Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
21 mai 2015
Remontant la rue de la Jeanne, ce mercredi matin, je croise l’un qui me salue mais, comme cela m’arrive souvent, je ne sais pas qui c’est, ou alors ne le reconnais pas. Arrivé à la gare, je trouve place dans le sept heures vingt-quatre pour Paris, un direct qui ne s’arrête donc pas à Val-de-Reuil dont je contemple au passage la gare dévastée. C’est comme si la guerre était arrivée là. Plus rien ne reste de l’étage. Surdimensionnée, elle était prévue pour une ville qui aurait dû avoir cent mille habitants en deux mille et qui n’en compte que treize mille (y compris les prisonniers). Elle va être retaillée, ne ressemblant plus que vaguement à l’endroit où j’allais chercher celle qui me tenait la main lorsque j’habitais là-bas.
Ce train trace sous un ciel partagé entre bleu et noir. Un double arc-en-ciel fait une apparition fugitive. Arrivé dans la capitale, je vais à la Bastille par un bus Vingt partiellement dévié et attends l’ouverture de Book-Off. Entre les deux entrées se trouve celle peinte en rouge de l’Hôtel des Alliés Je n’en vois sortir que des familles immigrées. « Visites interdites » est-il inscrit sur la porte.
Je trouve quelques livres à mettre dans mon sac et d’autres dont le titre m’amène à me gausser, comme ce Transsexuelle et convertie à l’islam. L’averse menaçant, je prends la Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin et y retrouve la demoiselle au violoncelle aussi grand qu’elle. Elle descend à l’Institut du Monde Arabe et moi à Cluny.
Sous le parapluie, je rejoins l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. La maison a changé de propriétaire et, c’est plus grave, de menu. Celui-ci est toujours à dix euros mais adieu salade de saumon, tartiflette et dame blanche. Je me rabats sur les moules, le burger et la mousse au chocolat.
Près de moi mangent deux femmes quinquagénaires dont l’une ne veut pas boire de vin car elle a ce soir sa réunion de copropriété. Elle est au chômage et cherche du travail dans les assurances mais elle en manque pour démarcher les employeurs. « Es-tu sur les réseaux sociaux ? », lui demande l’autre, « tu devrais car un ami d’ami sera peut être assureur, c’est comme ça que ça marche maintenant ». Il est ensuite question de la famille de la chômeuse :
-Mon frère, je peux trop rien lui dire vu que c’est lui qui s’est tapé les parents dans leur vieillesse.
Les moules décongelées sont cassées et minuscules, le burger insipide et la mousse au chocolat « maison » toute petite. Le nouveau patron de l’Hostellerie de l’Oie qui Fume (d’ailleurs rebaptisé Le Bistrot de la Harpe), où l’on n’entend plus de musique jazzy mais Radio Nostalgie, ne me demande pas si ça a été. Je ne lui dis pas au revoir.
L’averse a cessé. Je furète dans les bacs de Gibert Bleu, y trouve Notes d’un musicien en voyage de Jacques Offenbach (Editions Cartouche) et La Femme d’Isodoro Loi (Arléa), un recueil d’horreurs écrites sur les femmes au cours des siècles.
Dans l’après-midi, je passe par le deuxième Book Off puis vais lire Chez Léon où un sexagénaire explique qu’il va bientôt partir pour aller à la manifestation de soutien aux chrétiens d’Orient persécutés, c’est devant la maire du Seizième. Une femme quadragénaire en écoute une autre parler de sa récente perte d’emploi :
-Faut juste que je retrouve un boulot à l’aube de mes quarante-trois ans.
-Je préfère être virée maintenant que dans deux ou trois ans.
-Quand je pense que je me suis payé le Salon de l’Actionnariat !
Dans la voiture du train de dix-neuf heures trente pour Rouen où je suis assis, je vois arriver ma voisine de La Page Blanche qui ne me reconnaît pas et préfère aller s’asseoir à l’autre bout.
*
Nouveautés parisiennes : Le Bustronome (pour touristes mangeant en visitant, « une terrasse panoramique unique »), les Easybus (qui font la navette entre la capitale et l’aéroport) et les Easyjet-taxis.
Ce train trace sous un ciel partagé entre bleu et noir. Un double arc-en-ciel fait une apparition fugitive. Arrivé dans la capitale, je vais à la Bastille par un bus Vingt partiellement dévié et attends l’ouverture de Book-Off. Entre les deux entrées se trouve celle peinte en rouge de l’Hôtel des Alliés Je n’en vois sortir que des familles immigrées. « Visites interdites » est-il inscrit sur la porte.
Je trouve quelques livres à mettre dans mon sac et d’autres dont le titre m’amène à me gausser, comme ce Transsexuelle et convertie à l’islam. L’averse menaçant, je prends la Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin et y retrouve la demoiselle au violoncelle aussi grand qu’elle. Elle descend à l’Institut du Monde Arabe et moi à Cluny.
Sous le parapluie, je rejoins l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. La maison a changé de propriétaire et, c’est plus grave, de menu. Celui-ci est toujours à dix euros mais adieu salade de saumon, tartiflette et dame blanche. Je me rabats sur les moules, le burger et la mousse au chocolat.
Près de moi mangent deux femmes quinquagénaires dont l’une ne veut pas boire de vin car elle a ce soir sa réunion de copropriété. Elle est au chômage et cherche du travail dans les assurances mais elle en manque pour démarcher les employeurs. « Es-tu sur les réseaux sociaux ? », lui demande l’autre, « tu devrais car un ami d’ami sera peut être assureur, c’est comme ça que ça marche maintenant ». Il est ensuite question de la famille de la chômeuse :
-Mon frère, je peux trop rien lui dire vu que c’est lui qui s’est tapé les parents dans leur vieillesse.
Les moules décongelées sont cassées et minuscules, le burger insipide et la mousse au chocolat « maison » toute petite. Le nouveau patron de l’Hostellerie de l’Oie qui Fume (d’ailleurs rebaptisé Le Bistrot de la Harpe), où l’on n’entend plus de musique jazzy mais Radio Nostalgie, ne me demande pas si ça a été. Je ne lui dis pas au revoir.
L’averse a cessé. Je furète dans les bacs de Gibert Bleu, y trouve Notes d’un musicien en voyage de Jacques Offenbach (Editions Cartouche) et La Femme d’Isodoro Loi (Arléa), un recueil d’horreurs écrites sur les femmes au cours des siècles.
Dans l’après-midi, je passe par le deuxième Book Off puis vais lire Chez Léon où un sexagénaire explique qu’il va bientôt partir pour aller à la manifestation de soutien aux chrétiens d’Orient persécutés, c’est devant la maire du Seizième. Une femme quadragénaire en écoute une autre parler de sa récente perte d’emploi :
-Faut juste que je retrouve un boulot à l’aube de mes quarante-trois ans.
-Je préfère être virée maintenant que dans deux ou trois ans.
-Quand je pense que je me suis payé le Salon de l’Actionnariat !
Dans la voiture du train de dix-neuf heures trente pour Rouen où je suis assis, je vois arriver ma voisine de La Page Blanche qui ne me reconnaît pas et préfère aller s’asseoir à l’autre bout.
*
Nouveautés parisiennes : Le Bustronome (pour touristes mangeant en visitant, « une terrasse panoramique unique »), les Easybus (qui font la navette entre la capitale et l’aéroport) et les Easyjet-taxis.
20 mai 2015
Simone de Beauvoir s’accommode bien de l’Occupation nazie, allant de cafés en concerts et toujours professeur de lycée, mais elle est inquiète pour Sartre, prisonnier en son stalag, dont elle ne reçoit pas de lettres pendant plusieurs mois, ce qui ne l’empêche pas de continuer à lui écrire régulièrement .
Echantillons :
Jeudi j’ai un peu fait travailler Mouloudji en géométrie. (lundi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante, le jeune Marcel Mouloudji dont je viens de lire Le petit invité (Balland) était alors en rupture de famille, recueilli par Jean-Louis Barrault et Robert Desnos puis par Marcel Duhamel)
Peut-être que d’ici un mois vous serez assis à côté de moi, sur une de ces banquettes, tout pareil à vous-même, svelte et plein d’expérience. Je me rappelle toujours cette terrasse du café « Victor » à Rouen où vous souhaitiez tant une expérience extra-sentimentale : comme une traversée du Sahara en autochenille. Voilà que vous l’avez très bien eue… (mardi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante)
… il y avait dans la salle Cocteau et Marais. Cocteau est marrant avec une sorte de coiffure en hauteur, sa figure de vieille femme. On rencontre mille visages de connaissance à ces concerts qui sont superbes. (lundi seize décembre mil neuf cent quarante)
Il m’a raconté aussi comme il avait couché avec Piquard (son ancienne élève, amie de Védrine et stagiaire chez moi) ; il l’a emmenée chez lui, l’a embrassée et elle lui a dit aussitôt : « Je vous aime » ; il a répondu à peu près : « Il n’y a pas de mal » et l’a renversée –après quoi il l’a crue enceinte mais il n’en était rien ; elle a menacé de faire de la complication sentimentale mais il a rompu presque aussitôt –il cherche la conversation érotique avec moi, tout comme le vieux proviseur, et il me débecte. (dimanche cinq janvier mil neuf cent quarante et un, à propos d’un M. Ponty)
… j’ai été retrouver Kos. et manger avec elle une omelette au « Milk Bar ». Elle était sombre ; elle pense que le seul moyen d’arriver, c’est de coucher avec un type et serait quasi disposée à le faire, mais personne ne lui propose. (vendredi vingt-quatre janvier mil neuf cent quarante et un)
Mon cher petit, vous avez dû voir que malgré tout j’étais moins peineuse ces temps-ci. (mardi vingt-huit janvier mil neuf cent quarante et un)
*
Je suis né à Paris, Hôtel-Dieu, rue d’Arcole,
Mon père était maçon, ma mère femme de ménage,
Mon frère était sauvage et mon oncle bizarre,
Et les autres parents soit drôles soit alcooliques,
Apatrides ou bretons ; et quant aux Arabiques,
Je ne les connus point, par hasard
Et trop tard pour me faire des racines. (Mouloudji)
*
Mouloudji, sa première rencontre avec Sartre :
Au cours Dullin je sympathisais avec quelques élèves, en particulier les sœurs Kosakévitch –Wanda et Olga dite « Olga blonde » –ainsi qu’avec Olga Kéchéliévitch, dite « Olga brune ». J’entretenais avec ces jeunes filles des rapports presque affectueux. Wanda étudiait la peinture. Elle m’entraînait parfois dans un atelier, non loin du Jardin des Plantes qui appartenait à Hélène de Beauvoir, dite Poupette, sœur de Simone, dite le Castor. (…)
Durant les conversations entre les deux sœurs Kosakévitch un nom revenait constamment, celui de Sartre. Elles ne disaient jamais Jean-Paul. (…)
La première fois que je le rencontrai, ce fut dans le petit hôtel où habitait Wanda, face à l’entrée des artistes du théâtre de l’Atelier. En bas, il y avait un bistrot fréquenté par des messieurs et dames de mauvaise réputation. J’étais mal à l’aise. Dans mon esprit conventionnel, un philosophe était un être barbu, planant au-dessus des contingences humaines, respirant la sagesse et le calme. En entrant dans la chambre, j’aperçus, assis sur le haut lit, jambes pendantes, un monsieur qui fumait la pipe et dont les pieds ne touchaient pas le plancher. Quel étonnement ! C’était le fameux Sartre !
Il se leva ou plutôt descendit du lit et je fus sidéré par sa taille exiguë. J’étais très gêné d’être plus grand que lui. On se serra la main.
La suite est à lire dans Le petit invité.
Echantillons :
Jeudi j’ai un peu fait travailler Mouloudji en géométrie. (lundi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante, le jeune Marcel Mouloudji dont je viens de lire Le petit invité (Balland) était alors en rupture de famille, recueilli par Jean-Louis Barrault et Robert Desnos puis par Marcel Duhamel)
Peut-être que d’ici un mois vous serez assis à côté de moi, sur une de ces banquettes, tout pareil à vous-même, svelte et plein d’expérience. Je me rappelle toujours cette terrasse du café « Victor » à Rouen où vous souhaitiez tant une expérience extra-sentimentale : comme une traversée du Sahara en autochenille. Voilà que vous l’avez très bien eue… (mardi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante)
… il y avait dans la salle Cocteau et Marais. Cocteau est marrant avec une sorte de coiffure en hauteur, sa figure de vieille femme. On rencontre mille visages de connaissance à ces concerts qui sont superbes. (lundi seize décembre mil neuf cent quarante)
Il m’a raconté aussi comme il avait couché avec Piquard (son ancienne élève, amie de Védrine et stagiaire chez moi) ; il l’a emmenée chez lui, l’a embrassée et elle lui a dit aussitôt : « Je vous aime » ; il a répondu à peu près : « Il n’y a pas de mal » et l’a renversée –après quoi il l’a crue enceinte mais il n’en était rien ; elle a menacé de faire de la complication sentimentale mais il a rompu presque aussitôt –il cherche la conversation érotique avec moi, tout comme le vieux proviseur, et il me débecte. (dimanche cinq janvier mil neuf cent quarante et un, à propos d’un M. Ponty)
… j’ai été retrouver Kos. et manger avec elle une omelette au « Milk Bar ». Elle était sombre ; elle pense que le seul moyen d’arriver, c’est de coucher avec un type et serait quasi disposée à le faire, mais personne ne lui propose. (vendredi vingt-quatre janvier mil neuf cent quarante et un)
Mon cher petit, vous avez dû voir que malgré tout j’étais moins peineuse ces temps-ci. (mardi vingt-huit janvier mil neuf cent quarante et un)
*
Je suis né à Paris, Hôtel-Dieu, rue d’Arcole,
Mon père était maçon, ma mère femme de ménage,
Mon frère était sauvage et mon oncle bizarre,
Et les autres parents soit drôles soit alcooliques,
Apatrides ou bretons ; et quant aux Arabiques,
Je ne les connus point, par hasard
Et trop tard pour me faire des racines. (Mouloudji)
*
Mouloudji, sa première rencontre avec Sartre :
Au cours Dullin je sympathisais avec quelques élèves, en particulier les sœurs Kosakévitch –Wanda et Olga dite « Olga blonde » –ainsi qu’avec Olga Kéchéliévitch, dite « Olga brune ». J’entretenais avec ces jeunes filles des rapports presque affectueux. Wanda étudiait la peinture. Elle m’entraînait parfois dans un atelier, non loin du Jardin des Plantes qui appartenait à Hélène de Beauvoir, dite Poupette, sœur de Simone, dite le Castor. (…)
Durant les conversations entre les deux sœurs Kosakévitch un nom revenait constamment, celui de Sartre. Elles ne disaient jamais Jean-Paul. (…)
La première fois que je le rencontrai, ce fut dans le petit hôtel où habitait Wanda, face à l’entrée des artistes du théâtre de l’Atelier. En bas, il y avait un bistrot fréquenté par des messieurs et dames de mauvaise réputation. J’étais mal à l’aise. Dans mon esprit conventionnel, un philosophe était un être barbu, planant au-dessus des contingences humaines, respirant la sagesse et le calme. En entrant dans la chambre, j’aperçus, assis sur le haut lit, jambes pendantes, un monsieur qui fumait la pipe et dont les pieds ne touchaient pas le plancher. Quel étonnement ! C’était le fameux Sartre !
Il se leva ou plutôt descendit du lit et je fus sidéré par sa taille exiguë. J’étais très gêné d’être plus grand que lui. On se serra la main.
La suite est à lire dans Le petit invité.
19 mai 2015
Début mai, je passe au guichet de l’Opéra de Rouen afin de savoir où je serai assis pour le Lohengrin de Richard Wagner. Ma place me convient, au premier rang un peu décentré du côté pair de la corbeille, mais je ne peux obtenir le billet, il est trop tôt.
Ce dimanche après-midi j’arrive donc à l’Opéra sans billet en poche. « Vous êtes en corbeille », me dit la guichetière qui ne m’apprend rien. Peu avant qu’ouvre la salle, je me dirige côté pair, vérifie mon billet et découvre qu’il est côté impair. Ce n’est que la première surprise. Mon siège est au dernier rang de la corbeille, là où si l’on fait plus d’un mètre soixante-dix on ne peut caser ses genoux. Une seule explication : ma place côté pair a été donnée à quelqu’un d’autre et j’ai été recasé. Impossible de rester là pendant plus de quatre heures, j’envisage déjà de partir à la fin du premier acte, n’ayant vu et entendu qu’un tiers de Lohengrin.
Heureusement, à l’approche de la fermeture des portes un fauteuil reste libre au premier rang de cette corbeille. Je m’y installe. Arrive alors une jeune femme. C’est sa place mais fort obligeamment elle me la laisse, allant s’asseoir sur un strapontin.
Le rideau s’ouvre sur un décor d’amphithéâtre où sont installés les choristes. Cet amphithéâtre est cerné de murs de boîtes d’archives en désordre qui me font songer à une œuvre de Christian Boltanski. Le metteur en scène, Carlos Wagner (qui n’est pas de la famille), a placé l’histoire dans les années trente. Il souhaite mettre en garde contre le recours à l’homme providentiel. Son amphithéâtre se fend en deux, façon mer Rouge, pour laisser passer le chevalier blanc christique tiré par un cygne dépenaillé.
Rien à redire de cette coproduction Landestheater Coburg, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen. Mise en scène, chant (notamment le chœur accentus, Victor Antipenko dans le rôle de Lohengrin et Barbara Haveman dans celui d’Elsa von Brabant), interprétation musicale de l’Orchestre (dirigé par Rudolf Piehlmayer) et, bien sûr, la musique de Wagner, tout cela me convient et il aurait été dommage que je doive partir en cours pour cause de genoux cassés.
*
Quatre heures quinze de spectacle. Au deuxième entracte, je me dirige vers les toilettes. Côté impair, pour les hommes, on ne trouve qu’un seul vécé avec porte et trois urinoirs rapprochés dans lesquels pisser revient à le faire en public. J’y renonce.
Chez les femmes, le nombre de vécés est également très insuffisant comme le révèle l’interminable file d’attente. Cela alors que la salle n’est pas complète. J’espère que les artistes et les membres du personnel sont mieux traités que le public sous cet aspect.
Que sera-ce le jour où la Piccola Familia donnera en ces lieux, devant une salle comble, ses dix-huit heures d’Henry VI. Je conseille à Thomas Jolly de faire installer des toilettes de location sur le parvis.
*
Bientôt sera présenté le programme de la saison prochaine de l’Opéra de Rouen, mais déjà une mauvaise nouvelle : les concerts donnés dans la chapelle rénovée du lycée Corneille (musiques de chambre, vocale et ancienne) seront hors abonnement. Un rabais est offert aux abonné(e)s : douze euros cinquante au lieu de vingt-cinq. C’est gentil.
Ce dimanche après-midi j’arrive donc à l’Opéra sans billet en poche. « Vous êtes en corbeille », me dit la guichetière qui ne m’apprend rien. Peu avant qu’ouvre la salle, je me dirige côté pair, vérifie mon billet et découvre qu’il est côté impair. Ce n’est que la première surprise. Mon siège est au dernier rang de la corbeille, là où si l’on fait plus d’un mètre soixante-dix on ne peut caser ses genoux. Une seule explication : ma place côté pair a été donnée à quelqu’un d’autre et j’ai été recasé. Impossible de rester là pendant plus de quatre heures, j’envisage déjà de partir à la fin du premier acte, n’ayant vu et entendu qu’un tiers de Lohengrin.
Heureusement, à l’approche de la fermeture des portes un fauteuil reste libre au premier rang de cette corbeille. Je m’y installe. Arrive alors une jeune femme. C’est sa place mais fort obligeamment elle me la laisse, allant s’asseoir sur un strapontin.
Le rideau s’ouvre sur un décor d’amphithéâtre où sont installés les choristes. Cet amphithéâtre est cerné de murs de boîtes d’archives en désordre qui me font songer à une œuvre de Christian Boltanski. Le metteur en scène, Carlos Wagner (qui n’est pas de la famille), a placé l’histoire dans les années trente. Il souhaite mettre en garde contre le recours à l’homme providentiel. Son amphithéâtre se fend en deux, façon mer Rouge, pour laisser passer le chevalier blanc christique tiré par un cygne dépenaillé.
Rien à redire de cette coproduction Landestheater Coburg, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen. Mise en scène, chant (notamment le chœur accentus, Victor Antipenko dans le rôle de Lohengrin et Barbara Haveman dans celui d’Elsa von Brabant), interprétation musicale de l’Orchestre (dirigé par Rudolf Piehlmayer) et, bien sûr, la musique de Wagner, tout cela me convient et il aurait été dommage que je doive partir en cours pour cause de genoux cassés.
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Quatre heures quinze de spectacle. Au deuxième entracte, je me dirige vers les toilettes. Côté impair, pour les hommes, on ne trouve qu’un seul vécé avec porte et trois urinoirs rapprochés dans lesquels pisser revient à le faire en public. J’y renonce.
Chez les femmes, le nombre de vécés est également très insuffisant comme le révèle l’interminable file d’attente. Cela alors que la salle n’est pas complète. J’espère que les artistes et les membres du personnel sont mieux traités que le public sous cet aspect.
Que sera-ce le jour où la Piccola Familia donnera en ces lieux, devant une salle comble, ses dix-huit heures d’Henry VI. Je conseille à Thomas Jolly de faire installer des toilettes de location sur le parvis.
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Bientôt sera présenté le programme de la saison prochaine de l’Opéra de Rouen, mais déjà une mauvaise nouvelle : les concerts donnés dans la chapelle rénovée du lycée Corneille (musiques de chambre, vocale et ancienne) seront hors abonnement. Un rabais est offert aux abonné(e)s : douze euros cinquante au lieu de vingt-cinq. C’est gentil.
18 mai 2015
Dix-huit heures ce samedi, entouré d’autres d’âges divers, je suis à ma place préférée au Théâtre des Deux Rives après avoir déboursé la modique somme de cinq euros. Au fond de la salle est installé un impressionnant matériel technique. C’est pour Nous autres d’après le roman d’Ievgueni Zamiatine que j’ai lu il y a bien longtemps dans la traduction publiée chez Gallimard, collection L’Imaginaire.
Ici, la traduction est d’Hélène Henry-Safier et l’adaptation et la mise en scène sont d’Ilya Shagalov, venu de Russie pour ce faire, un jeune homme, comme je le découvre quand il se présente devant la scène, né en mil neuf cent quatre-vingt-six à Krasnovar. Il est doublé en français par une jeune traductrice et tient surtout à préciser que ce que l’on va voir n’est que le résultat d’un laboratoire théâtral de douze jours.
Les comédien(ne)s sont sept, trois professionnel(le)s : Catherine Dewitt, Lisa Peyron et Pierre Delmotte, quatre apprenti(e)s du Conservatoire : Clémentine Marin, Harold Batola, Romain Collard et Victor Oligne. Ils nous narrent le monde parfait dans lequel ils doivent vivre, où avoir une âme est une maladie comme le constatera D-503 (joué par Pierre Delmotte) après avoir été débauché par I-330, jeune femme sensuelle, buveuse et fumeuse (jouée par Lisa Peyron, à qui ça va bien), celle-ci étant toujours en relation avec l’ancien monde par le biais de sa grand-mère, l’habitante de la vieille maison (Catherine Dewitt, pas très à l’aise).
L’image enregistrée ou filmée et travaillée en direct est souvent mise à contribution avec efficacité. Shagalov n’est pas seulement metteur en scène, il est aussi « designer de vidéo et vidéo jockey ».
Nous autres est la première dystopie. Ecrite en mil neuf cent vingt, elle préfigure ce que deviendra l’Union Soviétique et vaudra l’exil à son auteur. Le texte en est ici modernisé avec référence aux réseaux dits sociaux d’Internet. Je ne sais comment Ilya Shagalov qui ne connaît pas le français, s’y est pris pour se faire comprendre. J’aurais bien aimé être là pour voir ça.
C’est une belle réussite qui vaut son lot d’applaudissements aux comédien(ne)s, aux techniciens et au jeune Russe talentueux.
*
« L’oracle Zamiatine scrutant les brumes de l’Histoire de demain pousse un hurlement solitaire. Lui-même, en nos temps de surdité, condamné au silence et à l’exil, étouffé par l’angoisse, mourra à Paris en 1937 à l’âge de 53 ans. » (Yvon Hecht, cité dans le texte de présentation)
*
Le matin de ce samedi, encore des vide greniers : Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) et Oissel Les Landaus (Seine-Maritime), encore une fois : que dalle.
Ici, la traduction est d’Hélène Henry-Safier et l’adaptation et la mise en scène sont d’Ilya Shagalov, venu de Russie pour ce faire, un jeune homme, comme je le découvre quand il se présente devant la scène, né en mil neuf cent quatre-vingt-six à Krasnovar. Il est doublé en français par une jeune traductrice et tient surtout à préciser que ce que l’on va voir n’est que le résultat d’un laboratoire théâtral de douze jours.
Les comédien(ne)s sont sept, trois professionnel(le)s : Catherine Dewitt, Lisa Peyron et Pierre Delmotte, quatre apprenti(e)s du Conservatoire : Clémentine Marin, Harold Batola, Romain Collard et Victor Oligne. Ils nous narrent le monde parfait dans lequel ils doivent vivre, où avoir une âme est une maladie comme le constatera D-503 (joué par Pierre Delmotte) après avoir été débauché par I-330, jeune femme sensuelle, buveuse et fumeuse (jouée par Lisa Peyron, à qui ça va bien), celle-ci étant toujours en relation avec l’ancien monde par le biais de sa grand-mère, l’habitante de la vieille maison (Catherine Dewitt, pas très à l’aise).
L’image enregistrée ou filmée et travaillée en direct est souvent mise à contribution avec efficacité. Shagalov n’est pas seulement metteur en scène, il est aussi « designer de vidéo et vidéo jockey ».
Nous autres est la première dystopie. Ecrite en mil neuf cent vingt, elle préfigure ce que deviendra l’Union Soviétique et vaudra l’exil à son auteur. Le texte en est ici modernisé avec référence aux réseaux dits sociaux d’Internet. Je ne sais comment Ilya Shagalov qui ne connaît pas le français, s’y est pris pour se faire comprendre. J’aurais bien aimé être là pour voir ça.
C’est une belle réussite qui vaut son lot d’applaudissements aux comédien(ne)s, aux techniciens et au jeune Russe talentueux.
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« L’oracle Zamiatine scrutant les brumes de l’Histoire de demain pousse un hurlement solitaire. Lui-même, en nos temps de surdité, condamné au silence et à l’exil, étouffé par l’angoisse, mourra à Paris en 1937 à l’âge de 53 ans. » (Yvon Hecht, cité dans le texte de présentation)
*
Le matin de ce samedi, encore des vide greniers : Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) et Oissel Les Landaus (Seine-Maritime), encore une fois : que dalle.
17 mai 2015
« Crémaillère à l’Ascension », un évènement Effe Bé de nature à susciter la contrepèterie mais celle-ci n’est pas parfaite. En revanche l’accueil de l’invitante l’est, qui fut ma collègue du temps de mes dernières années en maternelle. Dans quelques années, ce sera à son tour d’être à la retraite, d’où un déménagement préventif au septième étage d’un immeuble de la rive gauche de Rouen avec vue et balcon sur Le Grand-Quevilly, le Zénith, l’antenne et la forêt des Essarts, et aperçu sur la Cathédrale et une partie de la rive droite depuis la chambre.
Arrivé un peu en avance, après avoir salué fils et fausse fille, je m’emploie à descendre les poubelles au niveau moins un. L’ascenseur est d’une espèce protégée, j’en use donc avec précaution afin qu’il me remonte. Bientôt se présentent les autres invité(e)s, des institutrices avec maris de diverses professions, des sans mari, une animatrice, un instituteur artiste peintre, un travailleur manuel. Les quatre enfants filles présentes sont remisées dans la chambre, on ne les entendra pas. Sans attendre qu’arrive la quatorzième invitée, une baroudeuse qui a couru la terre entière mais est perdue entre Sotteville et Rouen, notre hôtesse se lance dans sa grande spécialité : la fabrication de mojitos.
C’est le début d’une longue après-midi de libations, d’agapes et de discussions un peu décousues et souvent fielleuses ; certaines des invitées étant, à mon contentement, de vraies langues de vipère avec qui j’aurais bien aimé travailler (mais pas question que j’y retourne). Une averse vient mettre son grain de pluie sur la baie vitrée. Sur la table basse se succèdent de nombreux petits plats, puis du foie gras, puis le rôti et ses salades, puis des fromages, enfin des pâtisseries au citron. Il est dix-huit heures trente, le temps étant à l’éclaircie, lorsque s’achèvent les festivités.
Bien qu’ayant bu deux grands mojitos, deux verres de vin, deux coupes de champagne et un petit verre de rhum arrangé, je ne me sens pas du tout ivre et pourrais même rentrer au volant de ma voiture, mais c’est à pied que je suis venu et que je rejoins la rive droite.
Arrivé un peu en avance, après avoir salué fils et fausse fille, je m’emploie à descendre les poubelles au niveau moins un. L’ascenseur est d’une espèce protégée, j’en use donc avec précaution afin qu’il me remonte. Bientôt se présentent les autres invité(e)s, des institutrices avec maris de diverses professions, des sans mari, une animatrice, un instituteur artiste peintre, un travailleur manuel. Les quatre enfants filles présentes sont remisées dans la chambre, on ne les entendra pas. Sans attendre qu’arrive la quatorzième invitée, une baroudeuse qui a couru la terre entière mais est perdue entre Sotteville et Rouen, notre hôtesse se lance dans sa grande spécialité : la fabrication de mojitos.
C’est le début d’une longue après-midi de libations, d’agapes et de discussions un peu décousues et souvent fielleuses ; certaines des invitées étant, à mon contentement, de vraies langues de vipère avec qui j’aurais bien aimé travailler (mais pas question que j’y retourne). Une averse vient mettre son grain de pluie sur la baie vitrée. Sur la table basse se succèdent de nombreux petits plats, puis du foie gras, puis le rôti et ses salades, puis des fromages, enfin des pâtisseries au citron. Il est dix-huit heures trente, le temps étant à l’éclaircie, lorsque s’achèvent les festivités.
Bien qu’ayant bu deux grands mojitos, deux verres de vin, deux coupes de champagne et un petit verre de rhum arrangé, je ne me sens pas du tout ivre et pourrais même rentrer au volant de ma voiture, mais c’est à pied que je suis venu et que je rejoins la rive droite.
16 mai 2015
Couché à minuit et quart, levé à cinq heures, je sais que ma journée parisienne va être difficile mais c’est néanmoins d’un bon pas que je remonte la rue de la Jeanne jusqu’à la gare. A peine y suis-je assis qu’Alain Rault, aka le Playboy Communiste, vient à moi. Je lui donne la pièce qu’il attend, une femme à valise complète et il va prendre un café à la machine, son éternelle couverture sur les épaules.
Le train va son chemin. J’y lis la Philosophie pratique de Giacomo Leopardi, des extraits de son Zibaldone classés par ordre alphabétique, une édition Rivages poche. A Saint-Lazare, j’emprunte le bus Vingt jusqu’à la Bastille. Je bookoffie un bon moment sans grand succès puis rejoins le marché d’Aligre. Les livres y sont nombreux mais pas davantage pour moi.
A midi, je déjeune à La Forge Royale, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d’un croustillant de chèvre suivi d’une chiraquienne tête de veau sauce gribiche. Au plafond sont inscrits à la craie divers messages susceptibles de faire réfléchir. J’en retiens deux : une citation de Victor Hugo La musique c’est du bruit qui pense et un proverbe peut-être africain Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire. Avec un quart de vin rouge cela fait seize euros quatre-vingts.
Le café, je le prends à la Clef des Champs, rue des Petits Champs, où je reste un long moment, trop fatigué pour marcher, à lire Leopardi et à écouter avec quel plaisir gourmand, ce mercredi, les habitué(e)s du lieu se souhaitent un bon ouiquennede.
Après être passé par l’autre Book-Off sans plus de succès, de moins en moins capable de crapahuter, je trouve refuge chez Léon. A dix-huit heures, j’y commande une portion de frites accompagnée de mayonnaise de la maison et d’un verre de côtes-du-rhône.
-Ça vous a redonné la frite ? me demande l’une des tenancières en récupérant mon assiette vide.
Bien que claqué, je ne m’endors pas dans le train du retour où je termine Leopardi. Hormis deux courts arrêts en pleine voie, il va son chemin sans encombre. La rupture de caténaire, c’était hier.
*
Tous ces touristes occupés(e)s à photographier l’Opéra Garnier, je me demande ce qu’ils y voient, n’ayant jamais pu trouver le moindre intérêt architectural à cette pâtisserie crémeuse. Les plus riches boivent un verre à la terrasse du Café de la Paix, l’une des plus renommées et des moins agréables de la ville, coincés contre le mur, soumis à l’incessant passage des piétons, respirant à pleins poumons les gaz délétères des pots d’échappement.
*
Je sais maintenant à quelle construction œuvrent les grues rouges dressées vers le ciel à la sortie de la capitale : celle du nouveau Palais de Justice, bâtiment qui sera aussi imposant qu’effrayant.
*
Julien Coupat, encore un révolutionnaire qui finit sur France Inter. Et aussi dans le Nouvel Obs. Pour lui, Cabu était le dessinateur de l’émission de Dorothée qu’il voyait à la télé quand il était enfant. Il a quarante ans et a donc raté les épisodes précédents.
Le train va son chemin. J’y lis la Philosophie pratique de Giacomo Leopardi, des extraits de son Zibaldone classés par ordre alphabétique, une édition Rivages poche. A Saint-Lazare, j’emprunte le bus Vingt jusqu’à la Bastille. Je bookoffie un bon moment sans grand succès puis rejoins le marché d’Aligre. Les livres y sont nombreux mais pas davantage pour moi.
A midi, je déjeune à La Forge Royale, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d’un croustillant de chèvre suivi d’une chiraquienne tête de veau sauce gribiche. Au plafond sont inscrits à la craie divers messages susceptibles de faire réfléchir. J’en retiens deux : une citation de Victor Hugo La musique c’est du bruit qui pense et un proverbe peut-être africain Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire. Avec un quart de vin rouge cela fait seize euros quatre-vingts.
Le café, je le prends à la Clef des Champs, rue des Petits Champs, où je reste un long moment, trop fatigué pour marcher, à lire Leopardi et à écouter avec quel plaisir gourmand, ce mercredi, les habitué(e)s du lieu se souhaitent un bon ouiquennede.
Après être passé par l’autre Book-Off sans plus de succès, de moins en moins capable de crapahuter, je trouve refuge chez Léon. A dix-huit heures, j’y commande une portion de frites accompagnée de mayonnaise de la maison et d’un verre de côtes-du-rhône.
-Ça vous a redonné la frite ? me demande l’une des tenancières en récupérant mon assiette vide.
Bien que claqué, je ne m’endors pas dans le train du retour où je termine Leopardi. Hormis deux courts arrêts en pleine voie, il va son chemin sans encombre. La rupture de caténaire, c’était hier.
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Tous ces touristes occupés(e)s à photographier l’Opéra Garnier, je me demande ce qu’ils y voient, n’ayant jamais pu trouver le moindre intérêt architectural à cette pâtisserie crémeuse. Les plus riches boivent un verre à la terrasse du Café de la Paix, l’une des plus renommées et des moins agréables de la ville, coincés contre le mur, soumis à l’incessant passage des piétons, respirant à pleins poumons les gaz délétères des pots d’échappement.
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Je sais maintenant à quelle construction œuvrent les grues rouges dressées vers le ciel à la sortie de la capitale : celle du nouveau Palais de Justice, bâtiment qui sera aussi imposant qu’effrayant.
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Julien Coupat, encore un révolutionnaire qui finit sur France Inter. Et aussi dans le Nouvel Obs. Pour lui, Cabu était le dessinateur de l’émission de Dorothée qu’il voyait à la télé quand il était enfant. Il a quarante ans et a donc raté les épisodes précédents.
15 mai 2015
Il faut vraiment que j’aie envie d’entendre Dominique A pour affronter la perspective du concert debout. A pied, ce mardi douze au soir, je rejoins le lointain Cent Six et prends place dans la file bétailleuse qui attend l’ouverture des portes. Derrière moi, des enseignants parlent de la semaine européenne, de la semaine culturelle et des collègues.
Après avoir franchi sans souci les vigiles, je me place au quatrième rang face au micro central. Celui-ci est d'abord à l’usage d’un chanteur de première partie, physiquement un fils de Jean Ferrat, musicalement un enfant illégitime de Noir Désir. Côté musique : guitare qui se fait plaisir et machine qui fait des boucles, côté paroles : lyrisme fumeux.
A la fin de son premier morceau, une voix venue de la salle se fait entendre :
-Moins fort. Ça fait mal aux oreilles. On n’entend pas les paroles.
-C’est pas prévu, lui répond l’artiste.
Il enchaîne avec sa deuxième chanson. Tout à l’heure, à L’Armitière, Dominique A disait que faire de la musique, c’était parfois obliger les autres à se taire. J’affronte cette épreuve en faisant de mes doigts des bouchons d’oreille. Au bout de cinq ou six morceaux, dont mes voisin(e)s disent du mal tout en applaudissant, ce mauvais moment s’achève.
-C’était qui ? demande l’un.
-Il nous a pas dit son nom, dit un autre.
Je l’ai lu, écrit sur une affichette à l’entrée : Olivier Depardon.
Suit le long moment vide de la mise en place des instruments pour la suite. Que de temps perdu, me dis je, fulminant intérieurement.
Dominique A arrive enfin, ayant remplacé la chemise bleue à manches courtes par une grise à manches longues retroussées. Il est accompagné par trois musiciens et s’empare (comme on dit) de sa guitare.
-J’aime bien ta gratte, dit l’un dans la foule.
C’est le début de pas mal de réflexions pas très fines polluant l’intervalle entre deux chansons, auxquelles le chanteur répond à sa manière, simple et naturelle. Comme mon voisinage est devenu silencieux, je peux bénéficier d’une audition parfaite des morceaux de l’album Eléor. L’interprète n’a pas perdu sa gestuelle, son bras fait toujours la vague quand il ne gratte pas son instrument. Derrière lui, les trois assurent. Aux claviers c’est Boris le hipsteure, à la batterie Sacha le normal et à la basse Jeff le hibou halluciné.
« En concert, j’aime que mon public en ait pour son argent », disait tout à l’heure Dominique A à L’Armitière. Il revient une première fois longuement, puis une seconde pendant laquelle il interprète avec ses trois acolytes quelques succès du passé dont une version très rock du Courage des oiseaux. Des morceaux qui tournent parfois au maelström musical mais dont je ne profite pas aussi bien que je le souhaiterais pour cause de douleur croissante dans les pieds et d’engourdissement qui remonte jusqu’aux épaules. La peste soit des concerts debout du Cent Six, combien c’était mieux quand je pouvais voir et entendre Dominique A confortablement assis au Hangar Vingt-Trois.
Il est minuit et quart lorsque j’arrive à la maison, mon réveil étant réglé sur cinq heures en raison du mercredi à Paris, cela laisse peu de temps au sommeil.
*
Les interventions bêtes du public, une conséquence des concerts debout, ils libèrent l’esprit troupeau.
*
Je rentre à Bruxelles sitôt après le concert, expliquait Dominique A à la libraire ébahie. « C’est ça ma vie ».
*
Une chanson de lui que j’aime beaucoup Au revoir mon amour. Quand il la chante sur scène, on entend « En revoir mon amour ». Ce « en » à la place du « au », pratique courante dans le milieu populaire où s’en déroulée mon enfance. En revoir, à demain.
Après avoir franchi sans souci les vigiles, je me place au quatrième rang face au micro central. Celui-ci est d'abord à l’usage d’un chanteur de première partie, physiquement un fils de Jean Ferrat, musicalement un enfant illégitime de Noir Désir. Côté musique : guitare qui se fait plaisir et machine qui fait des boucles, côté paroles : lyrisme fumeux.
A la fin de son premier morceau, une voix venue de la salle se fait entendre :
-Moins fort. Ça fait mal aux oreilles. On n’entend pas les paroles.
-C’est pas prévu, lui répond l’artiste.
Il enchaîne avec sa deuxième chanson. Tout à l’heure, à L’Armitière, Dominique A disait que faire de la musique, c’était parfois obliger les autres à se taire. J’affronte cette épreuve en faisant de mes doigts des bouchons d’oreille. Au bout de cinq ou six morceaux, dont mes voisin(e)s disent du mal tout en applaudissant, ce mauvais moment s’achève.
-C’était qui ? demande l’un.
-Il nous a pas dit son nom, dit un autre.
Je l’ai lu, écrit sur une affichette à l’entrée : Olivier Depardon.
Suit le long moment vide de la mise en place des instruments pour la suite. Que de temps perdu, me dis je, fulminant intérieurement.
Dominique A arrive enfin, ayant remplacé la chemise bleue à manches courtes par une grise à manches longues retroussées. Il est accompagné par trois musiciens et s’empare (comme on dit) de sa guitare.
-J’aime bien ta gratte, dit l’un dans la foule.
C’est le début de pas mal de réflexions pas très fines polluant l’intervalle entre deux chansons, auxquelles le chanteur répond à sa manière, simple et naturelle. Comme mon voisinage est devenu silencieux, je peux bénéficier d’une audition parfaite des morceaux de l’album Eléor. L’interprète n’a pas perdu sa gestuelle, son bras fait toujours la vague quand il ne gratte pas son instrument. Derrière lui, les trois assurent. Aux claviers c’est Boris le hipsteure, à la batterie Sacha le normal et à la basse Jeff le hibou halluciné.
« En concert, j’aime que mon public en ait pour son argent », disait tout à l’heure Dominique A à L’Armitière. Il revient une première fois longuement, puis une seconde pendant laquelle il interprète avec ses trois acolytes quelques succès du passé dont une version très rock du Courage des oiseaux. Des morceaux qui tournent parfois au maelström musical mais dont je ne profite pas aussi bien que je le souhaiterais pour cause de douleur croissante dans les pieds et d’engourdissement qui remonte jusqu’aux épaules. La peste soit des concerts debout du Cent Six, combien c’était mieux quand je pouvais voir et entendre Dominique A confortablement assis au Hangar Vingt-Trois.
Il est minuit et quart lorsque j’arrive à la maison, mon réveil étant réglé sur cinq heures en raison du mercredi à Paris, cela laisse peu de temps au sommeil.
*
Les interventions bêtes du public, une conséquence des concerts debout, ils libèrent l’esprit troupeau.
*
Je rentre à Bruxelles sitôt après le concert, expliquait Dominique A à la libraire ébahie. « C’est ça ma vie ».
*
Une chanson de lui que j’aime beaucoup Au revoir mon amour. Quand il la chante sur scène, on entend « En revoir mon amour ». Ce « en » à la place du « au », pratique courante dans le milieu populaire où s’en déroulée mon enfance. En revoir, à demain.
14 mai 2015
A l’exemple de la Fnaque vendant des aspirateurs, L’Armitière vend désormais des jouets rue des Basnages. Toute la librairie est donc rue de la Jeanne, là où autrefois on ne vendait que les livres pour la jeunesse et la presse.
A dix-sept heures trente, Dominique A doit venir y parler de son dernier livre signé Dominique Ané (il s’agit sûrement pour lui de différencier son activité de chanteur et d’écrivain, une bonne intention mise à mal par les Editions Stock qui ont muni chaque exemplaire de Regarder l’océan d’un grand bandeau rose marqué « Dominique A »).
J’entre donc pour la première fois ce mardi douze mai dans ce bel endroit au sol pavé et aux murs de briques éclairé par une verrière.
Avant de monter à l’étage où sont alignées les chaises, je regarde ce qui est proposé sur les tables du bas consacrées à la littérature. De nombreux livres sont ornés d’un bandeau mis en place par les libraires « À lire absolument ». Ils sont signés par Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille, Graziella, etc. Cette injonction a pour effet de me dissuader de les regarder de plus près.
A l’étage sont ce qu’on appelle les beaux livres. Je fouille un moment dans les rayonnages de livres d’art (aucun sur Balthus et Egon Schiele). Une femme à cheveux gris demande à la libraire présente (est-ce Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille ou Graziella ?) un livre sur l’intestin.
-Ce n’est pas Notre deuxième cerveau, l’intestin ? lui demande la professionnelle (Le titre exact est Le ventre, notre deuxième cerveau).
-Non, non, lui dit la dame.
L’ordinateur finit par donner le titre : Le charme discret de l’intestin. « Il n’est pas disponible mais on peut vous le commander ». L’Armitière vient de fêter ses cinquante ans, cela fait déjà un moment qu’elle a des problèmes d’intestin.
Quand s’installent les premières et premiers intéressé(e)s par la rencontre, je m’assois à l’extrémité de la première rangée. Une femme choisit l’arrière et s’en explique à voix haute : « Moi, je suis fan, j’écoute tout le temps, mais je veux pas être trop près, j’aime pas du tout son visage, son visage ne correspond pas à sa voix. » Quand arrive l’ami Masson avec le petit livre de l’invité en main, ma voisine me propose de permuter avec elle afin que nous soyons côte à côte. Elle non plus ne veut pas être trop près. Nous deux, on n’a pas peur d’être proche de Dominique A(né).
A l’heure dite, celui-ci surgit par bâbord accompagné de l’habituelle libraire questionneuse à fiches. Chemisette bleue, pantalon noir, chaussures noires, son bonjour est à son image : simple et naturel. Je ne me souviens plus des questions mais dans les réponses il y a des choses comme « L’écriture, c’est un peu comme l’horticulture, on dégage le terrain, on élague. » « J’aurais bien aimé atteindre cent pages, mais non. » D’autres propos révèlent la part importante prise par l’éditrice Brigitte Giraud, employée de Stock et elle-même auteure, dans la rédaction des textes de ce Regarder l’océan, lesquels ont tous à voir avec l’enfance et l’adolescence. Dominique A(né) évoque aussi son habitude d’aller lire dans une brasserie de Bruxelles, le bruit ambiant aidant à cet exercice. En ce moment, il lit Sebald. La libraire à fiches sourit d’un air entendu. Des questions venues du public suivent puis c’est le moment de la signature des livres. L’ami Masson prend place dans la file tandis que je file afin de dîner avant de retrouver Dominique A en concert au Cent Six.
A dix-sept heures trente, Dominique A doit venir y parler de son dernier livre signé Dominique Ané (il s’agit sûrement pour lui de différencier son activité de chanteur et d’écrivain, une bonne intention mise à mal par les Editions Stock qui ont muni chaque exemplaire de Regarder l’océan d’un grand bandeau rose marqué « Dominique A »).
J’entre donc pour la première fois ce mardi douze mai dans ce bel endroit au sol pavé et aux murs de briques éclairé par une verrière.
Avant de monter à l’étage où sont alignées les chaises, je regarde ce qui est proposé sur les tables du bas consacrées à la littérature. De nombreux livres sont ornés d’un bandeau mis en place par les libraires « À lire absolument ». Ils sont signés par Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille, Graziella, etc. Cette injonction a pour effet de me dissuader de les regarder de plus près.
A l’étage sont ce qu’on appelle les beaux livres. Je fouille un moment dans les rayonnages de livres d’art (aucun sur Balthus et Egon Schiele). Une femme à cheveux gris demande à la libraire présente (est-ce Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille ou Graziella ?) un livre sur l’intestin.
-Ce n’est pas Notre deuxième cerveau, l’intestin ? lui demande la professionnelle (Le titre exact est Le ventre, notre deuxième cerveau).
-Non, non, lui dit la dame.
L’ordinateur finit par donner le titre : Le charme discret de l’intestin. « Il n’est pas disponible mais on peut vous le commander ». L’Armitière vient de fêter ses cinquante ans, cela fait déjà un moment qu’elle a des problèmes d’intestin.
Quand s’installent les premières et premiers intéressé(e)s par la rencontre, je m’assois à l’extrémité de la première rangée. Une femme choisit l’arrière et s’en explique à voix haute : « Moi, je suis fan, j’écoute tout le temps, mais je veux pas être trop près, j’aime pas du tout son visage, son visage ne correspond pas à sa voix. » Quand arrive l’ami Masson avec le petit livre de l’invité en main, ma voisine me propose de permuter avec elle afin que nous soyons côte à côte. Elle non plus ne veut pas être trop près. Nous deux, on n’a pas peur d’être proche de Dominique A(né).
A l’heure dite, celui-ci surgit par bâbord accompagné de l’habituelle libraire questionneuse à fiches. Chemisette bleue, pantalon noir, chaussures noires, son bonjour est à son image : simple et naturel. Je ne me souviens plus des questions mais dans les réponses il y a des choses comme « L’écriture, c’est un peu comme l’horticulture, on dégage le terrain, on élague. » « J’aurais bien aimé atteindre cent pages, mais non. » D’autres propos révèlent la part importante prise par l’éditrice Brigitte Giraud, employée de Stock et elle-même auteure, dans la rédaction des textes de ce Regarder l’océan, lesquels ont tous à voir avec l’enfance et l’adolescence. Dominique A(né) évoque aussi son habitude d’aller lire dans une brasserie de Bruxelles, le bruit ambiant aidant à cet exercice. En ce moment, il lit Sebald. La libraire à fiches sourit d’un air entendu. Des questions venues du public suivent puis c’est le moment de la signature des livres. L’ami Masson prend place dans la file tandis que je file afin de dîner avant de retrouver Dominique A en concert au Cent Six.
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