vous préviens, on a un groupe de quarante », me dit celle qui prend ma réservation. Un géniteur particulièrement fertile et sa descendance, je suppose. Qu’importe, j’aurai une table isolée et abritée en terrasse.
A midi, je choisis la suggestion du jour : des encornets avec des pâtes à l’encre de sèche. Ça vaut ce que ça vaut. Le service est assuré par deux jolies filles longilignes (dont l’une à faux air d’Arielle Dombasle) et par un quadragénaire mal fagoté approximatif (on manque de personnel depuis le Covid). Les quarante sont des retraité(e)s membres de « l’association ». Elle leur offre un kir en l’honneur de la Fête des Pères. Avec un quart de chardonnay et une crêpe caramel beurre salé à supplément boule de glace vanille, je m’en tire à vingt-six euros soixante-dix.
Je passerais bien cet après-midi pluvieux à coiffer les longs cheveux blonds descendant jusqu’au creux de ses reins de la fausse Arielle mais elle doit avoir d’autres projets. Plus raisonnablement, même si le temps ne s’y prête pas, je vais boire un ultime café au Chamouette.
Le Chamouette, bistrotier et caviste, se tient au fond d’une courte impasse et sa terrasse est sur le terre-plein central du quai de l’Yser. Il faut donc porter le plateau un bon moment avec traversée de rue et montée de trois marches pour arriver au client. Celui-ci a une sonnette à disposition pour se faire servir. Comme je n’aime pas ce procédé, je vais voir la jeune serveuse pour commander. Ce dimanche, celle-ci est remplacée par un quinquagénaire moins expérimenté, un ancien informaticien. Il a une arme magique pour ne rien renverser : un plateau auquel verres et tasses et bouteilles adhèrent. Je présume que ce matériel n’est pas homologué pour les courses de garçons de café.
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Abstentionniste je suis pour ces Régionales et Départementales. La transformation de plus en plus évidente des Partis de Gauche en Ligues de Vertu fait que je n’ai pas eu envie d’établir une procuration.
Abstentionniste je serai désormais pour toutes les élections. Sauf quand, au second tour de la Présidentielle, il s’agira d’éviter la pire.
 

20 juin 2021


Ce samedi, j’ai envie de revoir Pont-Croix, « Petite Cité de Caractère » située à peu près à mi-chemin entre Douarnenez et Audierne. J’attends donc une nouvelle fois le car BreizhGo Cinquante-Deux de huit heures cinq devant l’Office de Tourisme, à mon côté une randonneuse à bâtons d’âge intermédiaire en minijupe.
Elle s’assoit deux sièges derrière le chauffeur, le même que l’autre fois mais sans la radio abrutissante, et l’entreprend. Elle désire avoir la correspondance avec le car venant de Quimper pour aller à la Pointe du Raz. Il lui dit qu’après le terminus à Audierne, il rentre chez lui à Plogoff avec ce car et qu’il peut l’emmener jusque là-bas. Est-ce bien réglementaire ? Ce véhicule ne risque-t-il pas de se transformer en car BaiseGo ?
Descendu à l’arrêt Le Bourg, je me dirige illico vers la Collégiale Notre-Dame-de-Roscudon puis demande à un autochtone comment rejoindre la Petite Rue Chère et la Grande Rue Chère, toutes les deux pentues et à pavement moussu. « Je vous conseille de descendre la Grande et de remonter la Petite », me dit-il.
Je fais comme il a dit, me souvenant du bon moment passé en cet endroit avec celle qui me tenait la main. En contrebas se trouve le Goyen qui coule jusqu’à Audierne mais je suis déjà assez épuisé. Je retrouve la place de la République où il y a fort longtemps j’ai logé seul à l’hôtel. Cet hôtel a fermé. Reste au rez-de-chaussée le bar tabac désormais subtilement appelé Le Bartabas. Le café allongé que j’y prends en terrasse au soleil n’est qu’à un euro trente.
Après avoir exploré quelques autres rues typiques et l’ancien couvent, j’y retourne pour un expresso verre d’eau Goncourt. Les habitués sont loin de moi sous l’auvent, certains un peu imbibés. Une pancarte annonce la diffusion du match France Hongrie à quinze heures. Passe une visite guidée agrémentée de comédien(ne)s dans des tenues moyenâgeuses qui illustrent le propos avec des saynètes en parlure de cette époque. On se moque sous l’auvent.
Pour déjeuner je n’ai le choix qu’entre une crêperie et un restaurant à télé sous l’auvent. Je décide d’acheter une salade au Super U où certain(e)s emplissent des chariots d’une façon terrifiante. Je la mange au troquet d’en face avec un verre de sauvignon à trois euros. Le café, je vais le prendre au Bartabas mais j’en suis chassé par un semblant de pluie.
C’est sous un abri décati, face au Crédit à Bricoles, que j’attends le treize heures quarante du retour. Une femme m’y rejoint que je prends pour une des Moyenâgeuses, puis je me rends compte qu’elle porte une djellaba et des babouches. Arrivent ensuite quelques jeunes des deux sexes, impatients de quitter Pont-Croix pour rejoindre Douarnenez. Je le suis aussi.
Il pleut dru ensuite. La randonneuse à bâtons et minijupe doit en faire les frais. A moins qu’elle ait trouvé abri pour un moment chez le chauffeur de ce matin.
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Plus de masque obligatoire à l’extérieur, pas de masque non plus à l’intérieur dans certains cafés. Un qui a oublié de mettre le sien pour entrer au Bartabas n’a heureusement pas oublié de mettre sa perruque.
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En plus de cette histoire d’Euro de foute, plane la menace d’un Tour de France aux allures de Tour de Bretagne.
 

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