Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

2 août 2021


Ce samedi en début d’après-midi, je termine la lecture du deuxième tome du Journal des Goncourt en terrasse au Son du Cor à une table protégée par l’auvent des pluies intermittentes.
A ma gauche, mais heureusement éloignées, d’anciennes copines d’études se retrouvent. Leur conversation, que je ne peux entendre, est ponctuée de rires qui sonnent faux.
A ma droite, deux filles dont l’une qui tient beaucoup à faire savoir que désormais elle vit à Paris. « Trois euros », leur dit le serveur apportant les cafés. « Un seul ou les deux ? lui répond-elle, c’est que je suis déjà plus habituée aux prix d’ici. » Elles sont rejointes par une autre et deux garçons qui ont acheté des croissants : un petit-déjeuner à treize heures, l’ultime transgression. Rien à tirer de leur conversation, une suite de propos décousus relatifs à leur vie de fêtard(e)s, assortis de rires copiés collés.
Il en était de même la veille au même endroit où deux habitués de la pause-déjeuner, des fonctionnaires territoriaux mangeant pizza et sandouiche, ne pouvaient parler de leur boulot qu’avec des rires pavloviens.
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En plus il fait mauvais. A propos de la tristesse de ce jour, je ne sais qui répétait ce moi du peintre Gervex : « Ah ! quel temps !... On sucerait un homme ! » écrivait Edmond de Goncourt le dimanche vingt-neuf novembre mil huit cent quatre-vingt-cinq.
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Ce dimanche, celle qui est à ma droite au Son du Cor parle sans rire à son téléphone. Elle organise le mariage de sa sœur. « Moi, je veux bien trouver un poème, mais sur quoi ? L’amour ? La famille ? Le bonheur ? ». Sur sa table, un livre publié chez Gallimard : Croire au merveilleux de l’Ono-dit-Biot.
 

30 juillet 2021


Les clés mises dans la boite à lettres de ma discrète logeuse, je quitte la rue Voltaire ce jeudi matin, passe à la boulangerie sans nom qui jouxte un Bazar de la Gare en déshérence depuis longtemps et y achète deux pains au chocolat que je vais manger en face avec un allongé à un euro cinquante à la sinistre terrasse d’un café qui ne mérite pas de nom mais a celui d’être ouvert.
Il me reste à passer le canal et me voici sous la pancarte « Navette » dans l’attente de celle qui emmène à la Gare Meuse Tégévé construite au milieu de nulle part. Derrière moi est la statue de Raymond Poincaré, né à Bar-le-Duc, « Il a bien mérité de la Patrie ». De dos il ressemble à Lénine.
A huit heures vingt-six, quand il démarre sous un ciel gris nous sommes huit dans le grand car qui va vers Verdun par la Voie Sacrée puis au bout d’une demi-heure tourne à gauche. Un bâtiment, dont l’architecture me fait un peu penser à celle de l’église Jeanne d’Arc de Rouen, est là au milieu des champs, dont un de tournesols.
Un Tégévé parti de Metz s’y arrête à neuf heures vingt comme prévu. J’y trouve ma place dans la derrière voiture. Il file ensuite sur Paris sans s’arrêter. Avant d’y arriver il ralentit longuement ce qui me permet de bien voir la Gare de Bondy, ville de ma famille maternelle. A l’arrivée Gare de l’Est, nous avons huit minutes de retard.
J’ai sans tarder les métros Sept et Trois et arrive Gare Saint-Lazare quinze minutes avant le départ de mon train pour Rouen. Quand il quitte Paris à onze heures douze, il si peu chargé que j’ai une voiture pour moi seul.
De la Gare de Rouen, je me laisse glisser jusqu’à chez moi sous le ciel gris. Il est treize heures quand j’en ressors pour acheter de quoi me nourrir chez le kebabier de la rue de la République dont les frites sont fraîches.
Ainsi en est-il fini de mon escapade de vingt-quatre jours en Lorraine. Un choix que je ne regrette pas. Epinal, Nancy et Bar-le-Duc sont villes à connaître, et forts belles.
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Il me reste cent cinquante pages à lire (relire) du deuxième volume du Journal des Goncourt dans lequel Edmond, le dimanche quatre mai mil huit cent quatre-vingt-quatre, à l’occasion de la mort de sa cousine Fanny Court en sa soixante-seizième année, se remémore un évènement ayant pour cadre Bar-le-Duc :
J’étais encore un enfant, mais un enfant où la pensée est déjà tout occupée du mystère des sexes et de l’inconnu de l’amour. Je passais quelques jours de vacances à Bar-le-Duc et ma cousine Fanny, assez nouvellement mariée, était une jolie et jeune femme. Le ménage me traitait sans conséquence, et à toute heure, qu’il fût couché ou non, j’entrais dans leur appartement. Un matin que j’allais demander au mari de m’attacher des hameçons à une ligne, j’entrais dans leur chambre à coucher sans frapper. Et j’entrais au moment où ma cousine, la tête renversée, les jambes relevées et écartées, le derrière soulevé sur un oreiller, était en position d’être enfourchée par son mari. Une bousculade des deux corps, dans laquelle le rose derrière de ma cousine disparut si vite sous les draps que j’aurais pu croire à une hallucination… Mais la vision cependant me resta. Et ce rose derrière sur un oreiller à grandes dents festonnées fut, jusqu’au jour où je connus Mme Charles, le doux et excitant spectacle que j’avais le soir, avant de m’endormir, sous mes paupières fermées.
 

29 juillet 2021


Ce mercredi pour mon dernier jour à Bar-le-Duc et en Lorraine, je monte les marches qui mènent à la Tour de l’Horloge et me voici à nouveau dans la Ville Haute aux magnifiques maisons Renaissance où j’ai encore à voir.
J’achète un pain au chocolat et un croissant à la Boulangerie des Ducs et ne les trouve pas mauvais quand je les mange en face au Café des Ducs, étrange endroit qui ouvre à six heures pour fermer à sept heures et demie et rouvrir à huit heures. J’ai dû attendre un peu, étant arrivé pendant la demi-heure du vide. L’allongé n’est qu’à un euro vingt. On y critique la boulangère qui ne fait pas assez de croissants mais jette des éclairs. Le temps est aux averses.
J’y échappe en sortant, me rendant un peu plus loin dans cette rue Ducs-de-Bar à une maison où il faut sonner pour que la porte s’ouvre sur un énorme pressoir à raisins installé dans une grange. Six mètres de haut, dix de long, dix tonnes de bois, le Grand Pressoir fonctionnait dans un village voisin jusqu’au phylloxera.
En ressortant, je bois un café à la terrasse du Bernanos qui vient d’ouvrir et y lis Edmond de Goncourt jusqu’à dix heures et demie quand ouvre l’église Saint-Etienne sous la responsabilité d’une employée de l’Office du Tourisme. A l’intérieur sont visibles deux œuvres majeures attribuées à Ligier Richier : Le Calvaire en bois polychrome avec son Bon Larron résigné et son Mauvais Larron tourmenté et surtout Le Transi que Simone de Beauvoir décrit ainsi dans Tout compte fait : Mi-écorché, mi-squelette, c’est un cadavre que l’esprit anime encore, c’est un homme vivant et déjà momifié. Il se dresse en tendant son cœur vers le ciel.
Entre deux averses, je me rends ensuite à flanc de coteau au collège Gilles-de-Trèves. La plus belle maison de ville qui soit en France selon Michel de Montaigne. On ne peut en voir que l’extérieur.
A midi, je me résous à déjeuner au Bernanos, faute d’autre choix avec terrasse. Pas de menu, que des plats basiques à la carte, les mêmes chaque jour. Le patron a toujours un verre de bière à la main. La patronne ne fait pas grand-chose. Cuisine au feu de bois et circuit court sont censés expliquer le prix de mon andouillette de Troyes et de son cornet de frites : dix-huit euros. Je ne commande pas de vin, ni de dessert. C’est pour me venger.
A quatorze heures, la porte de l’Espace Saint-Louis s’ouvre où est proposée pour le centenaire de sa naissance une exposition gratuite Ipousteguy. « Déjà je vais vous donner un livret », me dit celle qui m’accueille puis, façon médiatrice culturelle, elle m’assomme d’informations. Quand elle ajoute qu’elle va mettre en marche un commentaire audiovisuel, je craque :
-Non il n’en est pas question, déjà vous parlez beaucoup trop.
Vexée, elle va bouder sur une chaise avec son doudou, l’indispensable smartphone.
Les premières sculptures d’Ipousteguy m’intéressent assez. Certaines de ses femmes nues sont de fières contorsionnistes. Plus il avance en âge, plus il vire abstrait, ce qui ne me sied pas.
Je dis au revoir à la fille de la chaise puis pousse la porte et sort. Elle me court après :
-Monsieur, le livret il est à un euro si vous voulez le garder.
-Ça vous ne me l’aviez pas dit, lui fais-je remarquer en le lui rendant.
De retour à la Ville Basse, je prends un ultime café au Barisien. Près de moi est une fille qui boit une bière et hèle deux connaissances qui passent dans la rue. « Tout va bien, leur dit-elle, je travaille chez Carrefour et je vais bientôt lancer ma chaîne YouTube sur le make up. »
 

28 juillet 2021


Ai-je vraiment bien fait d’aller à Saint-Dizier, me dis-je ce mardi matin en descendant du car Fluo numéro Dix-Neuf au milieu des travaux devant la Gare de cette commune de Champagne proche de la Lorraine. Ma première impression n’est pas bonne. Je me rassure un peu quand arrivant au Canal entre Champagne et Bourgogne, j’aperçois au loin la Tour Miko.
Avant d’aller voir de près cette attraction, je passe par la massive Cathédrale. Près d’elle sont des maisons à pans de bois. L’une est en piteux état, c’est ma préférée. J’aime aussi les Halles soutenues par des échafaudages.
A proximité des remparts et du Château occupé par la Sous-Préfecture, l’Office du Tourisme est ouvert depuis neuf heures. Son aimable responsable m’apprend qu’il y a ici la maison d’un artiste de l’Art Naïf,  Au Petit Paris. Elle m’indique où la trouver et me donne un livret retraçant l’histoire de Marcel Dhièvre et de son œuvre.
Il tombe quelques gouttes lorsque je remets le pied dehors. Je vais boire un café en face, abrité sous un parasol, au Café de l’Agriculture. Un suppliciant bruit d’avion se fait entendre régulièrement. Je demande à la tenancière, en réglant mon euro quarante, ce que c’est.
-C’est la Base. C’est des Rafales, me répond-elle comme s’il s’agissait d’une évidence.
L’averse ayant cessé, je retrouve, avec l’aide d’une autochtone qui me conseille de passer par devant le Leclerc, la Tour Miko. Vestige Art Nouveau de l’entreprise de crème glacée, elle est aujourd’hui incluse au sein d’un bâtiment regroupant un cinéma multiplexe en activité et une galerie marchande en dépôt de bilan. J’en fais le tour photographiquement.
Je marche ensuite un peu longuement jusqu’au quatre cent soixante-dix-huit avenue de la République. Sur ses murs, portes et volets, la petite maison du défunt Marcel Dhièvre offre au regard des monuments parisiens, des motifs floraux, végétaux et animaux, dont une illustration du Corbeau et du Renard, en faïence et aux couleurs vives. C’est le résultat d’un travail acharné d’une seule main, l’autre étant paralysée de naissance. Un bar culturel y est désormais installé, fermé à cette heure.
Je vague un peu dans ce quartier de la Noue aux ruelles déchues, passe pas loin de la Marne sans avoir le courage de descendre la voir, et décide, aucun restaurant ne m’ayant fait signe, de rejoindre la Gare pour rentrer avec le onze heures vingt-cinq qui arrive à Bar-le-Duc pour midi.
C’est au Restaurant du Marché que je déjeune en terrasse d’une salade de tomates, d’un faux-filet frites salade et d’un moelleux au chocolat avec un quart d’edelzwicker pour le même prix que l’autre fois. La Police Nationale n’oublie pas de venir chercher son repas à emporter. L’apprentie serveuse prend de l’assurance : « Voilà pour monsieur », me dit-elle en m’apportant une carafe d’eau sur un plateau. Elle parle de sa patronne en l’appelant ma collègue. Cette restauratrice à qui je n’arrivais pas à donner un âge me surprend en disant à mes voisins qu’elle a vingt-trois ans. C’est une ancienne du Comptoir de Maitre Kanter en délicatesse avec celui qui était son supérieur. « Quarante ans et encore serveur », dit-elle avec un souverain mépris.
                                                                         *
L’usine Miko a été déplacée dans la zone industrielle de Trois-Fontaines où son entrepôt de stockage peut contenir trente-cinq mille palettes, ce qui en fait un des plus gros frigos d'Europe.
 

27 juillet 2021


Ce lundi, je voulais aller à Saint-Dizier mais Castex et Darmanin ayant eu la même idée, je remets à demain et avance d’une journée ma découverte de Verdun, une ville associée pour toujours aux horreurs de la guerre, où a souffert comme tant d’autres Grand-Père Jules alors jeune homme.
C’est le car Fluo numéro Deux de sept heures quarante partant de la Gare Multimodale de Bar-le-Duc qui, pour quatre euros, m’emmène là-bas en soixante minutes. Il emprunte la Voie Sacrée sous un ciel gris, dans un paysage de vallons boisés et de villages déserts, de temps en temps des éoliennes.
A l’arrivée à la Gare Multimodale de Verdun, comme j’aperçois les deux tours de la Cathédrale Notre-Dame, je monte vers elle et vers l’ancien Palais Episcopal transformé en Centre Mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l’Homme. Pas loin, un reste de porte fortifiée m’attire près de laquelle je découvre un château d’eau massif. En tournant à gauche, j’arrive au-dessus de la Citadelle souterraine dans une zone interlope où derrière une barrière ornée de barbelés et d’écriteaux interdisant d’entrer, une immense inscription murale proclame I CAN’T WAIT. Ce pourrait être ma devise si j’en acceptais une.
Par un sentier forestier pentu, je trouve comment rejoindre les canaux. Le premier que je rencontre est le Canal des Augustins et son pont écluse Saint-Amand conçu par Vauban. A l’autre bout de la rue est un restaurant nommé Chez Nat avec terrasse dans le jardin et menu à quatorze euros. J’y retiens une table pour midi puis je me dirige vers le Canal de la Meuse.
Il me mène au quai de Londres où sont ancrés des bateaux de location et qui est bordé de bars et de restaurants. Je choisis Vitali’s pour boire un expresso près de l’eau et suis surpris de ne le payer qu’un euro trente. Je poursuis ensuite mon chemin, passant au pied de l’immense Monument de la Victoire puis près du défunt Hôtel du Coq Hardi et m’arrête enfin à la Tour Chaussée qui, dit-on, ressemble à ce qu’était la Bastille.
Un autre café chez Vitali’s et je me rapproche de Chez Nat. En attendant midi, je lis le Journal d’Edmond de Goncourt sur un banc près du Canal des Augustins. Soudain en levant les yeux de mon livre, je vois une femme nue dans un jardin, sous des saules-pleureurs, la main sur un garde-corps, l’œil sur les eaux troubles du canal. Cette statue est chez un particulier. Je ne peux m’en approcher.
« Vous êtes sûr que vous voulez manger dehors ? » me demande la serveuse de Chez Nat. Elle pourrait être le modèle de la statue du jardin voisin. « Du moment que je suis à l’abri oui. » Elle me laisse faire. Au bout de deux minutes, une sévère drache s’abat sur le parasol. Les rillettes de porc qu’elle m’apporte sont un peu mouillées et elle aussi. « Si ça vous complique la vie, je peux rentrer », lui dis-je. « Si vous êtes bien ici, vous pouvez rester », me répond-elle.
J’y suis seul, on ne peut plus tranquille. Quand l’averse cesse, le soleil apparaît en même temps que mon entrecôte poêlée et ses choux braisés aux lardons. C’est fort bon et le petit vin rouge se laisse boire.
Je dois ensuite attendre un certain temps. « J’ai cru que vous m’aviez oublié », dis-je à celle qui finit par réapparaître. « Je ne cesse pas de penser à vous, me répond-elle, mais j’avais des commandes à prendre à l’intérieur. » Mon dessert est une honnête madeleine façon profiteroles.
-Ah, c’est vous le courageux qui mangeait dehors, me dit la patronne à qui je règle dix-neuf euros.
-Oui, ça a été un peu difficile au début mais après ça s’est arrangé.
Je remercie cette dame qui doit être Pat, et surtout sa serveuse, puis longeant plus ou moins le canal, je rejoins la Gare Multimodale. Après un café à un euro trente bu à la terrasse du Terminus, je repère l’endroit d’où part le car Fluo numéro Deux de quatorze heures trente pour la Gare Multimodale de Bar-le-Duc.
Nous étions sept à l’aller conduits par une femme. Nous sommes trois au retour conduits par un homme.
 

26 juillet 2021


Ce dimanche matin, c’est à la Boulangerie Notre-Dame, dont la file d’attente sur le trottoir me remplit d’espoir, que j’achète croissant et pain au chocolat. Las, ils sont aussi mauvais qu’ailleurs, constaté-je à l’une des tables d’extérieur de L’Escargot, le bar de l’Hôtel de la Gare, en face de celle-ci, où je bois un allongé à un euro quarante-cinq que m’a apporté une hôtelière qui semble s’ennuyer derrière son comptoir.
A neuf heures vingt-neuf démarre le train Fluo pour Nancy dans lequel je suis. Après vingt minutes de paysage vallonné et boisé, j’en descends à Commercy, ville connue pour ses madeleines.
Egalement pour son Château auquel on accède par une place en fer à cheval. Stanislas aimait y séjourner. Il appartint un temps au Cardinal de Retz qui y rédigea ses Mémoires. Voltaire y séjourna quatre mois et y écrivit Sémiramis et Nanine.
Quand je le découvre, derrière l’église Saint-Pantaléon, je me dis que personnellement je n’aimerais pas y vivre. Il est banalement Renaissance, occupé par la Mairie, la Bibliothèque et d’autres services municipaux. Dans une aile annexe est installé le Restaurant du Fer à Cheval. J’y réserve une table en terrasse puis je vais explorer quelques rues typiques pas vraiment remarquables où je croise un jeune maigrichon faisant déféquer deux bergers allemands qui me hurlent dessus et un gros beauf qui passe l’aspirateur dans sa bagnole en diffusant à fond une radio de merde.
C’est le même genre d’individus que je côtoie un peu plus tard au Café de la Renaissance. Heureusement qu’Edmond m’accompagne, même si je continue à le trouver souvent ennuyeux. Mes voisins, parmi lesquels un prof, baissent la voix quand ils parlent de Macron. Ils lui souhaitent, pourquoi pas, de se faire assassiner.
Au Fer à Cheval, je dispose d’une table avec vue sur le Château derrière le parquigne. A défaut de menu à un prix raisonnable, je choisis à la carte, une joue de porc au foie gras à quatorze euros quatre-vingts et un tiramisu à six euros cinquante qui s’avère artisanal et copieux. Etonnamment, le demi-pichet de pinot d’Alsace blanc n’est qu’à six euros, ce qui me pousse à l’alcoolisme sur fond de grands carillonnages à Saint-Pantaléon, un baptême selon la restauratrice. Le trio d’à côté parle d’un qui fait « des grandes études », il est en licence de management.
Je prends le café à la Renaissance puis quand il ferme, à quatorze heures trente, je vais voir, en remontant vers la Gare, le derrière du Château. On trouve là un canal un peu envasé.
Le train Fluo de quinze heures dix-huit, partant de Lunéville et à destination de Reims, doit me ramener à Bar-le-Duc. La Gare de Commercy est complétement close. La seule porte que j’ouvre est celle de la boîte à livres qui se trouve devant. A l’intérieur un énorme livre : Entracte d’André Juillard, sa biographie en plus de mille cinq cents images et quatre cent trente-deux pages, publiée aux Editions Daniel Maghen.
J’en ignore le poids que je sens au bout de mon bras.
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Commercy, un des « 100 Plus Beaux Détours de France », proclame une banderole de rue. Oui mais le centième alors.
                                                                           *
Le fer à cheval est occupé par des voitures garées en zone bleue. La zone bleue, ce stigmate des petites communes à la traîne.
 

25 juillet 2021


La pluie au réveil m’invite à ne pas trop en faire ce samedi. Elle tombe à point car je me sens bizarrement fatigué depuis hier soir. Muni de mon coupe-vent imperméable, j’essaie la boulangerie de la rue du Bourg mais ses viennoiseries ne valent pas mieux que celles de la boulangerie du boulevard de la Rochelle. Je le constate en petit-déjeunant sous la véranda du Comptoir de Maitre Kanter où je réserve la même table pour le déjeuner.
Vers dix heures, la pluie ayant momentanément cessé, je vais vaguer (comme disait Edmond de Goncourt qui parlait aussi de promenade péripatéticienne) le long de l’Ornain où je découvre quelques bâtiments qui m’avaient échappés : l’imposante église Saint-Jean jouxtée d’une boîte de nuit nommée La Bohème, un édifice en béton des Pététés avec une immense porte, la synagogue sur l’autre rive. On peut pêcher dans cette rivière, comme au temps d’Edmond petit garçon, mais aujourd’hui, des écriteaux le disent, c’est « No Kill » « Graciation obligatoire » (première fois que je rencontre ce graciation venu du Québec). Les voitures garées le long de l’eau ont toutes sur leur pare-brise un tract des Patriotes de la Meuse et du Collectif Meuse Démocratie invitant à un Rassemblement pour la Liberté ce jour à quatorze heures. Arrivé au pont Notre-Dame et à sa chapelle, je rentre dans mon chez moi provisoire au troisième étage.
Après un repas à dix-sept euros cinquante chez Maître Kanter (salade de Lorraine, rognons de veau sauce moutarde, mousse au chocolat) accompagné d’un quart de côtes-du-rhône à six euros cinquante, je prends le café puis lis à l’une des quatre tables sous l’auvent du Barisien jusqu’à ce que la manifestation des Patriotes et des Démocrates menace.
C’est par ma fenêtre ouverte, alors que la pluie reprend, que j’assiste à son arrivée devant la Préfecture. « Ils sont pas beaucoup », se réjouit la voisine d’en face. Effectivement, deux ou trois cents, pas plus, gueulant « Liberté » et « Macron en prison ».
« Les gens qui voudront s’exprimer viendront ici », annonce celui qui tient la sono. « Pour la liberté on est capable de rester sous la pluie. »
C’est lui, le Patriote, qui commence « C’est des fous, y sont dingues, la vie c’est pas se prendre un vaccin tous les six mois, la vie c’est pas mettre un masque pour cacher les sourires. », un ancien Socialiste se vante d’avoir fait trois filles pour la France, un Maire bafouille à qui on demande de mettre sa bande tricolore, un citoyen de vingt et un ans annonce que leur régime va s’effondrer, une aide-soignante déroule le classique discours de gauche sur l’hôpital qui manque de moyens, une mère raconte que ses quatre enfants pleurent car elle ne pourra pas les emmener au zoo, une hurleuse appelle à accueillir nos chers ministres comme il faut lors de leur venue à Bar-le-Duc et Saint-Dizier ce lundi vingt-six, le Patriote juge que cet homme, Macron, ne mérite pas la France, pays de Voltaire et des Lumières, une étudiante ne veut pas servir de cobaye, un intermittent du spectacle invite tous les présents à forcer le contrôle lors des Estivales de Bar-le-Duc le premier août, un Gilet Jaune conclut en faisant scander « Macron Macron, on t’encule ». « Vive la France, vivent les Français, vivent les enfants de France », une Marseillaise chantée faux et c’est la dispersion.
 

24 juillet 2021


Mon exploration de la Ville Basse commence ce vendredi matin près du Barisien à une heure où il n’est pas encore ouvert. A sa gauche, un bâtiment cossu à têtes sculptées, sur lequel figurent en creux dans la pierre les inscriptions « Salle de Spectacle » « Café des Oiseaux », témoigne d’une époque prospère révolue. Juste en face, un charcutier traiteur en faillite était logé dans un bâtiment décoré de vignes taillées dans la pierre où figure une discrète inscription en creux : « Ils n’en ont pas en Angleterre ».
Des boutiques ayant baissé le rideau, il n’en manque pas à Bar-le-Duc. Un artiste s’est exprimé sur l’une d’elle : un squelette y proclame « Haut les cœurs ». Même le restaurant chinois à volonté est fermé sans espoir de réouverture.
Ayant tourné rue du Bourg j’y trouve la maison à pilastres corinthiens et bustes de femmes dite des Deux Barbeaux qu’André Theuriet a décrite dans son roman La Chanoinesse. Un peu plus loin, c’est une façade à gargouilles puis je rencontre l’étroit Canal des Usines et constate que les syndicats sont eux aussi logés dans un bâtiment historique. Un ouvrier descendu de moto me demande si j’attends quelqu’un. « Non, j’attends que vous soyez rentré pour faire une photo. »
Me dirigeant vers la Cathédrale, je passe par le pont Notre-Dame qui enjambe l’Ornain. Sur celui-ci est une minuscule chapelle. Quant à la Cathédrale, elle est du genre mastoc.
Après la Gare, je trouve la route en tunnel qui permet de passer sous les voies ferrées et arrive au pont levant sur le Canal de la Marne au Rhin quand celui-ci se lève pour laisser passer deux bateaux de location.
Un peu plus loin se trouve le rococo Château de Marbeaumont construit par un banquier. Il servit un temps de quartier général à Pétain pendant la Guerre de Quatorze Dix-Huit. Il abrite aujourd’hui la Médiathèque. Par une fenêtre ouverte du premier étage, une blonde bibliothécaire qui a dû pratiquer le lancer du disque au lycée jette des ouvrages dans une benne.
« Rassurez-vous, on ne jette pas tout », me dit-elle. Il s’agit de documents de peu de valeur ou en double complétement détruits par les inondations qui ont envahi les sous-sols une semaine avant mon arrivée. Une pompe est en action qui envoie de l’eau dans un bassin. Le Parc et la Médiathèque sont fermés au public. Je n’ai pu entrer qu’à la faveur du passage d’employés municipaux.
Retourné à mon point de départ, je prends un café au Barisien puis vais déjeuner en terrasse au Restaurant du Marché, le seul des trois que je n’ai pas essayé. Le menu est à douze euros quatre-vingt-dix comme chez Maître Kanter mais le quart d’edelzwicker n’est qu’à cinq euros et meilleur. La Police Nationale vient chercher son plat à emporter sans s’émouvoir du masque sous le menton de la patronne. Je déjeune d’une assiette de crudités, suivie d’un pavé de saumon sauce vin blanc jardinière de légumes et d’un moelleux au chocolat en regardant la petite apprentie en robe rouge découvrir le métier. Huit collègues, sept femmes et un homme nommé Jason, fêtent les quarante ans d’une. Deux fois vingt ans, lui dit-on de façon un peu trop insistante. Plus près de moi, une fausse Line Renaud mange des moules avec sa copine.  
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Une fois ou deux par jour, une grosse explosion se fait entendre à Bar-le-Duc. Je demande à l’apprenti serveur du Barisien ce que c’est. « Des explosions ? » Il ne voit pas de quoi je veux parler. « Peut-être le mur du son », me dit-il après réflexion.
Ce doit être ça et il y est si bien habitué qu’il ne trouve pas ça anormal. Peut-être même pense-t-il que c’est partout comme ça.
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Ici, chez certaines femmes, une façon un peu traînante de dire « Ah bah ouais hein » qui me rappelle une mienne collègue d’une école maternelle de Rouen. Etait-elle d’origine meusienne ?
 

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